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Posts Tagged ‘théonomie’


Le reconstructionisme chrétien constitue une école de pensée distinctive à l’intérieur de la tradition théologique réformée. L’idée de « reconstruction » provient de textes prophétiques de la Bible prédisant la reconstruction victorieuse de cités saintes par le peuple allianciel de Dieu à travers – et malgré – des temps d’adversité et d’épreuve (tels Ésaïe 61:4 et Amos 9:11-14). Le reconstructionisme consiste en la combinaison de cinq composantes doctrinales. Les voici :

  1. Le calvinisme (doctrines de la grâce), c’est-à-dire la sotériologie affirmant la souveraineté du Seigneur Tout-Puissant dans le déploiement de son plan historico-rédemptif ayant à la fois une dimension individuelle et collective, éternelle et temporelle, spirituelle et cosmique ;
  2. Le postmillénarisme, c’est-à-dire l’eschatologie optimiste et victorieuse articulant le mieux une juste espérance pour l’avenir du Royaume de Dieu, de l’Église universelle et de la Chrétienté (l’humanité rachetée) avant le retour de Jésus-Christ à l’Eschaton… ce postmillénarisme est normalement synchronisé avec le prétérisme orthodoxe (modéré/partiel) ;
  3. Le présuppositionalisme, c’est-à-dire la méthode apologétique affirmant que la défense raisonnée de la foi doive : {1} Présupposer (prendre comme prémisses ou axiomes) l’existence du Dieu trinitaire et la véracité de la Bible chrétienne pour pouvoir connaître ou interpréter correctement une quelconque facette de la réalité ; {2} En appeler à la connaissance de Dieu supprimée par l’interlocuteur non-chrétien dans son propre intellect (la « révélation existentielle » signalée en Romains 1:18-32 et 2:1-16) ; et {3} Réfuter les postulats les plus basiques du système de croyance de l’interlocuteur non-chrétien (discréditer ses racines plutôt que contester ses ramifications) ;
  4. Le dominionisme conjugué à l’alliancisme (la théologie des alliances), c’est-à-dire l’accomplissement des Mandat créationnel & Grande commission au moyen des quatre sphères/institutions alliancielles établies par l’Éternel (à savoir l’individu, la famille, l’Église et l’État), lesquelles sphères/institutions doivent fonctionner dans une dynamique d’indépendance et d’interdépendance réciproque en respectant leurs champs d’action spécifiques et en coordonnant (si possible) leurs efforts de christianisation salutaire ;
  5. La théonomie, c’est-à-dire le système éthique & juridique postulant que tout droit applicable dans toute juridiction gouvernementale doive être entièrement et exclusivement inspiré et modelé par la Bible (Sola Scriptura), directement ou indirectement… bref, que le magistrat civil doive être le gardien & protecteur des deux Tables des Dix Commandements (custos et vindex utriusque tabulæ), lesquels sont le résumé de l’immuable loi morale.

Le reconstructionisme chrétien fut principalement formulé et systématisé dans le milieu de la seconde moitié du XXème siècle (décennies ’60 à ’80 inclusivement). Ses trois cofondateurs – tous d’obédience réformée – sont le théologien Rousas Rushdoony (1916-2001), l’apologète Greg Bahnsen (1948-1995 · autre bio) et l’économiste Gary North (1942-). Ces trois érudits de terrain n’ont inventé aucune des cinq doctrines cardinales du reconstructionisme. Leur seule innovation fut de les ériger dans un dispositif intellectuel organisé et cohésif.

Références bibliographiques

Mark Rushdoony et Martin Selbrede, « The Creed of Christian Reconstruction », Chalcedon Foundation, consulté le 19 août 2019.

Gary DeMar, Christian Reconstruction : What it Is [and] What it Isn’t, Institute for Christian Economics, Tyler (Texas), 1991, p. 81-95 sur 219.

Kenneth Gentry, Préface de la 3ème édition dans Greg Bahnsen, Theonomy in Christian Ethics, Covenant Media Press, Nacogdoches (Texas), 2002 (1977), p. XV sur XLIII / 610.

Gary North, préface de l’éditeur dans David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, Dominion Press, Fort Worth (Texas), 1986, p. 9 sur 270 (version retapée / retypesetted version).

Greg Bahnsen, Presuppositional Apologetics : Stated & Defended, Covenant Media Press, Nacogdoches (Texas), 2008, p. 14 sur 289.

John Frame, Five Views on Apologetics, chapitre 4 : Presuppositional Apologetics, Zondervan Publishing, Grand Rapids (Michigan), 2000, p. 207-231 sur 400.

Joe Boot, Why I Still Believe, Sovereign World, Tonbridge (Kent), 2005, 159 p.

MoiseExhortantPeupleAllianceMontagneSinai

Le reconstructionisme chrétien est le seul mouvement sur terre confessant la Bible qui offre une alternative [aux divers paganismes ou syncrétismes pagano-“chrétiens”] et qui soit biblique sans compromis. »
— Gary North, Préface dans Christian Reconstruction, ICE, 1991, p. XII.

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« L’œuvre de re-formation, de restauration, de reconstruction chrétienne à laquelle, dans le monde entier, est appelé le peuple de Dieu, n’est pas seulement celle de l’Église et de la théologie, encore qu’il faille, bien sûr, commencer par celle-ci. Puisque la Parole de Dieu est souveraine, elle doit être reconnue comme telle en tout et partout. Nul n’a le droit de restreindre l’étendue de son autorité. Notre Seigneur est Roi sur tous les domaines de l’univers et de l’existence. Et si la volonté apostate de sécularisation, œuvrant en tout et partout, a visé et vise à rejeter la souveraineté de Dieu […] la volonté obéissante de christianisation, œuvrant en tout et partout, doit viser à ce que soit manifestée la souveraineté de Dieu jusqu’aux extrémités de l’univers et jusque dans la moindre parcelle de l’existence. »
— Pierre Courthial, « Le mouvement réformé de reconstruction chrétienne », Hokhma, N° 14, juin 1980, p. 44-70.

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Dernière mise-à-jour : 13 mai 2020.

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puritan_rising·

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Version quasi-identique de cet argumentaire en format HTML.

 

QuatreSpheresGouvernement

Les quatre différents gouvernements humains délégués par l’Éternel à son peuple allianciel – c.à.d aux chrétiens – sont l’individu, la famille, l’Église et l’État. Ces quatre gouvernements sont les composantes du Royaume de Christ sur Terre – c.à.d de la Chrétienté – et conséquemment, ils sont tous directement responsables devant le Roi Jésus-Christ. Chacun de ces quatre gouvernements doit concourir à l’avancement du Royaume de Dieu dans sa sphère d’activité respective. Aucun de ces quatre gouvernements ne doit prétendre dominer sur les autres ou s’ingérer dans leur champ de compétence propre.

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Aussi sur Le Monarchomaque : Recueil de droit biblique

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Compléments hors-site (en français) :

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Compléments hors-site (en anglais) :

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Dernière mise-à-jour : 13 mai 2020.

Manif à Rennes en Bretagne

Debout pour le maintient du droit biblique, Rennes (Bretagne), 2013

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Autres argumentaires théonomistes en français sur la toile :

Manif à Arras en Artois

Debout pour le maintient du droit biblique, Arras (Artois), 2013

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Cet article a été divisé et déplacé. Référez-vous dorénavant à ces articles :

MonumentCiel

Érudition complémentaire :

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Aux milieu du XIe siècle, des aventuriers normands débarquent dans une Italie territorialement morcelée. Ils en débutent aussitôt la conquête méthodique. Le duché de Naples est sous leur contrôle dès 1049. Dix ans plus tard, la principauté de Capoue ainsi que le double duché d’Apulie & de Calabre – fief comprenant également la Basilicate et la Campanie – s’ajoutent à leur dominium. Poussant leur avantage, ces Normands enlèvent la Sicile aux Sarrasins entre 1061 et 1091. C’est dans ce contexte que Roger II de Hauteville devient comte de Sicile en 1105. Ce roi ambitieux cultive le grand projet d’unir tous les territoires normands d’Italie méridionale sous une même couronne. Il prend deux décennies à le réaliser. En 1128, une assemblée nobiliaire se tenant à Melfi reconnaît son autorité sur le sud de la péninsule. Conséquemment, Roger II est sacré roi de Sicile en 1130. Combinant le professionnalisme de la gestion fiscale byzantine, la précision de la cartographie administrative arabe et la magnificence de l’architecture des pays d’Oïl tout en faisant preuve d’innovation en matière d’exercice de la justice, le Royaume normand d’Italie devient rapidement le plus brillant État européen du milieu du XIIe siècle. La capitale, Palerme, est alors la plus grande cité d’Europe de l’Ouest et possède la plus imposante flotte commerciale du continent. Quant à l’Université de Salerne, elle grouille d’érudits qui traduisent des œuvres grecques de l’Antiquité classique, dont Euclide et Ptolémée.

Les Assises d’Ariano

Doté d’un sens développé du droit, Roger II organise les Assises du royaume à Ariano (Campanie) en 1140 et y promulgue un code juridique connu sous l’appellation d’Assises d’Ariano. Ce document est fondamental dans l’histoire du droit occidental, le dispositif juridique italo-normand ayant servi de prototype à celui subséquemment instauré en Normandie elle-même puis en Angleterre par les jurisconsultes anglo-normands. La philosophie politique des Assises d’Ariano est évidemment imparfaite : la notion d’office royal est amalgamé avec celle de sacerdoce suprême, et le roi est placé au-dessus des lois (c’est une violation de la primauté du droit). On note là une mauvaise influence islamo-byzantine. Cependant, ce bref recueil légal n’est pas sans valeur et contient aussi de multiples principes d’inspiration biblique.

CroquisVilleArianoItalie

Le directeur de l’Institut d’études médiévales de l’Université de Leeds (Yorkshire) a traduit du latin à l’anglais les Assises d’Ariano. Voici les articles qui peuvent être considérés comme théonomiques (conformes à la Loi de Dieu révélée dans les Écritures Saintes et l’Ancien et du Nouveau Testaments).

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Preamble

It is right and proper, barons, […] that if we have received anything from the generosity which has resulted from Divine grace, then we should repay these Divine benefits through which we have our strength with humble service […] ‘By me kings reign, and legislators decree justice’ [Proverbs 8:15]. For we consider that nothing is more pleasing to God than if we straightforwardly offer Him that which we have learnt Him to be, namely mercy and justice. […] We therefore desire and order that you should faithfully and enthusiastically receive the provisions which we make public in the present code whether they have been promulgated by us or [simply] re-enacted.

II. About the Privilege of Holy Churches

[…] We shall defend and guard inviolate all the property and possessions of the holy churches which have been entrusted to our custody […] with the temporal sword which has been granted to us by God. […]

III. General Admonition

We advise princes, counts, greater and lesser barons […] and all those who have subject to them citizens, burgesses, peasants […] that they should treat them decently and show themselves merciful, particularly when collecting the tax owed, they should demand this in moderation.

VI. Concerning Flight to a Church

[…] In all parts of our kingdom nobody in flight of whatsoever condition shall be expelled or dragged out of the most holy churches […] Anyone who shall endeavour or do this shall be face capital punishment or the loss of all their property. Meanwhile food shall not be denied to the fugitives. However if a serf or colonist or serf […] shall have fled with stolen property to holy places, he shall be returned to the lord […] if intercession has occurred, restitution shall occur piously and freely.

XI. About the Rape of Virgins

If anyone presumes to rape holy virgins veiled by God, even for the purpose of marriage, he shall suffer capital punishment, or other penalty which royal censure shall decree.

XII. About Jews and Pagans Possessing Christian Servants

No Jew or Pagan shall dare either to buy or sell Christian servants, or to possess them […] If he should presume to do this, all his property will be confiscated to the Fisc, and he shall become the servant of the Court. If he should by some wicked trick or persuasion have the servant […] deny his faith, then he shall be punished by capital penalty.

XIV. About Jesters

Players and those who make jokes by bodily writhing shall not use in public either the habits of virgins dedicated to God or monastic or clerical vestments. If they should do so they shall be publicly flogged.

[Signification : les bouffons ou amuseurs publics coupables de travestissement vestimentaire seront flagellés.]

XV. About Wards and Orphans

[…] In addition we settle the equity of the laws on women, who are not less disadvantaged by the fragility of their sex. We order that they should be aided from the depths of piety both by us and by our officials, as is right and proper.

XXI. About Coining Money

We impose capital punishment on and confiscate the property of those coining adulterine money or knowingly receiving it ; we inflict this penalty [also] on those conspiring [in this]. We deprive those who shave gold or silver coins, dye them, or in anyway diminish them of their property […]

XXV. About Corrupt Public Officials

[…] Officials of the state or judges who have, during their period in office, stolen public revenues [are guilty of] the grave crime of embezzlement and shall be punished capitally, unless royal piety spares them.

XXVII. About the Legitimate Celebration of Marriages

[…] It is contrary to custom, inconsistent with what is laid down by the holy canons, and unheard of to Christian ears to desire to contract matrimony, to procreate legitimate progeny and bind oneself indissolubly to a consort […]

XXVIII. About Adulteresses

[…] We will not allow a crime of this sort to go unpunished, and we order her to be publicly flogged. Whoever allows his wife to be wanton with debauched men while he looks on or by his arrangement cannot easily accuse her in court, since he who consents to what he could forbid opens the way to fraud. We shall not condemn everyone who has a suspect wife as a pimp […] But if we learn clearly that someone has a lascivious wife, we shall immediately from this time hold her worthy of strict punishment, and we condemn him to the penalty of infamy.

XXIX. About Prostitution

[…] An adulterer and an adulteress cannot be charged together. Each should be charged separately and the outcome of the matter awaited ; for if the adulterer is able to clear himself, the woman is free and need make no further defence. If however he shall be found guilty then let the woman in turn be accused.
The law does not make a choice of who should be first tried, but if both are present then the man shall be tried first. Repudiation must always be permitted in this accusation […]

XXX. About Pimping
We decree by the present law that that madams, namely those who solicit the chastity of another, which is the worst type of crime, should be punished as adulteresses. We punish mothers who prostitute their virgin daughters and abandon the bonds of marriage as madams, thus their noses should be slit. For it is cruel and inhuman for them to sell the chastity of their own offspring. […]

XXXI. About the Violation of Marriage

[…] If a husband catches his wife in the very act of adultery, then he shall be allowed to kill both the wife and the adulterer, provided that it is done without any further delay.

XXXII. About Adultery

The legal penalty for pimping [Cf. art. 30] binds a husband who shall seize his wife caught in the act of adultery but has allowed the adulterer to get away, unless however the latter escaped through no fault of his own.

XXXVII. About Kidnappers

Whoever knowingly sells a free man shall be subject to this legitimate penalty, that the person sold shall be redeemed from his property and that the criminal himself shall become a slave of our court, and the rest of his property shall be confiscated. […]

XXXVIII. About Robbers

He who, thinking his life to be in danger, shall kill an attacker or robber, ought not to fear blame for his action.

XL. About Theft

He who shall kill a nocturnal thief shall remain unpunished, if the latter could not be arrested, while the hue and cry was raised.

XLIV. If a Judge Neglects His Duty

If a judge receives money and then declares someone guilty of a crime and of death, then he shall be subject to capital punishment. If a judge fraudulently and deceitfully hands down a sentence contrary to the laws, then he shall lost his judicial authority without hope of recovery, be branded with infamy and all his property shall be confiscated. However, if he makes a mistake in sentencing through ignorance of the law, he shall be punished for his simplicity of mind and be subject to our royal mercy and foresight.

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Les Constitutions de Melfi

En 1231, le petit-fils de Roger II de Sicile, Frédéric II de Hohenstaufen, empereur du Saint-Empire romain germanique, reprit et étaya les Assises d’Ariano dans le premier ouvrage systématique et synthétique de droit italien, les Constitutions de Melfi (aussi appelées  Liber Augustalis en latin). Publiées en 1231 et comprenant 253 articles répartis en trois volumes, c’était alors le recueil de lois le plus avancé d’Europe continentale. Dans les articles 41 et 44 du premier tome, des importantes protections juridiques sont garanties aux femmes qui pourraient être préjudiciées en procès par leur méconnaissance du droit, incluant le privilège de recevoir une assistance des avocats publics. En vertu de l’article 73 du livre 1, les juges étaient rémunérés par la Magna Curia (tribunal royal) et ne devaient pas prendre d’argent des litigants pendant les procédures. Les juges étaient tenus d’être assermentés « devant Dieu » selon l’article 62 (toujours du premier volume). Les gens qui vendaient des potions érotiques ou de la nourriture nocive ayant provoqué décès étaient soumis à la peine capitale, et si les consommateurs de ces potions n’étaient pas blessés, les vendeurs voyaient leurs biens confisqués (article 73 du tome 3).

Frédéric II du Saint-Empire proclamant les Constitutions de Melfi en l’an 1231

Référence : Harold Berman, Law and Revolution – The Formation of the Western Legal Tradition, Cambridge (Massachusetts), Belknap Press of Harvard University Press, 1983, pages 410-416 et 425-434 sur 657.

Traduction française ↑ : Droit et Révolution – La formation de la tradition juridique occidentale, Aix-en-Provence, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence, 2002, 684 pages.

Compléments :

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Version HTML (1er février 2015).

Façade du Metropolitan Tabernacle à Londres, où le révérend Charles Spurgeon a exercé son ministère de la prédication pendant 31 ans, de 1861 à 1892.

La théonomie est une doctrine biblique selon laquelle les Dix Commandements sont pleinement applicables à toutes les collectivités civiles de tous les pays à toutes les époques et que le christianisme doit réformer et régénérer toutes les sphères de l’existence humaine. La position inverse de la théonomie est le piétisme/antinomisme. Aujourd’hui, une thèse qui circule prétend qu’historiquement, la promotion et la mise en œuvre de la théonomie furent le propre des chrétiens pédobaptistes et que les chrétiens crédobaptistes rejetèrent cette doctrine et optèrent plutôt pour le piétisme. La présente étude démontre qu’au milieu du XVIIe siècle, les fondateurs du baptisme réformé étaient unanimement théonomistes, et qu’aux deux siècles suivants, des continuateurs importants de cette dénomination calviniste & puritaine étaient également théonomistes.

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Tables des matières

  1. Ni monopole presbytérien, ni licence « niveleuse » : la coalition politique réformés baptistes avec les congrégationalistes.
  2. Le Protectorat théonomique d’Oliver Cromwell : la Réformation constitutionnelle.
  3. Les réformés baptistes loyaux au Protectorat : les théonomistes gradualistes qui priorisaient la consolidation.
  4. Le Barebones’s Parliamentde Thomas Harrison : la « Cinquième monarchie » et la Réformation totale.
  5. Les réformés baptistes hostiles au Protectorat : les théonomistes qui voulaient hâter l’Eschaton.
  6. Réitération de la théonomie par les dirigeants réformés baptistes au crépuscule de la Révolution anglaise.
  7. Cas particuliers de Christopher Feake et de Christopher Blackwood.
  8. Continuité théonomiste chez les réformés baptistes jusqu’au XIXe siècle.

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1. Ni monopole presbytérien, ni licence « niveleuse » : la coalition politique des réformés baptistes avec les congrégationalistes

La décennie 1640 fut le théâtre d’une amélioration formidable de la situation spirituelle en Angleterre. De 1640 à 1649, le Parlement anglais était dominé par des presbytériens. En 1642, ce Parlement presbytérien (appelé le Long Parlement) abolit l’anglicanisme et sa hiérarchie épiscopale (Tuttle, 21-25). En 1643, le Long Parlement convoqua l’Assemblée des théologiens de Westminster, chargée d’approfondir la réformation de l’Église d’Angleterre. Toutefois, ces presbytériens entendaient asseoir leur parti au pouvoir et octroyer à leur dénomination tous les privilèges. En 1645, le Long Parlement vota deux documents conçus par cette Assemblée et destinés à conférer au presbytérianisme un monopole en Angleterre. Quoique plus souple que le Book of Common Prayer anglican, le Directory for Public Worship, un manuel liturgique, visait notamment à imposer le baptême des bébés aux parents crédobaptistes, et le Form of Presbyterial Church Government, un guide d’ecclésiologie, visait à imposer une unique structure presbytéro-synodale à toute la population anglaise et galloise. En 1643-47, la menace de l’établissement d’un monopole ecclésial presbytérien sur le modèle de l’Écosse planait donc sur l’Angleterre. Un tel régime aurait impliqué le versement d’une dîme obligatoire et la participation obligatoire de tous les habitants des îles britanniques à cette unique dénomination réformée (Juillet-Garzon, 243-254). Dans ce projet, le Long Parlement était appuyé par les Communes de la Cité de Londres, également contrôlées par le parti presbytérien. Par ailleurs, ces autorités presbytériennes cherchaient à empêcher tout ministère de prédication qui n’était pas autorisé par elles-mêmes.

Pendant ce temps, les réformés baptistes sont apparus en tant que dénomination à Londres en Angleterre. Ils sont issus des congrégationalistes, dénomination à laquelle étaient affiliés la plupart des puritains anglais. Plusieurs de ces congrégationalistes estimaient l’Église anglicane tellement corrompue qu’ils rejetaient le baptême anglican et se faisaient rebaptiser (ce phénomène est attesté au plus tard en 1630). Parmi ces congrégationalistes « rebaptiseurs », certains adoptèrent rapidement des convictions crédobaptistes (cela au plus tôt en 1633 et au plus tard en 1638). C’est en 1641 que les réformés baptistes adoptèrent le baptême par immersion, après avoir envoyé en 1640 une délégation aux Pays-Bas pour s’enquérir sur la façon correcte de procéder auprès de vaudois crédobaptistes (les baptistes arminiens pratiquaient le baptême de professants depuis 1609, mais ils le faisaient par aspersion — comme les mennonites — jusque vers 1660) · (McBeth, 44).

En 1643 et/ou 1644, le prédicateur réformé baptiste Benjamin Coxe fut emprisonné à Coventry (comté des Midlands de l’Ouest) pour avoir dénoncé le projet presbytérien sus-évoqué. En 1645, les autorités presbytériennes interdirent une discussion publique sur le crédobaptisme organisée par les réformés baptistes William Kiffin, Hanserd Knollys (voir leurs biographies infra) et Edmund Calamy (Wright, en ligne).

Ce danger fit en sorte que le premier positionnement politique des réformés baptistes fut leur éphémère alliance avec le mouvement des Levellers, c’est-à-dire des « niveleurs ». On peut les qualifier de proto-libertariens. À l’opposé du monopole presbytérien, le programme des niveleurs prônait l’abolition des dîmes compulsives et une liberté religieuse plus étendue. Dans ce contexte, un rapprochement entre les baptistes et les niveleurs s’opéra aisément, et nous observons un chevauchement des effectifs de ces deux groupes au milieu de la décennie 1640.

Les pasteurs réformés baptistes Hanserd Knollys et William Kiffin condamnaient alors publiquement les velléités liberticides du Long Parlement et des Communes de la Cité de Londres. Loin d’être intimidé par cette conjoncture ironique où un monopole presbytérien semblait succéder à un monopole anglico-catholique, l’auteur réformé baptiste Thomas Collier annonçait que « la grandeur du royaume sera donné au peuple des saints », et par là il entendait les baptistes, les niveleurs et les congrégationalistes qui formaient alors l’opposition au Long Parlement (Tuttle, 55 et 143-144) · (Collier est plus tard devenu socinien, mais comme le souligne Patrick McWilliams sur The Confessing Baptist, nombre de ses écrits « reflétaient la même atmosphère et les mêmes arguments que la tradition réformée baptiste du XVIIe siècle qui l’entouraient ».)

Dès 1647, une brèche s’ouvrit dans le front commun formé par les niveleurs et les réformés baptistes. Un collectif de dirigeants religieux incluant William Kiffin et Hanserd Knollys publia à Londres un livret réfutant les idées niveleuses intitulé A Declaration by Several Congregational Societies. Les auteurs y dénonçaient l’appel niveleur pour une « liberté charnelle » et y rejetaient la proposition niveleuse pour un gouvernement séculier, argumentant que « les magistrats craignant Dieu sont plus enclins à protéger les hommes pieux » (Bell, 111).

En réalité, le rapport de force n’était pas favorable aux presbytériens. Par un paradoxe historique salutaire, le bras armé du Long Parlement — la New Model Army — était surtout constituée de congrégationalistes et de baptistes. Cette force militaire était éminemment théonomique[2]. C’est pourquoi les documents presbytériens votés par le Long Parlement restèrent inappliqués en dehors de Londres et du comté de Lancastre (au nord-ouest de l’Angleterre), et même là les autres dénominations réformées conservèrent leur droit de cité. Conscient de la puissance de l’armée, le Long Parlement cherchait à en diminuer l’influence, notamment en ne rémunérant pas les soldats tel qu’il le devait.

Pour mettre fin à cette impasse, en décembre 1648, des militaires congrégationalistes et le colonel réformé baptiste Daniel Axtell opérèrent une Purge du Long Parlement : la plupart des députés presbytériens furent expulsés. C’est par la bouche de Daniel Axtell que la Chambre des Communes fut solennellement informée de la teneur de ce coup de force salutaire (Underdown, 145). Cela permis aux congrégationalistes de s’emparer du pouvoir et d’asseoir la Révolution puritaine. Ce Parlement épuré (Rump Parliament) abolit promptement la royauté et l’aristocratique Chambre des Lords, et confirma l’abolition de l’anglicanisme en saisissant et vendant les terres de l’Église anglicane (Witte, 1535). Au même moment, les niveleurs s’auto-marginalisaient en faisant campagne contre le commandant de la New Model Army, Oliver Cromwell. Une coalition plus censée était donc née entre les réformés baptistes et les congrégationalistes.

Le 2 avril 1649, William Kiffin, le pasteur de l’Église réformée baptiste de Devonshire Square à Londres de 1640 à 1701 (pendant 61 ans !) qui avait convaincu sept congrégations réformées baptistes londoniennes à s’associer et à adopter la Confession de foi réformée baptiste de 1644, plaida devant le Rump Parliament en faveur des réformés baptistes. L’Orateur de la Chambre des Communes lui répondit que les réformés baptistes jouissaient de la liberté de culte ainsi que de la protection du Parlement. Très encouragé, Kiffin publia sous peu un pamphlet réfutant le programme niveleur, intitulé Walwyn’s Wiles (« Ruses de [William] Walwyn », un meneur niveleur). Le colonel Axtell arrêtât le libelliste niveleur Richard Overton en 1649. Vétéran des Guerres civiles anglaises, Axtell était le commandant de la Garde parlementaire pendant le procès du roi-tyran Charles Ier (Bell, 113-115) ; il signa sa condamnation à mort. Un des juges régicides était le réformé baptiste John Carew, député du comté de Cornouailles.

En histoire anglaise, la période de quatre ans qui suit l’abolition de la royauté est connue sous l’appellation de Commonwealth. La coalition théonomique entre les réformés baptistes et les congrégationalistes s’y poursuivit. Ainsi, John Carew fut membre du Conseil d’État du Commonwealth en 1651-53. Thomas Patient, copasteur de l’église de Devonshire Square aux côtés de Kiffin de 1645 à 1649, fut sélectionné par le Parlement pour aller servir en Irlande, où il exerça l’office d’aumônier dans la New Model Army jusqu’en 1651. Il s’installa ensuite à Dublin où il fut prédicateur en la Christ Church Cathedral ainsi qu’auprès des congrégations réformées baptistes de Swift’s Alley à Dublin et de Waterford en Irlande méridionale — cela jusqu’en 1660.

En 1652, les pasteurs réformés baptistes William Kiffin, Hanserd Knollys, Henry Jessey, ainsi que quinze autres, publièrent un manifeste prônant la mise en place d’un gouvernement des saints. Il s’agit de la Declaration of Divers Elders and Brethren of Congregational Societies in and about London, où il était affirmé que les communistes, les anarchistes, les polygames et les libertins ne devraient pas être éligibles aux offices de magistrats (Farnell, 39 ; Woolrych, 1982, 18-19). Henry Jessey était pasteur de l’Église réformée baptiste de Swan Alley à Londres depuis 1645 et prônait la réformation du droit anglais en l’alignant sur le code mosaïque (Bell, 65).

2. Le Protectorat théonomique d’Oliver Cromwell : la Réformation constitutionnelle

En décembre 1653, le Protectorat, le premier gouvernement intégralement constitutionnel en Europe et le second en Occident (après le Connecticut en 1639), fut instauré avec Oliver Cromwell comme Protecteur (chef d’État) des Trois Nations (Angleterre, Écosse, Irlande) sous l’égide d’un document légal appelé l’Instrument de Gouvernement. Ce texte, fondamental dans le déploiement historique de l’État de droit, est sans contredit théonomique. L’article 15 stipule que « ceux qui professent la religion catholique » sont « privés à vie du droit d’éligibilité et du droit de vote au Parlement ». L’article 17 insiste que « les personnes qui seront élues au Parlement devront nécessairement être d’une intégrité notoire, craignant Dieu, honnêtes dans leurs propos ». L’article 25 affirme que les membres du Conseil d’État, cooptés par les parlementaires, devront obligatoirement « avoir la crainte de Dieu ».

Mieux encore, l’article 35 annonce que « la religion chrétienne, telle que contenue dans les Écritures, sera proclamée et prescrite comme foi publiquement professée par ces [Trois] Nations [… et …] qu’une disposition législative [… sera prise …] pour l’instruction du peuple ainsi que pour la découverte et la réfutation de l’erreur et de tout ce qui et contraire à la saine doctrine. » L’article 37 reconnaît la liberté de culte et accorde la protection à toutes les dénominations non-conformistes, mais précise que « cette liberté ne s’étendra pas au papisme et à la prélature [anglicanisme], ni à ceux qui, sous couvert de professer le Christ, pratiquent la licence ». L’article 39 prévoit la saisie des terres des « délinquants religieux » par les pouvoirs civils.

En 1657, l’Instrument de Gouvernement fut remplacé par un second texte constitutionnel, la Humble Petition and Advice, qui restât en vigueur jusqu’en 1659. Ce second document est en fait une révision augmentée de l’Instrument de Gouvernement. Tout en maintenant les dispositions théonomiques du premier texte, la Humble Petition and Advice en accumule de supplémentaires. L’article 5 stipule :

Ne pourront pas siéger [au Parlement] ceux coupables d’une des infractions figurant dans la loi portant la date du 9 août 1650, intitulée Loi contre plusieurs opinions athéistiques, blasphématoires et exécrables, attentatoires à l’honneur de Dieu et destructrices de la société humaine, ceux tournant en dérision ou avilissant la religion ou quiconque professant de telles idées. Il en ira de même de tout homme ayant épousé une femme de religion catholique, ayant élevé ou qui élèvera dans cette dernière son ou ses enfants ou tout enfant qu’il doit éduquer ou dont il a la responsabilité, autorisera ou tolérera que son ou ses enfants soient élevés en cette religion, ou ayant consenti ou qui consentira à ce que son fils ou sa fille épouse un fidèle de cette religion, ainsi que de toute personne niant que les Écritures sont la Parole de Dieu ou que les sacrements, la prière, la magistrature civile et le ministère religieux sont des ordonnances de Dieu, profanant le jour du Seigneur, jurant de façon profane ou blasphémant, se saoulant ou hantant les tavernes ou les brasseries.

L’article 10 prévoit la protection étatique des prédicateurs de la Parole de Dieu :

Nous désirons sincèrement que ceux qui ridiculisent publiquement les ministres du culte ou leur congrégation ou qui perturbent ces dernières lors des services, portant atteinte à l’honneur de Dieu, scandalisant les honnêtes gens et troublant l’ordre public, puissent être légalement punis selon le droit.

Et pour ce qui est des relations inter-réformés, la Humble Petition and Advice est plus substantielle que l’Instrument de Gouvernement :

La véritable religion chrétienne protestante, telle que contenue dans les Saintes Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament, à l’exclusion de toute autre source, sera promue et formellement reconnue comme religion publiquement professée de ces [Trois] Nations. Une confession de foi […] conformément aux règles et commandements des Écritures, devra être établie, prêchée et recommandée au peuple de ces Nations. […] À l’endroit de ceux [autres non-conformistes] qui diffèrent, sur d’autres points de doctrine, de rite ou de discipline de la profession publiquement proclamée [ils doivent êtres] protégés de tout dommage et molestation à cette occasion comme lors de la célébration de leur culte […] Ces ministres ou prêcheurs publics, en accord avec la profession publique de foi précitée, quoique différant dans leur jugement et pratique en matière de rite et de discipline, bénéficieront non seulement de la protection de leurs églises et rites, mais seront considérés capables, en dépit de telles différences […] d’exercer toute charge ou tout emploi comme de bénéficier de toute promotion de quelque nature que ce soit dans ces Nations. […] Les personnes n’acceptant pas les articles de foi de cette profession publique ne seront, en revanche, pas capables de percevoir le traitement public destiné aux ministres du culte [cette dernière clause ne concerne pas ceux couverts par la protection sus-évoquée].

Comment les réformés baptistes se sont-ils positionnés par rapport au Protectorat théonomique (1653-1659) ? Deux affiliations politiques se dégagent chez les réformés baptistes pendant cette période. Une partie des réformés baptistes est demeurée loyale au Protectorat car ce régime garantissait leurs droits et concourait à l’avancement de la Réformation. L’autre partie des réformés baptistes adhérait à la mouvance eschatologique de la Fifth Monarchy (« Cinquième monarchie »), qui rompit avec Cromwell en 1653. Ceux-ci refusaient que la Réformation soit graduelle et exigeaient qu’elle soit entièrement accomplie du jour au lendemain. Ces deux courants ne rompaient pas avec le consensus puritain & théonomique de ce temps. Leur différence réside dans leur différente façon d’envisager la Réformation et la théonomie : gradualisme ou catastrophisme.

3. Les réformés baptistes loyaux au Protectorat : les théonomistes gradualistes qui priorisaient la consolidation

Jonathan Spilsbury (le premier pasteur calviniste à avoir pratiqué le baptême des professants en 1638), William Kiffin et un autre pasteur baptiste londonien, Joseph Fansom, écrivirent à leurs frères de la Cinquième monarchie pour les calmer en janvier 1654. L’année même, le pasteur Samuel Richardson — un des signataires de la Confession de foi réformée baptiste de 1644 et copasteur de l’Église réformée baptiste de Wapping — publia une Apology for the Present Government où, tout en reconnaissant que ce n’est pas le rôle de l’État de récolter les dîmes (qui étaient alors équitablement réparties entre les diverses églises réformées ; Martin, 145), défendit le Protectorat théonomique de Cromwell.

Richardson reprit la plume en 1656 et publia Plain Dealing où il défendit encore le Protectorat, argumentant que les chrétiens crédobaptistes jouissent d’une liberté sans précédent et qu’il faut consolider le gouvernement en place si l’on veut éventuellement que se manifeste avec encore plus de splendeur le royaume terrestre de Dieu. Richardson explique que les saints réformés étaient tenus par la Loi divine de renverser la tyrannie anglico-catholique, mais qu’il était maintenant de leur devoir de collaborer avec le Protectorat. Le pasteur Thomas Patient, qui passât la décennie en Irlande, fit parvenir une pétition de loyauté au Protecteur signée par 117 baptistes dublinois en 1657 (Bell, 154-158 ; Woolrych, 1982, 349).

Plusieurs autres réformés baptistes remplirent des fonctions civiles importantes dans le cadre du Protectorat théonomique de Cromwell. Présentons-en quelques-uns. Edward Cresset fut Maître de la London Charterhouse en 1650-60, et fut simultanément chargé de la monnaie, de la vente des forêts et de l’octroi des brevets. Edward Cresset fut sélectionné par Cromwell comme un des 38 commissaires de la nouvelle Commission des Trieurs (« triers » en anglais) instituée en 1654 (Nuttall, 187).

Cette Commission des Trieurs était chargée d’évaluer tous les postulants au ministère pastoral rémunéré par l’État qui continuait de percevoir une dîme. Un quorum de cinq commissaires était nécessaire pour que la Commission puisse approuver un candidat au pastorat, et neuf objections (sur 38) étaient requises pour exclure un candidat (Matthews, 183). Dans ses cinq années d’existence, la Commission des Trieurs approuvé plus de 3500 candidats au ministère. Le Conseil d’État du Protectorat acceptait les plaintes contre les Trieurs et agissait comme cour d’appel de leurs décisions (Collins, 29-30). Deux autres réformés baptistes siégèrent sur cette Commission : l’enseignant John Tombes, un pamphlétaire prolifique, et le pasteur Henry Jessey  de Swan Alley (White, 1973, 104). Signalons que le système des Trieurs et Éjecteurs écarta l’obligation légale qu’avaient jusqu’alors les prêtres et les pasteurs d’être cautionnés par un aristocrate local pour régulariser leur situation, ce qui est une avancée non-négligeable.

Les contemporains, dont Cromwell lui-même (d’Aubigné, 273), étaient conscients que le système des Trieurs — une modification d’une meilleure proposition (voir infra) avancée par les théologiens congrégationalistes John Owen, Thomas Goodwin et Philip Nye (Collins, 24-26) — n’était pas idéal. Toutefois, entre les Trieurs et l’anarchie religieuse, le choix s’imposait en faveur des Trieurs. Le révérend puritain Richard Baxter a écrit à propos des commissaires de cet organe :

On doit dire qu’ils ont fait abondamment de bien à l’Église. Ils ont sauvés bien des congrégations, en les délivrant des ministres ignorants, impies, ivrognes. […] Les commissaires rejetaient dans la règle les ministres qui prêchaient contre une vie sainte, ou du moins qui parlaient comme des gens qui n’en avaient aucune idée, et ils établissaient à leur place des hommes capables, sérieux, menant une vie pieuse, quelle que fût leur croyance, pourvu qu’elle fut chrétienne. […] Plusieurs milliers d’âmes ont béni Dieu des ministres fidèles que les commissaires leur donnèrent, et ont été dans le deuil quand les prélatistes les ont plus tard chassés (d’Aubigné, 271).

L’historien Merle d’Aubigné ajoute : « Les ministres exclus par les commissaires étaient seulement privés des privilèges du ministère national, ils ne l’étaient point de la liberté religieuse. […] Les épiscopaux n’étaient point proscrits, mais un usage fréquent et public du Livre de prières [Book of Common Prayer] était un motif d’exclusion » (d’Aubigné, 272). Autrement dit, les pasteurs protestants dissidents à ce système avaient le droit d’être soutenus financièrement directement par leur église locale ; ce fut le cas pour certaines congrégations réformées baptistes du centre et de l’ouest de l’Angleterre sympathiques à la mouvance de la Cinquième monarchie. Ce dispositif ecclésiastique fut complété par des Commissions d’Éjecteurs dans chacun des comtés chargés de démettre de leurs fonctions les ministres du culte incompétents. Mesure humanitaire très singulière pour l’époque, les familles des titulaires révoqués par les Éjecteurs recevaient une pension correspondant à deux mois et demi de salaire pastoral (Bastide, 195).

Revenons aux réformés baptistes qui travaillèrent avec le Protectorat. William Steele fut Recorder de Londres (juge en chef des procès criminels) en 1649-1655, et c’est à ce titre il condamna à mort le Duc d’Hamilton, commandant de la Engager Army royaliste. William Steele fut élu député de Londres à la Chambre des Communes du Premier Parlement du Protectorat en 1654 (siégea jusqu’en 55), nommé Chef-Baron (juge principal) de la Cour de l’Échiquier d’Angleterre et du Pays de Galles en 1655, puis choisi comme Chancelier d’Irlande en 1656-1659 (Bell, 130 ; Underdown, 305).

William Kiffin fut assurément le héraut réformé baptiste le plus important du XVIe siècle. Son rôle fut le plus crucial dans la genèse de cette dénomination. Il est le seul à avoir signé à la fois la Confession de foi réformée baptiste de 1644 et celle de 1689 en leurs années de publications respectives. En matière politique, Kiffin fut nommé Assesseur de la taxation au Middlesex par le Parlement en 1647. Il fut ensuite élu député du Middlesex au Second Parlement du Protectorat en 1656 (siégea jusqu’en 1658) sous le slogan « Noe Anabaptist » (!) — son opposant était le baptiste arminien & cinquième-monarchiste Edward Chillenden. Kiffin accepta un poste d’aumônier dans la milice londonienne en 1659.

À une occasion après la Restauration des Stuarts (après 1660), lorsque douze baptistes allaient être exécutés par le pouvoir anglico-catholique, l’influence politique de Kiffin était telle qu’il se rendit personnellement à la cour du roi Charles II et obtint immédiatement la libération des captifs. Il fut désigné Conseiller municipal de la Cité de Londres en 1687. À l’apogée de la Glorieuse Révolution de 1688, lorsque les puritains orchestrèrent le renversement du roi-tyran catholique Jacques II, c’est Kiffin qui fut mandaté par la communauté réformée baptiste pour présenter une adresse de bienvenue aux nouveaux monarques constitutionnels, Guillaume d’Orange et Marie II, (Bell, 130-132 ; Brown, 110 et 185), qui venaient de prêter le serment théonomique de maintenir « la religion protestante réformée établie en droit » (Berman, 378). Kiffin fut l’un des sept pasteurs qui envoyèrent la convocation à l’Assemblée générale de 1689.

Hanserd Knollys fut ordonné diacre anglican en 1629 puis presbyte l’année suivante. Il renonçât à l’anglicanisme en 1636 et rejoint les rangs puritains. Il se réfugia en Nouvelle-Angleterre en 1638 où un mandat d’arrêt royal le rattrapa et le fit brièvement emprisonner à Boston. Il réussit à s’échapper et oeuvra pendant trois ans dans une église à Dover au New Hampshire. Le puissant pasteur congrégationaliste américain John Cotton le décrivit respectueusement comme un « godly anabaptist ».

De retour en Angleterre, il devint aumônier dans les  troupes parlementaires vers 1641-43. Dans le contexte de l’intensification du conflit entre le camp royaliste et le camp puritain, Knollys, identifiant le camp royaliste à Babylone et le camp puritain à Sion, annonçât la chute du premier et l’élévation du second (Tuttle, 139). Toutefois, il mais quittât l’armée par mésentente avec des officiers presbytériens. Knollys dénonçait le Long Parlement, si bien qu’en 1644, des presbytériens le firent emprisonner irrégulièrement, mais il fut aisément acquitté. Knollys baptisât le pasteur Henry Jessey en 1645. Il fonda l’Église réformée baptiste de Great St. Helen à Londres vers 1645-46, où il exercera un ministère discontinu jusqu’à son décès en 1691. Knollys fut encore arrêté en 1648 et traduit en justice devant un  comité du Long Parlement qui, le jugeant irrépréhensible, l’exonéra et lui donna un sauf-conduit et une rémunération pour aller évangéliser avec William Kiffin à Ipswich dans le comté de Suffolk. En bons termes avec le gouvernement de Cromwell, Hanserd Knollys occupa ensuite le poste de douanier sous le Commonwealth, puis le poste de Clerk of the Check (auxiliaire du Secrétaire d’État) sous le Protectorat en 1653-55 (Newport, en ligne).

4. Le Barebones’s Parliament de Thomas Harrison : la « Cinquième monarchie » et la Réformation totale

La mouvance de la Fifth Monarchy, c’est-à-dire de la « Cinquième monarchie », adhérait à une position eschatologique pré-millénariste inspirée du Livre de Daniel selon laquelle quatre monarchies terrestres étaient déjà révolues — les monarchies babylonienne, médo-perse, hellénistique et romaine — et que Jésus allait venir établir un royaume de mille ans sur terre, la Cinquième monarchie, dans un avenir imminent. N’ayant pas vraiment de vision à long terme, les partisans de cette mouvance cherchaient moins à consolider les gains récents qu’à exiger le perfectionnement instantané de leur collectivité politique. Initialement, et aussi longtemps que la réformation avançait rapidement, c’est-à-dire pendant la Guerres civiles et le Commonwealth, les hommes de la Cinquième monarchie supportèrent Cromwell.

Les choses changèrent en 1653. Le Rump Parliament supprima la Commission pour la propagation de l’Évangile au Pays de Galles et tenta de faire un putsch en essayant de s’arroger à perpétuité les pleins pouvoirs civils et militaires (Martin, 132-137). Cela conduisit Oliver Cromwell à le dissoudre. Cromwell se laissa alors convaincre par un des dirigeants de la Cinquième monarchie, le major-général Thomas Harrison (lequel est usuellement qualifié de congrégationaliste ; il s’est fait rebaptiser, mais il n’est pas certain s’il le fit par conviction crédobaptiste ou par rejet du baptême anglican ; Bell, 201) de convoquer une législature spéciale qui incarnerait les espoirs de la Cinquième monarchie : le règne des saints assuré par un conseil de 140 sages (les 70 de Nombres 11:16 multiplié par deux — Harrison voulait implanter la loi hébraïque en Angleterre ; Graetz, 34). Or un autre major-général, John Lambert, qui n’adhérait pas à ce plan, participât au processus de nomination des députés, avec pour résultat que la députation du Barebone’s Parliament (ou Nominated Assembly) était répartie entre un bloc minoritaire d’une soixantaine de cinquièmes-monarchistes, assidus et déterminés, et d’un contingent majoritaire de modérés passablement indécis (Woolrych, 1965, 1495 ss).

Une des ambitions du Barebone’s Parliament était la réformation du droit. L’objectif final des cinquièmes-monarchistes était de codifier un corps de lois plus simples et équitables, ainsi que de doter l’Angleterre d’un système judiciaire plus efficace, impartial et beaucoup moins dispendieux. Les lois iniques et arbitraires, « directement, collatéralement ou obliquement répugnantes à la loi de Dieu » (dixit le grand juriste puritain anglais de la 1re moitié du XVIIe siècle, John Coke), devaient être remplacées par des lois plus justes modelées sur la loi hébraïque (Berman, p. 364). Un Comité des affaires juridiques fut créé à cette fin ; ses travaux reprirent ceux de la Commission Hale (dirigée par le grand juriste puritain anglais de la 2e moitié du XVIIe siècle, Matthew Hale) mandatée par le Rump Parliament en 1652. La tâche à accomplir était immense, et des progrès substantiels furent réalisés en peu de temps : des frais et des délais procéduraux furent abolis, une loi améliora les conditions de vie dans les prisons et permis aux prisonniers incarcérés pour dettes de travailler pour payer ces dettes, une autre vint en aide aux handicapés mentaux, et une loi fixa pour la première fois un âge minimal de mariage et édicta la nullité des mariages forcés des mineurs (Brown, 35 ; Coward, 12 ; Woolrych, 1982, 290-293).

Sans être certains si ce fut l’œuvre de la Commission Hale ou du Barebone’s (ou des deux), nous devons affirmer que « certaines règles de preuve susceptibles de préserver des droits individuels furent reconnus lors de la République de Cromwell. Les prisonniers cessèrent d’être torturés, les témoins furent interrogés contradictoirement et l’accusé obtint le droit de contre-interroger et de produire des témoins (Royer et Lavallée, # 32). » D’autres garanties procédurales des accusés consacrées par la Révolution puritaine (à laquelle les réformés baptistes furent partie prenante) incluent : le droit d’être assisté par un conseil, le privilège de non auto-incrimination, le droit de recevoir l’acte d’accusation et d’être informé des éléments de preuve à charge avant l’ouverture du procès, et le droit d’avoir un temps suffisant pour préparer sa défense (Berman, 475-480). « À partir des années 1640, tout l’esprit et le caractère des tribunaux criminels […] semblent s’être transformés par rapport à ce qu’ils avaient été au cours du siècle précédent, et ont adoptés les traits qui nous leur connaissons de nos jours (Berman, 476). »

La principale ligne de division dans le Barebone’s Parliament, qui vécut une-demi année, portait sur l’enjeu séparatisme versus non-séparatisme ecclésial. Les séparatistes voulaient supprimer le rôle de l’État dans la collecte & la distribution des dîmes ainsi que dans l’attribution des charges pastorales (sans pour autant séparer la religion des affaires civiques), tandis que les séparatistes voulaient maintenir une participation de l’État — si minime fut-elle — dans ces processus. Les hommes de la Cinquième monarchie étaient des séparatistes, les presbytériens étaient non-séparatistes, et les effectifs congrégationalistes étaient partagés entre ces deux tendances. Les réformés baptistes adhéraient par principe au séparatisme, mais plusieurs d’entre étaient favorables à une réforme du non-séparatisme afin que la transition au séparatisme se fasse avec un minimum de heurts (rappelons cette maxime : « la procédure est la servante du droit et non l’inverse »). Le prêcheur réformé baptiste Benjamin Coxe ne partageait pas cet étapisme pragmatique (Wright, en ligne).

Dans le Barebone’s Parliament, les députés déférèrent préliminairement la question ecclésiale à un Comité des dîmes qui déposât un rapport (s’inspirant de la proposition de John Owen, voir supra) suggérant un compromis consistant en une restructuration décentralisatrice et plus permissive du régime non-séparatiste : éjection des ministres ignares par une commission centrale spécialisée, sélection des nouveaux ministres par des comités locaux, maintient de la dîme compulsive mais introduction d’une possibilité d’exemption pour les dissidents, obligation pour tous les habitants de fréquenter une église faisant partie du système mais possibilité de s’enregistrer auprès d’une église dissidente. Les députés non-séparatistes échouèrent par seulement quelques votes à faire adopter cette loi. De leur côté, les députés de la Cinquième monarchie échouèrent par deux votes à faire adopter une loi catégoriquement séparatiste (Collins, 24-26 ; Brown, 41-42).

Même si les travaux du Barebones’s Parliament avançaient bon train sur plusieurs dossiers, un compromis s’avérait impossible sur l’enjeu considéré le plus crucial, vouant la situation ecclésiale au statu quo, ce qui irritait toutes les factions. C’est dans cette conjoncture que le major-général John Lambert, qui siégeait dans ce Parlement mais qui y avait été opposé dès le départ, coordinat un coup avec la députation modérée. Jusqu’ici, la meilleure discipline des cinquièmes-monarchistes avait compensé pour leur infériorité numérique. Mais le matin du 12 décembre 1653, une quarantaine de députés modérés se rendirent plus tôt que d’habitude dans la Chambre et, avec la complicité de l’Orateur, ils décidèrent de dissoudre le Barebone’s Parliament. Rejoints par une quarantaine d’autres députés modérés (formant en tout une majorité parlementaire), ils remirent leur pouvoir à Cromwell, qui fit expulser les députés opposés à cette manœuvre, dont Samuel Moyer, le dirigeant des cinquièmes-monarchistes en Chambre qui s’était agrippé au siège de l’Orateur. Cromwell était sûrement satisfait de cette tournure d’événements car le Barebone’s faisait éterniser la guerre avec les Pays-Bas protestants plutôt qu’utiliser les ressources des Trois Nations pour lancer une croisade contre l’Empire espagnol catholique (Farnell, 45 ; Coward, 13).

5. Les réformés baptistes hostiles au Protectorat : les théonomistes qui voulaient hâter l’Eschaton

Les hommes de la Cinquième monarchie — congrégationalistes comme réformés baptistes — furent scandalisés par la dissolution du Barebones’s Parliament. Ils révisèrent dès lors leur allégeance et commencèrent à militer contre Cromwell.

Ainsi, le colonel Paul Hobson, signataire de la Confession de 1644 à titre de pasteur de l’Église réformée baptiste de Crutched Fryars vers 1639-1646, servit sous les ordres de Cromwell pendant les Guerres civiles, mais se consacra à lutter contre le Protectorat à partir de 1653. Hobson était tellement excessif qu’il finit par « ne pas être bienvenu dans aucune église baptiste » (Essick, 308) ! Son copasteur Thomas Goere ou Gower, également officier dans la New Model Army, a visiblement partagé le même itinéraire politique.

Similairement, l’ex-juge régicide John Carew, député réformé baptiste du comté de Devon (sud-ouest) au Barebone’s Parliament, fit campagne contre Cromwell à partir de 1654. L’adjudant-général William Allen, le capitaine John Vernon, l’aumônier militaire Thomas Collier, qui prononça un prêche détonnant aux Quartiers-Généraux de Putney, ainsi que John Pendarves, aumônier militaire en 1642-1650 puis pasteur de l’église réformée baptistes d’Abington-on-Thames dans le comté de Berkshire en 1650-1656, se prononcèrent aussi contre le Protectorat.

Qu’est-ce qui nous permet d’affirmer que les hommes de la Cinquième monarchie réformés baptistes étaient théonomistes ? En 1659, les assemblées réformées baptistes dont le pastorat et/ou la membriété adhérait à cette mouvance souscrivirent à trois documents théonomistes. Dans An Essay Towards Settlement upon a Sure Foundation, signé par Thomas Collier, John Vernon et William Allen, il est prôné que le règne imminent de Christ doit être inauguré par la réformation et codification du droit (reprenant le programme du Barebone’s Parliament) et que seuls les hommes bibliquement pieux doivent être autorisés à exercer l’office de magistrat (Mayers, 65).

Dans A Testimony to Truth Agreeing with an Essay for Settlement (1659), qui est pratiquement une réimpression du document précédent, signé par les représentant des congrégations réformées baptistes des localités d’Abington, de Wantage, d’Oxford, de Longworth et de Faringdon, il est de surcroît affirmé que « Sous Christ et ses ministres [de l’Évangile], un certain nombre d’hommes, qualifiés et limités par sa Parole [de Christ], doivent être mis à part pour l’office de gouvernement de ces [Trois] Nations en tant que parties du Royaume universel de Christ » (White, 1974, 267-268). Autrement dit, les magistrats ne peuvent agir qu’à condition d’y être habilités par la Bible, laquelle doit façonner le droit, et l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande sont subordonnés — mais en quelque sorte intégrées — dans le Royaume de Dieu. C’est là la définition même de la théonomie appliquée dans ce contexte particulier !

Dans Towards a Righteous Settlement (1659), des congrégations réformées baptistes (et peut-être aussi baptistes générales) des comtés de Berkshire, Oxfordshire, Devon, Cornouaille, Leicestershire, Nottinghamshire, Rutland, Derbyshire, Salop et Warwickshire endossèrent les principes théonomistes des deux documents précédents (Mayers, 65).

6. Réitération de la théonomie par les dirigeants réformés baptistes au crépuscule de la Révolution anglaise

Oliver Cromwell ayant rejoint notre Créateur en septembre 1658, son fils Richard Cromwell lui succédât immédiatement et il convoqua le Troisième Parlement du Protectorat en décembre 1658.  Un bras de fer s’engagea alors entre les partisans du Protectorat — majoritaire au Parlement — et les partisans du Commonwealth — majoritaire dans la New Model Army. Le Parlement tenta de supprimer l’armée. Le major-général Charles Fleetwood et le Conseil des officiers répliquèrent en dissolvant ce Parlement en avril 1659, en rappelant le Rump Parliament (dissous en 1653) et en dissolvant le Protectorat en mai 1659. Or ce second Rump s’engagea à son tour dans un bras de fer avec l’armée. Cela poussa le major-général John Lamberth à mettre en place un blocus militaire autour du Parlement.

Dans ce contexte d’instabilité politique, plusieurs dirigeants baptistes — surtout des calvinistes mais aussi quelques arminiens — publièrent un manifeste commun intitulé Declaration of Several People Called Anabaptists in and about the City of London (1659), qui est sans équivoque théonomiste :

[…] Entendu que nous sommes de plus accusés de promouvoir la tolérance universelle de tous les errements [miscarriages], tant dans les choses civiles que religieuses, sous prétexte de liberté de conscience, cela est notoirement faux : nous déclarons devant Dieu qui nous jugera promptement à notre mort, oui, devant les anges et les hommes, notre détestation absolue d’une telle tolérance, car dans les choses civiles, nous ne désirons pas qu’il y ait la moindre tolérance des errements de quiconque, encore moins parmi nous-mêmes.

Nous ne désirons pas non plus, en matière religieuse, que le papisme soit toléré, le sang de milliers [de martyrs] du peuple de Dieu ayant été versé avec barbarie par les professants d’icelui ; ni que soient tolérées les personnes qui adorent un faux dieu ; ni celles qui parlent dédaigneusement et de manière reprochable de notre Seigneur Jésus-Christ ; ni celles qui nient que les Saintes Écritures, contenues dans les Ancien et Nouveau Testaments, sont la Parole de Dieu.

Toutefois, nous ne sommes pas contre tolérer l’épiscopalisme, le presbytérianisme, ou une variante dérivée, à condition qu’ils ne contraignent pas les autres à se conformer à eux : car n’importe quel compositeur d’une forme spécifique de culte peut possiblement errer ; il est dérogatoire à Dieu et sa Sainte Parole, et injurieux aux hommes, de contraindre quiconque à une pratique particulière. […]

Autrement dit, ces baptistes affirmèrent que la véritable liberté est la liberté chrétienne, et que la liberté chrétienne est la liberté d’être protestant. Qui parmi les réformés baptistes publia ce texte anonyme ? L’identification des auteurs — du moins de certains d’entre eux — peut être établie par prépondérance de probabilités. Les réformés baptistes Jonathan Spilsbury, William Kiffin, Christopher Blackwood (voir sa biographie infra) et Thomas Cooper ainsi que les dirigeants baptistes généraux Thomas Lambe et Henry Deene ratifièrent cette Déclaration de 1659 dans leur Humble Apology of some Commonly Called Anabaptists (1661) où ils endossèrent et réutilisèrent la Déclaration théonomiste de 1659 (Essick, 59 et 197 ; Bell, 198-199).

Lorsque Kiffin et Knollys avaient publiés la Declaration by Several Congregational Societies en 1647, ils l’avaient fait anonymement, et ce n’est qu’en 1651, par l’entremise de la Declaration of Divers Elders and Brethen que l’on appris qu’ils comptaient parmi les auteurs du précédent texte de 1647. Publier anonymement un texte vigoureux à un moment de crise politique puis ensuite l’endosser publiquement par la publication d’un second texte lorsque la crise semblait s’être dissipée était donc une pratique utilisée par ces dirigeants réformés baptistes. L’endossement de la Déclaration de 1659 via la Humble Apology de 1661 par Kiffin & compagnie se situait donc en droite ligne de la pratique adoptée par ces mêmes dirigeants réformés baptistes dans des circonstances similaires lors de la décennie précédente (Bell, 111-112).

Signalons que plusieurs intervenants piétistes réagirent négativement à la Déclaration théonomiste de 1659. Le premier d’entre eux fut le quaker Richard Hubberthorn. À sa suite, l’éditorial Declaration of Several Baptist Belivers, comptant nettement moins de signataires et aucun signataire d’envergure, continua la dissonance. Toujours dans cet esprit hétérodoxe, une église arminienne publia sa Declaration of Some of Those in or Near London Called Anabaptists où elle affirmait que les chrétiens ne peuvent jamais prononcer de serments (ce qui revient à dire qu’ils ne peuvent jamais contracter) et ne peuvent jamais servir comme officiers civils (ce qui est une excellente recette pour l’anarchie). Le seul baptiste jouissant d’une quelconque reconnaissance à critiquer ouvertement la Déclaration théonomiste de 1659 fut le meneur arminien John Griffith (Brown, 8 ; Bell, 199-201).

Il est donc solidement établit et démontré que le baptisme réformé de première génération était unanimement d’obédience théonomiste, que ce soit dans sa variante gradualiste (qu’on pourrait aussi appeler « owenienne » ou « cromwellienne ») ou bien dans  sa variante de la Cinquième monarchie. La théonomie est donc un élément constitutif essentiel de l’orthodoxie réformée baptiste.

7. Cas particuliers de Christopher Feake et de Christopher Blackwood

Il convient de faire le point sur deux individus réformés baptistes de première génération supplémentaires. Le premier de ceux-ci, Christopher Feake, était un curieux prêcheur à All Saints à Hertford au nord de Londres puis à St Ann Blackfriars à Londres. En 1654, le poète Andrew Marvel lui dédia le couplet Mahomet de son célèbre poème First Anniversary — une allusion sarcastique à sa prétendue tolérance de l’anti-trinitarisme (Connell, 584). Il n’est pas clair si ce libertarianisme religieux était avéré chez Feake, mais s’il l’était, alors il était certainement inconséquent. Prophétisant la chute de tous les gouvernements, il insistait sur celui de Hollande pour sa tolérance criminelle de l’arminianisme. Il faisait chanter par ses congrégants un hymne célébrant la destruction totale et imminente des « provinces belgiques » (Pays-Bas) à cause du matérialisme et du mercantilisme de ses habitants. Ses sermons prônaient de la conquête armée de la France, de l’Espagne et de Rome en vue du retour de Christ (Woolrych, 1982, 286-287 ; Ball, en ligne). Feake ne peut donc pas être compté au nombre des piétistes ultra-tolérants.

Le deuxième de ces personnages, Christopher Blackwood, fut ordonné prêtre anglican en 1628. Il officie d’abord dans les comtés du Kent et du Sussex. Se rapprochant des puritains, il émigre dans la colonie de New Plymouth où il est pasteur à Scituate en 1640-42. Il résigne à l’anglicanisme en devenant crédobaptiste en 1644 puis subséquemment calviniste. En 1652, grâce au colonel réformé baptiste Daniel Axtell, Gouverneur de Kilkenny en Irlande méridionale, Blackwood obtient un poste de pasteur dans cette ville. En 1655-60, Blackwood remplace Thomas Patient comme prédicateur en la Christ Church Cathedral et l’Église réformée baptiste de Swift’s Alley à Dublin. Surnommé l’« oracle des anabaptistes [sic] en Irlande », Christopher Blackwood est aujourd’hui vanté pour ses prises de positions contre « la compulsion en matière de conscience ». Cela veut-il dire qu’il rejetait la théonomie ? En vertu de ce qui précède, la réponse est négative. En toute vraisemblance, par ses dénonciations de la « compulsion de conscience », Blackwood critiquait d’abord et avant tout les baptêmes involontaires. Ce qui motive cette conclusion, c’est que Blackwood entretenait d’excellents rapports avec des théonomistes reconnus. Non seulement signa-t-il la pétition de loyauté envoyée au Protecteur par Thomas Patient en 1657, mais il dédia plusieurs de ses ouvrages de théologie à Charles Fleetwood (le gendre de Cromwell) et son épouse Lady Bridget (la fille de Cromwell) en 1654 et 1659. À titre de Gouverneur d’Irlande, Fleetwood avait réprimé le catholicisme, et par la suite, dans la cadre du règne des Majors-Généraux, Fleetwood avait imposé la moralité publique dans les comtés de Norfolk, Suffolk et Essex. Christopher Blackwood admirait donc un magistrat théonomiste (Greaves, en ligne).

8. Continuité théonomiste chez les réformés baptistes jusqu’au XIXsiècle

Comme nous l’avons vu, la première génération de réformés baptistes était théonomiste, en paroles comme en actions. Les générations suivantes devinrent-elles entièrement piétistes & antinomiennes ? Il faut reconnaître que le piétisme s’est propagé chez les réformés baptistes à partir de la deuxième génération. Nous l’observons chez les deux coapteurs de l’Église réformée baptiste de Petty France à Londres, William Collins et Nehemia Coxe, qui concoctèrent une nouvelle confession de foi baptiste en 1677 (qui sera republiée en 1689). Des 160 paragraphes de cette nouvelle confession, 146 sont directement dérivés de la Déclaration de Savoie congrégationaliste de 1658, huit sont dérivés de la Confession de foi réformée baptiste de 1644 et six viennent de la plume de Collins et de Coxe.

Il est intéressant qu’au chapitre 24 de la Confession de 1677, Collins et Coxe reproduisirent les articles 1 et 2 du chapitre 24 de la Savoie, qui sont implicitement théonomistes, mais ils ne reproduisirent pas l’article 3 de la Savoie, qui est explicitement théonomiste, et le remplacèrent par des clauses plus diplomatiques tirées des articles 48 et 52 de la Confession de foi réformée baptiste de 1644. Or comme nous l’avons amplement démontrés, les fondateurs du baptisme réformé étaient ouvertement théonomistes, la 1644 n’exprime donc pas pleinement l’orthodoxie réformée baptiste en matière de gouvernement civil.

Quoi qu’il en soit, même si l’article 24:3 de la Confession de 1677 est incomplet comparé à l’article 24:3 de la Déclaration de Savoie, ce qu’affirme l’article 24:3 de la Confession de 1677 est néanmoins véridique, et c’est pourquoi les réformés baptistes théonomistes pouvaient y agréer comme ils agréaient déjà à la Confession de foi réformée baptiste de 1644, sans pour autant que ces deux confessions ne contiennent la totalité de leur théologie politique (qu’ils exprimèrent dans d’autres écrits).

Le choix d’écarter le théonomisme explicite de la Déclaration de Savoie dans la Confession de 1677 n’est donc pas sans aucune signification, mais ce choix n’engage que Willam Collins et Nehemiah Coxe. Il est clair que ce non-théonomisme ne faisait pas l’unanimité en 1677. William Kiffin ne partageait pas la théologie politique de Collins et de Coxe en 1687 (Dowley, 236). D’autre part, le pasteur réformé baptiste Benjamin Keach, signataire de la Confession de 1677, prônait la tolérance civile de l’hérésie, mais prônait simultanément la répression civile (par la peine capitale) du blasphème (Keach, 30 et 787).

Le rejet de la théonomie par les pasteurs de deuxième génération Collins et Coxe n’est en rien caractéristique de l’ensemble de la dénomination réformée baptiste, mais est symptomatique du libéralisme théologique qui se propageait à partir de seconde moitié du XVIIe siècle (pensons au Half-Way Covenant de Nouvelle-Angleterre). Or ce piétisme & antinomisme n’a pas pénétré toute la dénomination réformée baptiste. L’exemple du révérend John Gill (ministre pendant 51 ans de 1720 à 1771 à Londres) illustre la continuité théonomique parmi les réformés baptistes orthodoxes au XVIIIe siècle. Voici un plaidoyer théonomiste signé par Gill dans son maître-ouvrage A Body of Doctrinal Divinity :

Nous pouvons nous enquérir si les lois judiciaires, c’est-à-dire les lois concernant le régime politique juif, sont actuellement en force ou pas, et à être observées ou pas ; ce qui peut être résolu en distinguant entre elles ; il y en avait qui étaient particulières à l’état des Juifs, à leur continuité dans le pays de Canaan. […]

Mais il y a les autres lois judiciaires, qui furent fondées sur la lumière de la nature, sur la raison, et sur la justice et l’équité, et celles-ci demeurent pleinement en force ; et elles doivent êtres des lois sages et vertueuses, celles qui furent faites par Dieu lui-même, le Roi et Législateur, telles qu’il est dit qu’elles sont en Deutéronome 4:6-8.

Ils sont, certainement, les gouvernements les mieux constitués et régulés ceux qui se rapprochent le plus du Commonwealth d’Israël et de ses lois civiles, qui sont du type précédemment décrit ; et où elles sont appliquées, que ce qui est dit par la Sagesse est réellement vérifié : « Par moi les rois règnent, et les princes décrètent des jugements » ; et si ces lois étaient plus strictement obéies, la punition des offenses, spécialement les offenses capitales, les choses seraient sur un meilleur pied qu’elles le sont dans certains gouvernements ; et les juges, en passant leurs sentences, seraient capables de remplir cette partie de leur office avec plus de certitude et de sûreté, et avec une meilleure conscience.

Étant donné que le Commonwealth d’Israël fut gouverné par ces lois pour plusieurs centaines d’années, et n’en nécessitait aucune autre dans son régime politique ; même en ce temps, chaque cas qui surgissait ordinairement devait être mené devant une cour juridique. Je ne peux pas ne pas être de l’opinion qu’un digeste [recueil méthodique de droit] de lois civiles pourrait être fait à partir de la Bible, la Loi du Seigneur qui est parfaite, soit en transposant expressément les mots, ou en déduisant par analogie des choses et des cas et, par juste conséquence, cela serait suffisant pour le gouvernement de toute nation, et ainsi il n’y aurait pas de besoin pour autant de livres de droit, ni autant d’avocats, et peut-être qu’il y aurait moins de poursuites judiciaires (Gill, 367-368).

Cet héritage théonomiste est aussi évidente chez le successeur de John Gill, le fameux révérend Charles Haddon Spurgeon qui fut ministre pendant 38 ans — de 1853 à 1891 — au Metropolitan Tabernacle de Londres, la plus importante assemblée réformée baptiste au Royaume-Uni. Charles Spurgeon affirma, en commentant les écrits du juriste réformé écossais Samuel Rutherford (1600-1661) — auteur du traité de droit constitutionnel Lex Rex (« la loi est le roi », plutôt que « le roi est la loi »), un ouvrage absolument théonomiste publié en 1644 — qu’il s’agit là « des écrits qui se rapprochent le plus de l’inspiration [divine] qu’il soit possible de trouver parmi tous les écrits des simples hommes » (Coffey, 6).

Selon Spurgeon, les offices civils ne doivent pas être conférés aux non-chrétiens. Ainsi s’exprimait-il en 1880 :

Je ne devrais pas permettre à un mormon d’être juge dans une cour de divorce, ni à un quaker d’être commissaire des serments, ni à un athée d’être chapelain à la Chambre des Communes et, pour la même raison, à un catholique romain, qui a juré allégeance au pape, d’être vice-roi de l’Inde (Spurgeon, 126).

La théonomie de Spurgeon est irréconciliable avec l’individualisme inhérent au piétisme :

Les péchés nationaux exigent des châtiments nationaux. Que chaque chrétien s’efforce d’enlever les péchés de sa nation de son propre vêtement, et œuvre et fasse tout son possible pour purifier cette terre de sang et d’oppression (citation reproduite sur le mur Facebook d’American Vision, 7 février 2015).

La théonomie de Spurgeon était combinée à une conviction postmillénariste, un autre incontournable de l’orthodoxie réformée :

J’ai hâte au jour où les préceptes de la religion chrétienne seront la règle parmi toutes les classes des hommes et toutes les transactions. J’entends souvent dire “n’amenez pas la religion dans la politique”. Or c’est précisément là où il faut l’apporter et la mettre devant la face de tous les hommes, comme une chandelle. Je veux que le Cabinet et les membres du Parlement fassent l’œuvre de la nation devant le Seigneur (Booth, 259).

Il serait aisé de démontrer qu’au présent rythme de progrès, les royaumes de ce monde ne deviendront jamais des royaumes de notre Seigneur et de son Christ [Apocalypse 11:15]. En effet, plusieurs croyants dans l’Église abandonnent cette idée [de la royauté terrestre de Christ], excepté en ce qui concerne la seconde venue de Christ. Étant donné que cela [l’idée de la non-royauté terrestre de Christ] nous conforte dans notre paresse, [cette idée] va vraisemblablement devenir une doctrine populaire. Personnellement, je crois que le Roi Jésus va régner et que les idoles seront totalement abolies [à l’Eschaton], mais je m’attends à ce que la même puissance qui a jadis “tourné le monde à l’envers” [Actes 17:6] continuera de le faire. Le Saint-Esprit ne souffrira jamais que son nom sacré supporte l’affirmation qu’il n’était pas capable de convertir le monde » (Hodge, 132).

PAX QUÆRITUR BELLO.

Bibliographie

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COFFEY, John, Politics, Religion and the British Revolutions : The Mind of Samuel Rutherford, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, 304 p. Coffey cite The Sword and the Trowel (la revue mensuelle de Spurgeon), juin 1891.

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WHITE, Barrington, « Henry Jessey : A Pastor in Politics », The Baptist Quarterly, volume 25, numéro 3, 1973, p. 98-110.

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Pièce de monnaie à l’effigie de Théodose II tenant un étendard et une orbe

Le Codex Theodosianus (Code Théodosien) est un recueil de trois mille lois romaines compilées par les juristes des écoles de droit de Constantinople et de Beyrouth puis promulgué par l’empereur chrétien Théodose II. Ses lois couvrent du règne de Constantin Ier (à partir de 312) jusqu’à l’année de sa publication, 438. Ces lois ayant été émises par plusieurs législateurs, ce code contient quelques contradictions et de nombreuses répétitions. Il est composé de seize volumes. Les lois relatives aux affaires religieuses figurent dans le seizième volume, lui-même subdivisé en onze chapitres comprenant 176 lois, comme suit :

  1. Mesures diverses (4 lois).
  2. Les affaires ecclésiastiques ; essentiellement : les privilèges fiscaux des églises et des dispositions connexes (27 lois).
  3. Les moines (2 lois).
  4. Les controverses religieuses ; essentiellement : les deux exils de Jean Chrysostome par l’impératrice arienne Eudoxie (6 lois).
  5. Les hérétiques (ariens, marcionistes, montanistes, manichéens, eunomiens, etc.) et les schismatiques (donatistes, novatiens) … (66 lois) ; essentiellement : sanctions portées contre eux.
  6. Interdiction du rebaptême (6 lois) ; cela visait les donatistes du Maghreb qui repabtisaient des chrétiens trinitaires sans raisons valables, mais ces lois ne peuvent pas êtres retenues par les crédobaptistes d’aujourd’hui.
  7. Les apostats ; essentiellement : limitations de leurs droits successoraux (7 lois).
  8. Modalités de la cohabitation entre les chrétiens et les juifs (29 lois).
  9. Restrictions sur l’esclavage des chrétiens par les juifs (5 lois).
  10. Les païens, les sacrifices et les temples polythéistes (25 lois).
  11. Mesures diverses (3 lois).

Certaines de ces lois peuvent volontiers être qualifiées de « césaropapistes », par exemple celles empêchant les citoyens nantis d’accéder au pastorat parce que l’État tient à ce qu’ils soient mobilisables pour le service civique. Cependant, ce serait une erreur de balayer ce code du revers de la main comme s’il était entièrement mauvais. Le Codex Theodosianus a constitué, malgré ses limites évidentes, une pièce essentielle dans l’édification de notre civilisation chrétienne. D’ailleurs, cet ouvrage fondamental – et le droit byzantin en général – est plus pondéré que ce que certains critiques ont prétendus.

Vue plongeante sur Constantinople avec la basilique Hagia Sophia en arrière-plan – Cliquez pour élargir

Ce code a le mérite de distinguer entre les domaines ecclésiaux et civils (ce qui n’était pas le cas du droit romain pré-byzantin) : « Il n’est pas juste, en effet, que les ministres du service divin soient livrés à la décision des pouvoirs temporels » (Cod. Th. 16:2:47). Dans cette veine, le Codex Theodosianus stipule qu’en ce qui concerne les non-clercs, les causes religieuses doivent être gérées par les cours ecclésiastiques et les autres causes doivent être gérées par les tribunaux publics (Cod. Th. 16:11:1). Toutefois, ce code établit que les litiges civiles impliquant des clercs doivent êtres jugés par les cours ecclésiastiques, tout en maintenant que les litiges relevant du droit criminel et impliquant des clercs doivent être jugés par les tribunaux publics lorsque accusés au criminel (Cod. Th. 16:2:23). Ce traitement préférentiel des clercs en matière civile fut également la politique d’Arcadius et d’Honorius en 398 (Cod. Just. 1:4:7) et fut maintenu par l’empereur Valentinien III en 452 (Novelle 35).

Constantinople au XVe siècle – Cliquez pour élargir – Voyez aussi ce vidéo de reconstitution scientifique de la cité

Le Code Théodosien contient de multiples dispositions théonomiques conformes à la Bible ; en voici un échantillon…

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Les clercs doivent restés mariés

« Une chaste affection exhorte à ne pas abandonner celles qui, avant le sacerdoce de leurs époux, leur avaient été unies en mariage légitime. En effet, il n’est nullement déplacé de voir unies aux clercs celles qui, en partageant leurs vies, les ont rendus dignes du sacerdoce. » (Cod. Th. 16:2:44, 8 mai 420)

Protection des églises contre la violence

« Si quelqu’un se précipitait dans ce genre de sacrilège, à savoir que, faisant irruption dans les églises universelles [chrétiennes orthodoxes], ils se rendent coupables de violence envers les clercs et les ministres, voir envers le culte lui-même ou les bâtiments […] ces violences […] doivent être punies d’une sentence capitale contre les coupables convaincus. » (Cod. Th. 16:2:31, 15 janvier 409)

Une magistrature extraordinaire accordée à tous les citoyens chrétiens

« Qu’il soit non seulement libre mais de plus louable à chacun de poursuivre les atroces violences contre les clercs et les ministres comme des crimes d’État et de donner le châtiment à de tels crimes. » (Cod. Th. 16:2:31, 15 janvier 409)

La magistrature ordinaire réservée aux chrétiens trinitaires

 « Nous interdisons à ceux qui sont les ennemis des de la faction universelle [chrétiens orthodoxes] de servir dans la militia [fonctionnaires du palais, de l’armée et des bureaux publics] afin que personne en désaccord avec nous sur la foi et la religion ne nous soit associé. » (Cod. Th. 16:5:42, 14 novembre 408)

« Ceux qui sont souillés par l’erreur impie ou par le crime du rite païen, c’est-à-dire les gentils, ne peuvent être admis dans la militia ni décorés des charges d’administrateur et de gouverneur. » (Cod. Th. 16:10:21, 7 décembre 415)

« Quelques hérétiques osent servir soit dans les bureaux, soit parmi les agents de mission, soit parmi les palatins, au mépris de nos lois. Tous ceux que tu arrêteras comme complices de cette faute, tu ordonneras que, avec ceux qu’ils auront aidé par leur connivence à détruire nos lois et les pratiques de la religion, ils soient non seulement chassés de la milita, mais encore expulsés hors des murs de cette ville [Constantinople]. » (Cod. Th. 16:5:29, 24 novembre 395)

Protection de l’harmonie spirituelle dans la cité

« Il mérite la déportation celui qui, ni avertit par la loi générale, ni corrigé par la sentence appropriée, trouble la foi universelle [chrétienne orthodoxe] et le peuple. » (Cod. Th. 16:4:3, 7 décembre 415)

Protection de la doctrine biblique proclamée à Nicée

« Que l’on empêche la foule hérétique de tenir ses assemblées illicites. Que le nom de Dieu, Un et Très Haut, soit partout célébré ; que la foi de Nicée, transmise depuis longtemps par nos aïeux et confirmée par le témoignage et l’affirmation de la religion divine, soit toujours tenue dans une perpétuelle observance. » (Cod. Th. 16:5:6, 10 janvier 381)

Interdiction des attroupements des ariens et ultra-ariens

« Nous ordonnons que personne parmi les eunomiens ou les ariens […] n’ait la permission de construire des églises tant en ville que dans la campagne. Si d’aventure l’un d’eux avait la présomption de le faire, que la maison elle-même où aurait été construit ce qu’il est défendu de construire, ainsi que le domaine ou la propriété privée où elle se trouve soient immédiatement revendiqués au bénéfice de notre Fisc. » (Cod. Th. 16:5:8, 19 juillet 381)

« Il est interdit à tous ceux, quels qu’ils soient, que tourmente l’erreur des différentes hérésies […] de rassembler la foule, d’attirer à eux la population […] de faire quoi que ce soit, en public ou en privé, qui puisse porter atteinte à la sainteté universelle [chrétienne orthodoxe]. Mais s’il apparaissait que l’un d’eux outrepasse ces interdictions si claires […] qu’ils soient bannis de la société des gens de bien. » (Cod. Th. 16:5:11, 25 juillet 383)

Illégalité du paganisme

« Nous ordonnons de soumettre à la peine capitale les individus convaincus de s’être consacrés aux sacrifices ou d’avoir honorés les statues. » (Cod. Th. 16:10:6, 19 février 356)

Expulsion des astrologues

 « Nous ordonnons que […] les astrologues et toute secte ennemie des universels [chrétiens trinitaires] soient chassés loin de la vue même de Rome et des autres cités pour qu’elles ne soient pas souillées par la contagion due à la présence de ces criminels. » (Cod. Th. 16:5:6, 17 juillet 425)

Prohibition des chevelures extravagantes

« Que les femmes qui se seraient coupés les cheveux, contre les lois divines [1 Corinthiens 11:5] et humaines, poussées par une conviction affichée, soient écartés des portes de l’Église. Qu’il ne leur soit point permis d’accéder au mystère sacré […] Si un évêque a permis à une femme au crâne tondu d’entrer [dans une église], qu’il soit chassé de son siège et écarté avec les compagnies de ce genre […] Cela, sans aucun doute, fera loi pour ceux à corriger [et] coutume pour les corrigés. » (Cod. Th. 16:2:27, 21 juin 390)

Source des citations : Collectif, Les lois religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose II, Tome I : Code Théodosien XVI, Paris, Éditions du Cerf, 2005, 533 pages.

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Beaucoup de matériel du Codex Theodosianus sera repris au siècle suivant par les jurisconsultes byzantins sous l’empereur Justinien Ier dans une monumentale œuvre légale, le Corpus Iuris Civilis, dont le noyau — appelé Codex Justinianus — publié en l’an 529, « contient quatre mille sept cents articles, [est] divisés en douze livres [et] est le fondement du droit civil moderne » (source). Mais ce droit byzantin n’est-t-il pas que du droit romain récupéré ? Des spécialistes soutiennent plutôt l’inverse : « Le droit romain est finalement plus byzantin que romain ! […] Ce n’est pas le moindre mérite de Byzance d’avoir su distinguer le juridique du judiciaire. Un juriste glose les textes fondateurs du droit ; un juge a pour mission non de les appliquer brutalement, mais de s’en inspirer pour régler un cas individuel. Cette large vue panoramique des horizons du droit est quelque chose d’entièrement neuf, de très byzantin » (source).

Juristes dans un manuscrit enluminé du Corpus Iuris Civilis, vers 1330, Université de Bologne – Cliquez pour élargir

Pendant ce temps en Occident, le roi des Wisigoths, Alaric II promulgue en 507 un condensé de droit romain rédigé par des juristes de l’élite gallo-romaine, le Bréviaire d’Alaric. Ce code en plusieurs volumes regroupe une sélection rubriquée et commentée d’actes du Codex Theodosianus, des Novelles post-théodosiennes et du matériel tiré d’autres recueils de droit romain plus anciens (Codex Gregorianus et Hermogenianus, extraits des manuels de Gaïus, Paulus et Papinien). Ce nouveau corpus est émis comme l’unique code de droit ayant force de loi dans les territoires wisigoths, soit dans la majeure partie de l’Hispanie et à l’Aquitaine (correspondant alors à l’espace entre la Loire et le Rhône).

Bien que les Wisigoths fussent rapidement refoulés en Septimanie et au-delà des Pyrénées par les Francs Saliens de Clovis Ier, celui-ci reconnut le Bréviaire d’Alaric comme droit du Regnum Francorum au concile d’Orléans en 511, parallèlement à la Loi salique. Les Francs l’introduisirent en Burgondie après l’avoir conquise en 534. Le Bréviaire d’Alaric « a été appliqué sans arrêt pendant tout le Haut Moyen Âge » (cf. p. 26) ! La vigueur séculaire de ce Bréviaire est entre autre attesté, respectivement, dans les régions où il avait été reçu par les Burgondes (nombreux manuscrits dans les bibliothèques du Lyonnais et de Bourgogne) et chez les Mérovingiens (le Praeceptum du roi Clotaire Ier, édicté entre 558 et 561, paraphrase cet abrégé). En Hispanie wisigothique, l’influence du Bréviaire est attestée dans le droit lusitanien.

Le Bréviaire d’Alaric reprend la politique théodosienne selon laquelle « toutes les affaires religieuses, théologiques ou disciplinaires devaient être traitées lors des synodes diocésains. En revanche, le juge civil n’était saisi que pour les affaires criminelles » (cf. p. 67). Le Bréviaire maintient aussi la politique de jugement par les pairs pour les causes civiles non-criminelles lorsque des clercs sont mis en accusation.

Puisque l’arien Alaric II cherchait en fin de règne la concorde entre les ariens et les chrétiens (qu’il avait auparavant persécutés), les juristes gallo-romains supprimèrent les articles anti-ariens (cf. p. 66) ; ils retinrent cependant les articles selon lesquels « l’apostasie avec retour au paganisme et l’entrée chez les manichéens ou dans le judaïsme étaient rigoureusement interdit » (cf. p. 69). Aux VIIIe et IXe siècles, « la loi romaine est abondamment copiée dans les scriptoria carolingiens, essentiellement sous la forme du Bréviaire d’Alaric (Lex Romana Visigothorum) dont un exemplaire devait se trouver dans toutes les bibliothèques ecclésiastiques et figurait même parmi les livres de certains laïcs » (cf. p. 279-280). « Jusque vers l’an 900, il reste utilisé par la plupart des juges actifs sur le territoire français » (Bruno Dumézil, Des Gaulois aux Carolingiens, p. 41). Au Xe siècle le Bréviaire est toujours utilisé en Auvergne.

Puis, au XIIe siècle, le scolasticien et canoniste Gratien explique dans son Decretum que les clercs comme les non-clercs doivent être jugés par des cours ecclésiastiques si leur faute alléguée est de nature religieuse et par des tribunaux publics si leur faute alléguée est d’autre nature (consultez le 3ème chapitre de ce livre). Plus tard, pendant la Réformation calviniste, nous comprîmes que les crimes ont souvent une nature simultanément religieuse et civique (puisque dans les deux cas il est question d’éthique), que même si les juridictions de l’Église et de l’État sont distinctes il y a un chevauchement entre elles, et conséquemment que ces offenses appellent une double rétribution (cf. l’Écosse presbytérienne  ou le Béarn réformé).

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Pierre Jurieu (1637-1713), petit-fils de Pierre Du Moulin (premier pasteur du Temple de Charenton), fut professeur de théologie et d’hébreu à l’Académie réformée de Sedan de 1673 à 1681. Après que les répressions dioclétiennes du « Roi-Soleil » le forcèrent à se réfugier aux Pays-Bas calvinistes, il occupa les fonctions de ministre de l’Église huguenote de Rotterdam (comptant un demi-millier de communiants) jusqu’à la fin de sa vie ainsi que de professeur d’histoire sacrée à l’École Illustre dans cette même cité commerciale jusque vers 1700. Il fut la principale figure de l’orthodoxie protestante française de son temps.

Je propose de vous faire découvrir la théologie politique de cet homme courageux à travers des citations sélectionnées dans l’article Tyrannie et tyrannicide selon Pierre Jurieu du périodique Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français (Jean Hubac, tome 152, 2006, p. 583-609) ainsi que du chapitre Contribution de Calvin et du calvinisme à la naissance de la démocratie moderne dans l’ouvrage collectif Calvin et le calvinisme – Cinq siècles d’influences sur l’Église et la société (Mario Turchetti, Labor & Fides, 2008, p. 291-326).

Une version téléchargeable de cet article est disponible à cette adresse.

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« Un gouvernement qui va droit à la ruine de l’humilité ne peut être de l’intention de Jésus-Christ. » (Jurieu, Traité de la puissance de l’Église, 1677 ; Hubac, p. 587)

 « Jurieu a condensé sa pensée dans une sorte de maxime de bon gouvernement qu’il a placé au début de l’Avis aux protestants de l’Europe tant de la confession d’Augsbourg que de celle des Suisses, de 1685. […] Jurieu appelle les protestants à s’unir pour établir le règne de la Vérité. Le pasteur écrit, à propos de l’autorité, que ‘la force sans sagesse & destituée de raison ne réussit jamais ou ne réussit pas longtemps. Mais la sagesse soutenue de force ne saurait manquer de succès’. La sagesse prime et la force lui doit être soumise et auxiliaire ; n’est bonne que la force accompagnée de raison. » (Hubac, p. 589 ; dont Jurieu, Préjugés légitimes contre le papisme, volume I, 1685)

Le contractualisme monarchomaque : antidote à la dérive absolutiste

« Tous ceux qui ont mis en la main d’un homme quelque pouvoir & quelque autorité sont en droit d’avoir l’œil sur la manière dont il en use. » (Jurieu, Traité de la puissance de l’Église, 1677 ; Hubac, p. 588)

« Dans divers écrits de controverse, comme dans ses Lettres pastorales, Jurieu se plaît à reprendre et à développer la théorie que des calvinistes, disciples directs de Calvin […] avaient élaborés dans les années 1570, dans le feu des Guerres de religion ou après la St-Barthélemy [puis appliquées dans les années 1580-90]. À présent, sous le feu – on peut reprendre l’image – de la Révocation, les idées des disciples d’antan sont devenues plus explicites. Et Jurieu de leur conférer une telle flamme et une telle agressivité qu’il ira jusqu’à s’attirer la désapprobation de ses [pseudo-]coreligionnaires eux-mêmes. Au milieu du règne de Louis XIV, il écrit Les soupirs de la France esclave qui aspire après la liberté (1689) [… ou il soulève] qu’il ‘est notoire que la Cour de France a bâtie sa puissance despotique’ en diminuant ‘liberté des peuples’ jusqu’à abolir ‘les Assemblées Générales de la Nation où résidaient le souverain pouvoir’. […] Grâce à ses connaissances historiques et juridico-politiques hors du commun, Jurieu propose de ‘réformer l’État’, de régénérer la monarchie qui est désormais réduite, à son avis, à un niveau pitoyable […]. Sa thèse de fond est qu’il faut remettre ‘le souverain pouvoir entre les mains du peuple et des assemblées composées de leurs députés’.

[…]

On trouve chez les auteurs calvinistes de cette époque des expressions telles que ‘liberté des peuples’, des appels au ‘souverain pouvoir’ dont le peuple est dépositaire. Peut-on dire qu’ils apportent leur contribution à la démocratie moderne ? Oui, bien sûr, en notant au passage qu’ils écrivent un siècle ou presque avant la Révolution [française …]. Et il n’est pas étonnant que cette théorie de la souveraineté populaire (ante litteram et dont l’origine est communément attribuée au siècle des Lumières) devait blesser les oreilles des catholiques et, en tous cas, de tous ceux qui étaient proches de la politique royale. De fait, Bossuet (1627-1704) le premier ne tarda pas à s’opposer avec virulence à la thèse de la souveraineté du peuple dans ses Avertissements aux protestants sur les lettres du Ministre Jurieu (Paris, 1689). » (Turchetti, p. 320-322)

Dans la dialectique monarchomaque de Pierre Jurieu, « l’alliance entre Dieu et son peuple est conçue à l’identique du pacte mutuel qui fonde la légitimité de la souveraineté et organise les relations entre le prince temporel et ses sujets. […] Toute relation de domination doit être fondée sur des traités qui définissent clairement les attributs et les limites des pouvoirs de chacun. » (Hubac, p. 592-593)

« L’un des principes de la théorie politique de Pierre Jurieu est la disqualification de la souveraineté populaire qui ne respecte pas le droit naturel. Selon Jurieu, le droit naturel est un ensemble de libertés garanties à l’homme […] qui ne sauraient lui être aliénées. Jurieu n’établit pas de différence marquée entre droit de la nature et droit de Dieu. Le peuple peut se servir du droit naturel pour en opposer le contenu au souverain qui en viole certains articles. Le pacte mutuel entre le peuple et le prince est l’expression même de la domination politique du droit naturel : l’une des parties contractantes peut opposer à l’autre le contenu même du pacte. […] Le souverain s’engage à procurer au peuple paix et sécurité, le peuple lui promet obéissance et soumission. […] La rupture du pacte par une des deux parties dégage l’autre des ses obligations. » (Hubac, p. 596)

Jurieu argumente que si les princes ordonnent quelque chose qui soit contraire au droit naturel et aux commandements de Dieu, alors « on peut employer les armes contre les souverains, quand ils ruinent la société. » (Jurieu, Lettre pastorale 17, 1689 ; Hubac, p. 598)

Le « droit de Glaive » pour tous les chrétiens !

« Selon Jurieu, le droit de résistance est celui de tout homme, car le ‘le droit de conservation est un droit fondé dans la nature de l’homme’. La défense de vie, de son bien, de sa religion est toujours légitime. […] Sa liberté essentielle consiste dans cette part d’autodétermination qu’il ne peut aliéner au profit du pouvoir souverain. […] Reconnaître de droit de résistance populaire, c’est admettre tacitement que le peuple est en mesure de juger de l’adéquation des lois et des actes commis par le pouvoir souverain avec les préceptes du droit des gens, des droits naturel et divin. » (Hubac, p. 600)

« Il n’y a point de particulier qui ne soit obligé de faire ses efforts pour le salut de la république quand ceux qui gouvernent & qui tiennent le timon de l’État sont les instruments de la tyrannie. […] Le droit de Glaive a été laissé à tous ceux à qui a été laissé le droit de légitime défense, même contre les souverains qui se sont déclarés ennemis de l’État. » (Jurieu, Examen d’un libelle contre la religion, l’État et la Révolution d’Angleterre, 1691 ; Hubac, p. 605)

Plus qu’un droit, la résistance armée est un devoir

« En 1698, Jurieu écrit ses Lettres pastorales adressées aux fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone, assimilant la France à Babylone et donc implicitement Louis XIV à Nabuchodonosor, roi impie qui déporta les Hébreux. Calvin s’était déjà servi de l’exemple du roi babylonien contraignant à l’idolâtrie pour dénoncer les dérives tyranniques du pouvoir royal et autoriser la résistance active à la tyrannie (cf. sermon 9 sur le Livre de Daniel, 1552). En 1691, Jurieu qualifie Louis XIV d’‘ennemi déclaré de Dieu […] et cruel persécuteur de son Église’. Cette image du roi est fondée sur des arguments tirés de la législation contre les protestants : entrave à la liberté de résidence, interdiction de toute conversion à la Réforme, bannissement des relaps, exclusion des charges judiciaires, limitation des exercices du culte, dragonnades, révocation. » (Hubac, p. 595)

 « L’obéissance des sujets envers le souverain prince est réglée ‘sur ce qui fait la conservation de la société, et on peut résister à quiconque la détruit’. C’est ainsi que le peuple peut légitimement résister au tyran. L’obéissance n’est plus requise lorsque le prince va à contre les lois de la nature et de Dieu. […] La rupture du contrat provient de la conception synallagmatique [bilatérale] du lien social. L’obligation de conserver la société et la religion contraint les sujets à la résistance à la tyrannie : le peuple est responsable du bien commun, au même titre que le roi légitime. » (Hubac, p. 596 ; dont Jurieu, Lettre pastorale 17, 1689)

L’impératif  théonomique comme rempart à la décadence morale

« Attardons-nous sur un auteur qui peut – avec précaution, bien entendu – jouer le rôle de Calvin [hypothétiquement transposé à la fin du XVIIe siècle] : Pierre Jurieu, qui se prend lui-même pour un Calvinus Redivivus. […] Ce dernier combat avec acharnement ‘la grande source des illusions de nos libertins’ prétendant que la conscience erronée a les mêmes droits que la conscience orthodoxe. De même, sur le plan politique, il récuse catégoriquement la conséquence, à savoir ‘qu’un prince idolâtre a le même droit pour la défense de l’idolâtrie qu’un prince orthodoxe pour la vérité’. Jurieu comprend parfaitement que, dans la situation de l’après-Révocation, les tolérants à la façon de Bayle voudraient établir les droits de la conscience erronée aux dépens de ceux du prince pour soulager le sort des persécutés protestants. Mais cet élargissement de la liberté de conscience représenterait un abus, parce que les juifs, les Turcs et les païens eux-mêmes pourraient en bénéficier. Sans compter que cela priverait les souverains de leur droit d’intervenir dans les affaires religieuses, c’est-à-dire ‘ôter aux roys de France et d’Espagne l’autorité pour chasser le papisme de leurs États, comme l’ont fait les roys d’Angleterre et de Suède’. » (Turchetti, p. 318-319 ; dont Jurieu, Des Droits des deux souverains en matière de religion & de la tolérance universelle, 1687)

« Le prince hérétique n’a aucune des prérogatives du prince chrétien en matière religieuse, et le prince infidèle encore moins. S’il se mêle de vouloir diriger la discipline de ses sujets fidèles à la vraie foi, il se conduit alors en tyran manifeste. […  Jurieu soutient qu’un] roi protestant est en droit de forcer les consciences de ses sujets parce ce qu’il le fait au nom de la Vérité évangélique. [… Si le prince se dresse pour l’Évangile contre le paganisme ambiant], le prince chrétien est le libérateur de la conscience de ses sujets. Ce droit du prince chrétien, le prince hérétique ou idolâtre ne l’a pas. […] La tolérance est unilatérale. Le prince orthodoxe peut abattre toutes les manifestations de l’impiété et ainsi accomplir la volonté divine qui veut que les rois ‘dépouillent la Bête et brisent son image’, le prince hérétique n’a pas ce droit, car ‘c’est la justice et la vérité qui donne ce droit’. » (Hubac, p. 607-608).

Le renversement des pouvoirs impies dans l’histoire

« La Glorieuse Révolution d’Angleterre permet à Jurieu de proposer une lecture providentialiste de la destitution du tyran : Jacques II est redevenu un particulier en abandonnant le pouvoir et l’intervention de Guillaume d’Orange à la demande du Parlement anglais est à la fois conforme à la dévolution légitime de la couronne à un prince de confession protestante et conforme à l’intervention providentielle de Dieu dans l’Histoire. Guillaume est considéré par Jurieu comme un nouveau David, porteur de l’espoir renaissant des protestants. » (Hubac, p. 599)

« ‘Les droits de Dieu, les droits du peuple, & les droits des roys sont inséparables. […] On ne doit rien à celui qui ne rend rien à personne ni à Dieu ni aux hommes.’ L’allusion aux Maccabées, ‘loués d’avoir pris les armes contre les roys de Syrie leurs [supposés] légitimes souverains’, permet à Jurieu d’établir un lien entre le peuple élu d’Israël et celui des protestants, afin d’assurer une généalogie prestigieuse et indiscutable qui prend ses racines et sa sève dans la terre fertile de l’Ancien Testament. » (Hubac, p. 603 ; Jurieu, Lettre pastorale 9, 1689)

Le despotisme papal comparé au despotisme islamique

Dans le 4e volume de son Histoire du calvinisme et du papisme mises en parallèle (1683), « Jurieu prend alors l’exemple de la domination turque : le Turc agit en tyran de conquête et d’usurpation […] avec les chrétiens, en élevant leurs enfants dans la religion mahométane et en leur ôtant ‘toute propriété de biens’. Dans ce cas, un prince chrétien peut venir et rompre les chaînes de cette injuste tyrannie ; les chrétiens opprimés peuvent légitimement ‘se ranger sous les étendards’ de ce prince providentiel et se battre pour leur liberté ; ils peuvent aller jusqu’au tyrannicide.

[…]

Il est intéressant de comparer l’exemple du Turc avec la situation française ; l’un des principaux reproches huguenots faits aux catholiques concerne la Déclaration royale du 18 juin 1681 portant que les enfants de la Religion Prétendue Réformée pourront se convertir à l’âge de sept ans. On reconnaît une allusion à cette déclaration derrière l’accusation faite au Turc de soumettre les enfants chrétiens au culte mahométan. […] La similitude des situations turque et française autorise un rapprochement. » (Hubac, p. 606-607)

L’illégitimité de la servitude involontaire

D’après Jurieu, l’esclavage est une « espèce de gouvernement [qui] est brutale. […] Elle est opposée à toutes le lumières de la raison, puisqu’elle suppose que des millions d’hommes ne sont faits que pour être le jouet des passions & de la fureur d’un seul ; elle est opposée aux intentions de Dieu & des peuples qui ont fait les roys pour conservateurs de la société et non pour destructeurs. […] Le christianisme l’a aboli comme incompatible avec son esprit. » (Jurieu, Examen d’un libelle contre la religion, contre l’État et contre la Révolution d’Angleterre, volume II, 1691 ; Hubac, p. 591)

« Bossuet apporte son appui à l’esclavage pratiqué par la France lors de ses disputes avec Jurieu. La discussion engagée par l’évêque de Meaux avec le pasteur protestant était subtile. Jurieu soutenait que l’esclave était libre faute d’un accord librement consenti entre lui et le maître. Bossuet niait l’existence d’un tel pacte. » (Encyclopédie Universalis, édition électronique de 2012, sub verbo « Esclavage ».)

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La version PDF de cette étude est accessible ici.

La version anglaise de cette étude se trouve ici.

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Jubile400ansEditNantes

Médaillon commémoratif réalisé à l’occasion du 400ème anniversaire de l’« Édit de Nantes » (1598-1998). L’édiction de ce texte législatif ne fut possible que grâce à la pression politique, économique et militaire des Provinces-Unies huguenotes

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La théonomie consiste en le maintien du droit biblique par les autorités étatiques.

Après l’hécatombe de la St-Barthélemy où le pouvoir royal approuva le massacre de quelque 30 000 huguenots (réformés français) d’août à novembre 1572, les survivants se redressèrent après la tourmente. Sachant que les autorités catholiques se préparaient à « finir le travail », les réformés du Sud commencèrent à s’organiser pour repousser la prochaine agression monarchique. « On voit surgir un peu partout dans le royaume de nouvelles Genèves, des cités saintes, dont la vertu et la bravoure défient la corruption de la cour » (Jacques Madaule, Histoire de France, Tome I, p. 315). Des raids de commandos bien planifiés et exécutés livrent aux réformés maints points stratégiques d’Occitanie nécessaires à la mise en place d’un vaste dispositif défensif.

Parallèlement,  des assemblées politiques se tiennent à Réalmont (Haut-Languedoc), St-Antonin et St-Pierre-de-Salles (Cévennes) à l’automne pour donner une assise légale et institutionnelle à ce mouvement. Le Gouverneur catholique de la province de Guyenne, Honorat de Savoie, rapporte des mobilisations de « confédérés » à son suzerain. En février 1573, un premier congrès d’envergure a lieu à Anduze (Bas-Languedoc) où siègent des représentants de plusieurs provinces occitanes (Albigeois, Quercy, Rouergue, etc.). Les assemblées se poursuivent à Réalmont en Mars, Montauban et Nîmes en août, encore à Anduze en novembre, et enfin des États-Généraux se tenant à Millau (Aveyron) en décembre entérinent l’essentiel de la législation approuvée aux assemblées préparatoires.

À Millau, les huguenots sudistes décident d’établir un véritable pouvoir civil pour encadrer leur structure militaire opérationnelle. On appelle cette confédération de villes et de territoires les « Provinces-Unies du Midi ». Selon les lois en vigueur dans cette instance souveraine, les Conseils municipaux (élus au suffrage communal) déléguaient des députés aux Assemblées provinciales qui déléguaient elles-mêmes des députés aux États-Généraux ou Assemblée générale. Ces différents paliers de gouvernement nommaient leurs Conseils permanents respectifs. L’ensemble de ces actions représentent un excellent cas d’application historique de la théonomie.

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Carte suggérée des Provinces-Unies du Midi respectant le tracé des anciennes provinces du Royaume de France, 1573-1594 :

Légende ↑ :

  • Bleu pâle () = provinces principalement contrôlées par les Provinces-Unies du Midi (incluant des villes catholiques telles que Bordeaux et Toulouse qui ne reconnurent jamais son autorité).
  • Bleu foncé () = État réformé indépendant formé par la Souveraineté de Béarn, le Royaume de Navarre et la Vicomté de Soule.
  • Jaune-orange () = provinces contrôlées par la monarchie des Valois et/ou la Ligue catholique.
  • Vert () = régions françaises actuelles ne faisant pas partie de la France à la fin du XVIe siècle.
  • Brun/marron () = autres pays.
  • Turquoise () = Manche, océan Atlantique et mer Méditerranée.

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Les historiens ont longtemps tergiversé sur la question à savoir si les Provinces-Unies du Midi ont réellement formé une république sécessionniste par rapport au Royaume de France. La lecture du Règlement (texte constitutif) des Provinces-Unies indique que les calvinistes d’Occitanie occidentale (ils étaient trop peu populeux en Provence et au Dauphiné pour y résister efficacement aux persécuteurs) ne considéraient pas opérer une sécession totale du Royaume de France, patrie à laquelle ils demeuraient attachés. Ils espéraient rendre à la France « la grandeur de son renom, l’intégrité de son État avec la fermeté des lois » alors que le parti archi-catholique avait jeté « opprobre et déshonneur » en « temps de paix et liesse solennelle sous une couronne nuptiale » sur « le célèbre nom de Valois et la nation française » (dixit le Préambule cité plus bas). À moyen terme, au-delà de leur survie immédiate, les Provinces-Unis se donnaient comme objectif la rénovation nationale.

Cependant, à court terme, les Provinces-Unies du Midi ne représentent pas moins une vraie sécession temporaire du pouvoir parisien, comme le révèle clairement l’article second du Règlement : « par provision et en attendant […le] rétablissement d’un bon État, la puissance et autorité publique sera retenue, gardée et conservée par le pays [contrôlé par l’Union] sur les avis et délibérations des États[-Généraux]… ».

D’autre part, nonobstant l’éventuelle restauration d’un rapport de confiance entre la monarchie parisienne et les sujets-citoyens du sud-ouest, ces derniers souhaitaient, non seulement, faire reconnaître par Charles IX la permanence de l’institutionnalisation politique du calvinisme au Midi, mais encore plus, lui faire reconnaître l’intégration de leur nouveau système à une alliance internationale des États calvinistes (c’est ce que dévoile une requête envoyée par l’Assemblée de Montauban au roi en août 1573, cf. Janine Garrisson, Protestants du Midi, p. 177-224 et 339-348, qui est ma source principale pour cette étude). Ainsi, les architectes des Provinces-Unies du Midi voyaient leur construction comme une réingénierie définitive de l’espace politique européen. Ils étaient prêts à coopérer avec Paris, mais ils n’entendaient nullement se dissoudre sitôt qu’un arrangement serait trouvé avec le monarque du nord. Cette république officieuse (noblesse, bourgeoise et roture s’y partageaient les offices) préparait le terrain à une potentielle sécession effective (Philip Conner, 2002, p. 136), ce qui sera tenté trop tard, en 1621-1628 (Charles Weiss, 1853, p. 13-24).

Les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont nettement distingués dans la constitution politique des Provinces-Unies du Midi (presque deux siècles avant Charles de Secondat, baron de Montesquieu !). Il est pertinent de faire ressortir les principes théonomiques (maintien du droit biblique par les autorités étatiques) présents dans cette documentation historique calviniste.

Étant donné que le texte de Millau (décembre 1573) renvoie expressément à l’autorité des versions antérieures du Règlement (et en reprend le contenu), je me permets premièrement de me référer au texte d’Anduze (février 1573) comme législation officielle des Provinces-Unies du Midi. Nous reviendrons plus loin au texte de Millau (qui est plus définitif, mais dont la version accessible n’est pas numérotée).

En voici des extraits non exhaustifs. J’ai modernisé l’orthographe et la ponctuation, mais j’ai laissé la vieille syntaxe intacte. Je suis l’auteur des intertitres, mais pas les titres d’articles.

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Règlement des
Provinces-Unies du Midi

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Édicté par
l’Assemblée interprovinciale d’Anduze

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7 février 1573

Préambule

A tous présents et advenir,

Soit notice que ce jourd’hui, septième février mil cinq cent soixante-treize, les manants [ruraux] et habitants du pays du Languedoc [et d’Occitanie plus largement] — tant de la noblesse que du commun État — faisant profession de la religion réformée, convoqués et assemblés […] en la ville d’Anduze après avoir invoqué le nom de Dieu pour l’assistance et vertu du Saint-Esprit, ont unanimement avisé, conclu et arrêté ce qui s’ensuit.

[…] Ils protestent et jurent par main levée devant Dieu et Ses anges […] qu’ils n’ont [pas] entrepris la levée et ne poursuivent [pas] la voie des armes par haine ni par ambition de liberté humaine ou autre mauvaise affection.

[…par précaution diplomatique, les rédacteurs feignent ensuite accorder le bénéfice du doute au roi Charles IX qu’ils savent sciemment être à moitié responsable du massacre de la St-Barthélémy…]

En ces justes occasions, lesdits manants et habitants du pays ont résolu que pour empêcher de leur part [la reine-mère Catherine de Médicis et le duc Henri de Guise] les inconvénients qui semblent pencher sur nos têtes, ils prendront et tiendront toutes les armes en mains pour se rendre les plus forts contre ces monstres d’iniquité, conjurés ennemis de Dieu et de la royauté, déshonnêteté de la loi publique et du repos commun. Et s’ils les peuvent affaiblir ou divertir de leur méchanceté, ils ont délibéré [les huguenots] se joindre à quelque force avec laquelle ils puissent s’aider et employer à chasser les consuls auteurs et nourriciers de la tyrannie exercée contre la jeunesse, l’honneur, l’État et volonté du roi […] ils espèrent aussi que par ce moyen et arme accessoire leur être conservé […] la liberté de prédication de l’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ [et] à l’avancement de Son règne […].

Article I — [explication préliminaire] :

Et pour acheminer toutes choses à cette bonne et louable fin, par un bon ordre a été arrêté de l’avis d’aucuns [= de plusieurs] principaux magistrats de la justice qui sont de la religion [réformés] préservés comme un résidu en la province [rappelons que le parti huguenot avait récemment été  décapité à Paris] avec lesquels les députés de l’Assemblée ont pour cet effet conféré.

Se doter de dirigeants moralement intègres

Article VII — Police des villes et lieux :

Pour la police des villes et lieux, les élections des consuls se feront selon la coutume sans distinction de religion aux lieux où les catholiques se seront bien et accomodément comportés, et aux autres [lieux], entre ceux de la religion [réformée] seulement.

Article XVII — Confirmation des capitaines et nomination :

[On] les fera présenter au Conseil du pays afin qu’on puisse reconnaître par témoignage leurs mœurs, conditions et comportements passés et sur cela l’appréhender ou le refuser [tel qu’ils] le verront expédient […].

Limitation de la taxation

Article XI — Prohibition d’imposition :

Il ne se fera aucune imposition générale ou particulière sans expresse commission ou ordonnance des États [confédéraux] […]

Illégalité de la corruption fiscale

Article XVI — Touchant le Gouverneur général du pays :

[…] Sera élu un Gouverneur général [et ?] provincial et les États [confédéraux et provinciaux ?] connaîtront de ses actions en cas qu’il y ait plainte contre lui de malversation ou autre [chose] important à la sûreté du pays en général ou particulier.

Aliénation des possessions matérielles des païens guerroyant contre le peuple de Dieu

Article XXIII — Biens des papistes :

Quant aux biens des papistes faisant la guerre ou y favorisant, chaque ville pourra faire à sa discrétion.

Soumission des magistrats à la loi

Article XXIX — Observations et ordonnances :

Et seront tenus les Gouverneurs généraux et particuliers de faire garder strictement cette ordonnance [XXVIII : sur la distribution de butins légitimes].

Devoir civique des sujets-citoyens

Article XXXVI — Exhortation à tous de se déclarer pour la cause :

Tous gentilshommes et autres aptes au service public de cette cause seront exhortés [de] se déclarer et de s’y employer sans plus différer autrement, sinon ils seront tenus pour déserteurs et ennemis.

Structuration militaire du corps civique

Article XLIIII — De l’enrôlement des hommes :

Seront enrôlés en chacun lieu […] tous hommes aptes à porter armes et […] [ceux qui n’ont pas d’armes devront] s’en procurer dans trois jours après l’intimation […et ceux en ayant les moyens aideront ceux qui n’en ont pas].

Article XLV — Injonction aux consuls pour l’enrôlement des hommes :

Enjoint à tous [les] consuls et syndics des villes et lieux […] tous les « réduire » [organiser les hommes aptes au combat] en compagnies, en chacune desquelles il y aura cent hommes au moins, commandés par un capitaine […].

L’armée vit sur sa logistique et non sur la rapine

Article XLV — [suite] :

[…Les compagnies…] marcheront ainsi quand le sera commandé par ledit Gouverneur, sans user d’oppression envers quelconque ni oppresser leurs hôtes par un traitement défavorable.

Article XV — Pour le prévôt :

Seront ordonnés prévôts des maréchaux en chaque diocèse et un commissaire d’étape et logis qui tiendront lieu de fournir pour loger les compagnies tant à pied qu’à cheval.

Article XXI — Commissaires de vivres :

Pour l’armée quand elle marchera seront ordonnés commissaires de vivres, un pour chaque diocèse bien témoigné et serviront chacune pour son diocèse et viguerie [juridiction administrative médiévale en Occitanie] avec contrôleurs.

Droit de propriété et liberté économique

Article LI — Laboureurs et commerce :

Le laboureur et ses journaliers ne seront troublés en leur labourage, instruments et bétail de labour ou pareillement le commerce des marchandises qui ne seront de contrebande.

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Règlement des
Provinces-Unies du Midi

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Édicté par les
États-Généraux de Millau

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16 décembre 1573

Préambule

Ayant été jugé très nécessaire que comme le salut et conservation de tous ceux de la religion [réformée] dépend de l’union, bonne intelligence et correspondance qui doit être entre eux étroitement gardée et jurée […] tous et chacun des assistants et députés en ladite Assemblée [de Millau … ont] contracté union, entière association, et fraternité mutuelle, parfaite et perdurable à jamais, en toutes choses saintes et civiles […] et y persévérer constamment jusqu’à la mort, de ne faire ensemble qu’un même corps.

Pouvoirs, compétences et prérogatives des Provinces-Unies

Entre tous et par tous généralement, toutes lois divines [religieuses] et humaines, constitutions tant ecclésiastiques que militaires, de la justice, police et finances, faites par toutes assemblées légitimes, et spécialement par cette présente [Assemblée confédérative], auront la supériorité et domination par-dessus tous […] que tout le reste des personnes faisant profession de la religion réformée, de quelque état et condition qu’ils soient, ont à icelles obéir respectivement, sur peine d’être retranchés de l’union civile de l’Église réformée ci-dessus jurée.

Protection de la pudeur publique et de la moralité privée

Seront exhortés messieurs les ministres de la Parole de Dieu et autres [membres] des consistoires [des églises] de surveiller aux crimes et dissolutions qui se commettent journellement pour en faire la délation et donner les avertissements auxdits juges [des] présidiaux ou au lieutenant du sénéchal syndic de la cause ou autre [information] qui appartiendra, donner [les] instructions et moyens [nécessaires pour] vérifier les cas dénoncés, aux fins que la digne punition s’ensuive.

[…]

Et pareillement sera enjoint aux généraux et Conseil [de] pourvoir qu’en toutes villes et autres lieux qui sont de la religion [réformée], l’exercice d’icelle y soit établit pour contenir toute espèce de personne sous la censure et la discipline de l’Église.

Autonomie politique des collectivités locales

[…] La police sera administrée par les consuls et autres officiers publics des villes et villages […] sans qu’ils puissent être aucunement troublés ni empêchés par messieurs les généraux et Conseil, ni pareillement par les Gouverneurs diocésains, mais seront à ces fins gardés et entretenus tous les privilèges et statuts municipaux, franchises et libertés des corps des villes et autres lieux qui seront dans l’obéissance de la religion [réformée]. »

Reproduit dans Eugène & Émile Haag, La France protestante, Volume 10 : Pièces justificatives, p. 121-126.

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Carte du Royaume de France pendant les Guerres de religions :

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Janine Garrisson, s’appuyant en partie sur les historiens l’ayant précédés, a fait les observations suivantes sur les aspirations et les accomplissements des Provinces-Unies du Midi (dans l’ouvrage susmentionné) :

« La cité est la base essentielle de l’organisation politique envisagée. […] La ville et son plat pays s’organise en cellule autonome. » (p. 181)

« Les gentilshommes chargés de faire la guerre ont un pouvoir limité. D’autre part, la conduite des opérations militaires ne leur incombe pas entièrement puisque l’assemblée provinciale contrôle et fixe le nombre des soldats et qu’elle dégage les sommes nécessaires à leur entretien. Les affaires financières sont de la compétence exclusive du Conseil. » (p. 186)

« Selon le Règlement de Millau [les États-Généraux] se réunissent deux fois l’an. […] Les États[-Généraux] possèdent les droits régaliens : ceux d’établir des impôts nouveaux, de faire des lois, d’investir des magistrats et de nommer ou destituer les chefs militaires suprêmes. Ils peuvent légiférer sur toutes choses publiques et religieuses. L’Assemblée de Millau constitue donc les premiers États-Généraux protestants et son Règlement, la première œuvre législative de cette instance souveraine. » (p. 186)

« Les États[-Généraux] de Millau sont donc à l’image du protestantisme combattant : les points chauds de l’opposition au pouvoir royal ont fourni la majorité des hommes de l’assemblée. […] En 1573 à Millau, en 1575 et même encore à Montauban en 1581, la relative souplesse qui préside aux députations souligne combien, à l’origine de l’État protestant, il y a vraiment une confédération de villes et de pays autonomes. » (p. 202)

« Ces assemblées [politiques] établissent donc la traditionnelle alliance méridionale de la petite noblesse et des notables urbains ; ce groupe, on le sait, possède une longue pratique de la gestion commune des affaires provinciales et municipales. » (p. 209)

« Les Provinces-Unies ont assuré une continuité administrative dans le sud du royaume. Indirectes ou directes, les taxes ont toujours été levées. […] La vigueur de l’administration financière protestante apparaît également à travers [… les livres de compte], un ordre impeccable y règne. […] L’État huguenot a également assuré la continuité de la justice. […] L’État huguenot a contribué à maintenir l’unité du sud du royaume. » (p. 210, 211 et 213)

« En Dauphiné, les troupes de l’Union commandées par Lesdiguières ont arrêté l’armée d’invasion lancée par le duc de Savoie. […] Dans tout le Midi, les menées de la Ligue [catholique] à partir de 1588 et surtout de 1589 seront combattues par les forces des Provinces-Unies. […] La défense des Églises a été, comme il se doit, l’œuvre essentielle des dirigeants de l’Union. […] [Entre 1593 et 1597], les dirigeants des Provinces menacent Henri IV de se choisir un nouveau Protecteur (Guillaume Ier d’Orange-Nassau ?). Si la menace est lourde, c’est parce que ces hommes s’appuient sur une organisation politique qui a déjà fait ses preuves. […] Ainsi s’établit un rapport de force où les protestants se trouvent en position avantageuse. » (p. 214)

« En 1585 […] les ministres réunis en synode à Privas [Vivarais] se rendent à l’assemblée [politique] protestante siégeant en même temps dans la même ville. […] Les pasteurs suggèrent un programme précis de bonne tenue chrétienne et notamment la défense des blasphèmes […] des “propos profanes, vilains et sales”, la punition des “larcins, concussions et extorsions”. Ce plan de redressement moral est entendu par l’assemblée. Jacques de Chambaud, le Président […] répond alors au nom de tous : “L’assemblée a loué grandement les dits ministres et synode et remercié bien fort du soin qu’ils ont de leurs troupeaux et des saintes et nécessaires remontrances et excitations qu’il leur a plût de faire par les dits articles […] lesquels l’assemblée a reçus et reçoit de très bon cœur et avec toute humilité comme provenant de leurs vrais et légitimes pasteurs, serviteurs de Dieu et annonciateur de sa sainte Parole.” » (p. 217)

« Plusieurs de ces villes se laissèrent manier à la coutumée par […] des gentilshommes […] Mais beaucoup d’autres, notamment La Rochelle, Montauban, Sancerre et [un] grand nombre de celles de Gascogne, Quercy et Languedoc n’en voulurent d’autres que les maires [et] consuls. […]Le succès final du projet politique huguenot aurait amené les provinces méridionales vers un devenir suisse ou néerlandais. » (p. 220)

« [C’est] une nouvelle espèce de république, composée de toutes ses parties et séparée du reste de l’État [français], qui avait ses lois pour la religion, le gouvernement civil, la justice, la discipline militaire, la liberté du commerce, la levée des impôts et l’administration des finances. » (p. 220)

Dans Huguenot Heartland – Montauban and Southern French Calvinism during the Wars of Religion, Philip Conner explique que l’Édit de Nantes de 1598 fut le fruit des efforts de la république huguenote (pages 136 et 139). Effectivement, après que le Protecteur des Provinces-Unies, Henri IV (depuis 1575), ait illégitimement ordonné à cet État de se dissoudre (cela dépassait totalement ses prérogatives légales), le personnel de l’Union se prépara à entrer en guerre contre ce monarque dépravé. L’ancien diplomate d’Henri IV, Philippe de Mornay, l’avertit que « Nos gens […vont] passer le Rubicon gaiement ». Henri IV, acculé, accepte donc de négocier un nouvel édit avec l’Assemblée générale permanente des Provinces-Unies du Midi, qui garde une forte pression sur Paris de 1596 à 1598 (Léonce Anquez, 1859, p. 62-71).

Aux États-Généraux de Ste-Foy-la-Grande en 1594, les Provinces-Unies avaient étendu leur dispositif représentatif à toute la France, devenant ainsi un État parallèle à la monarchie ou, avec l’Édit de Nantes, littéralement un État dans l’État. Cette situation perdure pour les trois décennies suivantes. Pendant les soixante années d’existence de l’État huguenot, sa législation constitutionnelle de ne cesse d’évoluer, mais ses principes fondateurs ne furent jamais répudiés.  Le commentaire d’Anquez à ce propos est instructif : « [Les Règlements] établissaient la périodicité des assemblées et déterminaient leurs attributions avec une précision dont aucune [autre] loi de ce temps n’offre d’exemple » (supra, p. 68).

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Liste non exhaustive des États-Généraux des Provinces-Unies du Midi :

  • 1573 : Montauban (Tarn) ;
  • 1573 : Millau (Aveyron) ;
  • 1554 : Millau (Aveyron) ;
  • 1575 : Montauban (Tarn) ;
  • 1581 : Montauban (Tarn) ;
  • 1582 : St-Jean-d’Angély (Saintonge) ;
  • 1588 : La Rochelle (Aunis) ;
  • 1593 : Mantes (Île-de-France) ;
  • 1594 : Ste-Foy-la-Grande (Périgord) ;
  • 1595 : Saumur (Maine-et-Loire) ;
  • 1596-1598 : Loudun (Poitou) + Vendôme (Loir-et-Cher) + Saumur (Maine-et-Loire) + Châtellerault (Poitou) = États-Généraux permanents ;
  • 1601 : Ste-Foy-la-Grande (Périgord) ;
  • 1605 : Châtellerault (Poitou) ;
  • 1608 : Jargeau (Orléanais) ;
  • 1611 : Saumur (Maine-et-Loire) ;
  • 1615 : Grenoble (Gévaudan) puis Nîmes (Gard) ;
  • 1617 : La Rochelle (Aunis) ;
  • 1618 : Orthez (Béarn) ;
  • 1619 : Loudun (Poitou) ;
  • 1620-1621 : La Rochelle (Aunis).

Références de la liste des États-Généraux ci-dessus :

Charles Weiss, Histoire des réfugiés protestants de France, Tome I, Charpentier, Paris, 1853, p. 13-24 sur 233, édition électronique de l’UQÀC.

Léonce Anquez, Histoire des assemblées politiques des réformés de France, Auguste Durand, Paris, 1859, p. 62-71 sur 520.

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Monument de Jeanne III, Duchesse d’Albret, Reine de Navarre et Dame souveraine de Béarn, au Jardin du Luxembourg à Paris, tenant ses Ordonnances ecclésiastiques

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Armoiries du Duché d’Albret dans le sud-ouest de la France

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Drapeau du Béarn dans les Pyrénées

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Drapeau de la Navarre dans les Pyrénées

La théonomie consiste en le maintien du droit biblique par les autorités étatiques. Le présent article porte sur la Réformation du double État indépendant de Béarn-Navarre (formellement : la Souveraineté de Béarn et le Royaume de Navarre) sous l’égide de la courageuse Reine Jeanne III d’Albret au XVIe siècle. Je reproduis des extraits de l’étude Le souverain, l’Église et l’État : Les “Ordonnances ecclésiastiques” de Béarn de Philippe Chareyre, parue dans la revue Zwingliana en 2008 (N° 35, p. 161-185), que j’enrichis en l’entrecoupant d’éléments supplémentaires.

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Le Département des Pyrénées-Atlantiques en Nouvelle-Aquitaine

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Le Béarn et la Basse-Navarre dans le Département des Pyrénées-Atlantiques

Le présent article est divisé en plusieurs sections. Est d’abord cité le préambule des Ordonnances ecclésiastiques de Jeanne III d’Albret proclamées en 1571 (en moyen français). Ensuite, une mise en contexte historique et géographique permettent de saisir le cadre dans lequel ces lois civiles d’inspiration biblique furent édictées. Une description sommaire des Ordonnances s’ensuit, puis vient un compte-rendu sur l’origine européenne de cette législation et sa postérité dans le calvinisme béarnais.

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ORDONNANCES ECCLÉSIASTIQUES

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de Jeanne, Reine de Navarre, Dame souveraine de Béarn,
Sur le rétablissement entier du Royaume de Jésus-Christ
en son Pays souverain de Béarn

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Jeanne, par la grâce de Dieu, Reine de Navarre, Dame souveraine de Béarn […s’ensuit une volumineuse titulature féodale héréditaire…]

À tous présents et advenir, salut et dilection.

Si ainsi est [formule signifiant Comme il est à la vérité], qu’il n’y ait monarque qui vive qui doive avec plus de pouvoir commander à tout son royaume que Jésus-Christ au sien, d’autant que le Père céleste lui a donné toute puissance au ciel et en la terre, et qu’il ait fait commandement à tous ses sujets et élus de le chercher devant toute autre chose. Combien plus les Princes qu’il a par sa seule grâce et bonté retirés de péché de la mort voire de l’Enfer pour les conduire vers la vie éternelle sont-ils justement obligés d’en procurer l’avancement et l’établissement entier entre tous leurs sujets. Que si leur devoir les invite à conserver la paix publique qui ne touche que leurs États, il les oblige davantage de rétablir la piété eux mêmes.

Qu’il est impossible que le lien de la police ne se lâche et rompe du tout, où Dieu n’est purement suivi au contenu de sa Parole. Qui peut donc douter que les Rois et les princes qui diligemment ne s’emploient à l’exemple de Josias, d’Ézéchias et Théodose qui ont esté remplis et poussés de l’Esprit de Dieu pour rejeter au loin toutes idolâtries et superstitions de leurs royaumes et États pour de tout leur pouvoir en approcher et y faire régner la vraie piété ne tombent à la fin sous le pesant fardeau de la fureur de l’ire de Dieu.

Pour donc obéir au commandement du Seigneur, satisfaire au devoir et à l’office du chrétien, répondre à la vocation que nous avons de Dieu, procurer le salut de tout notre peuple et sujets, conserver le lien de la police et paix publique en son entier, suivre diligemment l’exemple des bons princes et rois, prévenir l’horrible fureur du jugement de Dieu, et pour accorder la requête des derniers États de Béarn [un organe législatif électif], Pays souverain de notre obéissance légitimement assemblés par laquelle ils nous ont, de leur mouvement propres très humblement suppliée et requise en bannissant tous faux serments idolâtries et superstitions, nous y fassions purement annoncer la Parole de Dieu […]

Nous avons dit déclaré et ordonné, disons déclarons et ordonnons par notre édit présent perpétuel et irrévocable que nous voulons que tous les sujets de notre dit pays de quelque qualité, condition, sexe et état qu’ils soient fassent profession publique de la confession de foi que nous publions maintenant sous notre autorité comme étant sûrement fondée sur la doctrine et les écrits des prophètes et apôtres. Et afin que nul ne l’ignore, nous avons ordonné qu’elle soit ici insérée de mot à mot comme il s’ensuit : […]

Contexte historique

De 1571 à 1620, date de son rattachement effectif au royaume de France, la Vicomté souveraine de Béarn est régie en matière de religion par les Ordonnances ecclésiastiques prises par Jeanne d’Albret. […] Le Béarn est une vicomté qui a conquis sa souveraineté à la faveur de la Guerre de Cent ans. Depuis 1290, aucun hommage n’a été prêté pour le Béarn au roi d’Angleterre qui possède alors l’Aquitaine. […] Gaston III [de Béarn] signifie en 1347 à un envoyé de Philippe de Valois [roi de France] qu’il ne reconnaît aucun supérieur pour le Béarn. Cette souveraineté de fait […] offre aux dynasties de Foix puis d’Albret […] une base solide à un grand ensemble féodal sous suzeraineté du roi de France, qui s’étend en Aquitaine et bien au-delà. […]

Délaissons un instant Zwingliana

Contexte géographique

Carte de l’archipel féodal du domaine de la famille d’Albret-Bourbon dans la seconde moitié du XVIe siècle :

Archipel féodal des Albrets

Source de cette carte ↑ : Ministère de la Culture

Les deux principautés indépendantes de la famille d’Albret-Bourbon ····· Toutes deux aujourd’hui situées dans le Département des Pyrénées-Atlantiques :

  • Royaume de Navarre (capitale = St-Jean-Pied-de-Port).
  • Souveraineté de Béarn (capitale = Pau).

Les vassalités françaises de la famille d’Albret-Bourbon dans le Sud du Royaume de France ····· Certaines de ces possessions territoriales ne constituent qu’une seule localité ····· Les entités administratives actuelles leur correspondant sont indiquées entre accolades ( {} ) ····· Pour vous orienter géographiquement, consultez les cartes reproduites en commentaire ci-dessous ou bien celles accessible via ces hyperliens : Journal du Gers ; Fondation Lebrel Blanco ; Wikimédia ; Bicarrosse TV :

  • Duché d’Albret (capitale = Nérac), comprenant notamment :
    • Baronnie de Nérac {commune éponyme dans le Département de Lot-et-Garonne} ;
    • Baronnie de Casteljaloux {commune éponyme dans le Département de Lot-et-Garonne} ;
    • Vicomté de Castelmoron-d′Albret {commune éponyme dans le Département de la Gironde} ;
    • Vicomté de Marsan (chef-lieu = Mont-de-Marsan) {Département des Landes} ;
    • Vicomté de Gabardan (chef-lieu = Gabarret) {à cheval entre les Départements des Landes et du Gers} ;
    • Vicomté de Tartas {commune éponyme dans le Département des Landes} ;
    • Vicomté de St-Pé-de-Boulogne {commune de St-Pé–St-Simon dans le Département de Lot-et-Garonne} ;
    • Seigneurie de Ste-Maure-de-Peyriac {commune éponyme dans le Département de Lot-et-Garonne} ;
    • Seigneurie de Torrebren {commune de Labarrère dans le Département du Gers}.
  • Comté de Bigorre (capitale = Tarbes) {Département des Hautes-Pyrénées}.
  • Comté des Quatre-Vallées (capitale = Arreau) {Département des Hautes-Pyrénées}.
  • Comté de Foix (capitale = Pamiers) {Département de l’Ariège}, incluant :
    • Coprincipauté d’Andorre (partagé avec l’Évêché d’Urgell en Catalogne).
  • Comté de Rodez (capitale = cité éponyme) {Département de l’Aveyron}.
  • Vicomté de Limoges (chef-lieu = Ségur-le-Château) {Département de la Haute-Vienne} ; ce territoire fut érigé en Province du Limousin en 1589.
  • Comté de Périgord (capitale = Périgueux) {Département de la Dordogne}.
  • Comté d’Armagnac (capitale = Lectoure) {Département du Gers}.
  • Comté de Fézensac (capitale = Vic-Fézensac) {Département du Gers}.
  • Vicomté de Lomagne (chef-lieu = Lectoure) {Département du Gers}.
  • Vicomté de Fézensaguet (chef-lieu = Mauvezin) {Département du Gers}.
  • Seigneurie de l’Isle-Jourdain {commune éponyme dans le Département du Gers}.
  • Vicomté de Maremne (chef-lieu = Tosse) {Département des Landes}.
  • Vicomté de Dax {commune éponyme dans le Département des Landes}.
  • Vicomté de Tursan (chef-lieu = Aire-sur-l’Adour) {Département des Landes}.
  • Vicomté de Nébouzan (chef-lieu = St-Gaudens) {à cheval entre les Départements des Hautes-Pyrénées et de la Haute-Garonne}.
  • Vicomté de Villemur {commune de Villemur-sur-Tarn dans le Département de la Haute-Garonne} ; cette localité fut le théâtre d’une importante bataille en 1592 (victoire huguenote) pendant la 8ème Guerre de Religion.
  • Baronnie de Caussade {commune éponyme dans le Département du Tarn-et-Garonne}.
  • Seigneurie de Buch (chef-lieu = La-Teste-de-Buch) {Département de la Gironde}.
  • Seigneurie du Bazadais (chef-lieu = Bazas) {Département de la Gironde}.

Les vassalités françaises de la famille d’Albret-Bourbon dans le Nord de la France :

  • Duché de Vendômois.
  • Duché de Nemours.
  • Duché de Beaumont.
  • Duché d’Alençon (dès 1584).

Référence de ces renseignements ↑ : Ministère de la Culture

Reprenonons avec Zwingliana

C’est donc en Béarn que la souveraineté des Albrets-Bourbons est la moins établie juridiquement, mais la plus stable, et donc là que le changement religieux voulu par le souverain s’établira le plus solidement.

[…]

Henri II d’Albret [père de Jeanne d’Albret et époux de Marguerite de d’Angoulême, la sœur de François Ier] a consacré une bonne part de sa vie au renforcement de la souveraineté béarnaise […] Il crée un Conseil souverain en 1519 puis réorganise les finances en centralisant l’impôt, en surveillant les frappes monétaires et en instituant en 1520 […] une Chambre des comptes. Il procède à l’unification judiciaire et administrative [en 1535]. […] Le Béarn est donc un petit État centralisé à son échelle, situé aux portes du royaume de France [et de l’Espagne].

[…]

Antoine de Bourbon [second mari de Jeanne d’Albret et roi de Navarre] […] est tué le 17 novembre 1562. Jeanne, veuve, exerce seule la souveraineté sur ses États et mettra en conformité ses convictions religieuses avec son rôle de reine. Elle y parviendra de manière exemplaire dans sa vicomté de Béarn.

Les débuts de la Réformation en Béarn

La date décisive pour l’instauration de la Réforme en Béarn a été traditionnellement fixée aux années 1560-1561. […] Le 25 décembre 1560, elle [Jeanne] prend publiquement la cène [réformée] dans l’église St-Martin de Pau. En mai 1561, elle ordonne aux magistrats de Bigorre de laisser le pasteur prêcher en public à Cauterets et le 19 juillet, la communauté protestante béarnaise reçoit son appui officiel par l’ordonnance de Nérac qui, en six articles, établit un simultaneum [utilisation d’un même édifice religieux pour les liturgies respectives d’obédiences différentes].

[…]

Le choix de Jeanne d’Albret s’oriente alors plutôt vers Genève qui a envoyé le pasteur François Le Gay, sieur de Boisnormand, en octobre 1557 à Pau, puis Théodore de Bèze rencontré en 1561 à Nérac. […] En mars [1563, le pasteur] Jean Reymond-Merlin est envoyé par Calvin comme réformateur à la demande de la reine. Il rassemble le premier synode « national » de Béarn-Navarre le 20 septembre 1563 […] puis divise le pays en cinq grands colloques. C’est une institution « nationale » sous la protection du souverain. Il rédige une Discipline des églises réformées du Béarn, puis un catéchisme extrait de celui de Genève et fait instituer un collège par le synode. […] C’est par ordre de Jeanne d’Albret que plusieurs églises et même la cathédrale de Lescar sont vidées de leur mobilier pour être consacrées exclusivement au culte réformé.

[…]

Une nouvelle ordonnance prise à Paris en juillet 1566, juste avant le départ de la reine pour le Béarn, contient en 22 articles une série de mesures classiques destinées à l’« entière repurgation [assainissement] de l’idolâtrie romaine» : les pasteurs peuvent prêcher partout ; les processions publiques sont interdites […] ; il n’y aura pas de prédicateurs catholiques, interdiction est faite au clergé catholique de retourner dans les lieux d’où le culte catholique a été banni ; […] les quêtes par les moines sont interdites.

[…]

Ces Ordonnances contiennent une série de mesures morales : réglementation des danses publiques, interdiction des jeux de cartes et de dés [c’est-à-dire des jeux d’argent, du gambling], bannissement des « femmes publiques », et des dispositions concernant le règlement de la pauvreté : attribution à la caisse des pauvres des revenus des bénéfices ecclésiastiques vacants, expulsion des mendiants valides et des mendiants étrangers.

Le collège est transformé en académie par lettres patentes du 19 juillet 1566. C’est le troisième établissement de ce type fondé en Europe, après Genève et Nîmes. Elle a pour but de former les élites administratives et religieuses de la souveraineté et même au-delà. Tel est le cadre juridique dans lequel arrive Pierre Viret que la reine a appelé à Pau pour « parachever » la réformation du Béarn, ce qu’il fera jusqu’à sa mort en mars 1571.

Délaissons un instant Zwingliana

L’invasion du Béarn par les forces papistes

Tandis que Jeanne d’Albret tient sa cour à La Rochelle avec les Coligny et Condé au pendant la Troisième guerre de religion, et qu’elle conçoit peut-être l’idée d’une vaste principauté aquitaine réformée, le Béarn est envahi en 1569 sur l’ordre du roi de France Charles IX par le vicomte de Terride qui reçoit le support de gentilshommes catholiques béarnais et navarrais, mécontents de la politique religieuse de leur souveraine. Le théologien Pierre Viret est emprisonné à Pau ; sept pasteurs y sont exécutés. Une armée de secours envoyée par Jeanne d’Albret (elle a dû vendre ses bijoux pour la financer) et commandée par le vicomte de Montgomery chasse les occupants et fait lever le siège de la forteresse de Navarrenx qui seule avait résisté. L’unique guerre de religion que connut le Béarn donne ainsi le momentum à Jeanne d’Albret de parachever sans obstacle son œuvre de réformation.

Référence de ces renseignements ↑ : Centre d’Étude du Protestantisme Béarnais

La théonomie en Béarn : les Ordonnances ecclésiastiques

Les propriétés ecclésiastiques des romanistes sont saisis le 2 octobre 1569 et l’exercice du catholicisme est interdit le 28 janvier 1570. Finalement, Jeanne d’Albret prend le 26 novembre 1571 à La Rochelle ses fameuses Ordonnances ecclésiastiques en 77 articles, transformant juridiquement le Béarn en souveraineté calviniste.

Jeanne d’Albret n’a pas composé ni édicté ces Ordonnances ecclésiastiques de manière unilatérale. Un collectif de syndics des États de Béarn avait demandé à la reine de « délivrer le pays de l’idolâtrie ». Pour y parvenir, elle a mobilisé de multiples théologiens et jurisconsultes, dont le pasteur Nicolas des Gallars qui succède à Pierre Viret (Modérateur du Synode national de Béarn) ainsi que le prince allemand Ludovic de Nassau. Le Synode a notamment fourni une commission sur les affaires matrimoniales et se sont les États-Généraux (avec l’aide d’un comité pastoral) qui ont déterminé les clauses sur les propriétés ecclésiastiques.

Officiellement, ces textes ne concernaient que le Béarn, mais ils furent vraisemblablement également appliqués dans leur intégralité en Navarre « indépendante » : administrativement, elle semble avoir était fusionnée avec le Béarn, et l’Église réformée de ces deux principautés ne formait qu’un seul corps. De plus, les dispositions n’impliquant pas nécessairement l’exclusion des catholiques ont dû être appliquées dans les autres territoires de Jeanne d’Albret.

Voici un organigramme juridique de la Souveraineté de Béarn à l’époque qui nous intéresse…

Organigramme Béarn

Reprenons avez Zwingliana

Le texte est imposant, il tranche par sa longueur [et sa systématisation théologique & juridique] avec les précédents. Il débute par un préambule suivi de la Confession de foi de La Rochelle. Les dix premiers articles exposent ensuite les principes de la foi et l’organisation du culte réformé ; du 11e au 21e sont définies les institutions ecclésiastiques, consistoires, colloques, synodes ; du 22e au 33e est réglementée la gestion des biens ecclésiastiques ; du 34e au 67e est créée une législation protestante du mariage ; du 68e au 77e sont édictées des règles de moralité publique.

[…]

Les Ordonnances […] ont été données à Pau le 26 novembre [1571]. Les Ordonnances définissent précisément la part du politique et celle de l’ecclésiastique. Une réglementation du mariage et des « dépendances d’icelluy » (adultères, fiançailles, séparation) qui, avec ses trente trois articles, occupe la place la plus importante, permet de définir de nouvelles règles […] « selon la parole de Dieu et au contenu de nos lois ». L’exercice du pouvoir de censure et notamment d’excommunication est reconnu à la nouvelle Église. Le texte établit enfin une séparation des biens ecclésiastiques et des biens de l’État. C’est donc un régime de protectorat qui donne une part importante d’autonomie à une Église mieux encadrée [sic] que dans le système presbytéro-synodal français.

[…]

C’est donc la création d’une Église modèle, destinée à montrer que le calvinisme peut parfaitement s’intégrer dans le cadre d’une principauté, sans mettre en danger l’État mais bien en le confortant. Il est pour le meilleur le porteur d’un programme, et pour le pire un réduit solide pour des temps difficiles. […] Le synode de Pau du 17 octobre 1571 auquel assiste la reine est sans ambiguïté sur le sujet : « Tous ceux qui auront charge en l’Eglise seront promeuz & depposez par l’Eglise ». Les Ordonnances béarnaises font donc le choix de Genève, mais en compensant le système égalitaire par la mise en place d’une surveillance des Églises et des pasteurs que l’on ne trouve pas dans la discipline des Églises réformées de France [la fonction d’épiscopes-surveillants qui inspectent périodiquement les colloques et consistoires et au nom du synode].

Les Ordonnances : le fruit d’une mûre expérience protestante

Qui sont donc les rédacteurs ou les inspirateurs de ce texte ? Une première influence provient de l’expérience de Lausanne dont les principaux acteurs de la réformation du Béarn sont issus, Jean Reymond-Merlin et surtout Pierre Viret […] On sait qu’il a rédigé à Pau […] un Traité de la distinction de la juridiction civile et ecclésiastique. […]

Viret tout comme Jean Reymond-Merlin sont passés par Genève, et sont des familiers de Calvin. La seconde influence est donc celle de Genève dont la position s’impose au cours du synode de La Rochelle auquel participe Théodore de Bèze. Celui-ci a rédigé à l’adresse de Coligny vers 1567 un Avis sur le gouvernement spirituel et le gouvernement temporel dont les préoccupations sont identiques à celles du traité de Viret.

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[Nicolas des Gallars] rédige l’incipit du De Regno Christi rédigé par Bucer [réformateur de Strasbourg en Alsace] pour Édouard VI d’Angleterre, réédité récemment à Genève. Par l’intermédiaire de Des Gallars, la troisième source d’inspiration vient donc de Martin Bucer par l’intermédiaire de Des Gallars […] [Des auteurs ont] souligné l’influence du traité de Bucer au travers de Nicolas des Gallars en s’appuyant en particulier sur le préambule des Ordonnances béarnaises qui, comme le De Regno Christi, insiste sur le devoir du prince chrétien d’œuvrer pour la réformation de ses sujets.

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Il convient donc de ne pas négliger l’influence de la reine Jeanne et de ses officiers, notamment les légistes de la Chancellerie de Navarre […] qui ont pu intervenir tout au long de la rédaction du texte. […] Les Ordonnances ecclésiastiques de Béarn sont donc une construction complexe et aboutie qui est le fruit de plusieurs décennies d’expérimentation de la Réformation en Europe, […] La réformation béarnaise est donc […] le résultat d’une synthèse.

[…]

Cet appui du pouvoir civil apparaît également dans les articles des Ordonnances portant sur la moralité. L’ordre public est un ordre protestant, calviniste, qui associe un système de double interdiction et de double peine, civile et ecclésiastique. [Il faut y voir] le concours des deux pouvoirs vers le même objectif.

[…]

Le souverain béarnais, comme le roi de Navarre, règne selon une tradition forale, c’est-à-dire un régime de type contractuel dans lequel l’Assemblée des États, réunie annuellement, joue un rôle administratif déterminant. En Béarn, le for rénové d’Henri II [en 1551] rappelle l’origine mythique d’une monarchie choisie par ses sujets. Il prévoit que le souverain prête serment à son avènement aux barons comme à tous les habitants de Béarn d’être leur fidèle seigneur, de leur rendre la justice, de ne pas leur faire de tort et de maintenir les fors, privilèges et libertés. Les souverains béarnais sont donc habitués à gouverner civilement avec une assemblée représentative réunie annuellement. L’organisation administrative du Béarn prend donc un nouveau visage, avec deux assemblées représentatives qui se réunissent […] Ces assemblées [États-Généraux et Synode] sont régies par des textes constitutifs, prennent des règlements et tiennent des corpus de délibérations. Elles exercent une autorité sur le territoire […]

Le parachèvement de la Souveraineté de Béarn

Le choix religieux parachevé par les Ordonnances de 1571, contribue à la construction de l’État béarnais en y apportant la dernière pierre. La nouvelle assemblée [le Synode], sans toucher aux prérogatives traditionnelles des États[-Généraux], peut constituer un contre-pouvoir, une alternative de légitimation décisionnelle pour le souverain. Par l’application de la discipline, elle intervient dans des domaines partagés entre les pouvoirs temporel et ecclésiastique. Elle possède enfin un pouvoir réglementaire qui peut aller jusqu’à l’excommunication, alors que les États[-Généraux] sont dépossédés de tout pouvoir judiciaire qui est exercé par le Conseil souverain.

[…]

Le choix de la Réforme a ensuite pour conséquence de superposer la carte ecclésiastique et la carte politique du pays. […] Ce nouveau découpage permet de formaliser l’union des deux terres souveraines en annexant le colloque de la Basse-Navarre [partie de la Navarre au nord des Pyrénées] au Synode national du Béarn.

[…]

L’Académie d’Orthez-Lescar, promue université en 1583, […] vient renforcer cette cohésion « nationale ». La réformation béarnaise est l’occasion également de codifier une langue spécifique, marqueur d’une identité propre. […] L’Église béarnaise pratiquera un bilinguisme : sermons, psaumes et catéchismes en béarnais, mais le français restera la langue théologique. Le béarnais demeurera toutefois la langue officielle et sera conservée pour les délibérations des États jusqu’à la Révolution.

[…]

Ce discours [légitimiste] est clairement affiché sur les monnaies frappées par la reine. [S’y ajoutent] en 1571 [un sigle signifiant] « Jeanne par la Grâce de Dieu Reine de Navarre et Dame de Béarn ». […] Sur un jeton en argent qu’elle fait frapper en tant que reine de Navarre cette même année [1571 … figure] la formule en castillan Hasta la Muerte. […] L’emploi du castillan et celui du français laissent bien entendre qui étaient les destinataires du message. Hasta la Muerte est directement inspiré de ce verset de l’Apocalypse : « Sois fidèle jusqu’à la mort » (Ap. 2:10).

[…]

Les Ordonnances survivront au décès en juin 1572 de Jeanne d’Albret, ne seront pas remises en cause par les États [de Béarn] et seront entretenues par son fils Henri et sa fille Catherine [de Bourbon] qui exercera la régence pendant que son frère combattra pour le trône de France. […] Quant aux textes des Ordonnances, […] La seule qui se trouve dans un recueil d’actes synodaux témoigne de leur application à une période où elles sont sur le point de disparaître [avant 1620 ou 1685 ?].

Délaissons désormais Zwingliana

À l’automne 1572, Henri IV autorisa par lettre patente les catholiques béarnais de se rendre à la messe en dehors du Béarn-Navarre, mais le Conseil souverain de Béarn refusa d’enregistrer cette lettre et ainsi de lui donner force de loi. Le Conseil souverain repromulgua les Ordonnances ecclésiastiques de Jeanne d’Albret en 1576.

Dans la décennie 1590, un parti papiste se reforma en Béarn-Navarre, mais il était tenu à l’œil par les monarchomaques & souverainistes. Par l’Édit de Fontainebleau de 1599, Henri IV tenta de rétablir le culte catholique dans l’ensemble de la Béarn-Navarre. Sur le terrain, les évêchés de Lescar et d’Oloron furent réoccupés par des prélats papistes, mais pour le reste, cette volonté royale restait lettre morte.  En 1605, Henri IV modifia l’Édit de 1599 de façon à rétablir partiellement le catholicisme en Béarn-Navarre (dans 24 municipalités/seigneuries sur 42 au total). Heureusement, le Conseil souverain refusa ici aussi d’enregistrer ces arrêts agressifs qui conservèrent pour le moment une portée purement symbolique à Paris (elle contribuait à faire paraître Henri IV comme un « bon roi catholique »).

En 1617, Louis XIII pris le pouvoir en France par un coup de force. Il signa rapidement un édit visant le rétablissement du culte catholique romain et rétrocédant les propriétés ecclésiastiques romanistes en Béarn-Navarre. Ce roi de France s’estimait être le suzerain naturel de ce double État, ce qui était fort contestable, vu qu’il n’avait jamais été reconnu comme régnant légitime par les assemblées souveraines de ce double pays, comme l’exigeait justement le droit constitutionnel navarro-béarnais. Les autorités locales refusèrent encore une fois d’enregistrer et d’appliquer ces décrets subversifs.

En 1620, profitant de la centralisation excessive du Royaume de France opérée par son débauché de père, Louis XIII envahit manu militari le Béarn-Navarre et le rattacha illégalement à la couronne de France (c’est-à-dire au domaine royal). Se faisant, il supprima le Conseil souverain de Béarn ainsi que la Chancellerie de Navarre et les remplaça par une créature servile de son invention : le Parlement de Navarre, qu’il installa… à Pau au Béarn (!). Malgré cette intimidation despotique, la population navarro-béarnaise et ses dirigeants légitimes n’acceptèrent jamais cette dépossession illicite et cette annexion illégale, au point tel que deux siècles plus tard, lorsque furent convoqués les États-Généraux du Royaume de France en 1788, le Béarn-Navarre refusa d’y envoyer des députés et se contenta d’en envoyer à « Louis V roi de Navarre » (et non à « Louis XVI roi de France ») !

Références de ces renseignements ↑ :

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Traduction anglaise partielle de la présente étude : The Ecclesiastical Ordinances of Jeanne d’Albret [Theonomy Resources].

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