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Partie 4 sur 4 : La colonne de nuée, le tétragramme lumineux et l’Ange de l’Éternel

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Dans le premier article de la présente série, nous avons vus qu’il existe deux positions réformées sur la légitimité des images de Dieu (l’iconoclasme radical et l’iconoclasme modéré), nous avons démontrés qu’il ne peut pas y avoir d’idolâtrie sans idoles et pas d’idoles sans adoration indue, nous nous sommes penchés sur le concept crucial de théophanie (une manifestation visible & audible de Dieu aux humains), puis nous avons fait le point sur la question de l’(in)visibilité de Dieu selon la Écritures Saintes.

Dans le deuxième article de cette série, nous avons fait une synthèse rapide des approches divergentes relativement aux images de Dieu ayant existé à travers l’histoire de l’Église et nous avons étudiés en profondeur l’historique de l’utilisation du buisson ardent comme image de Dieu dans le protestantisme réformé (surtout français et écossais) du XVIème siècle jusqu’à nos jours.

Dans le troisième article de cette série, nous avons constatés que plusieurs Bibles protestantes réformées de l’époque de la Réformation contiennent un riche foisonnement d’images de Dieu illustrant des passages bibliques prophétiques / eschatologiques (particulièrement le Livre d’Ézéchiel dans l’A.T. et le Livre de l’Apocalypse dans le N.T.).

Dans ce quatrième et dernier article de la série, nous verrons plusieurs exemples supplémentaires de représentations imagées de diverses théophanies utilisées dans l’histoire protestante réformée ancienne (aux XVIème et XVIIème siècles).

Théophanie d’Exode 14:10-31 (colonne de nuée/feu surplombant la mer Rouge) sur la page-titre de la Geneva Bible anglaise de 1560 (photo prise par moi-même au Plimoth-Patuxet Museum à “New” Plymouth au Massachusetts en 2024) — la même gravure y est reproduite à l’identique entre le texte sacré d’Exode 14:10 et 14:11 :

Ce n’est pas toujours facile de déterminer quelle personne de la Trinité se manifeste dans une théophanie. Ainsi, cette théophanie de la colonne de nuée ou de feu ↑ serait peut-être une apparition de la Seconde personne de la Trinité, comme semble le suggérer indirectement 1 Corinthiens 10:1-4 (cf. Exode 17:4-7). Toutefois, certains arguments indiquent que cette théophanie est plutôt une manifestation de la Troisième personne de la Trinité : « On doit d’ailleurs considérer que la nuée qui a conduit le peuple au désert représentait l’Esprit (elle est mentionnée juste avant l’Esprit dans la prière de Né 9, au v. 19). Il est aussi possible que, dans le récit de l’exode, il y ait un jeu sur les deux sens du mot rûaḥ, ‹ vent › et ‹ esprit ›, lorsqu’il est écrit que le Seigneur refoula la mer toute la nuit par un vent d’est puissant et qu’il la mit à sec (Ex 14:21). En effet, David dit ailleurs que ‹ le souffle exhalé du nez › du Seigneur a fait apparaître le lit de la mer (2 Sam 22:16 = Ps 18:16). On peut donc considérer que le vent qui a refoulé les eaux de la mer des Roseaux [du golfe d’Aqaba, un bras de la mer Rouge] était une manifestation de l’action de l’Esprit du Seigneur. » | « [L]a nuée théophanique représente l’Esprit selon Né 9:19-20 ; És 63:14 [cf. v. 10-13]. » (Sylvain Romerowski, L’œuvre du Saint-Esprit dans l’histoire du salut, Éditions de l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne, 2005, p. 29-30 et 314.) Il est possible que ces deux identifications ne soient pas mutuellement exclusives.

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux — une représentation artistique classique de l’Éternel dans le christianisme) dans la Bible de Genève de 1565 sous le texte de Nombres 22 & 23 (l’image de Dieu est identifiée par la flèche rouge et illustre les théophanies du mont Sinaï narrées en Exode 24:15-18 puis 34:5-28) :

Selon Actes 7:38, les théophanies d’Exode 24 puis 34 au sommet du mont Sinaï furent des manifestations de l’Ange de l’Éternel — pas au sens d’un ange ayant des ailes et des vêtements blancs, mais au sens du Verbe pré-incarné (Dieu le Fils) agissant comme ambassadeur de Dieu le Père. (Jean Calvin, Commentaire sur les cinq livres de Moïse, section Harmonie de la Loi, p. 165-166.)

Zoom sur l’extrait pertinent :

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux) au début du texte de l’Ancien Testament dans la Bible de Genève de 1588, qui fut « la » Bible des réformés français pendant plus d’un siècle jusqu’aux parutions des Bibles Martin en 1707 et Ostervald en 1724 :

Probable théophanie sur la page-titre d’une édition compacte de la Bible de Genève de 1588 (qui est cet Ange de l’Éternel ayant vaincu la mort et brandissant la Parole divine, si ce n’est le Verbe victorieux & ressuscité ?) :

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux) sur la page-titre de la Bible de Cipriano de Valera (1602), qui est la 2ème plus ancienne Bible protestante espagnole et la plus ancienne Bible spécifiquement réformée espagnole :

Image de la Trinité (triangle avec tétragramme émettant des rayons lumineux) sur la page-titre de la Bible réformée néerlandaise dite Statenvertaling (1637) :

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux) au début du texte de l’Ancien Testament dans la Statenvertaling réformée :

Il importe de comprendre ces images de Dieu tel que les réformés des XVIème et XVIIèmes siècles les comprenaient : La lumière est un attribut du Dieu trinitaire, pas juste une ornementation décorative accompagnant ses apparitions spectaculaires. La Bible dit que « Dieu est lumière » (1 Jean 1:5) et que le Verbe/Parole est lumière (Jean 1:4-13). Comme l’indique le Dictionnaire en théologie de l’imprimeur réformé Jean Crespin publié à Genève en 1560, « Jésus-Christ est la vraie lumière […] Tout ce qui est clair ou lumineux tant au ciel qu’en la terre emprunte sa clarté d’ailleurs ; mais Christ est la lumière reluisante de par soi-même : davantage il illumine et baille [c-à-d donne] clarté au monde par sa lueur, de telle façon que l’origine et cause de sa splendeur ne lui vient point d’ailleurs. » (p. 271-272, orthographe modernisée.)

Une petite étude lexicale nous renseigne qu’en certains contextes, la luminosité est une expression de l’être de l’Éternel. En effet, dans l’A.T., le mot hébreu ’ôr (אוֹר), traduit par lumière en français, « est souvent mentionné en lien avec la personne de Dieu. Il est question de la ‹ lumière de [sa] face › dans Ps 4:6 ; 44:3 ; 89:15. Dieu lui-même est décrit comme étant ‹ lumière ›, la source ultime de direction (Ps 4:6 ; 43:4 ; 119:105 ; És 2:5 ; Mi 2:8). […] La ‹ lumière › de la personne de Dieu est également associée au jour de l’Éternel dans Am 5:20. » (Stephen Renn et Gilles Despins, Dictionnaire des mots bibliques, Publications chrétiennes, 2023, p. 556.)

Semblablement, dans le N.T., le mot grec phōs (φῶς), traduit par lumière en français, « se réfère à la lumière qui vient d’une source naturelle, de même qu’à une lumière surnaturelle qui vient du ciel. phōs est aussi utilisé au figuré pour décrire la personne de Dieu ou une vérité morale et spirituelle. […] phōs se réfère également à la lumière surnaturelle de la transfiguration de Christ (Mt 17:2), de son apparition à Paul lors de sa conversion (Ac 9:3 ; 22:6 ss), d’un ange (Ac 12:7) et de la ville céleste (Ap 21:24 ; 22:5). Au sens figuré, phōs décrit aussi la personne et les œuvres de Dieu. […] La lumière divine, dont Christ est la manifestation suprême, est la source de la vie éternelle (voir Jn 1:4 ss ; 3:19 ss ; 11:10 ; 12:35 ss ; 2 Cor 4:6 ; 1 Pi 2:9 ; 1 Jn 2:8 ss). » (Renn et Despins, Dictionnaire des mots bibliques, p. 557.)

« La notion de ‹ lumière ›, dans les Écritures, comporte un sens théologique très important relativement à la personne de Dieu et de Christ. […] Pour ce qui est de la ‹ lumière › dans les théophanies de l’Ancien Testament, elle évoque surtout la personne de Yahvé et met l’accent sur sa parfaite sainteté. Dieu est présenté comme étant la lumière qui dirige son peuple dans quelques contextes différents (par exemple, la colonne de nuée lumineuse dans le désert). […] Le Nouveau Testament maintient ce lien entre la ‹ lumière › et la personne de Dieu, mais surtout avec la personne et l’œuvre de Christ. D’une manière particulière, Jésus-Christ déclare qu’il est la ‹ lumière du monde › [Jn 8:12 ; 9:5]. » (Renn et Despins, Dictionnaire des mots bibliques, p. 557-558.)

Dans cet ordre d’idées, précisons ceci sur l’adéquation entre la gloire de Dieu et les rayons de lumière émanant de certaines théophanies de l’Éternel tel que la colonne de nuée ou colonne de feu (Exode 16:10) : « La ‹ gloire › ici est certainement la théophanie lumineuse dans la nuée. […] Par conséquent, dans de nombreux passages, la ‹ gloire › est simplement la lumière créée qui émerge de la théophanie. Ces passages pourraient laisser entendre que la gloire [c-à-d la lumière] est quelque chose qui accompagne Dieu, plutôt qu’un attribut divin en tant que tel. Toutefois, dans la nuée de gloire, Dieu est avec son peuple, immanent et allianciellement présent. » (John Frame, Systematic Theology : An Introduction to Christian Belief, Presbyterian & Reformed Publishing, 2013, p. 396-397.)

La gloire-lumière théophanique rayonnant de l’Éternel est donc un attribut de sa divinité, et l’imager en connexion avec son Nom divin, c’est imager Dieu.

Probable théophanie (l’Ange de l’Éternel = Jésus-Christ) au début du texte de 1 Chroniques dans la Statenvertaling réformée :

Cette gravure ↑ renvoie à Genèse 22:1-19 où l’Ange de l’Éternel intervient pour sauver la vie d’Isaac juste avant qu’il ne soit sacrifié par Abraham (v. 11 puis 15). « Une interprétation chrétienne traditionnelle voit dans l’ange de l’Éternel une manifestation de la Deuxième personne de la Trinité » (Bible d’étude version Semeur, p. 38). L’expression « Ange de l’Éternel » décrit parfois le Christ pré-incarné et parfois un ange-créature (Reformation Study Bible ESV, p. 38 ; Bible d’étude New English Translation, p. 36 et 48), mais elle désigne bel et bien Dieu/Jésus en Genèse 22:1-19 (Nelson Study Bible NKJV, p. 45 ; MacArthur Study Bible LSB, p. 29 et 72) ainsi qu’en Genèse 31:11-13, Exode 3:2-15, Juges 6:11-24, etc. Considérant la fréquence élevée avec laquelle Jean Calvin identifiait l’Ange de l’Éternel avec le Verbe pré-incarné, il est très plausible que les éditeurs réformés néerlandais de la Statenvertaling voyaient ici une manifestation théophanique du Fils de Dieu.

Étant maintenant arrivés au terme de cette série, nous pouvons conclure qu’il y a été irréfutablement démontré que l’héritage historique de la foi réformée admet la légitimité des images de Dieu, que l’iconoclasme modéré est la position la plus représentative de cet héritage, et que l’iconoclasme radical non-biblique fait plutôt fausse note.

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Partie 3 sur 4 : Théophanies des textes bibliques prophétiques

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Il existe une multitude d’exemples d’utilisations d’images de Dieu datant des XVIème et XVIIème siècles démontrant que la tradition théologique réformée admet la légitimité de certaines images de Dieu (moyennant le respect de certaines conditions — dont l’une qui s’articule à la notion de théophanie). Dans l’article précédent de cette série, nous avons vu le cas du buisson ardent, qui fut utilisé sur les sceaux des Églises réformées de France et d’Écosse (notamment).

Dans le présent article, nous verrons plusieurs exemples additionnels de représentations imagées de diverses théophanies (c’est-à-dire de manifestations visibles et audibles de Dieu) utilisées dans l’histoire protestante réformée ancienne. Plus spécifiquement, nous nous concentrerons sur les images de Dieu illustrant des textes bibliques prophétiques où de telles théophanies sont révélées. J’accompagne les images d’explications théologiques lorsqu’il n’est pas 100 % évident, à la simple vue de ces images ou à la simple lecture des textes scripturaux auxquels elles se rapportent, qu’il s’agit effectivement d’images de Dieu.

Théophanie d’Ézéchiel 1:1 à 3:15 (cf. surtout 1:25-28) et 10:1-22 (cf. surtout 10:20) dans les pages liminaires de la Biblia del Oso (1569) traduite par Casiodoro de Reina, qui est la toute 1ère Bible protestante espagnole :

Autre théophanie d’Ézéchiel (coin supérieur droit) présidant au siège de la Cité-État de Tyr par l’Empire néo-babylonien de Nebucadnetsar II en 585-572 av. J.-C. puis à sa destruction totale par l’Empire macédonien d’Alexandre III en 332 av. J.-C. (prophétisé en Ésaïe 23, Ézéchiel 26 à 28 et Amos 1:9-10), toujours dans les pages liminaires de la Biblia del Oso :

Théophanie d’Apocalypse 1:12-18 dans la Bible de Zürich (1531) traduite par les réformateurs Ulrich Zwingli et Leo Judä, qui est non seulement la toute 1ère Bible réformée allemande, mais même la 1ère Bible protestante allemande *complète* (la Bible de Luther *complète* n’étant sortie des presses qu’en 1534) :

Double théophanie (de Dieu le Père + Dieu le Fils) venant d’Apocalypse 4 & 5 dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Père venant d’Apocalypse 8:2-4 (cf. Ap 7:9-15) dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Père venant d’Apocalypse 9:13 dans la Bible de Zürich réformée :

Notez que la section inférieure de cette gravure ↑ montre le châtiment surnaturel des malfaiteurs qui « ne cessèrent pas d’adorer les démons et les idoles en or, en argent, en bronze, en pierre et en bois qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni marcher » (Ap 9:20, S21). De toute évidence, les réformés germanophones qui produisirent et utilisèrent cette Bible ne considéraient pas que cette illustration de la condamnation divine de l’idolâtrie était elle-même idolâtrique.

Théophanie de la Seconde Personne de la Trinité venant d’Apocalypse 10 dans la Bible de Zürich réformée :

L’« ange puissant » ↑ que l’apôtre Jean voit « descendre du ciel » (S21) en Ap 10 est Jésus-Christ. L’apparition angéomorphique de Christ est attestée ailleurs dans le dernier livre de la Bible (Ap 1:13-16, 14:14-15 et 21:1-2), sans parler du reste des Écritures Saintes. Que Jean tombe aux pieds d’un ange non-divin pour l’adorer ailleurs dans l’Apocalypse (19:10 et 22:8) suggère qu’il a déjà vu Jésus en tant qu’ange en écrivant ce livre. Une panoplie d’arguments théologiques peuvent être alignés en faveur de l’identification de l’être angélique d’Ap 10 avec Christ :

{1} Cet ange est « enveloppé d’une nuée » (Ap 10:1). La nuée est directement associée à Jésus-Christ venant en gloire dès Ap 1:7 ; et ces deux textes renvoient à Dn 7:13-14 qui réfère clairement au Roi éternel & universel Jésus-Christ.

{2} « Au-dessus de sa tête était l’arc-en-ciel » (Ap 10:1). Ce signe renvoie au trône de Dieu qui est entouré d’un arc-en-ciel en Ap 4:3 et Ézéchiel 1:27-28. Dans le texte grec d’Ap 10:1, la présence de l’article défini (« l’ », ἡ) avant « arc-en-ciel » (ἶρις) renvoie à une occurence antérieure de ce terme (donc à 4:3, où cet article défini est absent).

{3} « [S]on visage était comme le soleil » (Ap 10:1). Cette caractéristique renvoie à Jésus en Ap 1:16 où « son visage était comme le soleil ». Mieux encore, cette clause d’Ap 10:1 est 100 % identique en grec (to prosopon autou hos ho helios) à la 2ème clause de la description de la transfiguration de Christ en Mt 17:2 !

{4} « [S]es jambes [étaient] comme des colonnes de feu » (Ap 10:1). Cet attribut physique renvoie à la colonne de feu qui guida et protégea le peuple allianciel chaque nuit pendant son périple de l’Égypte vers la Terre promise à travers le désert (Ex 13:21-22, 14:24, 40:34-38, etc.). Dans la Septante, la traduction grecque antique de l’A.T., c’est les mêmes mots grecs qui sont utilisés (stulō puros). De surcroît, cette colonne de feu du désert est identifiée à l’Ange de l’Éternel (Ex 32:34 et 33:2, Nb 20:16) qui est lui-même identifié à Jésus (Ex 3:2 et 3:14, Jn 8:58).

{5} « [I]l cria d’une voix forte, comme un lion qui rugit » (Ap 10:3). Le rugissement d’un lion est souvent une métaphore de l’appel de Dieu (Jér 25:30, Os 11:10, Jo 3:16, Am 1:2 et 3:8). Cela fait allusion au « lion de la tribu de Juda, le rejeton de la racine de David [qui] a vaincu » (Ap 5:5), c’est-à-dire Christ.

{6} La manière dont cet ange apparaît dans la vision est un indice supplémentaire de son identité christique : L’apôtre Jean l’observe « descendre du ciel » (Ap 10:1). Il s’agit de la même provenance céleste que la voix divine faisant autorité et donnant des ordre à Jean (Ap 10:4, 8). En outre, cette terminologie (« descendre du ciel » = katabainonta / katabainō ek tou ouranou en grec) réfère typiquement à Jésus sous la plume de Jean (Jn 3:13 et 6:33, 38, 41-42, 50-51, 58).

{7} L’ange « posa son pied droit sur la mer et son pied gauche sur la terre » (Ap 10:2, réitéré deux fois aux v. 5 et 8). Cette posture désigne la domination planétaire du Fils de Dieu. La combinaison de la mer et de la terre dénote l’entièreté du monde terrestre, non seulement dans la Bible (Gn 1:9-10) mais aussi dans la culture gréco-romains antique. Ainsi, les Res Gestae autobiographiques de l’Empereur romain Octave Auguste datant de ≈ 14 ap. J.-C. décrivent les moments où « la paix était assurée par des victoires à travers tout l’Empire du peuple romain, sur terre et sur mer » (§ 13) comme un événement très rare et solennel.

(Kenneth Gentry, The Divorce of Israel : A Redemptive-Historical Interpretation of Revelation, Vol. 2, Tolle Lege Press, 2024, p. 843-856 ; David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, Dominion Press, 1987, p. 259-268 ; Collectif, Nouveau Testament interlinéaire grec-français, Éditions Bibli’O, 2015, p. 1166 et 1183.)

Double théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 12:5 & 12:7-8 (cf. Daniel 12:1) dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Fils (l’Agneau sur Sion) venant d’Apocalypse 14:1-13 dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 14:14-20 dans la Bible de Zürich réformée :

En Ap 14:14 ↑, ce « quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme » assis sur « une nuée blanche » qui « avait sur la tête une couronne d’or » (S21), est assurément le Roi Jésus-Christ. En Ap 1:13, c’est Jésus qui est ce « quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme ». En Ap 10:10, c’est Christ qui est « enveloppé d’une nuée ». En Daniel 7:13-14, la Seconde personne de la Trinité est ce « quelqu’un qui ressemblait à un fils de l’homme [qui] est venu avec les nuées du ciel » et auquel est donné la royauté universelle.

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 18:1-3 dans la Bible de Zürich réformée :

Concernant cette image de Dieu ↑ en Apocalypse 18:1-3 (l’ange colorisé en rouge ci-dessus) : « Saint Jean est maintenant introduit à un autre ange — probablement le Seigneur Jésus-Christ, considérant la description de celui-ci [en Ap 18:1] comparée avec les affirmations sur Christ dans l’Évangile selon saint Jean : Il descend du ciel (Jean 3:13, 31 ; 6:38, 58), il a une grande autorité (Jean 5:27 ; 10:18 ; 17:2), et la terre fut illuminée de sa gloire (Jean 1:4-5, 9, 14 ; 8:12 ; 9:5 ; 11:9 ; 12:46 ; cf. 1 Tim 6:16). Ces expressions forment un parallèle avec [celles d’Ap 10:1], lesquelles, comme nous l’avons vu, parlent clairement du Fils de Dieu. La dernière clause est pratiquement une répétition d’Ézéchiel 43:2, où il est dit de Dieu que “la terre resplendissait de sa gloire” [S21]. » (David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, p. 445-446.)

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 19:11-21 dans la Bible de Zürich réformée — ici j’ai pris une image venant d’un exemplaire original non-colorisé (à l’intérieur) car l’exemplaire colorisé à la main utilisé ci-dessus ne respecte pas les couleurs indiquées par le texte biblique d’Ap 19 :

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 20:1-3 dans la Bible de Zürich réformée :

Concernant cette image de Dieu ↑ en Apocalypse 20:1-3 : « Saint Jean voit “descendre du ciel un ange qui tenait la clef de l’abîme et une grande chaîne à la main” [Ap 20:1, NBS]. Encore une fois, comme en 10:1 et 18:1 (cf. 12:7), c’est le Seigneur Jésus-Christ qui, en tant que Médiateur, est l’Ange (Messager) de l’Alliance (Malachie 2:7 ; 3:1). Son contrôle et son autorité absolus sur l’abîme sont symbolisés par “la clef” et la “grande chaîne”. L’auteur établit un contraste frappant : Satan, l’étoile maléfique tombée du ciel [Luc 10:18], a reçu brièvement la clé de l’abîme (9:1) ; mais Christ est “descendu” du ciel, ayant en sa possession légitime “les clés de la mort et du séjour des morts” (1:18). […] Jésus-Christ, dans sa mission en tant qu’Ange du ciel, “saisit le dragon, le serpent d’autrefois, qui est le diable et Satan, et il le lia pour mille ans. Il le jeta dans l’abîme, qu’il ferma et scella au-dessus de lui” [Ap 20:2-3, NBS, corrigé]. Tel que saint Jean l’a déclaré dans sa 1ère épître, si Christ “s’est manifesté, c’est pour détruire les œuvres du diable” (1 Jean 3:8). » (David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, p. 499-500 ; Collectif, Nouveau Testament interlinéaire grec-français, p. 1219.)

Il y a donc pas moins d’une douzaine d’images de Dieu ayant un appui textuel direct dans les pages du Livre de l’Apocalypse de la Bible de Zürich produite par les réformateurs Ulrich Zwingli et Leo Judä !

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Partie 2 sur 4 : Le buisson ardent

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Dans l’article introductif de cette série, nous avons expliqué qu’il existe, dans l’histoire de l’Église et la théologie chrétienne, essentiellement trois positions sur la légitimité des images de Dieu : L’iconodoulie, qui voue un culte aux images de Dieu et qui n’a aucun fondement scripturaire (c’est-à-dire biblique) ; L’iconoclasme modéré, qui accepte certaines images de Dieu sous certaines conditions et qui est la position ayant le meilleur appui scripturaire ; Et enfin l’iconoclasme radical, qui rejette l’absolue totalité des dites images mais qui bénéficie d’un piètre appui scripturaire malgré qu’il jouisse d’antécédents substantiels – quoique pas unanimes – dans la littérature réformée historique.

Le tableau-synthèse ci-dessous résume ces trois positions classiques en reproduisant des citations sélectionnées parmi les textes d’autorité les plus anciens et les mieux autorisés pour chaque position (téléchargement direct ici) :

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Passons maintenant au vif du sujet, qui retiendra notre attention dans le présent article ainsi que dans les deux prochains de cette série : Les nombreux exemples d’images de Dieu non-cultuelles (habituellement des reproductions artistiques de théophanies bibliques) dans la tradition théologique réformée.

Théophanie (buisson ardent) sur le sceau des Églises réformées de France (reconstitué), qui fut officiellement adopté au 12ème Synode national des Églises réformées de France à Vitré en Bretagne en 1583 :

Image de Dieu (buisson ardent) sur le sceau officiel du Synode général de l’Église réformée de France en 1872 :

Image de Dieu sur l’emblème officiel de l’Église réformée de France pendant une partie du XXème siècle :

Certains zélateurs modernes de l’iconoclasme radical nient que cette représentation du buisson ardent sur le sceau des Églises réformées de France soit une image de Dieu. Ils invoquent, comme argument, qu’Exode 3:2 énonce que « L’ange de l’Éternel lui apparut [à Moïse] dans une flamme de feu, au milieu d’un buisson … » (S21). Ainsi, si l’on suit les traductions modernes, cette théophanie avait la configuration d’une poupée russe : Il y aurait eu un ange dans une flamme dans un buisson. Conséquemment, l’omission d’un ange sur le sceau réfuterait l’assertion voulant que ce sceau porte une image de Dieu. L’inclusion d’une figure simili-angélique dans une autre représentation artistique réformée de cette théophanie (dans la Bible de Zürich de 1531), viendrait conforter cette argumentation.

Or, ce raisonnement est faible sur les plans linguistique et historique.

Dans texte hébreu d’Exode 3:2, les quatre mots traduits par « dans une flamme de » dans la plupart des Bibles françaises modernes ne correspondent qu’à un seul vocable : labbâh (בְּלַבַּת־). L’élément principal de cette locution, c’est les trois lettres du milieu (racine לַבָּה / forme nominale לַבַּת) qui signifient « flamme ». La 1ère lettre à droite (préposition בְּ) signifie « dans », « avec », « par » ou « en »,  dépendamment du contexte. Le 5ème symbole à gauche (le signe de liaison ־) est une sorte de trait d’union qui connecte le mot à la fin duquel il est placé avec le mot suivant (ici ’esh, אֵשׁ, « feu ») ; il est donc adéquatement traduit en français par le mot « de » dans la séquence « flamme de feu ». (Collectif, Ancien Testament interlinéaire hébreu-français, Éditions Bibli’O, 2007, p. 179 ; Thom Blair, Hebrew-English Interlinear ESV Old Testament, Crossway Books, 2013, p. 129-130 ; Andrew Bowling, Theological Wordbook of the Old Testament, Vol. 1, Moody Press, 1980, p. 467 et 469.)

Ce choix de traduction – observable dans la totalité des Bibles protestantes françaises modernes – de cette préposition בְּ de la locution בְּלַבַּת־ en Exode 3:2, est très discutable. En effet, c’est le contexte qui détermine s’il est préférable de traduire cette préposition par « dans », « avec », « par » ou « en ». (Jacob Weingreen, Practical Grammar for Classical Hebrew, Oxford University Press, 1959, p. 26-28 ; Id. et Paul Hébert, Hébreu biblique : Méthode élémentaire, Beauchesne Éditeur, 1984, p. 34-36.) Penchons-nous maintenant sur ce contexte.

Traduire ce segment d’Exode 3:2 par « dans une flamme » induit à penser que l’Ange de l’Éternel était à l’intérieur de la flamme de feu, ce qui est inapproprié. Il est invraisemblable que Moïse ait vu un ange physique tel que nous le concevons ordinairement (un être ayant un corps humain avec des ailes d’oiseau et des vêtements blancs). L’idée d’un ange physique dans le feu dans le buisson s’accorde mal avec le fait que Moïse s’étonne de ce que le buisson ne brûle pas mais ne s’étonne aucunement de ce qu’un supposé ange physique ne brûle pas (alors que s’il avait été là, il aurait « dû » brûler lui aussi, puisque les anges-créatures ne sont pas invincibles). Par conséquent, l’expression « Ange de l’Éternel » n’est ici qu’une désignation littéraire de la Seconde personne de la Trinité.

Traduire ce segment d’Exode 3:2 par « avec une flamme » est tout aussi inapproprié, puisque cela induit à penser que l’Ange de l’Éternel était à côté de la flamme dans le buisson, ce qui est inadmissible pour la raison sus-évoquée.

Traduire la préposition בְּ de la locution hébraïque בְּלַבַּת־ d’Exode 3:2 par le mot français « par » est le choix optimal, puisque ça veut dire que l’Ange de l’Éternel revêtait la forme ou l’apparence de la flamme de feu, et c’est précisément ça qui doit se déduire du contexte immédiat. Traduire בְּ par « en » est aussi acceptable puisqu’ici « en » peut s’interpréter comme voulant dire la même chose que « par » ; nous y reviendrons.

Michael Houdmann, qui détient un baccalauréat/licence en études bibliques et deux maîtrises en théologie, est d’avis qu’il n’y avait pas d’ange physique au sens ordinaire du terme : « Dieu est apparu à Moïse sous la forme d‎’un buisson ardent et lui a dit exactement ce qu‎’il voulait qu‎’il fasse » (source) ; « le feu brûlant dans le buisson était la forme de l’Ange de l’Éternel qui “lui est apparu [à Moïse] en des flammes de feu” » (source). Le chrétien israélien Joshua Vine, dont la langue maternelle est l’hébreu, explique que « l’Ange de l’Éternel se manifeste par une flamme. […] Donc, l’Ange de l’Éternel se révèle au moyen d’une flamme » (source).

Comme l’enseigna le théologien réformé Richard Charles Sproul (1939-2017), puisque le feu brûlait par lui-même et n’utilisait pas le buisson comme combustible, la théophanie est la flamme de feu surnaturelle. Alors la bonne distinction ici est entre l’ange-feu et le buisson, et non entre l’ange physique imaginaire et le buisson + le feu. (R.C. Sproul, Moses and the Burning Bush, Ligonier Ministries, 2018, 105 p.)

Qu’en était-il des exégètes du XVIème siècle ? François Vatable (1495-1547) est un érudit chrétien français du XVIème siècle qui donna des cours d’hébreu au Collège de France à Paris et rédigea plusieurs commentaires en latin sur différents livres de la Bible. Il collabora étroitement avec les réformateurs Lefèvre d’Étaples (à la tête du fameux Cercle de Meaux) et Robert Estienne (imprimeur officiel du Roi de France ultérieurement relocalisé à Genève). « Vatable fut le restaurateur de l’étude de la langue hébraïque en France » (source).

Les commentaires et les notes de cours de Vatable n’existant qu’en latin, je ne peux guère les analyser directement. J’ai donc demandé à deux agents conversationnels propulsés par intelligence artificielle (ChatGPT le 19-02-2025 puis Grok le 23-02-2025) si Vatable pensait que l’Ange de l’Éternel était séparé et distinct de la flamme de feu, ou si cet Ange était assimilable à la flamme de feu dans le sens où il avait pris la forme de cette flamme.

La réponse de ChatGPT est catégorique :

« Vatable semble pencher pour une unité entre l’ange et la flamme dans ce passage. […] Il considère que l’ange n’est pas un être séparé de la flamme, mais que la flamme de feu elle-même est l’image visible de la présence divine. Autrement dit, l’ange de l’Éternel prend la forme de la flamme dans ce passage pour manifester la sainteté et la majesté de Dieu de manière tangible et compréhensible pour Moïse. La flamme devient un moyen par lequel l’ange (c’est-à-dire la présence de Dieu) se fait voir. […]

Selon Vatable, il n’y a pas de dissociation entre l’ange et la flamme. L’ange de l’Éternel est identifié avec la flamme de feu dans ce passage, ce qui signifie que la flamme elle-même est une manifestation visible de l’ange qui représente Dieu. En d’autres termes, l’ange et la flamme sont intimement liés et l’ange apparaît sous la forme du feu.

Vatable semble donc considérer que l’ange de l’Éternel et la flamme de feu sont indissociables dans ce passage. Il n’y a pas de distinction nette entre l’ange et la flamme, car l’ange prend précisément cette forme de feu pour se manifester à Moïse. La flamme devient un moyen visuel de la présence divine, et l’ange de l’Éternel est effectivement assimilé à cette flamme dans la théophanie décrite. »

La réponse de Grok est plus nuancée mais conduit essentiellement à la même conclusion :

Dans ses notes sur ce verset, Vatable ne semble pas trancher explicitement entre une distinction stricte ou une assimilation totale [entre l’Ange et la flamme], mais son approche philologique suggère qu’il privilégiait une lecture où l’Ange est l’agent actif de la révélation, utilisant la flamme comme un signe ou un vecteur. […] Vatable ne semble pas avoir considéré l’Ange comme strictement séparé de la flamme au sens d’une entité extérieure manipulant un phénomène indépendant, ni comme totalement assimilé à elle au point de perdre son identité propre. […]

[Selon Vatable,] la flamme est le médium de la manifestation plutôt qu’une équivalence ontologique avec l’Ange. […] Cependant, Vatable ne rejette pas totalement l’idée d’une assimilation symbolique. Dans la tradition exégétique, le feu qui ne consume pas le buisson est souvent interprété comme une métaphore de la présence divine — immanente mais non destructrice.

[Toujours selon Vatable,] Moïse aurait perçu un phénomène visuel – une flamme surnaturelle qui ne consume pas le buisson – et, dans ce phénomène, l’Ange de l’Éternel se serait rendu perceptible, sans que l’Ange lui-même ne soit nécessairement un ‹ ange physique › avec des contours définis ni une flamme anthropomorphisée. »

Je me permets d’en déduire que Vatable, tout en étant sobre et prudent dans son travail exégétique, n’enseignait pas l’existence d’un ange physique au sens ordinaire en Exode 3:2. Est-ce pertinent pour éclairer le sceau des Églises réformées de France arborant un buisson ardent ? Puisque Vatable est officiellement demeuré catholique jusqu’à son trépas (malgré que les papistes de la Sorbonne et du Parlement l’aient persécuté), nous pourrions penser qu’il n’eut qu’un impact négligeable sur la compréhension de cette théophanie qu’eurent ses compatriotes protestants du XVIème siècle. Nous aurions tort. C’est François Vatable qui a fourni à Clément Marot la traduction des Psaumes que ce dernier utilisa pour composer ses 50 Psaumes de sa 1ère itération du Psautier huguenot et qui « les lui expliqua lui-même mot à mot » (source) ; c’est notamment pour cela que Théodore de Bèze qualifia Vatable de « guide » (source).

De surcroît, c’est François Vatable qui fut le professeur d’hébreu de Jean Calvin au Collège de France (alors appelé Collège royal) à Paris en 1531-1533 ! (Albert-Marie Schmidt, Jean Calvin et la tradition calvinienne, Éditions du Seuil, 1957, p. 20 ; Douglas Kelly, « The Catholicity of Calvin’s Theology », Tributes to John Calvin, Presbyterian & Reformed Publishing, 2010, p. 196.) L’érudition de Vatable eut donc une influence profonde et durable dans les milieux réformés français.

Cela se perçoit dans l’approche de Jean Calvin sur cette question. Tout d’abord, il convient de remarquer que la traduction française d’Exode 3:2 que Calvin utilise dans son Commentaire sur les cinq livres de Moïse (1564) se lit précisément : « Et l’Ange du Seigneur s’apparut à luy du milieu d’vn buiſſon, en flamme de feu, & il regarda : & voici le buiſſõ ardoit en feu, & ne se cõſumoit point. » Ici, l’utilisation du mot français « en » pour traduire la préposition hébraïque בְּ est plus prudente que les traductions modernes qui traduisent par « dans » car elle évite d’exprimer de manière univoque que l’ange était à l’intérieur du feu et peut se comprendre comme référant à l’état de l’ange. (Certains pourraient rétorquer qu’avant le XVIIIème siècle, le mot « en » était plus fréquemment utilisé dans le sens de « dans » qu’aujourd’hui, ce qui n’est pas faux, mais le fait demeure que le mot « en » avait un champ sémantique plus large que le mot « dans » dès les XVI-XVIIèmes siècles.) Cette traduction était certainement approuvée par Calvin, comme l’atteste la Bible qu’il avait lui-même révisée en 1546.

De plus, la ponctuation de cette traduction de 1564 n’est pas anodine : L’insertion d’une virgule entre le mot « buiſſon » et les mots « en flamme de feu » aide à distancer le buisson et la flamme ; elle facilite aussi l’articulation entre l’ange et la flamme — et incidemment l’identification de la flamme à l’ange.

Ensuite, les commentaires eux-mêmes : Une lecture attentive des commentaires de Calvin sur Exode 3:1-5 (page 20, page 21 et page 22 de l’Harmonie de la Loi) permet de constater que le réformateur de Genève n’affirme nulle part que l’Ange de l’Éternel intervenu au buisson ardent avait l’apparence extérieure d’un « ange » au sens classique du terme (physionomie humaine, grandes ailes d’oiseau, tunique blanche).

Soit-dit en passant, l’édition originale du Commentaire sur les cinq livres de Moïse (1564) où Calvin commente sur cette théophanie du buisson ardent porte une image de Dieu sur sa page couverture (!) — une illustration de la métaphore de l’olivier venant de Romains 11:16-24 où des branches sont coupées et d’autres sont greffées, et où l’action de couper et de greffer est faite par les mains de Dieu (représentation s’inspirant des nombreuses allusions à la main ou au bras de l’Éternel dans la Bible, cf. Exode 6:6, 15:16, Deutéronome 4:34, 5:15, 7:19, 26:8, 33:27, Psaumes 44:3, 73:23, 89:10-13, 89:21, 98:1, 139:10, Ésaïe 30:30, 40:10, 52:10, 53:1, 59:1, 63:12, Luc 1:51, Jean 12:38, Actes 13:17, etc.) :

Revenons à nos moutons, ou devrais-je dire, aux moutons que gardait Moïse lorsque l’Éternel se manifesta à lui au buisson ardent du mont Sinaï. Les partisans de l’idée d’un ange physique en Exode 3:2 pourraient à ce stade-ci invoquer le Commentaire sur les Actes des Apôtres (1552) de Calvin, où l’on peut lire à la p. 139 : « Car combien que pour quelque temps il [= Ieſus Chriſt] ayt pris la forme d’vn Ange, neantmoins il n’a iamais pris la nature Angelique : comme nous ſavons qu’il a eſté vrayment fait homme. » Argument décisif en faveur de la croyance en un ange physique dans le buisson ardent ? Pas si vite !

Que veut dire Calvin lorsqu’il parle de la « forme d’un ange » ? D’un être anthropomorphique en toge blanche avec des ailes ? Non. Pour Calvin, les anges n’ont pas naturellement une physionomie humaine. À vrai dire, selon lui, les anges n’ont pas de forme matérielle distinctive ! Dans son Institution de la religion chrétienne (1560), à § 1:14:3, ce théologien explique que les anges correspondent aux « choses invisibles » auxquelles il est fait référence dans le Crédo de Nicée-Constantinople (381). Et dans le même ouvrage, à § 1:14:4, cet auteur décrit les anges comme étant des « ministres de Dieu » ; puis après, à § 1:14:5, il déclare que « Nous lisons par toute l’Écriture, que les anges sont [des] esprits célestes ». (Jean Calvin, L’Institution chrétienne : Livres premier et second, Éditions Kerygma, 1978, p. 114-116.)

Dans son Commentaire sur Genèse (1564), Calvin a l’opportunité d’exposer plus en détail sa pensée sur la relation entre l’apparence des anges et l’apparence des humains lorsqu’il traite du chapitre 18. Commentant sur le v. 2, il écrit : « Moïse […] nomme les anges hommes parce qu’ayant revêtu des corps humains ils ne montraient d’autre apparence que d’être des hommes. » Commentant sur le v. 8, Calvin avance que les anges de Genèse 18 n’avaient que des corps humains temporaires créés par Dieu pour la durée de leur visite au campement d’Abraham, puis qu’après leur brève mission terminée, « Dieu réduit à néant les corps qu’il avait créés pour un usage temporel ». Commentant sur le v. 16, il réitère l’affirmation qu’« il ne faut pas penser » que ces anges avaient naturellement des « corps humains » ; simplement, « Dieu les a vêtus pour un temps de corps humains dans lesquels ils pussent être visibles à Abraham et parler familièrement avec lui. » Calvin étaye son propos quand il commente sur le v. 22, où il insiste que cet anthropomorphisme angélique circonstanciel et passager n’est que l’un des « signes extérieurs par lesquels Dieu se représente » à nous. (Jean Calvin, Commentaires bibliques : Le Livre de la Genèse, Éditions Kerygma, 1978, p. 274, 276, 280 et 284.) Ce théologien soutenait la même analyse concernant les anges dans plusieurs autres textes des Écritures Saintes.

Tout cela implique que dans le vocabulaire de Calvin, l’expression « la forme d’un ange » ne signifie pas automatiquement que ce juriste imaginait un ange physique au sens usuel, ressemblant à un humain avec des ailes. La « forme d’un ange » est n’importe quelle forme que l’ange-créature ou l’ange-théophanie prends au moment et à l’endroit où il apparaît. Et au buisson ardent, tout semble indiquer que cette forme était la flamme de feu. Dans l’angéologie calvinienne, le point commun de toutes ces manifestations angéliques n’est pas une apparence spécifique codifiée, mais le fait d’agir en tant que messager et d’ambassadeur de l’Éternel des armées.

Même lorsque la Bible décrit certains anges comme étant des être ailés, Calvin était parfois disposé à ne voir dans ces ailes qu’une allégorie non-littérale (IRC, § 1:14:8) : « Il est bien vrai que les esprits n’ont point de forme comme les corps : toutefois l’Écriture pour notre petite capacité et rudesse […] nous peint les Anges avec des ailes sous les titres de chérubin et séraphin, à ce que nous ne doutions point qu’ils seront toujours prêts à nous secourir avec une hâtiveté incroyable, sitôt que la chose le requerra, comme nous voyons que les éclairs volent parmi le ciel ». (Jean Calvin, L’Institution chrétienne, 1978, p. 119.) « Nous ne savons pas à quoi les anges ressemblent puisqu’ils sont des esprits », paraphrase Herman Selderhuis (« Calvin’s View of Angels », Southern Baptist Journal of Theology, Vol. 25, N° 2, 2021, p. 78).

Plusieurs arguments supplémentaires à l’appui de cette compréhension pourraient être mobilisés. Grok fait état des commentaires de Calvin sur Exode 14:19 et 23:20 (lien alternatif). Cette accumulation de preuves atteste à quel point la notion d’apparence angélique était variable et fluide pour Calvin en matière de théophanies.

Le même exercice pourrait être fait pour Antoine-Rodolphe Chevalier (1507-1572) (lien alternatif), qui fut professeur d’hébreu à l’Académie de Genève (1559-1567) et auteur d’une grammaire hébraïque publiée dans cette illustre cité du Léman. Ce même exercice pourrait également être fait pour Corneille “Pierre” Bertram (1531-1594) (lien alternatif), qui fut lui aussi professeur d’hébreu à l’Académie de Genève (1567-1586) puis à l’Académie de Lausanne (1588-1594) ainsi que le traducteur principal du texte de l’A.T. pour la Bible de Genève française de 1588. Aucun de ces hébraïstes réformés français du XVIème siècle n’était enclin à enseigner que la théophanie du buisson ardent avait la configuration d’une poupée russe avec un être ayant l’apparence classique d’un ange (physionomie humanoïde, ailes d’oiseau, vêtements blancs) au centre de celle-ci.

Je crois avoir amplement démontré que les sommités réformatrices françaises du XVIème siècle versées en hébreu n’enseignaient pas qu’il y avait un ange physique au beau milieu du feu dans le buisson ardent, et par extension que le buisson ardent sur le sceau officiel des Églises réformées de France adopté en 1583 est bel et bien une IMAGE DE DIEU.

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Le site web de la Bible d’étude de la foi réformée (Éditions La Rochelle, 2024) explique ceci : « [L]es Églises réformées d’autres pays ont fini par suivre l’exemple des huguenots en intégrant l’image dans leurs propres sceaux et emblèmes officiels. En Écosse, cela s’est produit en grande partie par accident. Peu après que le presbytérianisme eut été rétabli en 1690 [suite à la Glorieuse Révolution de 1688], l’Église d’Écosse (la Kirk) a chargé un imprimeur d’Édimbourg, George Mosman, d’imprimer les comptes rendus de ses Assemblées générales annuelles. Mosman prit la liberté d’inclure une image circulaire du buisson ardent sur la page de titre du premier acte de l’assemblée, et des suivants, accompagnée de la phrase latine ‹ Nec tamen consumebatur › (‹ Pourtant, il ne fut pas consumé › [cf. Exode 3:2-3]), et placée, du moins dans une des premières versions, sur une toile de fond carrée avec des chardons écossais dans chaque coin. Les autorités de la Kirk n’y ont apparemment pas vu d’inconvénient, probablement parce qu’elles connaissaient l’usage du symbole du buisson ardent par l’Église réformée française, et parce qu’elles considéraient qu’il s’agissait d’un emblème approprié pour leur propre Église, compte tenu des souffrances que l’Église avait endurées, et de la protection divine dont elle avait bénéficié tout au long du précédent siècle. En effet, le buisson ardent a fait figure d’image littéraire de la Kirk et de ses épreuves perpétuelles dans les écrits d’éminents Covenantaires écossais tels que Samuel Rutherford. De manière informelle et non officielle, le buisson ardent est donc devenu, puis est resté, le symbole de l’Église d’Écosse, avant d’acquérir un statut officiel. »

Voici à quoi ressemblait cette image de Dieu utilisée par l’Église réformée d’Écosse dès ≈ 1691 :

Comme l’explique la Presbyterian Historical Society of Ireland, le buisson ardent fut utilisé comme symbole identitaire réformé en Irlande du Nord (Ulster) à partir de 1842.

Le site web de la Bible d’étude de la foi réformée explique également : « Lorsque le presbytérianisme s’est répandu dans le monde à partir du XVIIe siècle, notamment par l’intermédiaire des émigrants écossais, il s’est généralement accompagné d’une version du symbole adopté par la Kirk écossaise. Aujourd’hui, le buisson ardent figure sur les armoiries officielles des Églises presbytériennes d’Irlande, d’Irlande du Nord, du Canada, du Brésil, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, de Taïwan, de Singapour, de Malaisie, d’Afrique de l’Est (Kenya et Tanzanie), et d’Afrique australe (Afrique du Sud, Zambie et Zimbabwé). Les Églises ayant des relations historiques plus immédiates avec la Kirk écossaise, telles que l’Église libre d’Écosse et l’Église libre unie d’Écosse, ont également conservé l’emblème du buisson ardent sous une forme ou une autre. »

Le théologien & géographe réformé brésilien Diego Montenegro a dressé un catalogue remarquable de ce foisonnement de buissons ardents dans la symbolique identitaire réformée presbytérienne à l’échelle internationale. Voici un aperçu très échantillonnaire de son impressionnante compilation :

Il va sans dire que dans le monde réformé presbytérien, la position de l’iconoclasme radical doit être ultra-minoritaire, la position réformée classique dominante étant plutôt celle de l’iconoclasme modéré.

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En guise de complément, voici quelques images de Dieu – toujours en forme de buisson ardent – plus récentes usitées dans un contexte réformé ecclésial ou para-ecclésial…

Théophanie (buisson ardent) dans le vitrail du bâtiment de l’Église réformée évangélique d’Aix-en-Provence (en actuelles Bouches-du-Rhône) en France :

Théophanie (buisson ardent) sur l’emblème officiel de la Faculté libre de théologie réformée (FLTR) d’Aix-en-Provence dans les décennies 1980 et 1990 :

Théophanie (buisson ardent) sur l’emblème officiel de la Faculté libre de théologie réformée (FLTR) d’Aix-en-Provence dans la décennie 2000 (cet institut changea de nom pour celui de Faculté Jean Calvin en 2010) :

Théophanie (buisson ardent) sur l’emblème de la Revue réformée (journal académique officiel de la Faculté Jean Calvin) en 2020 :

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Partie 1 sur 4 : Prolégomènes (notions préliminaires) théologiques

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Le protestantisme réformé est résolument iconoclaste : Il récuse l’iconodoulie, c’est-à-dire le culte des icônes – ou images & statues religieuses – tel qu’il est pratiqué dans le catholicisme romain, la pseudo-orthodoxie orientale, ainsi que la plupart des paganismes polythéistes. Ceci, sur la base du Deuxième Commandement du Décalogue (Exode 20:4-6, Deutéronome 5:8-10), de la législation mosaïque (Exode 34:17, Deutéronome 4:15-19, 16:21-22, 17:2-3, 27:15, Lévitique 19:4, 26:1) ainsi que des enseignements des Poètes de l’A.T. (Psaumes 115:4-8, 135:15-18, etc.) et des Prophètes de l’A.T. (Ésaïe 40:18-20, 41:6-7, 44:9-20, Jérémie 10:1-16, Daniel 5:23, Habacuc 2:18-19, etc.).

Cependant, est-il légitime d’avoir des images de la divinité lorsque ces images ne sont pas utilisées comme des instruments cultuels ? Sur cette question, les avis divergent ; la foi protestante réformée historique n’est pas monolithique. Deux approches différentes coexistent à l’intérieur de cette tradition. À l’instar de ce que l’on a pu observer durant les deux iconoclasmes byzantins (survenus dans l’Empire romain d’Orient au Haut Moyen Âge), ces deux approches réformées peuvent être appelées l’iconoclasme radical (qui correspond ± au 1er iconoclasme byzantin), d’une part, et l’iconoclasme modéré (qui correspond ± au 2nd iconoclasme byzantin), d’autre part.

Deux positions réformées coexistent

Les iconoclastes radicaux pensent que toutes les représentations artistiques de Dieu sont absolument et invariablement illégitimes, sans aucune distinction, nuance ou exception. Les iconoclastes modérés estiment que ces représentations sont légitimes si : {1} Aucun culte ne leur est rendu (pas d’iconodoulie / totémisme) ; {2} Ces représentations ne sont pas conçues ou perçues comme étant des personnifications ou incarnations de Dieu ; {3} Ces représentations ne sont pas des inventions provenant de l’imagination humaine mais sont plutôt des reproductions visuelles de théophanies préexistantes. Le mot théophanie désigne « une manifestation visible de Dieu » (Robert Charles Sproul, La sainteté de Dieu, Éditions Impact, 2020, p. 223 ; Collectif, Bible d’étude de la foi réformée, Éditions La Rochelle, 2024, p. 43).

Parmi les réformés, l’iconoclasme radical est notamment représenté par le réformateur Guillaume Farel (1489-1565), qui déclarait, dans Du vrai usage de la croix de Jésus-Christ (1560) : « [T]ant d’idolâtries ont été commises à causes des croix et des images, et toutes autres telles choses, que je désire que tout cela soit ôté » (p. 210).

Cette position intransigeante est aussi observable chez le réformateur Pierre Viret (1511-1571), selon lequel l’absolue totalité des images de Dieu seraient illégitimes en toutes circonstances imaginables, à un point tel que même les croix ornementales seraient très dangereuses : « [J]e ne puis trouver raison assez suffisante pour m’induire à approuver qu’il soit bon et convenable au service de Dieu [sic] d’avoir des images, ni ès temples, ni en lieu, ni en chose quelconque, qui appartienne à la religion. Car combien que […] nous proposions seulement […] la croix, ou des autres choses semblables […] ; toutefois, cela ne se pourra faire en manière quelconque, qu’il n’y ait de la superstition, de l’idolâtrie et de l’erreur, ou pour le moins [un] grand danger de tomber en aucunes [c-à-d en plusieurs] des fautes que nous avons tantôt touchées, qui y pourraient être. » (Pierre Viret, Instruction chrétienne, Tome 2 : Exposition sur les Dix Commandements de la Loi donnée de Dieu par Moïse, Éditions L’Âge d’Homme, 2009/1564, p. 185-186.)

Semblablement ahuri et dégouté par la superstition catholique romaine imprégnant son époque, le réformateur Théodore de Bèze (1519-1605) était incapable de percevoir les images religieuses autrement que comme une pierre d’achoppement. À ses yeux, la seule approche prudente serait de les bannir entièrement, toute solution alternative étant à ses yeux trop risquée. Dans son Discours de Saint-Germain (1562), Bèze raisonnait ainsi : « [S]’il y avait une pierre en un chemin contre laquelle plusieurs se fussent heurtés, et serait-on en danger de se blesser encore, il vaudrait beaucoup mieux complètement ôter la pierre – malgré qu’elle pût servir à quelque autre chose où elle serait – qu’avoir des hommes à gages pour avertir les passants de ne s’y heurter. » (cité dans Pierre Bourguet, « La doctrine reformée sur les images en tant que “Libri idiotarum” », Foi & Vie, Vol. 36, N° 72, 1935, p. 575, français modernisé.)

Également parmi les réformés, l’iconoclasme modéré est notamment représenté par le réformateur Ulrich Zwingli (1484-1531), selon lequel les images pieuses servant d’objet de culte sont illégitimes, mais pas les images n’ayant qu’une valeur pédagogique et/ou mémorielle (Paul Sanders, Zwingli & Bullinger : Quand la Réforme entre en cène, Éditions La Cause, 2023, p. 32.)

Zwingli expliquait, dans sa Brève instruction chrétienne aux ministres (17 novembre 1523) : « Nous laissons subsister ce qui relève le culte sans favoriser la superstition ; nous ne pensons pas, par exemple, que l’on doive enlever les images peintes sur verre qui sont enchâssées, en manière d’ornement, dans les fenêtres, car personne ne songe à les adorer. » (Freddy Durleman, Zwingli : Textes choisis, Éditions La Cause, 2024, p. 19).

Telle appert être aussi la compréhension du pasteur & théologien réformé français Abraham Rambour (1590-1651), qui fut professeur à l’Académie réformée de Sedan dans les Ardennes puis recteur de ce bastion éducationnel de l’orthodoxie réformée en France. Faisant sienne la voie médiane de l’Église carolingienne (articulée aux IXème & Xème siècles), Rambour affirmait dans son Traité de l’adoration des images (1635) qu’« une ressemblance [c-à-d une image] est une idole quand on lui rend service [c-à-d qu’on la sert, qu’on lui rend une dévotion cultuelle] » (p. 124) et « que l’usage des images peut être bon, lesquelles étant adorées deviennent idoles. » (p. 131).

La présente série d’articles, en quatre parties, vise à défendre le bien-fondé de la position de l’iconoclasme modéré. Cela, dans un premier temps, sur le plan théologique (partie 1), et dans un second temps, sur le plan historique (parties 2, 3 et 4).

Définir l’idole, l’idolâtrie et l’icône

Puisque les partisans de l’iconoclasme radical font planer beaucoup de confusion au sujet de l’idolâtrie en accusant prématurément toutes les images de Dieu d’être des idoles et toutes les utilisations d’images de Dieu d’être de l’idolâtrie, il convient de commencer par les bases et de définir correctement – au sens biblique & théologique – ce qu’est l’idole, l’idolâtrie et l’icône religieuse. J’ai donc réuni plusieurs définitions de ces concepts-clés venant d’ouvrages de référence chrétiens. Vous constaterez qu’il y a une forte redondance dans cette succession de définitions, et c’est à dessein que je les empile, afin de démontrer le consensus linguistique et théologique existant en cette matière.

« Idole : Vaut autant comme si on disait ‹ image ›, ou ‹ statue ›, ou ‹ figurine › qui représente quelque chose. Mais en l’Écriture ce mot se prend pour image qui est faite pour dévotion, et laquelle on tient pour chose sainte ou sacrée. Les idolâtres sont ceux qui les adorent ou honorent. Idolâtrie est l’adoration laquelle on leur fait, ou la révérence qu’on leur porte. C’est pourquoi on prend ce mot d’image en cette même signification, c’est-à-dire pour idole, car ce n’est qu’un. » (Jean Crespin, Dictionnaire en théologie, Genève, 1560, p. 223, français modernisé.)

« Image : Ce terme dénote une représentation visuelle, usuellement d’une déité [païenne]. […] À travers tout le Proche-Orient antique, de nombreuses images de multiples déités se trouvaient dans des temples et d’autres lieux sacrés, tels que des sanctuaires à ciel ouvert ; maintes maisons privées comportaient aussi une niche où l’image de la déité protectrice de la maisonnée se tenait. […] L’image n’était pas principalement conçue comme une [simple] représentation de la déité, mais comme le lieu d’habitation de l’esprit de la déité, permettant au dieu d’être physiquement présent à plusieurs places simultanément. Un adorateur priant devant une image […] aurait regardé cette image comme une projection ou une incarnation de cette déité. » (Ralph Martin, The Illustrated Bible Dictionary, Tome 2, Inter-Varsity Press, 1994, p. 683.)

« Idole : […] Représentation par l’image, la sculpture, ou un autre moyen, d’une personne ou d’un animal, afin d’en faire soit un objet d’adoration, soit l’habitat d’une divinité. [C]es représentations, travaillées avec des instruments tranchants, sont appelées images taillées, ou idoles sculptées. » (Collectif, Nouveau Dictionnaire biblique, Éditions Emmaüs, 1983, p. 339.)

« Idolâtrie : L’idolâtrie dans les temps anciens incluait deux façons de s’écarter de la vraie religion : L’adoration de faux dieux, que ce soit au moyen d’images ou autrement ; et l’adoration de l’Éternel au moyen d’images. » (James Douglas et Merrill Tenney, New International Dictionary of the Bible, Zondervan Publishers, 1987, p. 459.)

« Idolâtre : Qui rend un culte aux idoles. »
« Idolâtrie : Culte rendu aux idoles. » (Jack Cochrane, Dictionnaire des mots et des expressions de la Bible, Distributions évangéliques du Québec, 1999, p. 271.)

« Idolâtrie : Adoration d’une idole, ou d’une divinité représentée par une idole, généralement sous forme d’image [ou de statue]. […] L’adoration de Dieu sous forme d’une idole réduirait le Créateur à la substance d’une création (représentée par et même dans l’idole), sapant ainsi fondamentalement la conception du Dieu créateur transcendant. L’idole donnait à ses adorateurs la sensation de la proximité physique de la divinité et peut-être aussi la conviction que son pouvoir pouvait être exploité. » (Peter Craigie, Grand Dictionnaire de théologie, Éditions Excelsis, 2021, p. 645.)

« Idole : Plusieurs mots hébreux désignent les représentations des divinités adorées par les païens : ce sont des images ou des représentations, des objets fabriqués ou encore, dans des termes péjoratifs, des ordures [ou] des horreurs. L’idolâtrie est très souvent comparée à une prostitution. » (Jules-Marcel Nicole et al., La Sainte Bible [Colombe], Alliance biblique universelle, 1978, Glossaire, p. 8.)

« Idolâtrie : […] Les mots hébreux et grecs relatifs à l’‹ idolâtrie › se ressemblent beaucoup. L’Ancien et le Nouveau Testament décrivent tous deux l’adoration des idoles comme une abomination et condamnent ceux qui la pratiquent. Le mot hébreu hebel et le mot grec eidōlon démontrent qu’il est futile d’adorer des idoles parce qu’il s’agit de [faux] dieux fabriqués de toutes pièces par les hommes. » (Stephen Renn et Gilles Despins, Dictionnaire des mots bibliques, Publications chrétiennes, 2023, p. 474-475.)

Icône (εἰκών) : « En Colossiens 1:15, Christ est décrit comme étant εἰκὼν τοῦ θεοῦ τοῦ ἀοράτου [‹ l’image du Dieu invisible › (S21)] [et semblablement en 2 Corinthiens 4:4 : εἰκὼν τοῦ θεοῦ = ‹ l’image de Dieu › (S21)]. Pour la logique moderne cela semble être une contradiction, car comment peut-il y avoir une image de ce qui est invisible et sans forme ? La particularité de cette expression est reliée à l’ancien concept [de l’icône dans la culture gréco-romaine en Antiquité. Dans le contexte de celle-ci, le mot] εἰκὼν n’implique pas un affaiblissement ou une copie frêle d’une chose. Il implique l’illumination de son cœur ou de son essence. […] Ici, l’opinion très répandue [dans le paganisme gréco-romain antique] était qu’en quelque sorte, dans l’image, l’être propre du dieu lui-même est présent devant l’homme. Ceci est confirmé par les miracles et la magie associée aux images. Les copies [= εἰκὼν] ont les mêmes pouvoirs et les mêmes capacités de sentiment et d’action que les originaux. […] Ainsi, l’εἰκὼν exprime la manifestation du divin dans ce monde. » (Hermann Kleinknecht, Theological Dictionary of the New Testament, Vol. 2, Eerdmans Publishing, 1964, p. 389-390.)

Ce qui se dégage de la multiplicité de définitions reproduites ci-dessus, c’est qu’en ce qui concerne les images religieuses, la seule existence d’une image de Dieu n’est jamais constitutive d’idolâtrie en elle-même. Pour qu’il y ait idolâtrie – et incidemment idole – cette image doit être un objet ou un instrument d’adoration illicite, objet auquel on attribue des pouvoirs surnaturels. Pas d’adoration, pas d’idolâtrie ; pas d’idolâtrie, pas d’idole.

En outre, malgré qu’en linguistique l’étymologie doive être distinguée de la définition, et que l’étymologie d’un mot ne soit pas toujours indicative du sens de ce mot – en anglais, « pineapple » (ananas) ne désigne pas une pomme poussant dans un pin ! – elle peut parfois l’être. Ça semble être le cas avec le mot idolâtrie. En effet, ce mot français est dérivé du mot grec eidōlolatreia (εἰδωλολατρεία), qui est lui-même composé des mots grecs eidōlon (εἴδωλον), signifiant « image/idole », et latreia (λατρεία), signifiant « culte/adoration ». (Émile Pessonneaux, Dictionnaire grec-français, Librairie classique Eugène Belin, 1953, p. 436 ; John Kohlenberger et James Swanson, The Strongest Strong’s Exhaustive Concordance of the Bible, Zondervan Publishers, 2001, p. 2008.)

Il s’ensuit qu’étymologiquement, « idolâtrie » signifie « adoration d’image » ou « culte d’image ». Cela veut donc dire qu’une image de Dieu à laquelle aucun culte n’est rendu n’est pas et ne peut pas être une idole, mais aussi que toute image à laquelle un culte est rendu est, étymologiquement, une idole (peu importe si le contexte de ce culte est païen ou pseudo-chrétien).

La définition et l’étymologie de l’idôlatrie et des mots apparentés est fort instructive pour la controverse entre l’iconoclasme radical et l’iconoclasme modéré. Les tenants de l’iconoclasme radical ont tendance à affubler d’« idole » toute image de l’une des trois personnes de la Trinité, sans considération du cadre pratico-théologique de ces images, et à accuser d’« idolâtrie » tous ceux qui ne partagent pas leur myopie doctrinale en ce domaine. Les adhérents de l’iconoclasme modéré, par contre, tiennent compte de ce qu’est la réalité factuelle et spirituelle de l’idolâtrie dans leur approche mesurée et prudente sur la question des images divines.

Théophanie(s) 101

Comme les trois prochains articles de la présente série le démontreront (images à l’appui), le courant théologique réformé fondé au XVIème siècle puis consolidé au XVIIème siècle admet la légitimité de certaines images de Dieu moyennant certaines conditions. Ainsi, le sceau officiel des Églises réformées de France (1583), la Bible de Genève française de 1565, la Bible de Genève française de 1588, la Geneva Bible anglaise de 1560, la Bible de Zürich réformée allemande (1531), la Bible réformée néerlandaise (Statenvertaling, 1637), les deux premières éditions de la Bible réformée espagnole (dite Reina-Valera, 1569 & 1602), le sceau officieux de l’Église réformée d’Écosse utilisé dès 1691 et d’autres autorités « mainstream » datant de la genèse de la foi réformée portaient tous des images de Dieu ! Or l’ensemble de ces images ont en commun qu’elles ne sont pas des images issues de l’imagination humaine ; elles sont plutôt des représentations de diverses théophanies par lesquelles l’Éternel s’est préalablement, de sa propre initiative, souverainement imagé lui-même à l’humanité. L’importance capitale de la notion de théophanie mérite donc que l’on définisse davantage ses contours historico-théologiques.

« Théophanie : Terme théologique qui désigne une manifestation visuelle ou auditive de Dieu. Les manifestations visibles peuvent être celles d’un ange apparaissant sous une forme humaine (Jg 13) ; d’une flamme dans le buisson ardent (Ex 3:2-6) ; et de feu, de fumée et de tonnerre sur le mont Sinaï (Ex 19:18-20). […] Dieu prend l’initiative de la théophanie. » (James Moyer, Grand Dictionnaire de théologie, Éditions Excelsis, 2021, p. 1331.)

« Les doctrines de la théophanie et de l’incarnation nous montrent que Dieu est capable de prendre une forme physique. […] Une théophanie est une manifestation visible de Dieu aux être humains. » | « Dans une théophanie, Dieu apparaît sous la forme de quelque chose créé, souvent comme un ange ou un homme. L’‹ ange de l’Éternel › apparaît tel un ange, mais à un point dans le contexte s’identifie lui-même comme étant Dieu, comme en Genèse 16:7-14 [puis] 21:17-21. En Genèse 32:22-32, Jacob lutte avec ‹ un homme › (v. 24) qui s’avère être Dieu (v. 30). […] Le plus souvent, une théophanie prends la forme d’une nuée de gloire, tel que le pilier de nuée et de feu par lequel Dieu guida Israël à travers le désert [Ex 13:21-22 ; 14:19-25 ; 33:9-10 ; 40:34-38]. Dans cette nuée est Dieu lui-même (Ex 16:6-10). Ici la révélation a un aspect fortement visuel. Malgré que Dieu soit invisible, il prend volontairement des formes visibles pour impressionner les gens avec sa puissance terrifiante et sa gloire magnifique. Or Jésus-Christ est aussi une théophanie. […] Dans l’Écriture Sainte, la théophanie est aussi connectée au Saint-Esprit, la Troisième personne de la Trinité. » (John Frame, Systematic Theology : An Introduction to Christian Belief, Presbyterian & Reformed Publishing, 2013, p. 390-391 et 672-673.)

« Qu’est-ce qu’une théophanie ? Très souvent, dans l’histoire biblique, Dieu apparaît sous forme humaine ou se révèle par l’intermédiaire d’éléments naturels. Il apparaît parfois à des gens pleinement éveillés ; à d’autres moments, il se révèle dans un rêve, à quelqu’un qui dort ou encore à quelqu’un qui est en transe. On appelle ‹ théophanies › ces cas tangibles de révélation divine. […] La révélation théophanique de Dieu culmine dans l’incarnation de Jésus-Christ, le Fils de Dieu. » (Robert Chisholm, Dictionnaire de théologie biblique, Éditions Excelsis, 2006, p. 471-474.)

(In)visibilité de Dieu et de sa réalité céleste

Le développement ci-dessous aide à fournir la toile de fond théologique pour une compréhension adéquate de la légitimité de certaines représentations artistiques du Dieu trinitaire incorporel et immatériel.

« Dire que Dieu est invisible, ce n’est pas l’exclure du domaine du visible, mais le considérer comme le Seigneur de la visibilité, le Seigneur de la lumière. Plusieurs textes bibliques parlent de Dieu comme étant invisible (grec aoratos) (Rom. 1:20 ; Col. 1:15 ; 1 Tim. 1:17 ; Heb. 11:27). La littérature johannique affirme à plusieurs endroits que personne n’a jamais vu Dieu (Jean 1:18 ; 5:37 ; 6:46 ; 1 Jean 4:12, 20).

Cependant, comme nous l’avons vu, Dieu s’est révélé par la théophanie et l’incarnation, qui sont toutes deux des moyens très visibles. En réalité, voir une théophanie ou le Christ incarné, c’est voir Dieu. […] Dieu n’est certainement pas irreprésentable au sens strict. Il se représente dans la théophanie, le Christ est son image par excellence (Col. 1:15 ; Heb. 1:3), et l’homme est également son image (Gen. 1:27). Dieu prohibe le culte des images, non pas parce qu’il ne peut pas être représenté, mais […] parce qu’il entend affirmer son droit exclusif à se faire des images de lui-même [c-à-d de choisir souverainement sous quelle forme concrète il se représente et est représenté]. […]

1. Dieu est essentiellement invisible. Cela ne signifie pas qu’il ne peut en aucun cas être vu, mais plutôt qu’en tant que Seigneur, il choisit souverainement quand, où et à qui il se rend visible. Il contrôle toute la matière et la lumière dans l’univers, de sorte que c’est lui seul qui détermine si et comment il sera visible pour ses créatures. […]

2. Dieu s’est souvent rendu visible, dans les théophanies et dans le Christ incarné, de sorte que les êtres humains peuvent à l’occasion véritablement dire qu’ils ont ‹ vu Dieu ›. La théophanie de la nuée de gloire […] est une révélation permanente et visible de Dieu, située dans le ciel, mais parfois visible de la terre [1 Rois 22:19 ; Ésaïe 6:1-4 ; Ézéchiel 8:2-4 ; Daniel 7:9-10 ; Actes 7:55-56 ; etc.] Et à la droite de Dieu dans le ciel se trouve Jésus, qui demeure à la fois Dieu et homme et est donc une personne divine visible en permanence.

3. ‹ Personne n’a jamais vu Dieu › (Jean 1:18a) signifie que personne n’a jamais vu Dieu en dehors de sa révélation théophanique-incarnationnelle volontaire : ‹ Dieu le Fils unique, qui est dans l’intimité du Père, est celui qui l’a fait connaître › (v. 18b [S21]). » (John Frame, Systematic Theology, p. 392-395.)

∴ ∴ ∴

« Dans l’Évangile de Jean, il est dit : ‹ Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu, le Fils unique qui vit dans l’intimité du Père, nous l’a révélé › (1:18) [Semeur]. Jean veut dire que jamais personne n’a vu Dieu dans sa nature absolue et illimitée — pas même Moïse. C’est ce que confirme Ex 33:20. […] Pour revenir à Moïse, si nous lisons qu’il parlait à Dieu ‹ directement face à face, comme un homme parle à son ami › (Ex 33:11), c’est le Fils de Dieu qu’il rencontrait.

Rappelons-nous que le Fils de Dieu appelle ceux qui croient en lui ‹ ses amis › (Jn 15:15). Nb 12:7-8 nous confirme que Moïse a vu ‹ l’image › de Dieu c.-à-d. le Christ : ‹ C’est de vive voix que je lui parle (à Moïse), de façon claire et non dans un langage énigmatique, et il voit l’Éternel de façon visible › (litt. : ‹ il voit l’image de l’Éternel de façon visible ›). [L]a Bible fait une nette distinction entre voir Dieu dans sa gloire non voilée et contempler une représentation ou un reflet de Dieu dans une rencontre avec lui. » (Alfred Kuen, Encyclopédie des difficultés bibliques, Vol. 1 : Pentateuque, Éditions Emmaüs, 2006, p. 410-411.)

✤ ✤ ✤ ✤ ✤

Dans les trois prochains articles de la présente série, nous verrons une multitude d’exemples d’utilisations d’images de Dieu dans le protestantisme réformé ancien (XVIème et XVIIème siècle). En attendant, voici quelques images de Dieu plus récentes usitées dans un contexte réformé militaire ou ecclésial…

Théophanie (colombe représentant le Saint-Esprit dans la croix huguenote créée à Nîmes au Languedoc vers 1688) sur l’insigne officiel des protestants des Forces Françaises Libres (FFL) et des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) pendant la Seconde Guerre mondiale (1940-1945) :

Théophanie (colombe) dans le vitrail du temple de l’Église protestante unie de Dreux en Orléanais (actuel Eure-et-Loir) en France :

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Une version téléchargeable de cette étude est disponible ici.

Flagror Non Consumor (« je brûle mais ne me consume pas », Exode 3:2) – Le buisson ardent fut l’emblème des Églises réformées de France dès 1559

Dans cette étude, nous verrons que les principales confessions de foi, catéchismes et autres standards doctrinaux des chrétiens réformés d’Europe continentale datant de la Réformation des XVIème-XVIIème siècles promeuvent la théonomie (c’est-à-dire la doctrine biblique & protestante du Sola Scriptura appliquée en droit).

1. LA CONFESSIO GALLICANA (1559)

L’article 39 de la Confessio Gallicana ou Confession de foi des Églises réformées de France, adoptée au Synode national de Paris en 1559 – souvent appelée Confession de foi de La Rochelle parce que ratifiée au Synode national de La Rochelle en 1571 – stipule (cf. Olivier Fatio, Confessions et catéchismes de la foi réformée, Éditions Labor & Fides, 1re éd., 1986, p. 127) :

[… Dieu] a établi des royaumes, républiques et toutes autres sortes de principautés [… et] à cette cause a mis le glaive en la main des magistrats pour réprimer les péchés commis, non seulement contre la Seconde Table, mais aussi contre la Première. […]

L’article 40 de la Confessio Gallicana, quant à lui, se lit comme suit (cf. Confession de La Rochelle, Éditions Kerygma, 1998 (1988), p. 67) :

Nous affirmons donc qu’il faut obéir à leurs lois et règlements, payer taxes, impôts et autres charges, et consentir à cette obéissance d’une bonne et franche volonté – quand même ils seraient infidèles [ex. : Cyrus le Grand] – pourvu que la souveraineté absolue de Dieu demeure entière.

Ainsi, nous réprouvons ceux qui voudraient rejeter toute hiérarchie [= anarchistes], établir la communauté et le mélange des biens [= communistes] et renverser l’ordre de la justice [= absolutistes].

Voici une remarque du pasteur de l’Église réformée de France (ÉRF) et doyen de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) – aujourd’hui appelée la Faculté Jean CalvinPierre Courthial (1914-2009) sur l’inadéquation entre les gouvernements postmodernes qui sévissent  en Occident et ceux visés par les articles 39 et 40 de la Confessio Gallicana (cf. Commentaire sur la Confession de foi de La Rochelle, 1979, p. 127) :

Mais, à notre époque, ces articles, tels qu’ils ont été rédigés, prennent une signification ambigüe en dépit des excellentes choses qu’ils contiennent. Les États contemporains, en effet, situent volontiers la source du droit en eux-mêmes [plutôt qu’en l’Éternel et sa révélation écrite], tendent de plus en plus vers le totalitarisme et confisquent à leur profit monstrueux des libertés qu’ils ont cependant vocation de défendre.

Dans leur réédition légèrement modernisée de la Confessio Gallicana en 1988, le pasteur Pierre-Charles Marcel (1910-1992), docteur en théologie en France, et le professeur Charles van Leeuwen, docteur en théologie aux Pays-Bas, prirent le soin de préciser ceci (cf. Éditions Kerygma, 1998, p. 78-79) :

L’article 39 et la première partie de l’article 40 supposent l’existence d’États où l’autorité est exercée dans le respect de la souveraineté absolue de Dieu, les autorités se considérant elles-mêmes comme les lieutenants de Dieu, établis pour exercer une charge légitime et sainte. Ce n’est guère le cas à présent.

Cela étant dit, la Confessio Gallicana ne se contente pas d’affirmer la normativité des deux Tables du Décalogue en droit pénal. Selon l’article 5 de ce standard doctrinal, c’est l’ensemble de la Bible qui doit être prééminente, et cela dans l’ordre social en entier (cf. Éditions Kerygma, 1998, p. 23) :

Cette Parole est la règle de toute vérité et contient tout ce qui est nécessaire au service de Dieu et à notre salut ; il n’est donc pas permis aux hommes, ni même aux anges, d’y rien ajouter, retrancher ou changer. Il en découle que ni l’ancienneté, ni les coutumes, ni le grand nombre, ni la sagesse humaine, ni les jugements, ni les arrêts, ni les lois, ni les décrets, ni les conciles, ni les visions, ni les miracles ne peuvent être opposés à cette Écriture Sainte, mais qu’au contraire toutes choses doivent être examinées, réglées et réformées d’après elle.

Médaillon commémoratif du tricentenaire (1859) du 1er Synode national des Églises réformées de France

2. LA CONFESSIO BELGICA (1561)

La Confession de foi belge ou Confession de foi des Pays-Bas (1561) fut rédigée par le réformateur & martyr Guy de Brès (1522-1567) à Tournai (Hainaut). Ce standard doctrinal exprime la foi chrétienne des communautés réformées pédobaptistes presbytériennes wallonnes, flamandes, néerlandaises et frisonnes. L’article 36 de la Confessio Belgica stipule :

[…] Non seulement leur office [= des magistrats] est de prendre garde et veiller sur la police, mais aussi de maintenir le sacré ministère, pour ôter et ruiner toute idolâtrie et faux service de Dieu ; pour détruire le Royaume de l’Antéchrist et avancer le Royaume de Jésus-Christ, faire prêcher la Parole de l’Évangile partout, afin que Dieu soit honoré et servi de chacun, comme il le requiert par sa Parole. […] {≠ Éditions Kerygma}

Voici une analyse de l’article 36 de la Confessio Belgica par le théologien réformé néerlandais Willem Ouweneel (cf. The World Is Christ’s, Ezra Press, 2017, p. 16) :

Ce texte dit sans équivoque qu’il appartient à la mission donnée par Dieu au gouvernement [civil] de promouvoir « le Royaume de Christ », et de faire avancer « la prédication de la Parole de l’Évangile partout », afin que Dieu puisse être honoré par tout un chacun. En outre, la version modifiée rédigée par le Synode de l’Église chrétienne réformée [= Christelijke Gereformeerde Kerk (CGK), aux Pays-Bas] en 1958 dit toujours que les autorités civiles accomplissent leur mandat « afin que la Parole de Dieu puisse être diffusée librement, que le Royaume de Jésus puisse progresser, et que chaque pouvoir anti-chrétien soit résisté » […]. Ceci inclut les puissances anti-chrétiennes qui dominent la plupart des États-nations autour du globe. La Confession belge ne reconnaît aucun domaine neutre à cet égard.

Et voici un commentaire sur l’article 36 de la Confessio Belgica par le pasteur réformé canadien Clarence Bouwman :

Insister sur la séparation de l’Église (religion) et de l’État (gouvernement) revient à prétendre qu’il y a une partie de la vie (gouvernement) sur laquelle le Christ n’est pas souverain. Christ est maître de toute la vie […]. En tant que citoyens qui reconnaissent la souveraineté de Christ sur toute la vie, nous devons exiger de nos politiciens qu’ils reconnaissent qu’ils sont responsables devant le Roi des rois. De plus, nous devons exiger pour que la nation reconnaisse Jésus-Christ dans l’espace public. Puisque les chrétiens connaissent le Roi des rois, ce sont d’abord les chrétiens qui doivent se porter volontaires pour la fonction publique. Le gouvernement [civil], après tout, n’est pas une entité « mondaine », mais un don de « notre Dieu miséricordieux ».

Benelux_1558

Pays-Bas « espagnols » en 1558

3. LE CATÉCHISME DE HEIDELBERG (1563)

Le Catéchisme de Heidelberg (1563) fut rédigé par les théologiens & professeurs Caspar Olevianus (1536-1587) et Zacharias Ursinus (1534-1583) sous la supervision et avec la collaboration du Prince-Électeur Frédéric III le Pieux (1515-1576), Comte palatin du Rhin. Ce standard doctrinal exprime la foi chrétienne des communautés réformées pédobaptistes presbytériennes allemandes, néerlandaises et hongroises/transylvaines. Sa question-réponse 50 énonce :

Question 50 : Pourquoi ajoute-t-on [dans le Symbole des Apôtres] : « Il est assis à la droite de Dieu le Père Tout-Puissant » ?

Réponse 50 : Pour marquer que Jésus-Christ est monté au Ciel, afin que de là, il se fit connaître pour le Chef de son Église chrétienne, par lequel le Père gouverne toutes choses.

Voici une analyse de la question-réponse 50 du Catéchisme de Heidelberg par Willem Ouweneel (cf. The World Is Christ’s, Ezra Press, 2017, p. 15) :

Ces termes nient implicitement que Christ, le Logos Sarkos (le « Verbe incarné »), est seulement Roi au-dessus d’un domaine spirituel, l’Église ; il est celui « par lequel le Père gouverne toutes choses ». Le Catéchisme réfère ici à Matthieu 28:18 (où Jésus, en tant qu’homme ressuscité, dit « tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre » [S21]) et Colossiens 1:18 (« il est la tête du corps qu’est l’Église ; il est le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin d’être en tout le premier » [S21]).

C’est le même individu ayant accompli la purification des péchés qui exerce maintenant l’autorité suprême à la droite de Dieu (Hébreux 1:3-4). C’est l’homme ressuscité « Jésus-Christ qui est monté au Ciel, a reçu la soumission des anges, des autorités et des puissances et se trouve à la droite de Dieu » (1 Pierre 3:21-22 [S21]). C’est simplement faux d’affirmer que l’homme glorifié Jésus-Christ est Roi au-dessus d’un « Royaume de Dieu » dans le sens limité de l’Église visible, mais pas au-dessus d’un domaine temporel. Éphésiens 1 rend très clairement cette distinction fautive : Dieu « a tout mis sous ses pieds [de Christ] et il l’a donné pour chef suprême à l’Église qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous » (Éphésiens 1:22-23 [S21]). Celui qui est la tête du corps – l’Église – est la même personne qui, en même temps, est la tête au-dessus de « toutes choses ». […]

Si Christ est Roi au-dessus du Royaume de Dieu, ce Royaume contient non seulement l’Église, mais dans les propres mots de Jésus, il contient le monde entier (cf. Matthieu 13:38 où « le champ » est « le monde »). Les « magistrats et autorités » terrestres (Tite 3:1) se tiennent aussi sous la royauté de Christ (Éphésiens 1:20-21, Colossiens 1:16-18, 1 Pierre 3:21-22).

ElectoratPalatinat_1548 [hachuré en mauve]

Hachuré en mauve : À l’ouest, les terres du Bas-Palatinat (ayant pour capitale Heidelberg) ; à l’est, les terres du Haut-Palatinat (ayant pour capitale Ratisbonne) – Deux bastions de la foi réformée en Allemagne du Sud

ArmoiriesElectoratPalatinat

Blason du Comté palatin du Rhin, également nommé Électorat du Palatinat

4. LA CONFESSIO HELVETICA POSTERIOR (1566)

La Confessio Helvetica Posterior ou Confession helvétique postérieure (1566) fut rédigée par le réformateur & prédicateur Heinrich Bullinger (1504-1575) à Zurich. Ce standard doctrinal fut formellement adopté par les Églises réformées pédobaptistes presbytériennes de Suisse, de Hongrie-Transylvanie et de Pologne-Lithuanie. De plus, il fut officiellement approuvé par les Églises réformées correspondantes des Palatinats, de France et d’Écosse. Dans son préambule, ce texte confessionnel reproduit et endosse l’Édit de Thessalonique (380) de l’Empereur romain Théodose Ier le Grand (346-395), qui est éminemment théonomique (cf. Olivier Fatio, Confessions…, 1re éd., 1986, p. 200) :

Les Empereurs Gratien, Valentinien et Théodose, augustes. Au peuple de la ville de Constantinople : Nous voulons que tous les peuples qui vivent sous l’Empire de notre clémence suivent la religion que l’apôtre saint Pierre a enseignée aux Romains. […] Nous voulons qu’on donne le nom de chrétiens universels à ceux qui suivent cette loi, et qu’au contraire les autres, que nous regardons comme des extravagants et des insensés, portent la flétrissure du titre d’hérétique, et que leurs conciliabules ne portent point le nom d’Église, et qu’après la vengeance divine qui les attend, ils soient aussi punis de la manière que le Ciel nous l’inspirera.

Dans le corps de cette Confession helvétique postérieure, le chapitre 30 – intitulé Du Magistrat – stipule (cf. Olivier Fatio, Confessions…, 1re éd., 1986, p. 304-305) {Au besoin, comparer avec la traduction française de Donald Cobb parue dans le N° 212 de la Revue réformée en mars 2001} :

Si donc il [= le magistrat] est ennemi de l’Église il peut grandement empêcher et faire beaucoup de troubles ; mais si au contraire il est ami et membre de l’Église, il est très-utile et très-excellent membre d’icelle, et lui peut grandement aider et profiter. Le principal office d’icelui est de procurer la paix et tranquillité publique, ce qu’il ne peut jamais mieux faire plus heureusement qu’en étant vraiment religieux et craignant Dieu, et qu’à l’exemple du peuple du Seigneur il n’avance et donne cours à la prédication de la vérité et de la pure et sincère foi, empêchant tout mensonge, et mettant bas toute superstition avec toute impiété et idolâtrie, et défendant l’Église de Dieu. Nous enseignons aussi que le soin de la religion est des principaux points d’un fidèle et saint magistrat. […] Qu’il mette ordre qu’on ne prêche rien [de] contraire à icelle ; item, qu’il gouverne par bonnes lois conformes à la Parole de Dieu le peuple que Dieu lui a commis, et qu’il le contienne en bonne discipline, devoir et obéissance. […] Car il n’a pas reçu de Dieu le glaive en vain [Romains 13:4]. Qu’il dégaine donc ce glaive de Dieu contre tous les méchants, […] blasphémateurs, parjures, bref contre tous ceux que Dieu veut punir et qu’il a commandé qu’on mît à mort. Qu’il châtie aussi et punisse ceux qui sont vraiment hérétiques, à savoir incorrigibles, et qui ne cessent de blasphémer la majesté de Dieu et troubler son Église, voir même la ruiner et détruire. […] Et le magistrat faisant ces choses en foi sert Dieu par [de] telles œuvres, comme vraiment bonnes, et reçoit bénédiction de Dieu.

DistributionConfessionsSuisse1536

Distribution des confessions religieuses dans la Confédération helvétique en 1536

5. LES CANONS DE DORDRECHT (1619)

Les Canons de Dordrecht furent adoptés par le Synode de Dordrecht (Hollande-Méridionale, 1618-1619), une assemblée délibérante de théologiens ayant à la fois les caractéristiques et les attributs :

  • D’un procès ecclésiastique national de l’Église réformée néerlandaise – la Nederduitse Gereformeerde Kerk (NGK) créée en 1571 – impliquant 14 meneurs arminiens libéraux dits « remonstrants » (les accusés) et 19 délégations (le jury) comprenant…
    • Sept délégations (53 délégués) des sept synodes provinciaux constitutifs de la NGK ;
    • Sept délégations (18 commissaires civils) des sept provinces fédérées composant la République des Provinces-Unies des Pays-Bas ;
    • Cinq représentants des cinq universités ou académies réformées néerlandaises (Leyde, Groningue, Hardervic, Franeker et Middelbourg).
  • D’un concile international réformé réunissant – en plus de la délégation des États-Généraux des Provinces-Unies des Pays-Bas (l’organe législatif fédéral néerlandais) – 26 délégués officiels…

    • Venant d’AllemagneÉglise réformée & Ville libre d’Emden (Frise-Orientale), Église réformée & Ville libre de Brême (Basse-Saxe), Landgraviat de Hesse-Cassel (Basse-Hesse), Landkreis du Wetterau (Haute-Hesse), Duché de Nassau, Électorat du Palatinat ;
    • Venant de SuisseÉglise réformée & République de Genève, émissaires des Églises réformées et/ou des autorités civiles de quatre cantons du territoire alémanique (Zurich, Bâle, Berne et Schaffhouse) ;
    • Venant des îles britanniques ⇒ Une députation (un député) de l’Église d’Écosse et une députation (quatre députés) de l’Église d’Angleterre ;
    • Quelques observateurs (non-inclus dans le décompte des 26 ↑), tels l’ambassadeur de la Principauté d’Anhalt (réformée) en Saxe centrale, le messager de la congrégation réformée néerlandaise de Londres, et plausiblement une députation du Synode wallon (regroupant les 43 Églises réformées wallonnes relocalisées aux Pays-Bas du Nord).

Ce standard doctrinal est la référence classique de la sotériologie réformée orthodoxe (couramment résumée par l’expression « cinq points du calvinisme »). Dans son étude doctrinale consacrée aux Canons de Dordrecht, titré Le solide fondement du salut (Éditions La Rochelle, 2019), Paulin Bédard écrit (p. 13 et 15) :

L’un des principaux fruits du Synode de Dordrecht a été de mettre par écrit les Canons (ou décisions) de Dordrecht, qui ont d’ailleurs été rédigés en néerlandais, en français et en latin, puis traduits plus tard en plusieurs langues. Contrairement aux confessions de foi du XVIème siècle qui ont été rédigées par des individus, ce texte a été écrit par une assemblée ecclésiastique. En 1620, au Synode national d’Alès, les Églises réformées de France ont reçu et approuvé ces Canons comme étant conformes à la Parole de Dieu. Tous les pasteurs et anciens devaient prononcer publiquement le « serment d’approbation » prévu à cet effet. […]

Les Canons de Dordrecht sont ainsi structurés selon ces cinq points. Chacun de ces cinq points est d’abord expliqué par une [première] série d’articles qui exposent positivement la doctrine orthodoxe, puis par une deuxième série d’articles qui réfutent et rejettent les erreurs arminiennes, cette deuxième série d’articles portant le nom de « rejet des erreurs ».

En plus des Églises réformées de France, les Églises réformées de Hongrie-Transylvanie adoptèrent également ce standard doctrinal comme texte normatif. L’article 3:4:4 des Canons de Dordrecht (1619) dispose :

Il est vrai qu’après la Chute, il a subsisté dans l’homme quelque lumière de nature ; grâce à elle, il conserve encore une certaine connaissance de Dieu et des choses naturelles, il discerne entre ce qui est honnête et malhonnête, et montre avoir quelque pratique et soin de la vertu et d’une discipline extérieure. Mais tant s’en faut que, par cette lumière naturelle, il puisse parvenir à la connaissance salutaire de Dieu, et se convertir à lui, puisqu’il n’en use même pas droitement dans les choses naturelles et civiles, mais plutôt, telle qu’elle est, il la souille de diverses manières et la maintient dans l’injustice ; ce que faisant, il est rendu inexcusable devant Dieu.

Voici une analyse de l’article 3:4:4 des Canons de Dordrecht par le théologien réformé néerlandais Willem Ouweneel (cf. The World Is Christ’s, Ezra Press, 2017, p. 17-18) :

Ce point de vue conflicte radicalement avec l’idée de [Michael] Horton et [David] VanDrunen d’une loi naturelle régnant dans le royaume séculier sans aucun besoin que la lumière de la Parole-Révélation de Dieu ne soit jetée sur cette loi naturelle. […] En opposition à ces derniers, Joseph Boot décrit la loi naturelle comme « un concept originellement stoïc [= païen] bourré de difficultés, dont personne ne semble être certain du contenu réel avec une clarté quelconque ». Remarquez la référence des Canons à Romains 1:18 : « La colère de Dieu se révèle du Ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui par leur injustice tiennent la vérité prisonnière » [S21]. Assurément, il y a une certaine connaissance de Dieu et de sa loi dans les personnes naturelles : « Ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leur cœur » (2:15) — mais en combinaison avec 1:18 cela montre que cette connaissance est totalement corrompue par le péché […]. Quelle que soit la conscience des choses divines qu’ils puissent avoir, elle est supprimée par leur méchanceté. C’est impossible de fonder un État ou une société sur la loi naturelle seule de manière à ce qu’un tel État ou une telle société soit acceptable et honorante pour Dieu.

AllegorieDisputeTheologique1618_AbrahamVanDerEyk1721

Dispute entre remonstrants et contre-remonstrants (1618), par Abraham van der Eyk, 1721. Les remonstrants (arminiens libéraux) sont à gauche et les contre-remonstrants (calvinistes orthodoxes) sont à droite. La balance penche en faveur de la cause réformée grâce au poids d’une épée, qui symbolise le soutien crucial de l’État réformé accordé à l’Église réformée. En déjouant la tentative de putsch des activistes remonstrants, la contribution des magistrats & militaires chrétiens fut décisive au succès du Synode de Dordrecht.

Pour conclure, constatons qu’en matière de théologie publique, la théonomie est indiscutablement une doctrine confessionnelle orthodoxe des chrétiens réformés pédobaptistes presbytériens originaires d’Europe continentale.

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Le reconstructionisme chrétien constitue une école de pensée distinctive à l’intérieur de la tradition théologique réformée. L’idée de « reconstruction » provient de textes prophétiques de la Bible prédisant la reconstruction victorieuse de cités saintes par le peuple allianciel de Dieu à travers – et malgré – des temps d’adversité et d’épreuve (tels Ésaïe 61:4 et Amos 9:11-14). Le reconstructionisme consiste en la combinaison de cinq composantes doctrinales. Les voici :

  1. Le calvinisme (doctrines de la grâce), c’est-à-dire la sotériologie affirmant la souveraineté du Seigneur Tout-Puissant dans le déploiement de son plan historico-rédemptif ayant à la fois une dimension individuelle et collective, éternelle et temporelle, spirituelle et cosmique ;
  2. Le postmillénarisme, c’est-à-dire l’eschatologie optimiste et victorieuse articulant le mieux une juste espérance pour l’avenir du Royaume de Dieu, de l’Église universelle et de la Chrétienté (l’humanité rachetée) avant le retour de Jésus-Christ à l’Eschaton… ce postmillénarisme est normalement synchronisé avec le prétérisme orthodoxe (modéré/partiel) ;
  3. Le présuppositionalisme, c’est-à-dire la méthode apologétique affirmant que la défense raisonnée de la foi doive : {1} Présupposer (prendre comme prémisses ou axiomes) l’existence du Dieu trinitaire et la véracité de la Bible chrétienne pour pouvoir connaître ou interpréter correctement une quelconque facette de la réalité ; {2} En appeler à la connaissance de Dieu supprimée par l’interlocuteur non-chrétien dans son propre intellect (la « révélation existentielle » signalée en Romains 1:18-32 et 2:1-16) ; et {3} Réfuter les postulats les plus basiques du système de croyance de l’interlocuteur non-chrétien (discréditer ses racines plutôt que contester ses ramifications) ;
  4. Le dominionisme conjugué à l’alliancisme (la théologie des alliances), c’est-à-dire l’accomplissement des Mandat créationnel & Grande commission au moyen des quatre sphères/institutions alliancielles établies par l’Éternel (à savoir l’individu, la famille, l’Église et l’État), lesquelles sphères/institutions doivent fonctionner dans une dynamique d’indépendance et d’interdépendance réciproque en respectant leurs champs d’action spécifiques et en coordonnant (si possible) leurs efforts de christianisation salutaire ;
  5. La théonomie, c’est-à-dire le système éthique & juridique postulant que tout droit applicable dans toute juridiction gouvernementale doive être entièrement et exclusivement inspiré et modelé par la Bible (Sola Scriptura), directement ou indirectement… bref, que le magistrat civil doive être le gardien & protecteur des deux Tables des Dix Commandements (custos et vindex utriusque tabulæ), lesquels sont le résumé de l’immuable loi morale.

Le reconstructionisme chrétien fut principalement formulé et systématisé dans le milieu de la seconde moitié du XXème siècle (décennies ’60 à ’80 inclusivement). Ses trois cofondateurs – tous d’obédience réformée – sont le théologien Rousas Rushdoony (1916-2001), l’apologète Greg Bahnsen (1948-1995) et l’économiste Gary North (1942-2022). Ces trois érudits de terrain n’ont inventé aucune des cinq doctrines cardinales du reconstructionisme. Leur seule innovation fut de les ériger dans un dispositif intellectuel organisé et cohésif.

Références bibliographiques

Mark Rushdoony et Martin Selbrede, « The Creed of Christian Reconstruction », Chalcedon Foundation, consulté le 19 août 2019 {fichier sauvegardé}.

Gary DeMar, Christian Reconstruction : What it Is [and] What it Isn’t, Institute for Christian Economics, Tyler (Texas), 1991, p. 81-95 sur 219.

Kenneth Gentry, Préface de la 3ème édition dans Greg Bahnsen, Theonomy in Christian Ethics, Covenant Media Press, Nacogdoches (Texas), 2002 (1977), p. XV sur XLIII / 610.

Gary North, préface de l’éditeur dans David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, Dominion Press, Fort Worth (Texas), 1986, p. 9 sur 270 (version retapée / retypesetted version).

Greg Bahnsen, Presuppositional Apologetics : Stated & Defended, Covenant Media Press, Nacogdoches (Texas), 2008, p. 14 sur 289.

John Frame, Five Views on Apologetics, chapitre 4 : Presuppositional Apologetics, Zondervan Publishing, Grand Rapids (Michigan), 2000, p. 207-231 sur 400.

Joe Boot, Why I Still Believe, Sovereign World, Tonbridge (Kent), 2005, 159 p.

MoiseExhortantPeupleAllianceMontagneSinai

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« Le reconstructionisme chrétien est le seul mouvement sur terre confessant la Bible qui offre une alternative [aux divers paganismes ou syncrétismes pagano-“chrétiens”] et qui soit biblique sans compromis. »
— Gary North, Préface dans Christian Reconstruction, ICE, 1991, p. XII.

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« L’œuvre de re-formation, de restauration, de reconstruction chrétienne à laquelle, dans le monde entier, est appelé le peuple de Dieu, n’est pas seulement celle de l’Église et de la théologie, encore qu’il faille, bien sûr, commencer par celle-ci. Puisque la Parole de Dieu est souveraine, elle doit être reconnue comme telle en tout et partout. Nul n’a le droit de restreindre l’étendue de son autorité. Notre Seigneur est Roi sur tous les domaines de l’univers et de l’existence. Et si la volonté apostate de sécularisation, œuvrant en tout et partout, a visé et vise à rejeter la souveraineté de Dieu […] la volonté obéissante de christianisation, œuvrant en tout et partout, doit viser à ce que soit manifestée la souveraineté de Dieu jusqu’aux extrémités de l’univers et jusque dans la moindre parcelle de l’existence. »
— Pierre Courthial, « Le mouvement réformé de reconstruction chrétienne », Hokhma, N° 14, juin 1980, p. 44-70.

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Dernière mise-à-jour : 3 juillet 2018.

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Ressource EN FRANÇAIS sur l’ordre du salut biblique/réformé :

« La grâce divine ne sollicite pas le consentement de l’homme, mais elle l’obtient ; elle ne lui demande pas s’il la veut, mais elle lui donne de la vouloir ; elle ne s’impose pas à lui, mais elle transforme tellement sa volonté que, reconnaissant sa valeur, il se prend à soupirer après elle, et la poursuit jusqu’à ce qu’il l’ait atteinte. […] La grâce divine, je le répète, n’a pas besoin de votre consentement préalable : elle saura vous donner la volonté et l’exécution selon son bon plaisir. » (Charles Spurgeon)

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Capture d’écran, le 2020-05-15 à 14.03.35

Extrait de l’ouvrage Theses Sabbaticæ de Thomas Shepard, 1649, p. 25

La théologie radicale des deux royaumes (Radical Two Kingdoms = R2K), telle que popularisée par les théologiens presbytériens Meredith Kline, Michael Horton, David VanDrunen, Darryl Hart, Scott Clark et Matthew Tuininga dans la seconde moitié du XXe siècle et en ce début de XXIe siècle, insiste énormément sur la notion de droit naturel (d’où son autre abréviation → Natural Law Two Kingdoms = NL2K). Pour ces intellectuels, le droit biblique serait applicable par l’Église mais pas par l’État. Inversement, seul le droit naturel – différent et séparé du droit biblique – serait applicable par l’État.

Cette position est strictement hétérodoxe. Le tableau ci-après démontre que les théologiens et jurisconsultes éminents de la Réformation du XVIe siècle n’adhéraient pas au concept de loi naturelle telle qu’aujourd’hui promue par la mouvance R2K/NL2K (ni même à une forme embryonnaire de R2K/NL2K). La synthèse de l’évidence historique conduit à ces deux observations :

  1. La majorité des dirigeants de la Réformation soutenait que la loi naturelle et la loi biblique sont distinctes, mais que ces deux lois sont identiques dans leurs principes généraux et qu’il s’agit – en substance – du même droit. Aux érudits du tableau ci-dessous, il faut ajouter ces autres penseurs : {1} Niels Hemmingsen (1513-1600), le réformateur luthérien du Danemark ; {2} Girolamo Zanchi (1516-1590), réformateur italien (cf. De religione Christiana fides, § 13:8, p. 261-263 ; On the Law in General, p. 24-25) {3} François du Jon (1545-1602), un huguenot professeur de théologie aux Universités de Heidelberg au Bas-Palatinat et de Leyde aux Pays-Bas (cf. Franciscus Junius, The Mosaic Polity, p. 60-64) ; {4} Thomas Shepard (1605-1649), un cofondateur congrégationaliste de l’Université Harvard au Massachusetts ; {5} Francis Roberts (1609-1675), un pasteur presbytérien anglais qui fonda la Bibliothèque de Birmingham (Midlands de l’Ouest) et fut aumônier du Vice-Roi d’Irlande ; {6} Hermann Witsius (1636-1708), le recteur réformé de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas (cf. Joe Boot, The Mission of God, p. 57) ; {7} Jean Barbeyrac (1674-1744), le recteur réformé de l’Académie de Lausanne en Suisse romande, enseignant au Collège français de Berlin au Brandebourg et professeur à l’Université de Groningue aux Pays-Bas.
  2. La minorité des dirigeants de la Réformation soutenait que la loi naturelle et la loi biblique sont distinctes, mais que la Chute rend la loi naturelle insuffisante pour réguler les collectivités humaines et que c’est pour cela que l’Éternel a révélé à l’humanité un dispositif législatif complet & suffisant dans la Bible.

Aucune de ces deux approches ne corrobore la théorie de la loi naturelle non-biblique telle qu’exaltée par ses théoriciens Meredith Kline, Michael Horton, David VanDrunen, Darryl Hart, Scott Clark et Matthew Tuininga, pour lesquels la loi naturelle n’est qu’un prétexte servant à contourner l’autorité de la loi biblique révélée.

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Aux nombreuses références du tableau ci-dessus, nous pouvons ajouter l’article Law, Liberalism, and Luther : Beyond the Myths de Korey Maas paru dans le journal académique Public Discourse du Witherspoon Institute le 21 février 2018 soulignant que le réformateur allemand Martin Luther arguait que « Moïse s’accorde étroitement avec la nature » et que « les lois naturelles ne furent jamais aussi bien écrites et ordonnées que par Moïse » (ce qui fait de Luther un tenant de la 1ère approche présentée précédemment).

(suite…)

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