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Archive for the ‘Théonomie des Réformateurs’ Category

Dernière mise-à-jour : 30 octobre 2020.

Je suggère au lecteur de consulter également cet autre billet du même thème sur Le Monarchomaque : La Confession de foi réformée baptiste de 1689 est théonomique.

william.kiffin

Portrait de William Kiffin (1616-1701) par Reformation Art. Kiffin est le principal fondateur de la dénomination réformée baptiste. Le polémiste presbytérien Thomas Edwards (1599-1648) lui accola le sobriquet de « Métropolite de cette Fraternité ».

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Great Seal of England 1651

Parlement puritain de Westminster sur le Grand Sceau d’Angleterre frappé en 1651 : « En la troisième année de liberté, restaurée par la bénédiction de Dieu »

English Abstract: Kuyperianism and Theonomy among the Early Reformed Baptists

This study argues and demonstrates that in the middle of the XVIIth century, the founders of Reformed Baptism were unanimously kuyperians and massively theonomists — rather than pietists and devotees of Radical Two Kingdom (R2K) theology. It also provides evidence that many prominent leaders and key figures of this Puritan denomination in the two following centuries were kuyperians and theonomists.

The author defines Kuyperianism as the affirmation that “the lordship of Christ [extends] over all temporal affairs” and that “Scripture governs all aspects of human life, including culture and government.” Kuyperianism is well summarized in Abraham Kuyper’s inaugural address at the dedication of the Free University of Amsterdam in 1880: “There is not a square inch in the whole domain of our human existence over which Christ, who is Sovereign over all, does not cry: ‘Mine!’,” and in the first of his six Stone Lectures delivered at Old Princeton in 1898: “Calvinism [is] a life-system.”

After reviewing several definitions of Theonomy, the author retains, as qualifying criteria, the promotion (either express or tacit) of the establishment of the protestant religion (not the establishment of a state church) – measured by the refusal of political polytheism (religious pluralism) – and the promotion of the reformation of positive law according to the Bible.

The author defines Pietism as a religious movement that emphasizes “Christian” piety in a Hellenic & Pagan dualistic sense, which opposes “spiritual” otherworldliness to earthly “worldliness” and thus leads to antinomianism and the rejection or neglect of the Dominion Mandate.

This study shows that the first generation Reformed Baptists kuyperians and theonomists were: John Spilsbury, William Kiffin, Hanserd Knollys, Daniel Axtell, John Carew, Thomas Patient, Samuel Richardson, Edward Cresset, John Tombes, William Steele, Paul Hobson, Thomas Gower, John Pendarves, John Vernon, William Allen, Christopher Blackwood, and Christopher Feake. All of these godly men were pastors or magistrates (often chaplains in the New Model Army).

The author humbly hopes that this studious scholarship may help clear away some of the present academic and popular confusion regarding Reformed Baptist orthodoxy and identity.

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Dispositions juridiques pertinentes de la Bible :

« Celui qui offre des sacrifices à d’autres dieux qu’à l’Éternel seul sera voué à l’extermination. » (Exode 22:20)

« Tu parleras aux enfants d’Israël, et tu diras : Quiconque maudira son Dieu portera la peine de son péché. Celui qui blasphémera le nom de l’Éternel sera puni de mort : toute l’assemblée le lapidera. Qu’il soit étranger ou indigène, il mourra, pour avoir blasphémé le nom de Dieu. » (Lévitique 24:15-16)

Voici le texte de la sentence de Michel Servet par le Conseil de la République de Genève. Voici également des défenses théologiques de cette sentence écrites par Heinrich Bullinger (réformateur de la Suisse alémanique), par Théodore de Bèze (réformateur de la Suisse romande) et par John Knox (réformateur de l’Écosse).

Complément glané sur Évangile 21 :

En 1553, Michel Servet avait été condamné pour hérésie en France suite à la publication de son livre niant l’existence de la Trinité. Mais avant sa condamnation, il s’est échappé de prison et a cherché refuge à Genève. Vraisemblablement, devant l’hostilité de cette ville à l’encontre de Calvin, Servet pensait qu’il y trouverait un accueil favorable. Espoir mal fondé puisqu’il a été arrêté. Les autorités de Genève lui ont proposé, soit d’être extradé en France soit de comparaître devant un tribunal genevois. Servet a choisi de rester à Genève. Lors du procès, les autorités genevoises ont consulté celles de Berne, de Zurich et de Schaffhouse qui à l’unanimité ont demandé à ce que l’hérétique soit exécuté. La méthode choisie était le bûcher ! Calvin est intervenu en demandant une exécution plus humaine, plus rapide par guillotine mais le conseil genevois a refusé et le 26 octobre Servet a été exécuté. Il faut souligner que Calvin n’était même pas citoyen de Genève et, à l’encontre d’une perception erronée qui persiste, il ne dirigeait pas les autorités civiles de cette ville.

D’ailleurs, quelques années auparavant, en septembre 1548 le conseil avait décrété que les pasteurs pouvaient exhorter le peuple mais n’avaient pas le droit d’excommunier.

Il faut dire qu’à l’époque l’exécution des hérétiques se faisait partout en Europe parfois en masse ! Cependant, pendant la vie de Calvin, Servet est le seul hérétique condamné à mort à Genève ! Certes, il est possible de contester la position de Calvin mais il faut tout de même relever que des reproches similaires pourraient être adressés à Thomas d’Aquin et à bien d’autres. Ne peut-on pas conclure que l’enseignement de Calvin sur l’œuvre souveraine de Dieu dans la conversion et la justification par la foi seule a suscité une telle hostilité que tous les prétextes pour l’accabler et le discréditer étaient bons ? Ne se trouve-t-il pas dans la même situation que l’apôtre Paul des siècles avant ?

 

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Capture d’écran, le 2020-05-15 à 14.03.35

Extrait de l’ouvrage Theses Sabbaticæ de Thomas Shepard, 1649, p. 25

La théologie radicale des deux royaumes (Radical Two Kingdoms = R2K), telle que popularisée par les théologiens presbytériens Meredith Kline, Michael Horton, David VanDrunen, Darryl Hart, Scott Clark et Matthew Tuininga dans la seconde moitié du XXe siècle et en ce début de XXIe siècle, insiste énormément sur la notion de droit naturel (d’où son autre abréviation → Natural Law Two Kingdoms = NL2K). Pour ces intellectuels, le droit biblique serait applicable par l’Église mais pas par l’État. Inversement, seul le droit naturel – différent et séparé du droit biblique – serait applicable par l’État.

Cette position est strictement hétérodoxe. Le tableau ci-après démontre que les théologiens et jurisconsultes éminents de la Réformation du XVIe siècle n’adhéraient pas au concept de loi naturelle telle qu’aujourd’hui promue par la mouvance R2K/NL2K (ni même à une forme embryonnaire de R2K/NL2K). La synthèse de l’évidence historique conduit à ces deux observations :

  1. La majorité des dirigeants de la Réformation soutenait que la loi naturelle et la loi biblique sont distinctes, mais que ces deux lois sont identiques dans leurs principes généraux et qu’il s’agit – en substance – du même droit. Aux érudits du tableau ci-dessous, il faut ajouter ces quatre érudits : {1} Niels Hemmingsen (1513-1600), le réformateur luthérien du Danemark ; {2} Girolamo Zanchi (1516-1590), réformateur italien (cf. De religione Christiana fides, § 13:8, p. 261-263 ; On the Law in General, p. 24-25) {3} François du Jon (1545-1602), un huguenot professeur de théologie aux Universités de Heidelberg au Bas-Palatinat et de Leyde aux Pays-Bas (cf. Franciscus Junius, The Mosaic Polity, p. 60-64) ; {4} Thomas Shepard (1605-1649), un cofondateur congrégationaliste de l’Université Harvard au Massachusetts ; {5} Francis Roberts (1609-1675), un pasteur presbytérien anglais qui fonda la Bibliothèque de Birmingham (Midlands de l’Ouest) et fut aumônier du Vice-Roi d’Irlande ; {6} Hermann Witsius (1636-1708), le recteur réformé de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas (cf. Joe Boot, The Mission of God, p. 57 ; {7} Jean Barbeyrac (1674-1744), le recteur réformé de l’Académie de Lausanne en Suisse romande, enseignant au Collège français de Berlin au Brandebourg et professeur à l’Université de Groningue aux Pays-Bas.
  2. La minorité des dirigeants de la Réformation soutenait que la loi naturelle et la loi biblique sont distinctes, mais que la Chute rend la loi naturelle insuffisante pour réguler les collectivités humaines et que c’est pour cela que l’Éternel a révélé à l’humanité un dispositif législatif complet & suffisant dans la Bible.

Aucune de ces deux approches ne corrobore la théorie de la loi naturelle non-biblique telle qu’exaltée par ses théoriciens Meredith Kline, Michael Horton, David VanDrunen, Darryl Hart, Scott Clark et Matthew Tuininga, pour lesquels la loi naturelle n’est qu’un prétexte servant à contourner l’autorité de la loi biblique révélée.

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Aux nombreuses références du tableau ci-dessus, nous pouvons ajouter l’article Law, Liberalism, and Luther : Beyond the Myths de Korey Maas paru dans le journal académique Public Discourse du Witherspoon Institute le 21 février 2018 soulignant que le réformateur allemand Martin Luther arguait que « Moïse s’accorde étroitement avec la nature » et que « les lois naturelles ne furent jamais aussi bien écrites et ordonnées que par Moïse » (ce qui fait de Luther un tenant de la 1ère approche présentée précédemment).

(suite…)

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Martin Bucer (1491-1551)

1. Le réformateur Martin Bucer était théonomiste

« Martin Bucer [was] the first-generation Reformer from the city of Strasbourg. Bucer was the leader of the Reform in that city and, indeed, throughout southern Germany. Next to Luther, Melanchthon, Zwingli, and Calvin, he was the most prominent of all the early Protestant leaders. […]

At the request of Archbishop Cranmer, Bucer became a professor of divinity at Cambridge in 1549. Very popular among the English Reformers, Bucer’s advice and counsel were repeatedly “sought out […].” Though he suffered frequently from ill health, his status and influence cannot be minimized. De Regno Christi, written in 1550 and addressed to the young Edward VI, “represents the first Protestant treatise on social ethics, and is the product of a mature man standing on the verge of old age. It reflects the experience of a lifetime in manifold labors for an actual reformation of the church as well as society.”

Clearly Bucer “regarded the Old Testament and the New Testament as a unity.” Thus, the case laws of the Mosaic law played an important role in his concept of the Christian commonwealth. His position regarding the general equity of the Mosaic judicials is certainly akin to, if not exactly, that put forward by Bahnsen in Theonomy [in Christian Ethics]. An honest reading of Bucer will readily reveal that theonomy is not something new ! […]

Because his [Bucer’s] commonwealth was based upon the eternal, immutable word of God, such a charge would in fact be one against God Himself ! Is God’s word less than practical or less than relevant ? Surely God must have some notion as to how a civil government might be duly framed ! »

Source : Jack Sawyer, « Introduction to Martin Bucer’s De Regno Christi », Journal of Christian Reconstruction, Vol. 5, N° 2 : Symposium on Puritanism and Law, hiver 1978-79, p. 15-17.

« Bucer plainly held that the penal sanctions of the Older Testament were the best ever devised, being authored by God Himself, and thus should be enacted in all Christian states. […] Bucer readily turned to the social legislation recorded in the books of Moses, and held that modern Christian states should conform to them. […]

While Christians are not bound to the Mosaic legislation in terms of circumstances peculiar to the Older Testament era, yet,

whoever does not reckon that such commandments are to be conscientiously observed is certainly not attributing to God either supreme wisdom or a righteous care for our salvation.

Bucer’s position thus is this: in a Christian state, the Mosaic legislation has a binding force. […] The final question, then, is this: does the modern theonomic-theocratic position advocated by Rushdoony, Bahnsen, et. al., stand in line with Bucer or with the Anabaptists ? […] The modern theonomic position is a descendent of Bucer, and is not condemned by Calvin. »

Heinrich Bullinger (1504-1575)

Heinrich Bullinger (1504-1575)

2. Le réformateur Heinrich Bullinger était théonomiste

« The Second Helvetic Confession of 1566 was almost entirely the work of Heinrich Bullinger of Zurich, one of the great second-generation Reformers, who lived from 1504 to 1575. In an earlier work, Antiquissima Fides et vera Religio, translated by Miles Coverdale (1488-1568) as The Old Faith, Bullinger had written regarding the judicial law :

Whereas, besides the ceremonies, there is much written also in the law concerning civil polity, ordinance, judgment, to live peaceable and well in city and land ; of buying and selling, of war and peace, of inheritance and properties, of laws matrimonial, of the punishment of the wicked, of the judgment and council, of lending and borrowing, etc. ; it is no news at all, and serveth altogether for the declaration of the six commandments of the second table.

Such laws and rules to live in peace, in a civil order and virtue, have also the holy fathers had from the beginning of the world written in their hearts by God himself. Now hath God also caused all to be comprehended in writing by Moses, to the intent that the world might have all more clearly and perfectly, and that no man might excuse himself of ignorance.

Bullinger’s Second Helvetic Confession does not, any more than the Belgic Confession, state that the judicial law of Moses has expired. Chapter 27 clearly states that the ceremonial was abolished. In chapter 12, “Of the Law of God,” we read :

For plainness’ sake we divide it into the moral law, which is contained in the commandments, or the two tables expounded in the books of Moses ; into the ceremonial, which does appoint ceremonies and the worship of God ; and into the judicial, which is occupied about political and domestic affairs. We believe that the whole will of God, and all necessary precepts, for every part of this life, are fully delivered in this law. For otherwise the Lord would not have forbidden that “anything should be either added or taken away from this law” (Deut. 4:2, 12:32) ; neither would he have commanded us to go straight forward in this, and “not to decline out of the way, either to the right hand or to the left” (Josh. 1:7).

The second paragraph cited above certainly reads as if Bullinger intended us to keep all of the Mosaic [civil] law. […] In the Decades, however, Bullinger firmly insists upon the abrogation of the Mosaic judicials. No nation is bound to receive them as its laws. Nonetheless, “the substance of God’s judicial laws is not taken away or abolished, but…. the ordering and limitation of them is placed in the arbitrement of good Christian princes….” Bullinger also argues that the good laws of the ancient world (Calvin’s “common law of nations” [c-à-d le Code civil de l’Empereur chrétien Justinien le Grand]) trace back to Moses, so that one reason Moses’s specifics are no longer binding is that the laws of the nations so closely approximate them. Thus, in a concrete sense, Bullinger’s rejection of the letter of the Mosaic judicials is related to the fact that he saw their continuation in spirit in his own culture. »

Source : James Jordan, « Calvinism and “the Judicial Law of Moses” : An Historical Survey », Journal of Christian Reconstruction, Vol. 5, N° 2 : Symposium on Puritanism and Law, hiver 1978-79, p. 25-64.

Complément : Henry Bullinger on Laws Against Anti-Trinitarian Heretics [Reformed Covenanter].

Hugh Latimer (1485-1555)

Hugh Latimer (1485-1555) prêchant la Parole de Dieu

3. Le réformateur Hugh Latimer était théonomiste

« Hugh Latimer (1485-1555) was also a bishop and martyr. The following quotation demonstrates a high regard for the civil use of the law of Moses.

There is no king, emperor, magistrate, and ruler, of what state soever they be, but are bound to obey this God, and to give credence unto his holy word, in directing their steps ordinately according to the same word. Yea, truly, they are not only bound to obey God’s book, but also the minister of the same, “for the word’s sake,” so far as he speaketh “sitting in Moses’ chair” ; that is, if his [the preacher’s—n.d.l.r.] doctrine be taken out of Moses’ law. For in this world God hath two swords, the one is a temporal sword, the other a spiritual. The temporal sword resteth in the hands of kings, magistrates, and rulers, under him; whereunto all subjects, as well the clergy as the laity, be subject, and punishable for any offence contrary to the same book.

In short, the preacher explains the law of Moses to the civil magistrate, who then enforces the relevant sections of it with the sword. Latimer also declared, “I would wish that Moses’s law were restored for punishment of lechery.” »

Source : James Jordan, « Calvinism and “the Judicial Law of Moses” : An Historical Survey », Journal of Christian Reconstruction, Vol. 5, N° 2 : Symposium on Puritanism and Law, hiver 1978-79, p. 25-64.

Voyez aussi : Hugh Latimer Supports England’s Iconoclastic Movement [Theonomy Resources].

Thomas Becon (1512-1567)

Thomas Becon (1512-1567)

4. Le réformateur Thomas Becon était théonomiste

« Thomas Becon (1512-1567) studied under Latimer. He was a chaplain to Archbishop Cranmer, and his Catechism was written during the reign of Edward the Sixth, during the period of Bucer’s influence in England. Becon cites the penal laws of Moses as examples to civil magistrates of every age. He emphasizes that if wrongs against man are to be punished—the second table of the law—how much more should wrongs against God be punished. He adds: “But we have…. an expressed commandment to kill and put out of the way all idolaters and false prophets…”.

This evidence from the mid-sixteenth century, while not always evidence of a rigorously consistent approach to the matter, surely does serve to indicate a deep respect for the civil implications of the law of Moses. »

Source : James Jordan, « Calvinism and “the Judicial Law of Moses” : An Historical Survey », Journal of Christian Reconstruction, Vol. 5, N° 2 : Symposium on Puritanism and Law, hiver 1978-79, p. 25-64.

5. Tous les autres réformateurs magistériaux étaient théonomistes

En fin de compte, la totalité des réformateurs magistériaux — aussi bien les hommes d’Église que les hommes d’État — étaient théonomistes…

Vitrail du réformateur Guillaume Farel () au Temple réformé de Reims

Vitrail du réformateur Guillaume Farel (1489-1565) au Temple réformé de Reims (Marne)

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Plaque commémorative de Pierre Viret à Lausanne en Suisse

Plaque commémorative de Pierre Viret à Lausanne en Suisse

Voyez aussi :

Je reproduit ci-dessous des extraits du chapitre Pierre Viret éthicien tiré de l’ouvrage Pierre Viret (1511-1571) : Un géant oublié de la Réforme – Apologétique, éthique et économie selon la Bible signé par Jean-Marc Berthoud (2011).

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Les pages 249 à 674 de l’Instruction chrétienne constituent un traité complet consacré à l’application détaillée des Dix Commandements à chacun des divers aspects de la réalité humaine. C’est le meilleur exposé de la Loi de Dieu qu’il m’ait été donné de lire ; et le seul ouvrage qui, à ma connaissance, puisse soutenir la comparaison avec le chef-d’œuvre de Rousas J. Rushdoony, Institutes of Biblical Law. Dans l’Instruction chrétienne de Viret, nous trouvons une application détaillée de toute la Parole normative de Dieu (Tota Scriptura) aux problèmes pratiques de la vie chrétienne de tous les jours, ceci pour chaque aspect de la vie personnelle et sociale. Une telle exposition est accompagnée, d’une façon remarquable, par un sens de l’équilibre théologique et par une compréhension de la relation délicate entre la dogmatique et l’éthique, tout en maintenant constamment à l’esprit le but de favoriser la proclamation de l’Évangile, de faire avancer le Royaume de Dieu et de ramener tout honneur et toute gloire au Seigneur Jésus-Christ. Dans sa Préface, Viret expose d’emblée son objectif central avec la plus grande clarté :

Pource [pour cette raison] que j’ai proposé de déclarer [expliquer] la Loi de Dieu, qui doit être tenue pour la règle de toutes les autres, par lesquelles les hommes doivent être conduits et gouvernés, je ferai avant qu’entrer en l’exposition d’icelle, quelques discours des grandes difficultés qui se sont trouvées de tout temps à bien gouverner les hommes, et [à] les contenir dedans les limites de raison, de droiture et de justice, et des causes semblablement de ces difficultés.

[Viret] entreprend ensuite de définir plus précisément cet objectif, montrant à quel point il était nécessaire que Dieu révèle aux hommes le contenu de cette loi, comme la création elle-même, d’origine céleste :

Pour cette cause, il a voulu bailler [donner] loi lui-même qui servit de règle à tous les hommes de la terre, pour régler l’esprit, l’entendement, la volonté et les affections, tant de ceux qui doivent gouverner les autres, que de ceux qui doivent être gouvernés par iceux. Et a fait ceci, à fin que tous ensemble se reconnussent un seul Dieu pour leur souverain Prince et Seigneur, et qu’eux se reconnussent ses serviteurs et ministres ; lesquels il faudra une fois tous venir à compte devant le trône de la majesté d’icelui.

Puis vient cette affirmation centrale à toute l’éthique chrétienne de Pierre Viret :

Or il [Dieu] a compris [renfermé] en cette Loi toute la doctrine morale, nécessaire aux hommes pour bien vivre. Ce qu’il a fait trop mieux [bien mieux], sans comparaison, que tous les philosophes en tous leurs livres, tant des éthiques, que des politiques et économiques, et que tous les législateurs qui ont jamais été, et qui sont et seront, en toutes leurs lois et ordonnances ; en sorte que tous ensemble n’ont jamais rien mis de bon en avant, qui ne soit compris en icelle ; et qui ne soit mauvais, s’il n’y est compris.

Et il ajoute :

Donc, soit que nous veuillons bien être instruits, pour nous savoir conduire en gouverner nous-mêmes en nos personnes propres en notre particulier, selon droit, raison et justice, ou au gouvernement de nos maisons et familles, ou au gouvernement du bien public ; cette loi nous pourra servir de vraie éthique, économique et politique chrétiennes, si elle est bien entendue ; et ceci trop mieux que celles d’Aristote, Platon, Xénophon, Cicéron, et des autres semblables.

Et Viret conclut sa Préface avec ces mots :

Car il ne nous faut point espérer que jamais Roi, Prince, ni peuple puissent avoir prospérité qui dure, sinon en tant que Dieu régnera en tous et sur tous, et qu’ils seront gouvernés par lui ; comme il appert [paraît] clairement par les promesses et menaces qu’il a ajoutées à sa Loi. Car comme lui seul peut nous donner Loi parfaite, selon laquelle il nous convient gouverner ; il peut semblablement bailler [donner] les Princes, les Magistrats, et les Pasteurs et ministres idoines [aptes], pour la mettre en exécution ; et les peut former comme instruments propres à son service, et bailler vertu [donner force] à leurs offices et ministères, pour ranger à son obéissance ceux qu’ils auront en charge. […]

Une telle vision de l’autorité souveraine et de la sagesse suprême de la Loi de Dieu a poussé Pierre Viret à examiner les devoirs particuliers des hommes à l’intérieur des limites de leurs vocations spécifiques. […]

Sur la pensée politique de Viret, l’étude pionnière de Robert D. Linder [The Political Ideas of Pierre Viret, Genève, Droz, 1964, 217 p.] nous présente une analyse d’une grande valeur de cet aspect de sa pensée. Il décrit d’abord ce que représentait pour Viret la loi divine, la Parole de Dieu […]. Linder définit la pensée de Viret en ces termes :

Les Écritures contenaient aussi des déclarations concernant l’État, et dans la mesure où elles se rapportaient au gouvernement séculier, elles représentaient la volonté de Dieu pour cette institution. Donc, l’État séculier était vu par Viret comme étant une création de facto, venant directement de Dieu lui-même mais gouvernée en harmonie avec les règles et les préceptes contenus dans les Écritures Saintes.

Et Linder d’ajouter :

Les plans de Dieu pour les hommes comprenaient une existence paisible et rangée, et l’Etat était le moyen par lequel ce genre de vie pouvait être assuré. Les dirigeants de l’État séculier devaient légiférer en harmonie avec la Bible et remplir le rôle qui leur était assigné tel qu’il était représenté dans les Écritures. Viret devait amener les autorités civiles à reconnaître que toute justice et toute loi émanaient de la souveraine volonté de Dieu, et que les magistrats étaient les distributeurs de la justice provenant de la loi de Dieu. Si elles n’obéissaient pas à cette vocation, ces autorités séculières étaient considérées comme de « méchants tyrans » et étaient passibles du jugement du Dieu Tout-Puissant.

Car, aux yeux de Viret, écrit Linder :

L’État séculier était une création immédiate de Dieu et c’est pour cela que Dieu lui-même lui avait directement délégué une certaine autorité. Cependant, selon Viret, les Saintes Écritures non seulement décrivaient et confirmaient l’autorité temporelle, mais elles en définissaient la nature et en limitaient également les droits.

[Viret] pensait également que ces lois absolues et éternelles divines devaient être adaptées à l’époque où vivaient les gens et au tempérament national du pays où les lois devaient être appliquées. Linder continue :

Viret a montré que les lois civiles peuvent être autant bonnes que mauvaises. Il croyait que les hommes détenaient une certaine liberté dans le choix des codes légaux qui devaient régir leur vie. Cependant, il pensait que dans un Etat véritablement chrétien « les bonnes lois » reposeraient toujours sur les Dix Commandements de Dieu tels qu’on les trouve dans l’Écriture Sainte. Selon lui, à moins que les lois humaines ne soient constituées sur le fondement de la loi morale de Dieu, les hommes ne pouvaient s’attendre à ce qu’elles soient justes et équitables. Ainsi, toutes « bonnes lois » viennent de Dieu Lui-même, car elles sont tirées de la Parole de Dieu qui est Son testament écrit pour l’humanité. […]

Viret mettait surtout l’accent sur le gouvernement soumis à la loi civile, et particulièrement la loi civile tirée, de la manière la plus précise possible, selon le contexte politique, de la loi morale de Dieu.

Et Linder ajoute :

La notion de Viret selon laquelle le prince était soumis à la loi est extrêmement intéressante et très différente de la théorie absolutiste qui plaçait le roi au-dessus de la loi, théorie dont Jean Bodin se fit l’avocat dans son De Republica rédigé à la fin du seizième siècle. Le concept du dirigeant séculier toujours nécessairement soumis à la loi était l’un des thèmes récurrents dans la pensée politique médiévale de l’Europe occidentale et n’était d’aucune manière une idée nouvelle.

Viret exprime sa pensée politique ainsi [dans Le monde à l’empire, publié à Genève en 1561] :

Car les Princes et les Magistrats doivent être sujets aux lois, et modérer leur gouvernement selon icelles [celles-ci]. Car ils sont, non pas maîtres des lois, mais Ministres d’icelles, comme ils sont Ministres de Dieu, duquel toutes bonnes lois procèdent. Et pourtant [pour cette raison] les Magistrats sont à bon droit tenus pour lois vives et parlantes, quand ils sont tels qu’ils doivent être ; comme aussi les lois sont comme Magistrats muets, lesquels parlent par les vrais Magistrats.

Et Linder de commenter :

Viret insiste sur le fait que le vrai chrétien doit, en toute circonstance, soumettre le Code Justinien et toute la loi romaine à l’autorité de la Parole de Dieu.

Les schémas de la pensée de Viret l’ont amené à préconiser ce qu’on appellerait aujourd’hui « la législation de la morale ». Par exemple, il était pour l’adoption de statuts civils contre l’adultère, le blasphème et l’idolâtrie, et il était partisan de la réglementation de certaines activités économiques le dimanche. De plus, il établissait un lien entre la vraie Chrétienté et le maintien et l’application de lois telles que celles contrôlant la corruption et l’achat de charges publiques, de lois contre l’usure, contre l’exploitation des pauvres par les riches, et de lois fixant des limites aux prix et à l’achat de terrains. […]

Il est révélateur [d’étudier] l’exégèse de Viret […] sur certains textes bibliques précis. […]

Tu n’auras pas dans ton sac deux sortes de poids, un gros et un petit.

Tu n’auras pas dans ta maison deux sortes d’épha, un grand et un petit.

Tu auras un poids exact et juste, tu auras un épha exact et juste, afin que tes jours se prolongent dans le territoire que l’Éternel, ton Dieu, te donne.

Car quiconque agit ainsi, quiconque commet une fraude, est en horreur à l’Éternel, ton Dieu. (Deutéronome 25.13-16)

Pierre Viret […] ne consacre pas moins de cinquante-cinq grandes pages folio en petits caractères de l’édition originale […] pour élaborer un exposé détaillé du huitième commandement [Tu ne déroberas point]. Sur le passage que nous étudions, son commentaire occupe six grandes pages (581 à 586). […] Viret se donne une peine immense à étudier en détail cette loi biblique l’appliquant à toutes sortes de transactions commerciales. Ce que Viret développe ici est une véritable casuistique légale (dans le sens tout à fait positif de ce mot), une véritable déontologie professionnelle, se rapportant aux applications spécifiques des diverses lois bibliques. Il le fait de telle manière – bien que ses remarques soient soigneusement adaptées aux conditions de son époque et à la culture de son temps – qu’elles n’en demeurent pas moins presque directement applicables aux réalités du monde contemporain. Ses commentaires ne constituent d’aucune façon une distorsion anachronique de la signification du statut particulier de la loi mosaïque en question.

Examinons, tout d’abord, la façon dont il subdivise son texte et les titres qu’il donne à ces divisions [Instruction chrétienne, Tome II] :

  • Des larcins commis en la quantité, et aux poids et mesures des choses vendues ou délivrées ; et combien cette manière de larcin est jugée détestable ès [par les] Saintes Écritures.
  • De l’invention et de l’usage de la monnaie, et des faux-monnayeurs ; et de la grandeur de ce crime, et du larcin commis par tel moyen.
  • Des larrons et faussaires de la Parole de Dieu, et des larcins qu’ils font des hommes et de leurs biens par ce moyen.
  • De ceux qui rognent les monnaies, et qui usent de celles qu’ils savent n’être pas de mise légitime ; et principalement ceux qui ont charge des deniers publics.
  • Des corruptions par les dons ; et des marchands qui vendent, et achètent justice et les pauvres.
  • Des larcins commis ès venditions [ventes] de victuailles ; et des dangers qui sont ès corruptions d’icelles [celles-ci].
  • Du regard [l’attention] que les Magistrats doivent avoir sur les vivres, et du grand mépris des serments faits pour raison d’iceux.
  • De la faute qui est ès Magistrats et officiers en cet endroit, par laquelle ils se rendent coupables des larcins et méchancetés qui se commettent en ces choses.
  • Du danger qui est ès médecins et apothicaires [pharmaciens], en telles matières ; et de la loi que Dieu a donnée des poids et mesures ; et des menaces d’icelui contre ceux qui les falsifient.

[…] Viret cite ici Amos 8.4-6 et les textes classiques de l’Ancien Testament applicables, encore aujourd’hui, à cette question : Deutéronome 25.13-16 ; Lévitique 19.35-36 ; Proverbes 11.1 ; 20.10. Viret applique, de manière très appropriée, ce statut de falsificateurs des poids et des mesures aux faux-monnayeurs, car dans les temps anciens, l’inégalité du poids des pièces de monnaie en rendait la pesée nécessaire si l’on voulait pouvoir en déterminer la valeur exacte :

Parquoi [raison pour laquelle], puisque Dieu a donné aux hommes ce moyen, pour se soulager plus aisément les uns les autres, ceux qui le pervertissent, et confondent cet ordre, font une grande plaie au bien public, et à toute la société humaine. Dont [ce pour quoi] ils sont dignes de griève punition ; et ce d’autant plus, qu’ils mettent plus grande confusion entre les hommes. Car ils ne peuvent vivre sans trafiquer [commercer] les uns avec les autres. Partant [par conséquent] celui qui leur ôte ce moyen, est comme un brigand public, pour couper la gorge à toute la communauté des hommes ; car il ôte par le moyen qu’il tient, la foi [bonne foi] et la loyauté, sans laquelle la société humaine ne peut être entretenue ni conservée. Car la foi et la loyauté étant ôtée, il n’y a plus rien de certain. Et par ainsi les hommes sont en un grand trouble et en un désordre nonpareil.

De nos jours, la fabrication de fausse monnaie est devenue la spécialité des banques centrales qui pillent sans vergogne la communauté par leur création d’argent comme sorti du chapeau d’un magicien, car une telle création ex nihilo de moyens d’échanges, émissions de crédit qui ne reposent sur rien, mènera inévitablement à l’inflation. Cette monnaie virtuelle, ces papiers, ces chèques ou cet argent électronique, ne sont – depuis les accords de Bretton Woods de 1944 et, plus encore, depuis le détachement par le président américain Richard Nixon en 1973 du dollar (la monnaie d’échange mondiale) de tout rapport avec l’or – plus du tout cautionnés par des réserves monétaires en dur et sont donc, en fin de compte, totalement irrachetables. Le résultat d’une telle création monétaire parfaitement arbitraire est, bien sûr, l’expansion incontrôlée de toutes sortes de dettes – publiques et privées – la destruction de la productivité de la société par la concentration d’un tel capital dans les transactions de spéculation, ceci aux dépens des investissements industriels et commerciaux producteurs de véritables richesses. On développe ainsi le cycle moderne de prospérité-faillite (boom/bust), d’inflation et de restriction monétaire ainsi que l’expansion à grande échelle d’une spéculation totalement improductive, comme autant de moyens de gouvernement tyranniques, occultes et irresponsables.

Pierre Viret aurait eu beaucoup à redire du point de vue biblique sur la situation monétaire qui est la nôtre actuellement. Il était tout à fait conscient de l’existence de problèmes similaires à son époque. C’est d’une plume acérée qu’il décrit le crime de l’État, la contrefaçon des moyens d’échange.

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Genève au temps de la Réformation

Le réformateur Jean Calvin avait compris que Dieu, dans son amour, n’a pas abandonné les sociétés humaines à l’anarchie, mais a doté sa Création d’une loi transcendante…

La manière de ce réformateur d’intégrer la parole-loi de Dieu dans sa réflexion sur la société civile et l’action qui en découle a eu un impact significatif dans la vie de la cité, partout où son influence s’est fait sentir. À un tel point que E.G. Léonard, dans son Histoire générale du protestantisme, intitule son chapitre consacré à Jean Calvin : « Calvin fondateur d’une civilisation ».

[…]

Cet office de la loi a pour finalité de contribuer à l’harmonie et à la paix de la cité. Cet usage s’exerce généralement par la contrainte en vue de restreindre la progression et le déploiement du péché et du mal dans la société civile et d’encourager la pratique du bien. En un mot, en suscitant « une certaine crainte de Dieu », cet office est, d’abord, de nature dissuasive.

Mais, dans la théologie de Calvin, cet usage assume aussi un rôle prescriptif. En effet, comme l’argumente le réformateur de Genève dans le quatrième livre de l’Institution chrétienne (IV, XX), « la loi morale est le fondement de toutes les lois strictement politiques ».

Il s’ensuit que l’Église comme l’individu ont à exercer une responsabilité politique dans la société civile et à contribuer à son bien. C’est ainsi que Calvin écrit : « Néanmoins cette justice contrainte et forcée est nécessaire à la communauté des hommes, à la tranquillité de laquelle notre Seigneur pourvoit, quand il empêche que toutes choses ne soient renversées en confusion, ce qui serait, si tout était permis à chacun » (II, VII, X) C’est ainsi que ce deuxième usage, malgré son caractère contraignant, exerce un rôle positif qui peut aller jusqu’à une prise de conscience providentielle qui soit à salut (II, VII, XI).

[…]

La loi morale, qui représente l’essence de la loi de Dieu, s’incarne dans le Décalogue, lequel est résumé par Jésus dans le sommaire de la loi : aimer Dieu et aimer son prochain. Cette loi morale est normative et est appelée à éclairer tous les aspects de la vie individuelle et communautaire. Ainsi Calvin, parlant de l’équité et de l’ordonnance des lois, dit : « Or puisque la Loi de Dieu, que nous appelons morale, n’est rien d’autre qu’un témoignage de la loi naturelle et de la conscience que notre Seigneur a imprimée au cœur de tous les hommes, il n’y a nul doute que cette équité dont nous parlons maintenant ne soit en celle-ci parfaitement déclarée ; il convient donc que cette équité seule soit le but, la règle et la fin de toutes lois » (IV, XX, XVI).

Source : Pierre Berthoud, Liberté et justice sociale : l’apport de l’Ancien Testament dans la pensée des réformateurs, et de Jean Calvin en particulier [Revue réformée].

Calvin expliquait plus en détail la mission spirituelle des magistrats ailleurs dans son maître-ouvrage, l’Institution de la religion chrétienne

Tout comme le magistrat en punissant les méchants doit purifier l’Église des scandales, de même le ministre de la Parole doit, de son côté, aider le magistrat pour qu’il y ait moins de malfaiteurs. Ainsi leurs administrations doivent être conjointes, l’une soulageant l’autre et ne lui faisant pas obstacle.

Source : Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, Livre IV, Chapitre XI, Section III, Éditions Excelsis, Charols (Drôme), 2009 (1560), p. 1142.

Continuons de citer l’Institution de la religion chrétienne

Il nous faut brièvement déclarer quel est l’office des Magistrats, selon qu’il est écrit par la Parole de Dieu, et en quelle chose il git. Or si l’Écriture n’enseignait qu’il appartient et s’étend à toutes les deux tables de la Loi, nous le pourrions apprendre des écrivains profanes ; car n’y a nul d’entre eux ayant à traiter de l’office des Magistrats, de faire des lois, et ordonner la police, qui n’ait commencé par la religion et par le service de Dieu. Et par cela tous ont confessé qu’il ne se peut établir heureusement aucun régime en ce monde, qu’on ne pourvoie devant tout à ce point : que Dieu soit honoré ; et que les lois qui laissent derrière l’honneur de Dieu pour seulement procurer le bien des hommes, mettent la charrue devant les bœufs.

[…]

Nous avons montré que cette charge leur est spécialement commise de Dieu. Comme c’est bien raison, puisqu’ils sont ses vicaires et officiers, et qu’ils dominent par sa grâce, qu’aussi ils s’emploient à maintenir son honneur. Et les bons rois que Dieu a choisis entre les autres, sont notamment loués de cette vertu en l’Écriture, d’avoir remis au dessus le service de Dieu, quand il était corrompu ou dissipé ; ou bien d’avoir eu le soin que la vraie religion fleurit et demeurât en son entier. Au contraire l’histoire sainte, entre les inconvénients qu’apporte le défaut d’un bon gouvernement, dit que les superstitions avoient la vogue parce qu’il n’y avait point de roi en Israël ; et que chacun faisait ce qu’il lui semblait [Juges 21:25]. D’où il est aisé de rédarguer [blâmer] la folie de ceux qui voudraient que les Magistrats, mettant Dieu et la religion sous le pied, ne se mêlassent que de faire droit aux hommes. Comme si Dieu avait ordonné des supérieurs en son nom pour décider les différends et procès des biens terriens, et qu’il eut mis en oubli le principal, à savoir qu’il soit dument servi selon la règle de sa Loi.

[…]

Les Rois ne doivent […] mettre leur cœur à l’avarice, ne s’élever orgueilleusement par-dessus leurs prochains ; mais doivent être tout le temps de leur vie assidument à méditer la Loi de Dieu.

Item, que les Juges ne doivent décliner en une partie ni en l’autre, et n’accepter présents aucuns ; et autres sentences semblables, qu’on lit communément en l’Écriture. […] Nous voyons donc que les Magistrats sont constitués protecteurs et conservateurs de la tranquillité, honnêteté, innocence et modestie publique.

Source : Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, 1564, Tome II, Livre IV, Chapitre IX, réédité par Meyrueis à Paris en 1859. Orthographe française légèrement modernisé par l’auteur du présent article. La numérotation semble avoir changée entre l’édition de 1564/1859 et celle de 1560/2009, le passage précité correspond au Livre IV, Chapitre XX, Section IX de la réédition de 2009.

Continuons de citer Calvin :

Les magistrats peuvent aussi apprendre […] quelle est leur vocation. Car ce n’est point pour eux qu’ils dominent, mais pour le bien et le profit du public ; et ils n’ont point reçu une puissance démesurée, mais laquelle est astreinte au profil des sujets. Bref, en leur principauté, ils sont obligés à Dieu et aux hommes. Car, parce qu’ils sont commis de Dieu, et c’est sa besogne qu’ils ont entre les mains, il faudra qu’ils lui en rendent compte. Davantage, cette administration que Dieu leur a commise regarde et concerne les sujets ; et par conséquent, à ceux-ci aussi ils sont redevables.

[…]

Il [l’apôtre Paul en 1 Timothée 2:2] récite les fruits qui nous proviennent d’une principauté ou domination bien réglée. Le premier est la vie tranquille et paisible. Car les magistrats sont armés du glaive afin de nous tenir en paix. […] Le second fruit, c’est la conservation de la piété ; à savoir quand les magistrats s’emploient à entretenir la religion, à maintenir le service de Dieu, et à donner ordre que les saintes cérémonies soient dûment administrées et avec révérence.

Source : Jean Calvin, Commentaire sur le Nouveau Testament, 1561, cité par André Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, Georg Éditeur, Genève (Romandie), 2008, p. 284 et 292.

Cette application de la loi divine à la sphère politique par les réformés genevois a porté ses fruits…

Calvin, sans occuper d’autre fonction que celle de président de la compagnie des pasteurs, va réaliser à Genève sa Réforme. Son autorité lui vient d’abord de sa connaissance de la Bible et de son éloquence. En vingt-cinq ans il prononce quatre mille sermons ! Lorsque ses adversaires politiques, les libertins, sont bannis en 1555, il peut également s’appuyer sur les autorités séculières. […]

Calvin, qui souhaite distinguer les rôles respectifs de l’Église et de l’État, n’occupe aucune fonction politique. En s’appuyant sur les lois garanties par le pouvoir temporel et sur le Consistoire, une instance disciplinaire, Calvin va modifier les mœurs des Genevois. Le système de surveillance semble avoir été efficace puisque le taux de naissances illégitimes à Genève est alors le plus bas d’Europe à 0.12 %.

Source : Collectif, « Calvin et Genève », magazine Liens protestants, N° 187, été 2009.

Qu’en est-il de la loi mosaïque ?

« In researching historical documents, the student can easily be fooled if he fails to take into account historical context. John Calvin can serve as a case in point. At first glance, Calvin’s hostility to the modern use of the Mosaic judicials could hardly be more marked :

For there are some who deny that a commonwealth is duly framed which neglects the political system of Moses, and is ruled by the common law [ius commune] of nations. Let other men consider how perilous and seditious this notion is ; it will be enough for me to have proved it false and foolish.

What could be clearer ? Yet in fact what Calvin calls the “common law of nations” included much that was derived from Moses, via Justinian and other sources [the Theodosian Code via the Breviary of Alaric]. […] Although the quotation cited above seems completely clear in indicating a radical hostility toward the Mosaic judicials on Calvin’s part, there are several reasons against taking it as such. Firstly, Calvin uses the Mosaic judicials in arguing for the death penalty for adultery. Commenting on Deuteronomy 22:22, he writes :

Nay, by the universal law of the Gentiles, the punishment of death is always awarded to adultery ; wherefore it is all the baser and more shameful in Christians not to imitate at least the heathen. Adultery is punished no less severely by the Julian Law than by that of God ; whilst those who boast themselves of the Christian name are so tender and remiss, that they visit this execrable offence with a very light reproof.

Note that the punishment is said to be that of the law “of God”, not more restrictedly the law of Moses. It is clear that Calvin is commending the Mosaic penalty here, yet an element of confusion still remains in the text. Whatever this “universal law of the Gentiles” may have been, it operates no longer in the twentieth century. Secondly, Calvin writes in his defense of the execution of Servetus :

Whoever shall now contend that it is unjust to put heretics and blasphemers to death will knowingly and willingly incur their very guilt. This is not laid down on human authority ; it is God who speaks and prescribes a perpetual rule for his Church. It is not in vain that he banishes all those human affectations which soften our hearts […].

Note that the punishment is said to be that of the law “of God”, not more restrictedly the law of Moses. […] Philip Schaff’s comment is important :

Calvin’s plea for the right and duty of the Christian magistrate to punish heresy by death, stands or falls with his theocratic theory and the binding authority of the Mosaic code. His arguments are chiefly drawn from the Jewish laws against idolatry and blasphemy, and from the examples of the pious kings of Israel.

Thus, Schaff considers that Calvin held a high respect for the Mosaic judicials. »

Source : James Jordan, « Calvinism and “the Judicial Law of Moses” : An Historical Survey », Journal of Christian Reconstruction (Chalcedon Foundation), Vol. 5, N° 2 : Symposium on Puritanism and Law, hiver 1978-1979, p. 25-64.

Consultez aussi cette recension historico-légale : Crime and Punishment in Calvin’s Geneva between February 1562 and February 1563 [Theonomy Resources].

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Eglise & Etat

Pendant la Réformation du XVIe siècle, l’expression « deux royaumes » fut articulée par Jean Calvin pour décrire les deux sphères d’actions distinctes et complémentaires que sont l’Église et l’État, sans pour autant que ce réformateur ne prônât une quelconque forme de piétisme. La théologie réformée des deux deux royaumes mise de l’avant par Jean Calvin était indissociable de la théonomie, c-à-d du maintient du respect public et externe des Deux Tables du Décalogue par la magistrature.

Comme je le démontre dans cette étude, au milieu du XVIIe siècle, la génération fondatrice du baptisme réformé était massivement théonomiste. Toutefois, comme je le dégage dans cette analyse, l’erreur piétiste a commencé à se propager dans la dénomination réformée baptiste à partir de la seconde génération.

La théologie radicale des deux royaumes, telle que popularisée par Meredith Kline, Michael Horton, David VanDrunen et Matthew Tuininga dans la seconde moitié du XXe siècle et en ce début de XXIe siècle, insiste énormément sur le concept du droit naturel : le droit biblique serait bon pour l’Église et le droit naturel, différent et indépendant du droit biblique, serait bon pour l’État. Une telle position est strictement hétérodoxe, comme le montre ce tableau sur la loi naturelle telle que promue par les théologiens et les jurisconsultes éminents de la Réformation protestante puis de la Révolution puritaine. L’évidence historique impose le constant suivant : La position majoritaire de la Réformation affirme que la loi naturelle n’est ni différente ni autonome de la loi biblique. La position minoritaire de la Réformation affirme que ces deux lois peuvent être distinguées mais que la Chute rend la loi naturelle insuffisante pour réguler les collectivités humaines et que c’est pourquoi Dieu nous fournit un système de lois révélées dans la Bible. Aucune de ces deux positions protestantes n’est compatible avec la théorie de la loi naturelle popularisée par Kline, Horton, VanDrunen et Tuininga, pour qui la loi naturelle sert de prétexte pour déroger à la loi biblique (et incidemment, à l’autorité divine de l’Éternel).

Il est chronologiquement impossible que les fondateurs du baptisme réformé ayant vécus au milieu du XVIIe siècle aient épousés une théologie conçue par ces auteurs pseudo-presbytériens des XXe & XXIe siècles. Cependant, puisque la théologie radicale des deux royaumes est essentiellement une variante sophistiquée du piétisme, nous pourrions dire que certains individus réformés baptistes piétistes (pardonnez-moi cette oxymore) de 2ème ou de 3ème génération adhéraient à la théologie radicale des deux royaumes. En connexité avec cela, on m’a référé à une liste d’articles de Samuel Renihan de Particular Voices qui militeraient supposément contre ma thèse solide et étayée voulant que la génération fondatrice était unanimement théonomiste. J’entends adresser ces articles un par un et ainsi vérifier si ma thèse passe le l’examen ou bien si elle doit être amendée. Procédons.

Nehemiah Coxe on the Dual Kingship of Christ and the Covenant of Redemption

Dans l’extrait cité de Vindiciae Veritatis (1677), Nehemiah Coxe (†1688) dit que Jésus-Christ est Seigneur sur toutes choses pour deux raisons : 1. Il est Créateur de toutes choses ; 2. il est Médiateur de l’alliance de rédemption. De tels postulats s’accordent parfaitement avec la théologie réformée des deux royaumes (qui elle-même est indissociable de la théonomie), et n’ont rien à voir avec la lubie du droit naturel anti-biblique de David VanDrunen. Et de surcroît, Nehemiah Coxe n’appartient pas à la génération fondatrice, mais à la deuxième génération.

William Perkins on the Dual Kingship of Christ and the Two Kingdoms

Dans l’extrait cité de Golden Chaine (1592), William Perkins (1558-1602) dit que Jésus-Christ a, en matière civile, des vice-régents temporels, mais qu’en matière alliancielle/ecclésiale, il n’en a pas, donc que la royauté dualiste de Jésus-Christ opère différemment en matière civile qu’en matière alliancielle. Soit. Une telle affirmation n’apporte pas grand chose au débat entre la théonomie et le piétisme, puisqu’elle n’est pas contestée. De surcroît, ici, Samuel Renihan admet lui-même que les magistrats doivent « maintenir la justice et la droiture selon la loi de Dieu » !

Dans l’extrait cité de Faithfull Witness (1607, publication posthume), William Perkins soutient qu’il y a une différence entre la paix spirituelle et la paix politique, et que la paix politique doit être établie et préservée en brandissant le glaive temporel. Cela milite clairement en faveur de la théonomie !

Et de toutes façons, William Perkins était un anglican low-church alors il est impertinent de faire intervenir ce personnage dans un débat portant sur les réformés baptistes, à moins de prouver que sa théologie a influencé les réformés baptistes, ce que Samuel Renihan se garde bien de faire (car si il influence il a eu, c’est vraisemblablement une influence théonomiste).

Liberty of Conscience and the Two Kingdoms

Dans Certain Quaeries Concerning Liberty of Conscience (1649), Henry Danvers (1622-1687), un baptiste arminien (cf. Oxford DNB) déploye un argumentaire piétiste. Il dit notamment qu’« un magistrat incroyant est néanmoins un magistrat ». On se demande pourquoi, dans ce cas, Henry Danvers a combattu contre les « magistrats » papistes sous Henri IV de France et Maurice de Nassau (Stahouder de Hollande & Zélande), a combattu contre le « roi » Charles Ier d’Angleterre dans l’armée du Parlement, a participé à la tentative de coup d’État contre le « roi » Charles II d’Angleterre en 1665 (Rathbone Plot) et a participé à la révolte contre Jacques II d’Angleterre en 1685 (Monmouth Rebellion). Les actions répétées et concrètes de ce personnage arminien démentent sa plume.

Abraham Booth on the Two Kingdoms

Bis repetita placent : distinguer entre l’autorité royale de Jésus-Christ et l’autorité régalienne des magistrats civils ne prouve strictement rien dans le cadre du débat entre la théonomie et le piétisme. Une telle distinction n’est nullement remise en question !

Henry Ainsworth on the Kingdom of Christ

Dans l’extrait cité de The Old Orthodox Foundation of Religion Left for a Patterne to New Reformation (1641, publication posthume), Henry Ainsworth (1571-1622) n’adresse pas le rapport entre la magistrature terrestre et la loi divine. Mobiliser cet extrait n’est pas une contribution utile dans le cadre du présent débat, d’autant plus que ce personnage n’est pas un réformé baptiste.

Samuel Richardson on the validity of the present government

Le pasteur & auteur réformé baptiste Samuel Richardson (†1658) était de conviction théonomiste, comme je le démontre dans cette analyse de sa pensée.

→ Tenure in Canaan is not the same as tenure in Christ

Dans l’extrait cité de An Essay on the Kingdom of Christ (1791), Abraham Booth (1734-1806) affirme que qu’il est faux de croire ques les saints de l’Ancien Testament étaient sauvés par leur obéissance à la loi hébraïque. Les théonomistes sont parfaitement en accord avec cela. Par ailleurs, l’Oxford DNB dit : « He was a firm believer in religious liberty, though somewhat dogmatic in stating his own view, particularly in later years. » C’est là l’influence pernicieuse des « Lumières ». Mais Abraham Booth n’est pas un fondateur des réformés baptistes, et mobiliser l’opinion inorthodoxe de cet homme sur la liberté religieuse est sans utilité dans le cadre d’un débat portant sur la génération fondatrice de cette dénomination.

The church is the kingdom of God, heaven on earth

Dans l’extrait cité de The Parable of the Kingdom of Heaven Expounded (1674), Hanserd Knollys (1598-1691) compare l’Église au Royaume des Cieux en remarquant que l’Écriture parle souvent de l’un et de l’autre avec le même vocabulaire. Cette simple affirmation est insuffisante pour établir que Hanserd Knollys adhérait à la version radicale de la théologie des deux royaumes, et comme je le démontre dans cette étude, cet homme se positionnait plutôt dans le camp de la théonomie.

En fin de compte, la génération fondatrice des réformés baptistes était massivement théonomiste et adhérait à la théologie réformée des deux royaumes plutôt qu’à la théologie radicale des deux royaumes.

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La prédication suivante sur le rôle central et crucial de la Loi de Dieu dans la Réformation protestante des XVIème-XVIIème siècles est, à mon humble connaissance, le meilleur argumentaire pro-théonomie disponible gratuitement en format vidéo sur la toile. Elle fut prononcée par Rob Baird pendant la conférence JeremiahCry organisée à la Covenant Baptist Church (une congrégation réformée baptiste) située à Lumberton au New Jersey les 7 & 8 octobre 2011.

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Palais de Holyrood à Édimbourg en Écosse

Le réformateur calviniste John Knox (1514-1572) sur l’application de la doctrine biblique et protestante du Sola Scriptura aux autorités civiles. Prédication sur Romains 13, en la Cathédrale d’Édimbourg, le 19 août 1565 :

« En quelques mots, l’apôtre Paul déclare la finalité pour laquelle le glaive est donné aux puissances en disant que c’est “pour la punition des malfaiteurs et la félicitation des malfaiteurs”. Il est évident que le glaive de Dieu n’est pas placé dans la main de l’homme pour qu’il l’utilise comme bon lui plaît, mais uniquement pour punir le vice et maintenir la vertu, afin que les hommes puissent vivre dans une société qui soit acceptable devant Dieu. Cela est la raison précise et unique pour laquelle Dieu désigne des puissances sur la terre. […] Les rois n’ont pas un pouvoir absolu de faire en leurs régiments tout ce qui leur plaît. Leurs pouvoirs sont limités par la Parole de Dieu. Donc, s’ils frappent là où Dieu ne le commande pas, ils sont des meurtriers ; et s’ils font grâce là où Dieu commande de frapper, ils [les rois] ainsi que leur trône sont criminels, et coupables de la méchanceté qui abonde sur la terre par manque de punition. […] Ceux qui sont placés en position d’autorité doivent réfléchir s’ils règnent et dirigent selon Dieu — et si Dieu dirige par-dessus eux, ou s’ils dirigent sans Dieu, à côté de Dieu, et contre Dieu. »

John Knox élabore ensuite en soulignant que Dieu interdit aux juges et aux rois, dans la Bible, de se détourner de ses commandements « ni à droite, ni à gauche » (Deutéronome 17:20, Josué 1:7).

Cité dans Thomas Thomson, Select Practical Writings of John Knox, Banner of Truth, Édimbourg (Lothian), 2011 (1854), p. 212-214.


John Knox sur la résistance légitime. Entrevue avec la reine papiste Marie Ire d’Écosse (1559-1560), Palais de Holyrood à Édimbourg, le 19 août 1561 :

« Si les princes excèdent leurs limites, madame, il ne fait aucun doute qu’ils peuvent être résistés, même par la force. Dieu ne commande pas de donner un plus grand hommage aux rois et aux princes qu’aux pères et aux mères. Supposons, madame, qu’un père devient fou et s’apprête à tuer ses enfants. Maintenant, madame, si les enfants se soulèvent, s’unissent ensemble, appréhendent le père, lui retirent son glaive, attachent ses mains, et le gardent emprisonnés jusqu’à se que sa raison lui revienne, croyez-vous, madame, que les enfants commettraient un quelconque péché ? Il en va autant, madame, des princes qui voudraient assassiner les enfants de Dieu qui sont leurs sujets. Leur zèle aveugle n’est rien d’autre qu’une folie démentielle. Conséquemment, leur retirer leur glaive, leur attacher les mains et les jeter en prison jusqu’à ce qu’ils reviennent à un état d’esprit plus sobre n’est aucune désobéissance contre les princes, mais une juste obéissance, car cela est conforme à la volonté de Dieu. »

Cité dans John Eidsmoe, Historical and Theological Foundations of Law, Vol. III : Reformation and Colonial, Tolle Lege Press, Powder Springs (Géorgie), 2011, p. 1052-1053.

Complément : Le tyran en question chez John Knox et Christopher Goodman [Études Épistémè \ OpenEdition]

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Conventicule réformé au XVIIe siècle

Conventicule réformé au XVIIe siècle

Dans mon étude Le kuypérianisme et la théonomie chez les premiers réformés baptistes, j’ai démontré que les réformés baptistes de première génération étaient massivement théonomistes. Le présent article adresse trois arguments qui pourraient être soulevés contre cette thèse : la réédition en 1646 de la Confession de foi réformée baptiste de 1644, le cas du pasteur de première génération Samuel Richardson, et le cas du pasteur de deuxième génération Benjamin Keach.

La réédition de 1646

La Confession de foi réformée baptiste de 1644 fut rééditée en 1646 et légèrement modifiée. Dans la section portant sur la magistrature civile, à l’article 48, une « clause conscience » fut ajoutée, que voici :

Surely it is our wisdom, duty, and privilege, to observe Christ’s laws only, Ps 2:6,9,10,12. So it is the magistrates duty to tender the liberty of mens’ consciences, Eccles. 8:8 (which is the tenderest thing unto all conscientious men, and most dear unto them, and without which all other liberties will not be worth the naming, much less enjoying) and to protect all under them from all wrong, injury, oppression and molestation.

Je ne vois pas la pertinence de mobiliser Ecclésiaste 8:8 ici. Quoi qu’il en soit, cette « clause conscience » ne doit pas être interprétée comme une adhésion au libertarianisme religieux. Comme le souligne le pasteur & historien Robert Oliver dans une conférence de la Strict Baptist Historical Society (voir ci-bas), la réédition de 1646 s’inscrit dans un contexte de protestation contre le projet de l’Assemblée de Westminster d’imposer une Église d’État presbytérienne à toute l’Angleterre, sur le modèle de l’Écosse. En formulant cette « clause conscience », les premiers réformés baptistes ne prônaient donc pas un complet laissez-faire religieux, comme pourrait le laisser croire une lecture anachronique de ce texte, mais ils prenaient simplement position contre l’idée de monopole ecclésial presbytérien, qu’ils rejetèrent en 1646 comme ils avaient rejetés le monopole ecclésial épiscopalien en 1644 : « la pénible tyrannie des prélats haut placés, que miséricordieusement Dieu a renversés » (article 50).

Samuel Richardson

Le cas de Samuel Richardson, un des signataires de la Confession de 1644, aumônier dans l’armée parlementaire et copasteur de la congrégation de Wapping (la première église réformée baptiste connue) avec Jonathan Spilsbury, vient renforcer la nécessité d’une interprétation historique des plaidoiries libertaires chez les puritains.

Quelques citations de l’ouvrage Tracts on liberty of conscience and persecution (1614-1661) où nous apprenons ceci sur le pasteur Richardson :

Page 238 :

« Several of his subsequent publications were devoted to the defence of the army, and of the government of Cromwell. He endeavoured to justify the violent proceeding known as Pride’s purge, and dedicated his production to “Honest and faithful Fairfax and Cromwell.” »

Page 239 :

« Mr. Richardson regarded the deeds and character of the Protector with unfeigned and ardent admiration. […] We may be permitted to quote our author’s defence of this remarkable man, to whom he was contemporary. To this a sense of duty prompted him. “I and others,” says Mr. Richardson, “owe him this service as a neighbour, as a friend, as a Christian, as he is under God our chief governor and protector.” » [Citant An Answer to the London Ministers’ Letter from them to His Excellency and his Counsel of War, 1649]

Pages 241-241 :

« In the following passage we have Mr. Richardson’s estimate of the services Cromwell had rendered to his country, and of his personal qualities as a man and governor :

“His Highness aimeth at the general good of the nation, and just liberty of every man. He is also a godly man, one that feareth God and escheweth evil ; though he is, nor no man else, without human frailty. He is faithful to the saints, and to these nations in whatsoever he hath undertaken from the beginning of the wars. He hath owned the poor despised people of God, and advanced many of them to a better way and means of living. He hath been an advocate for the Christians, and hath done them much good in writing, speaking, pleading for their liberty in the Long Parliament, and fighting for their liberty. He, with others, hath hazarded his life, estate, family ; and since he hath refused great offers of wealth, and worldly glory for the sake and welfare of the people of God : God hath given him more than ordinary wisdom, strength, courage, and valour. God hath been always with him, and given him great successes. He is fitted to bear burdens, and to endure all opposition and contradictions that may stand with public safety. He is a terror to his enemies ; he hath a large heart, spirit, and principle, that will hold all that fear the Lord, though of different opinions and practices in religion, and seek their welfare. It is the honour of princes to pity the miserable, to relieve the oppressed, and the wrongs of the poor ; he is humble, and despiseth not any because poor, and is ready to hear and help them. He is a merciful man, full of pity and bounty to the poor. A liberal heart is more precious than heaven or earth. He gives in money to maimed soldiers, widows and orphans, and poor families, a thousand pound a week to supply their wants ; he is not a lover of money, which is a singular and extraordinary thing. He will give, and not hoard up money as some do. I am persuaded there is not a better friend to these nations and people of God among men, and that there is not any man so unjustly censured and abused as he is. And some that now find fault with him may live to see and confess that what I have herein written is truth, and when he is gathered to his fathers, shall weep for want of him.” » [Citant Plain Dealing : Or the Unvailing of the Opposers of the Present Government and Governors, 1656]

Pages 242-243 :

« With such views of the government, and the governor, our author would look with regret upon the wild and visionary attempts of the fifth monarchists to overthrow them. Among these were many who were his brethren in the faith, but who openly and strongly expressed their dis approbation of the protectorate, and sought its dissolution. In an address to Mr. Vavasor Powell and others, he endeavoured to reconcile them to the governing authority. He asserted that there was no just reason for their opposition, and that scripture did not sanction their hostility. On the contrary, the divine record confirmed the authority exercised by the Protector and his council, and required their hearty and conscientious obedience to it. Besides which, there were other and sufficient reasons why the legislative power should be exercised by them, according to the provisions of the Instrument of Government. Two of the most violent, Mr. Rogers and Mr. Feake, both independents, had been selected by Cromwell as worthy of imprisonment; Mr. Richardson assures them that they were not suffering for conscience sake, as they mistakenly supposed, but for the “safety of the civil peace” of the community. It is worthy of remark, that the principal ground of defence, taken by our author, is, that liberty of conscience and freedom of religion were fully guaranteed under the protectorate, “which,” says he, “is so great, it is even unspeakable.” » [Citant encore Plain Dealing, 1656]

Donc Richardson considère que la liberté religieuse en 1656 est « tellement grande qu’elle est indescriptible ». Lorsque Richardson écrit cela, l’Instrument de Gouvernement — la constitution du Protectorat — garantit, par ses articles 15, 17, 25, 35, 37 et 39, la liberté religieuse aux seuls protestants (excluant les anglicans high-church) ! Mieux encore, Richardson vante la « grande liberté indescriptible » protégée par le Protectorat de Cromwell pendant que le Règne des Majors-Généraux (un dispositif civil et militaire ayant notamment pour fonction de réprimer le blasphème, l’ivrognerie, l’inconduite sexuelle et l’immoralité publique) battait son plein. Ce dispositif, en place d’août 1655 à janvier 1657, est considéré comme l’apogée de la domination puritaine en Angleterre et au Pays de Galles. Richardson n’y voyait aucun problème, tout comme la partie de la population ayant embrassée la Réformation.

Il est donc manifeste que pour le pasteur Samuel Richardson, qui s’exprimait avec les catégories de langage de ses contemporains, la liberté religieuse n’incluait pas les mœurs licencieuses. Il se déclarait favorable à la liberté religieuse, mais son concept de liberté correspondait à la liberté chrétienne plutôt qu’à notre concept moderne (ou postmoderne) de liberté religieuse quasi-totale. Peut-être que cela est utile pour interpréter correctement les déclarations de Benjamin Keach.

Benjamin Keach

Le réformé baptiste de deuxième génération Benjamin Keach (1640-1704) fut prédicant non-ordonné de l’église baptiste arminienne de Winslow au Buckinghamshire de 1658 à 1664 puis prédicant itinérant de 1664 à 1668 dans d’autres comtés. En 1668 il fut ordonné pasteur de l’assemblée baptiste arminienne de Tooley Street à Londres. Sous l’influence de William Kiffin et de Hanserd Knollys (deux réformés baptistes de première génération et aussi deux théonomistes), Keach adopta la position calviniste en sotériologie et fonda la congrégation réformée baptiste de Horselydown à Southwark vers 1672-73 où il demeura jusqu’à son trépas.

Benjamin Keach est l’auteur de 43 ouvrages, dont une dizaine sont accessibles sur le toile. Dans trois d’entre eux, Keach aborde l’application de la Première Table du Décalogue par les magistrats civils. Au milieu de son ministère, on constate que Keach adhère à l’orthodoxie réformée baptiste sur la pertinence de la Loi divine dans la sphère civile. Ensuite, on observe qu’il dérape graduellement dans les décennies subséquentes, où il s’éloigne des principes reconnus par les fondateurs de la dénomination réformée baptiste, allant jusqu’à exprimer des notions catégoriquement antinomiennes à la fin de sa vie.

Après 23 ans de ministère, dans Troplogia : Or a Key to Open Scripture Metaphors (1681), alors qu’il commente Job 2:9 dans son traitement des antiphrases, Keach affirme que la peine capitale pour le blasphème n’est pas une particularité propre à l’Ancienne Alliance, mais qu’elle doit également être appliquée dans les pays non-hébraïques sous la Nouvelle Alliance — une position clairement théonomiste :

« But others with greater probability judge this counsel [from Jobs’ wife] to be very wicked, for he  reproves her for it plainly : « Thou speakest as one of the foolish women speaketh, » and certainly Job would never have said so, if her speech had only imported an humble preparation for his approaching death It was rather a speaking the devil’s mind, to bid him curse God and die, viz. curse God, that the magistrate taking notice of it, thou inayest be cut off by the sword of justice, for blasphemers were sentenced to death without mercy by the law of Moses, and it is not improbable that the light of nature might carry those nations to as high and severe a revenge against that highest sin and die. »

Mais dans le même ouvrage (Tropologia de 1681), Keach écrit ce commentaire tout à fait piétiste en commentant sur la parabole du bon grain et de l’ivraie (Matthieu 13:24-30/36-43) :

« It also reproves those magistrates, who in a blind zeal persecute men for religion, and conscience sake, pretending they do it to destroy the Tare, viz., heretics, &c., whereas they know not but that those they persecute may be good and faithful Christians. Besides, it is a work that belongs not to them; God would have both, the one sort may be very vile and imprudent heretics, schismatics, &c., to live together to the end of the world. »

Comment réconcilier cette apparente contradiction dans le Tropologia de Keach ? je propose deux explications possibles.

Premièrement, Keach a rédigé le Tropologia avec un co-auteur, Thomas Delaune, un militant piétiste notoire. Donc peut-être que l’affirmation théonomiste fut écrite par Keach et que l’affirmation piétiste fut écrite par Delaune.

Deuxièmement, peut-être que Keach prônait — dans le Tropologia au moins — l’intervention du magistrat civil dans les cas de blasphème non-équivoque, mais pas dans les cas de « simple » héresie (et cela malgré la clause et cetera). Donc selon Keach la tolérance religieuse devrait s’étendre à l’hérésie mais pas au paganisme décomplexé. Une telle position serait inconsistante, mais comme nous le verrons, si telle était sa position, Keach n’était pas seul dans son inconsistance.

Seize ans plus tard, dans The Glory of a True Church and its Discipline display’d (1697), Keach évoque la répression civile de l’hétérodoxie, sans l’endosser ni la rejeter expressément :

« [T]he Rule is plain, respecting any that are subverted, and resolutely maintain any Heretical Notion, i.e. after he hath been twice (or oftner) admonished, that is, after all due means used, and pains taken with him, to convince him of his abominable Error ; and yet if he remains obstinate, he must be delivered up to Satan; that is, the righteous censure of the Church must pass upon him, as in the case of other notorious Crimes. Heresy is a Work of the Flesh : and hence some conceive such ought to be punished by the Civil Magistrate. »

Puis, au crépuscule de son ministère, dans An Exposition of the Paraboles (1701), Keach reproduit les arguments piétistes antinomiens usuels qui s’écartent clairement de la théonomie :

« Some think our Lord refers to Christian magistrates, who have been, and may again be pious persons, and may be ready to cut off by death such offenders, whom our Lord would have lived in the world until the end thereof comes ; not but that murders and traitors ought by the sword of justice to be cut off, or pulled up ; but not such who are only guilty of divers sorts of errors in matters of faith, or such who many ways are immoral in their lives.

[…]

This shows that persecution upon the account of religion, is utterly unlawful, though men may hold grand errors, yet no magistrates have any power to persecute them, much less in the highest degree, so as to put them to death.

1. Because the best of men on earth are not infallible. They do not know but that which they call heresy may be a truh of Christ. « After that way, which they call heresy (saith Paul), so worship I the God of your fathers, belleving all things that are written in the law and the prophets, » Acts X.14. And as good men are not able to distinguish between some truths and errors, so they may think such and such are tares who may be wheat, i.e., gracious and holy persons ; and this is the reason our Lord allegeth why they should not root out the tares, « Lest they root out also the wheat with them. »

2. Because Jesus Christ is only the king and sovereign of the conscience. None ought to impose upon the consciences of men in matters of religion. They must stand and tall in such cases to their own master.

3. Because it is directly contrary to that golden rule, or true moral precept, « Whatsoever you would that men should do to you, do you the same uuto them. » Persecution is therefore a palpable violation of this holy precept. Would they have others (were they in like power) to persecute them, (for what they believe and practice, according to their light and consciences) no sure, why then they ought not to persecute others ; besides, we never find that any Gospel church was a persecuting church, but contrariwise were persecuted.

4. Because such severities have no tending to convince the conscience (if it be erroneous) it may make men to act like hypocrites, i.e., out of fear to do that which is directly against their consciences, and so to sin against God, who alone hath power over it, and will punish those at last accordingly, for obeying man rather than God. When the disciples asked their Lord, whether « they should call for fire from heaven to consume their enemies, (He answered) ye know not what spirit you are of, » Luke IX.54, no more do they who persecute others for their conscience sake.

Yet let none suppose that our Saviour by these words, « Let both grow together until  harvest, » meant that he would have his people suffer wicked and heretical persons (if [mot illisible] discovered) to abide in his church ; no, for that is directly contrary to those condemned rules of discipline he hath left in the holy gospel, both in respect of private but public offences ; and also in the case of heresy, such ought to come unrequired, under a just and righteous censure, but for no such evils ; but only for murder, treason, felony, &e., ought persons to be delivered up to the civil magistrate, to suffer corporal punishment. This condemns the church of Rome, and all other people, who are persecutors of men for religion. »

Ici, Benjamin Keach est assez explicite. L’analyse que nous avons faite des écrits de Samuel Richardson serait-elle applicable au cas de Keach ? Réitérons que même lorsque certains auteurs issus du milieu puritain signaient des plaidoyers sentimentaux en faveur de la liberté religieuse, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils militaient pour une liberté-anarchie au sens où on l’entend aujourd’hui. Par exemple, le célèbre poète John Milton déployait un argumentaire drôlement familier (pour le lecteur du 21e siècle) en faveur de la liberté religieuse, mais maintenait que cette liberté ne doit pas s’étendre aux papistes, aux athées et aux mahométans. Des recherches supplémentaires seraient nécessaires pour que l’on puisse se prononcer définitivement. Ce qui est certain, c’est qu’en 1701, Keach exprimait un opinion discordante de l’orthodoxie réformée baptiste établie par la génération fondatrice. Heureusement, ses successeurs du XVIIIe siècle (John Gill) et du XIXe siècle (Charles Spurgeon) n’ont pas commis la même erreur.

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