
Extrait de l’ouvrage Theses Sabbaticæ de Thomas Shepard, 1649, p. 25
La théologie radicale des deux royaumes (Radical Two Kingdoms = R2K), telle que popularisée par les théologiens presbytériens Meredith Kline, Michael Horton, David VanDrunen, Darryl Hart, Scott Clark et Matthew Tuininga dans la seconde moitié du XXe siècle et en ce début de XXIe siècle, insiste énormément sur la notion de droit naturel (d’où son autre abréviation → Natural Law Two Kingdoms = NL2K). Pour ces intellectuels, le droit biblique serait applicable par l’Église mais pas par l’État. Inversement, seul le droit naturel – différent et séparé du droit biblique – serait applicable par l’État.
Cette position est strictement hétérodoxe. Le tableau ci-après démontre que les théologiens et jurisconsultes éminents de la Réformation du XVIe siècle n’adhéraient pas au concept de loi naturelle telle qu’aujourd’hui promue par la mouvance R2K/NL2K (ni même à une forme embryonnaire de R2K/NL2K). La synthèse de l’évidence historique conduit à ces deux observations :
- La majorité des dirigeants de la Réformation soutenait que la loi naturelle et la loi biblique sont distinctes, mais que ces deux lois sont identiques dans leurs principes généraux et qu’il s’agit – en substance – du même droit. 〈Aux érudits du tableau ci-dessous, il faut ajouter ces quatre érudits : {1} Niels Hemmingsen (1513-1600), le réformateur luthérien du Danemark ; {2} Girolamo Zanchi (1516-1590), réformateur italien (cf. De religione Christiana fides, § 13:8, p. 261-263 ; On the Law in General, p. 24-25) {3} François du Jon (1545-1602), un huguenot professeur de théologie aux Universités de Heidelberg au Bas-Palatinat et de Leyde aux Pays-Bas (cf. Franciscus Junius, The Mosaic Polity, p. 60-64) ; {4} Thomas Shepard (1605-1649), un cofondateur congrégationaliste de l’Université Harvard au Massachusetts ; {5} Francis Roberts (1609-1675), un pasteur presbytérien anglais qui fonda la Bibliothèque de Birmingham (Midlands de l’Ouest) et fut aumônier du Vice-Roi d’Irlande ; {6} Hermann Witsius (1636-1708), le recteur réformé de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas (cf. Joe Boot, The Mission of God, p. 57 ; {7} Jean Barbeyrac (1674-1744), le recteur réformé de l’Académie de Lausanne en Suisse romande, enseignant au Collège français de Berlin au Brandebourg et professeur à l’Université de Groningue aux Pays-Bas.〉
- La minorité des dirigeants de la Réformation soutenait que la loi naturelle et la loi biblique sont distinctes, mais que la Chute rend la loi naturelle insuffisante pour réguler les collectivités humaines et que c’est pour cela que l’Éternel a révélé à l’humanité un dispositif législatif complet & suffisant dans la Bible.
Aucune de ces deux approches ne corrobore la théorie de la loi naturelle non-biblique telle qu’exaltée par ses théoriciens Meredith Kline, Michael Horton, David VanDrunen, Darryl Hart, Scott Clark et Matthew Tuininga, pour lesquels la loi naturelle n’est qu’un prétexte servant à contourner l’autorité de la loi biblique révélée.
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Aux nombreuses références du tableau ci-dessus, nous pouvons ajouter l’article Law, Liberalism, and Luther : Beyond the Myths de Korey Maas paru dans le journal académique Public Discourse du Witherspoon Institute le 21 février 2018 soulignant que le réformateur allemand Martin Luther arguait que « Moïse s’accorde étroitement avec la nature » et que « les lois naturelles ne furent jamais aussi bien écrites et ordonnées que par Moïse » (ce qui fait de Luther un tenant de la 1ère approche présentée précédemment).
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Voici ce que Normand Bédard, un ancien (presbyte) de l’Église réformée Saint-Paul à Repentigny (région de Lanaudière au Québec) enseigne à propos de la loi naturelle dans son article intitulé La loi de la nouvelle tolérance diffusé sur le site web des Publications chrétiennes de Trois-Rivières le 7 novembre 2013 :
L’ancienne loi [c-à-d la loi chrétienne] impliquait la foi en un Dieu créateur et normatif. La nouvelle loi relèverait d’une morale humaniste, naturelle. Mais qu’est l’humain, et que définit-on comme « naturel » ? À travers les civilisations de l’histoire du monde, il est facile de constater que le « naturel » a eu plusieurs visages, dont la Terreur. Rien n’est pire qu’une morale « naturelle », car tout est alors remis au jugement personnel subjectif et, comme l’affirment les chrétiens, ce jugement est entaché du péché avec lequel tous sont nés… Mais justement, nos contemporains nient le péché. À leurs yeux, le seul vrai péché, c’est l’intolérance qu’il leur faut combattre. Dans ce contexte, quel est l’avenir de la société occidentale, et quel est l’avenir du christianisme occidental ?
(Les deux institutions mentionnées plus haut ↑ ne sont aucunement associées au Monarchomaque et les opinions exprimées sur ce blogue ne les engagent pas.)
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Ressources supplémentaires sur le thème de la loi naturelle et de la théologie radicale des deux royaumes (R2K / NL2K) – sources diverses :
- Devrions-nous chercher un gouvernement chrétien ? Une critique de la doctrine (dite) réformée des deux royaumes [Lumière du Monde]
- Natural Law : A Summary and Critique [Darash Press]
- Natural Law or God’s Law ? [Chalcedon Foundation]
- Law and Nature [Rushdoony Radio]
- Natural and Supernatural Law [Rushdoony Radio]
- Roots of Reconstruction – Chalcedon Position Paper # 55 : Natural Law and Canon Law [Reconstructionist Radio]
- An Informed Faith – Chalcedon Position Paper # 200 : Natural Law and Theonomy [Scribd] ⇒ Descendez jusqu’à la p. 526
- The Flaw of Natural Law [Biblical Blueprints via Leanpub]
- Counsel of Chalcedon Magazine – Natural Law or Biblical Law ? [Chalcedon Presbyterian Church]
- God’s Law for Modern Man – Natural Law versus Biblical Law [Reformed Online]
- The Escondido Theology : A Reformed Response to Two Kingdom Theology (Book Review) [Whitefield Media] ⇒ Descendez jusqu’à l’intertitre Chapter 4: “David Van Drunen’s A Biblical Case for Natural Law” (à la p. 6)
- One Kingdom : The Practical Theology of John M. Frame [Whitefield Media]
- God’s Two Kingdoms : A Response to Michael Horton [Sovereign Nations]
- Augustine vs. the Two-Kingdoms Theology [Christendom Restored]
- Augustine’s Two Cities Are Not Horton’s Two Kingdoms [Christendom Restored]
- Inglorious Kingdoms : Saving the Public Square from the Tyrannies of Bad Theology [American Vision Store]
- “Two Kingdoms” Propositions with some Responses or Counterpoints [RPCNA Covenanter]
Ressources supplémentaires sur le thème de la loi naturelle et de la théologie radicale des deux royaumes (R2K / NL2K) – Ezra Institute for Contemporary Christianity :
- Article : Biblical Law versus Natural Law
- Conférence : The Two Kingdoms that Weren’t
- Livre : The World is Christ’s : A Critique of Two Kingdoms Theology
- Balado (podcast) : What’s a Christian to Do with Natural Law ?
- Balado (podcast) : Syncretism, Natural Law and Pagan Wisdom
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Selon le juriste, philosophe et historien Michel Villey – un homme d’obédience catholique romaine et de sentiment thomiste & jusnaturaliste – la doctrine moderne du droit naturel fut largement érigée par les théologiens papistes de la Contre-Réforme (!) qui visaient à contre-carrer le droit biblique mobilisé par les protestants en invoquant une source de droit étrangère aux Écritures Saintes. Voici ses principales œuvres en cette matière…
- La formation de la pensée juridique moderne, Presses universitaires de France, 2013, 640 p. [échantillons gratuits]
- La nature et la loi : Une philosophie du droit, Éditions du Cerf, 2014, 288 p.
- Critique de la pensée juridique moderne, Éditions Dalloz, 1976, 286 p. [échantillon gratuit]
- Leçons d’histoire de la philosophie du droit, Éditions Dalloz, 1962, 326 p.
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Peut-être devrions-nous reconnaître l’existence de différents courants du droit naturel – chrétien, païen et mixte – comme nous y invite l’érudit réformé baptiste Jean-Marc Berthoud :
Source : Jean-Marc Berthoud (citant Alfred Dufour), Le Règne terrestre de Dieu – Du gouvernement de Notre Seigneur Jésus-Christ : Politique, Nations, Histoire et Foi chrétienne, Éditions L’Âge d’Homme, Lausanne (Vaud), 2011, p. 440-441 sur 603+.
« La nécessité de la révélation spéciale repose sur l’insuffisance de la révélation générale. [P]uisque la révélation générale n’était pas suffisante, même avant la Chute, pour révéler la volonté de Dieu à ses créatures (voir Genèse 1:28-30 ; 2:16-17), il est inconcevable qu’elle puisse révéler à l’homme d’après la Chute comment gouverner ses affaires en matière de vie séculière. »
— William Gary Crampton, ‹ Book Review – The Escondido Theology ›, Whitefield Theological Seminary, publié le 2 avril 2012, p. 6-7 sur 18.
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« But ever since the corruption of our nature [at the Fall], such is the blindnesse of our understanding, the perversnesse of our will and disorder of our affections, that there are only some reliques of that Law remaining in our hearts like to some dimme aged picture, and therefore by the voyce and power of God it ought to bee renewed as with a fresh pencill. Therefore is there no where to be found any true right practicall reason, pure and complete in all parts, but in the written Law of God (Psalme 119:66). »
— William Ames (1576-1633), Conscience with the Power and Cases Thereof, 1639, p. 108. Ames fut observateur de l’Église d’Angleterre au Synode de Dordrecht en Hollande-Méridionale et professeur de théologie réformée à l’Université de Franeker en Frise-Occidentale pendant plus d’une décennie. À propos de cet ouvrage, l’Encyclopédie Britannica précise : « The latter text was considered for many years by the Dutch Reformed Church to be a standard treatise on Christian ethics and the variety of ethical situations faced by believers. »
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« The Greek and Stoic idea of natural law is not the biblical doctrine of the revelation of the moral law of God in creation. [S]ome Christians have borrowed the recognized philosophical term “natural law” to express the biblical doctrine of general revelation. [I]f all pagan philosophy has been purged, and only the name remains as a designation for the teaching of Scripture on general revelation, then theonomy has no fundamental objection to its use.
However, the use of “natural law” to designate the concept of general revelation is questionable. How so ? First, it suggests to others that “nature” is somehow the source of law, when in reality God is the source of all law. Second, it is impossible to use “natural law” as an objective term to designate the general revelation of the moral law [without some degree of confusion] because of its long history and wide usage in secular, anti-Christian philosophy. […]
Theonomy recognizes the biblical doctrine of general revelation, but it firmly rejects the idolatrous philosophy and speculative ethics of natural law theory ; Scripture teaches the concept of general revelation, but it repudiates […] natural law. »
— William Einwechter, Walking in the Law of the Lord : An Introduction to the Biblical Ethics of Theonomy, Darash Press, Hopeland (Pennsylvanie), 2010, p. 61 et 64 sur 210.
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Captures d’écran correspondant aux pages 57 et 58 du livre Theses Sabbaticæ de Thomas Shepard (1649) :
Un des plus importants chantres nominalement protestants du droit naturel, Sir Matthew Hale (1609-1676), niait carrément la doctrine de l’élection et donc la sotériologie réformée orthodoxe…
Source : Joseph Sunde, ‹ Now Available : “Of the Law of Nature” by Matthew Hale ›, Acton Institute Powerblog, publié le 12 janvier 2016.