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Le piétisme est une mentalité selon laquelle le chrétien doit se réfugier dans un îlot de « piété » subjective intérieure et ne doit jamais s’impliquer dans les luttes socioculturelles et politiques de son époque. Selon cette doctrine anti-biblique et non-chrétienne (car dualiste / néoplatonicienne / gnostique / manichéenne), le chrétien doit s’occuper des enjeux « terrestres » le moins possible. Le piétisme véhicule aussi une forme d’ecclésiocentrisme puisqu’il est chroniquement incapable d’admettre la rédemption ailleurs que sous le chapiteau de l’Église. Bref, le piétisme pousse les chrétiens à refuser de remplir leur Mandat créationnel qui est d’assujettir la Terre pour la gloire de l’Éternel (Genèse 1:26-28).
L’Encyclopédie Universalis nous informe de ceci à propos du piétisme fort peu pieux :
Mouvement à forte composante émotionnelle, le piétisme peut être considéré comme une réaction contre les tendances « mondaines » [sic] que manifesta le protestantisme à partir du XVIIe siècle et contre le fait que les découvertes religieuses opérées par les réformateurs [supposément] plus l’objet que d’un acquiescement de nature principalement intellectuelle.
[…]
Dans cette perspective [piétiste], l’Écriture Sainte représentait moins un recueil de connaissances dogmatiques qu’une source vivante de la foi.
[…]
La théologie de l’Université de Halle (Saxe-Anhalt) insista fortement sur la nécessité d’une conversion acquise à travers une crise profonde. Pour être un enfant de Dieu, il fallait avoir connu une lutte intérieure comprenant une phase initiale de désespoir ; […] La piété resta, la plupart du temps, très affective et sentimentale.
[…]
Le terme de « piétisme » est cependant parfois utilisé avec une connotation négative. En effet, certains estiment néfaste l’influence du piétisme sur le protestantisme, qu’il a rendu souvent [trop] enclin à l’introspection et à une forte intériorisation de la religion.
La très libérale Fédération protestante de France (FPF), sympathique au piétisme, présente ce phénomène comme suit :
Le piétisme est un grand mouvement religieux né en Allemagne au XVIIème siècle. Philipp Jakob Spener en était un des principaux instigateurs. […] Le courant du piétisme reprochait [à tord] à l’orthodoxie protestante de l’époque de faire de la religion un ensemble de confessions de foi dans lesquelles la piété et la sensibilité personnelle du croyant n’avait pas de place.
Sur le fondateur nominal du piétisme – Philipp Jakob Spener ↑ – la FPF précise :
Philipp Jacob Spener est né à Ribeauvillé en Alsace en 1635. Après des études de philosophie et de théologie, il est appelé à un poste influent, la direction du corps pastoral de Francfort-sur-le-Main. C’est là qu’il va contribuer au développement d’un mouvement de réveil [sic] du protestantisme allemand, qualifié de « piétisme ».
Cherchant à renouveler la vie de l’Église, il fonde avec des amis un groupe d’édification, le Collegium Pietatis. En 1675, il fait paraître un opuscule : Les Pia Desideria, ou Désir sincère d’une amélioration de la vraie Église évangélique [sic], dans lequel il met l’accent sur la piété personnelle.
En 1694, les piétistes allemands participèrent à l’inauguration de l’Université de Halle (aujourd’hui située dans le Land de Saxe-Anhalt). Une des facultés fondatrices était la Faculté de théologie qui servit dès lors de tremplin au nouveau clergé piétiste. Plusieurs générations de pasteurs y furent pétris par le sentiment qui animait Philipp Jakob Spener. Un de ses plus éminents professeurs fut August-Hermann Francke (1663-1727) ; ce dernier se démarqua toutefois du piétisme strict par son important engagement social en faveur des orphelins. L’Université de Halle catapulta le piétisme dans la sphère académique européenne. Cela donna au piétisme un large rayonnement et – par extension – une respectabilité croissante dans le luthéranisme germanique.
Le piétisme doit donc son nom à ses promoteurs pseudo-luthériens de la fin du XVIIème siècle. Cependant, ce n’est pas ceux-ci qui en accouchèrent les premiers. Déjà au début du XVIème siècle, l’anabaptisme ultra-pacifiste formulé par l’Allemand Michael Sattler (c.1490-1527) puis recyclé dans le mennonitisme fondé par le Frison Menno Simons (1496-1561) se qualifient théologiquement de piétistes, comme l’illustre tragiquement la Confession de Schleitheim adoptée en 1527 (article 6).
Ultérieurement à la naissance de l’anabaptisme puis du mennonitisme, l’apparition successive de différentes hétérodoxies piétistes supplémentaires – quakerisme au XVIIème siècle, revivalisme au XVIIIème siècle, darbysme et adventisme au XIXème siècle, fondamentalisme et pessimillénarisme généralisé au XXème siècle, etc. – conjuguée à l’influence pernicieuse de la philosophie païenne des « Lumières » propulsèrent le piétisme en dehors des cercles luthériens. Cette conjoncture permit au piétisme de contaminer, et ainsi d’affaiblir, l’ensemble des familles confessionnelles et la plupart des structures associationnelles protestantes (quoique à des degrés quantitativement et qualitativement variables). En Amérique du Nord, toutes dénominations confondues, ce basculement piétiste s’effectua à peu près entre 1900 et 1930. En histoire des idées, les historiens appellent ce phénomène « le Grand Renversement » (The Great Reversal).
En rétrospective, nous pouvons constater que sans nécessairement le vouloir (?), la mentalité piétiste a conduit le christianisme à s’auto-marginaliser, préparant ainsi le triomphe temporaire du sécularisme fanatique, et par extension le triomphe temporaire du multiculturalisme répressif, et par extension le triomphe de l’islamisation djihadiste. Au final, le piétisme a immensément contribué à déchristianiser les sociétés occidentales, comme le constate à bon escient le pasteur et théologien réformé californien Mark Rushdoony :
Pietism was an emphasis on piety understood in a dualistic sense […] Pietism defined Christianity in terms of “spiritual” otherworldliness and saw it in opposition to the worldliness of day-to-day human activity. Pietism, in fact, saw Christianity as a retreat from earthly, worldly concerns, which it increasingly abandoned.
[…]
Pietism, having accepted a spiritualized view of Christianity […] Not only was the material world left to secularization, the Bible itself was seen as legalistic when it delved into specifics of behavior. […] This Pietistic trend was also then applied to the Bible. Those laws seen as mundane or worldly were dismissed as Hebrew “civil” law and seen by Pietists as of no value to “spiritual” Christians.
Source ↑ : How Christianity Marginalised Itself [Chalcedon Foundation]
Le professeur émérite Pierre Courthial (1914-2009), pasteur dans l’Église réformée de France ainsi que co-fondateur et ex-doyen de la Faculté Jean Calvin située à Aix-en-Provence (anciennement nommée la Faculté libre de théologie réformée), expose les conséquences funestes du piétisme sur la sanctification collective du peuple allianciel et sur l’avancement du Royaume des Cieux dans son « testament spirituel » intitulé Le jour des petits recommencements (Éditions L’Âge d’Homme, Lausanne, 1996) :
[En embrassant le piétisme,] l’Église déserte le combat des deux Cités, et en bloque beaucoup dans la Babel, la Babylone d’en bas, au lieu de les amener, vaincus [dans le bon sens], à rejoindre le Christ Sauveur-Seigneur dans la Jérusalem d’en haut. […] En choisissant la synthèse plutôt que l’antithèse, en voulant ne faire qu’une Cité des deux Cités, l’Église trahirait sa mission, et, du même coup, trahirait les hommes auxquels elle doit communiquer la Parole de vérité et de salut, et trahirait son Seigneur et Époux Jésus-Christ.
[Le piétisme,] sans le vouloir, contribue au développement de la maladie humaniste en lui abandonnant des secteurs entiers de l’existence. Au long des siècles, et notamment depuis le XVIIIe siècle, le piétisme n’a cessé de limiter la portée et l’autorité de la Parole, de la Loi, de Dieu à la vie personnelle et familiale, au culte, et à l’Église isolée du monde et s’en retranchant […].
En minimisant la Loi morale de Dieu, en la restreignant, en s’opposant à son extension à tous les domaines qui constituent la majeure partie de la vie des hommes ici-bas, […] les piétistes abandonnent, de fait, tout le reste — ce qui fait beaucoup ! — aux volontés humaines (ou démoniaques ?), maîtresses alors du terrain. Ils [les piétistes] deviennent complices de l’humanisme qui profite de leur réserve, de leur abstention, volontaire, pour l’emporter.
Piétistes ou militants humanistes se rejoignent alors au moins sur ce point : Dieu, dans ces domaines, n’a rien dit, n’a rien à dire, et n’a rien voulu dire.
Ce copinage impie entre les tenants du piétisme et les tenants du sécularisme explique pourquoi certains observateurs chrétiens utilisent l’expression « alliance piétiste-humaniste » pour désigner le front commun formé par ces deux groupes au détriment de la Chrétienté et du Royaume de Dieu. Voici un échantillon de son résultat :
[L]e fondamentalisme est en train de dissiper de manière prodigieuse la culture chrétienne accumulée au fil des siècles, ce qui est un grave péché. L’abandon des champs sociétaux au profit des laïques constitue une réponse regrettable.
[Aux États-Unis d’Amérique, pendant] plus de 50 ans, du Procès Scopes en 1925 à la candidature à la présidence en 1976 de Jimmy Carter, « né de nouveau », les chrétiens conservateurs n’ont pas développé de philosophie sociale ou politique discernable. Les laïques ont profité de cette indifférence et ont conduit le pays dans une direction résolument antichrétienne. Les principales institutions ont été prises d’assaut – tribunaux, écoles, séminaires – et transformées en groupes de défense laïques formant des disciples promouvant le programme humaniste. Lorsque les chrétiens ont observé ce qui se passait, ils ont conclu (1) qu’ils ne sont que des pèlerins de passage sur la terre, (2) que Jésus va les sauver par un enlèvement, (3) et qu’il incombe aux chrétiens d’endurer la persécution pour le nom de Jésus [sic].
Source ↑ : La longue histoire idéologique du marxisme culturel [La Lumière du Monde]
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Compléments sur Le Monarchomaque :
- Le dualisme esprit-matière n’est pas biblique
- À quelle théologie des deux royaumes les fondateurs du baptisme réformé adhéraient-ils : réformée ou radicale ?
- Les baptistes en Amérique coloniale : entre restreinte inexcusable et liberté excessive
Compléments hors-site :
- Le retour du gnosticisme [Foi & Vie réformées]
- Qu’est-ce que le dualisme chez les chrétiens ? [Trans World Radio]
- Evangelical Gnosticism [The Gospel Coalition]
- Only Preach the Gospel ? [The Gospel Coalition]
- The New Dualism : The “Christian” Enemy of Christian Culture [Journal of Christian Legal Thought \ Institute for Christian Legal Studies]
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« Si la piété est bien au cœur de la vie chrétienne, le piétisme, lui, restreint faussement la vie chrétienne au domaine dit spirituel, alors que celle-ci doit embrasser tous les aspects, toutes les sphères de notre existence terrestre. Le piétisme bloque au seul domaine spirituel l’extension de la vie chrétienne, qui doit s’emparer de tout le champ que le piétisme déclare “profane”, de tout le champ recouvert par les mandats culturel [Genèse 1:26-28] et missionnaire [Matthieu 28:18-20] confondus. »
— Pierre Courthial, De Bible en Bible, p. 198.
Sélection d’articles sur le portail Lesser Magistrate :
A Brief History on Pietism and Statist Rulers
Pietism : The Reason Pastors Aren’t Involved
The Bane of Pietism and the Murder of the Preborn
The Destructive Influence of Pietism in American Society
« Nombreux sont ceux [parmi les piétistes] qui ont défendu la position que si le nombre de chrétiens augmentait, la société allait changer ou s’améliorer d’une manière ou d’une autre. Mais les chiffres ne sont pas toujours synonymes d’influence. […] L’hypothèse selon laquelle la société s’améliorera simplement grâce à la présence de chrétiens n’est plus valide. Si nous tenons à influencer la société, l’évangélisation ne suffit pas. […] Le positionnement piétiste est également naïf quant au rôle de la culture dans le processus de formation de disciples. Si l’Église ne se préoccupe pas de la culture – de ses éléments qui sont positifs, critiquables ou neutres [adiaphora] à la lumière de la Bible – ses membres se mettront à assimiler naïvement les valeurs de la culture. Ils intégreront la culture malgré des intentions contraires. La culture est complexe, subtile et inévitable […]. Et si nous ne pensons pas de manière délibérée à notre culture, nous nous y conformerons sans nous en rendre compte. On en trouve un bon exemple dans la façon dont les Églises de la tradition évangélique piétiste ont rapidement adopté des modèles de ministère axés sur les personnes en recherche [“seekers”], utilisant des techniques modernes de marketing et de promotion, sans se demander si ces techniques n’importaient pas dans l’Église les valeurs culturelles du consumérisme et de l’individualisme. »
— Timothy Keller, Une Église centrée sur l’Évangile, p. 278-279.