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Plongeons dans la pensée théocentrique des réformateurs et des huguenots français du XVIe siècle. Les citations suivantes sont tirées de l’ouvrage L’Honneur et la foi : Le droit de résistance chez les réformées français (1536-1581) publié par la Librairie Droz en 2012 ainsi que de l’article Calvin monarchomque ? Du soupçon à l’argument publié dans la revue quadrilingue Archives pour l’histoire de la Réformation en 1998.
Qu-est-ce qu’un gouvernement légitime ? Un gouvernement limité et mesuré.
Un bon dirigeant politique « ne reconnait pas seulement ses frères pour prochains & comme associés : mais aussi tient pour frères tous les principaux Officiers du Royaume, et n’a point honte de confesser que c’est d’eux qu’il a la couronne. »
— Philippe de Mornay, Vindiciae Contra Tyranos, 1581.
« Ceux qui étaient appelés à la couronne de France, étaient élus sous certaines lois & conditions qui leur était limitée, et non point comme tyrans avec une puissance absolue, excessive & infinie. »
— François Hotman, Francogallia, 1573.
« Pour certain [sûr] c’est une parole très fausse, & non point d’un loyal sujet à son Prince, mais d’un détestable flatteur, de dire que les souverains ne sont astreints à nulle loi. »
— Théodore de Bèze, Du Droit des magistrats, 1574.
Qu’est-ce qu’une tyrannie ? Un pouvoir qui viole la Loi de Dieu.
« Il n’y a pas de roi au monde qui ne soit pas sujet à tous ceux qui discernent entre le bien et le mal, pour être condamné pour ses vices. Si un roi est dissolu et efféminé, on dira qu’il n’est pas digne d’un tel lieu. S’il est ivrogne ou gourmand, il sera condamné aussi bien. S’il est cruel et qu’il tourmente son pauvre peuple par tributs et par taxes, on l’accusera de tyrannie. Mais cependant le jugement des hommes s’évanouit tantôt, de sorte que cette majesté éblouit les yeux, et c’est comme si on donnait un coup de marteau sur la tête de chacun : qu’on n’ose pas juger ceux qui sont élevés si haut. »
— Jean Calvin, 32e sermon sur la Genèse, 15 novembre 1559.
« Les Rois sont ordonnés de Dieu et établis par le peuple pour procurer le bien de ceux qui leur sont assujettis. Ce bien ou profit se fait voir principalement en deux choses, à savoir en l’administration de justice aux sujets et adresse aux armes pour repousser les ennemis. Certainement il faut inférer et conduire de là que le Prince qui ne sert qu’à son profit ou à ses plaisirs, qui méprise et renverse tous droits et devoirs, qui traite plus cruellement son peuple que ne ferait un ennemi du tout désespéré, peut être proprement appelé Tyran, et que les Royaumes ainsi gouvernés, quoi que de longue et large étendue, ne sont autre chose que grands brigandages. »
— Philippe de Mornay, Vindiciae Contra Tyranos, 1581.
« Le tyran fait tous ses efforts de fuir ou d’abolir toutes assemblées publiques, redoute l’Assemblée des États, les Parlements, les Diètes ou journées pour traiter matières de l’État, fuit la lumière ne voulant être connu en ses actions, même il tient pour suspects les devises, propos & contenances des sujets. »
— Philippe de Mornay, Vindiciae Contra Tyranos, 1581.
« Car celui est roi qui régit et administre son royaume avec règle, prudence et conseil, qui ne se croit soi-même, n’obéit à ses sensualités, mais modère toutes choses selon la raison. Au contraire, le tyran est celui qui méprise le Conseil, qui ne croit qu’à lui-même, obéissant à son appétit, et rejetant en arrière toute raison. »
— Jean de Coras, Question politique : s’il est licite aux sujets de capituler avec leur prince, 1568.
Quelle est la limite du pouvoir des gouvernants ? La Loi de Dieu.
« En l’obéissance que nous avons enseignée être due aux supérieurs, il y doit y avoir toujours une exception, ou plutôt une règle qui est à garder devant toutes choses : c’est que telle obéissance ne nous détourne point de l’obéissance de Celui sous la volonté duquel il est raisonnable que tous les édits des rois se contiennent, que tous leurs commandements cèdent à son ordonnance et que et que toute leur hautesse soit humiliée et abaissée sous sa Majesté. »
— Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, volume 4, chapitre 20, section 32.
Le souverain doit s’engager conjointement avec le peuple à être sujet de Dieu et à régner selon Ses Lois, telles que définies par « les deux Tables données à Moïse, dans lesquelles, comme en bornes immuables, l’autorité de tous Princes doit demeurer enclose. »
— Philippe de Mornay, Vindiciae Contra Tyranos, 1581.
« Il n’y a autre volonté que celle d’un seul Dieu qui soit perpétuelle & immuable, règle de toute justice. C’est donc lui seul auquel nous sommes tenus d’obéir sans aucune exception. Et quant à l’obéissance due aux Princes, s’ils étaient toujours en la bouche de Dieu pour commander, il faudrait aussi dire sans exception qu’on leur devrait obéir tout ainsi qu’à Dieu. Mais n’advenant le contraire que trop souvent, cette condition y doit être apposée : Pourvu qu’ils ne commandent choses irréligieuses, ou iniques. J’appelle commandements irréligieux ceux par lesquels il est commandé de faire ce que la première Table de la Loi de Dieu défend, ou défend de faire ce qu’elle commande. J’appelle commandements iniques ceux, auxquels on ne peut obéir sans faire ou ommettre ce que chacun doit à son prochain selon sa vocation, soit publique, soit particulière. »
— Théodore de Bèze, Du Droit des magistrats, 1574.
« En la première Alliance [entre le souverain et Dieu] il y a obligation à piété, en la seconde [entre le souverain et la population] à justice. Par celle-là le Roy promet d’obéir religieusement à Dieu, par celle-ci, de commander justement au peuple. Par l’une il s’oblige de procurer la gloire de Dieu, par l’autre le profit du peuple. En la première il y a cette condition [de légitimité] : Si tu observes ma Loi [divine] ; en la seconde : Si tu gardes à chacun le droit qui lui appartient. »
— Philippe de Mornay, Vindiciae Contra Tyranos, 1581.
Quelle est la limite de l’obéissance des gouvernés ? La légitimité des gouvernants.
« Si on nous commande de paillarder [se débaucher], de dérober et de meurtrir, prendrons-nous tout cela pour une loi ? Nenni. Nous dirons que ce sont [ceux qui nous commandent] des bêtes insensées qui veulent nous jeter en enfer […] Or celui qui commande qu’on offense Dieu, il commande ce qui ne vaut pas mieux que tout larcin [méfait, rapine, brigandage] […] Tiendrons-nous cela pour loi ? Nenni. Non […] Il faut que cette bride soit mise par dessus, c’est à savoir que nous ne soyons point distraits ni détournés de l’obéissance, ni de la sujétion que nous devons au Roi Souverain [Dieu], qui domine par dessus tous les princes de ce monde, sachant que les royaumes ne sont rien, sinon en tant qu’ils sont constitués de Dieu. Quelle autorité hérite un roi, sinon autant que Dieu lui donne ? Et s’il s’élève contre Dieu, faut-il qu’on lui obéisse ? Il est bien certain que non. »
— Jean Calvin, sermon sur le Livre de Daniel, 1561.
Quels sont les devoirs des citoyens ordinaires ? Défendre leur patrie contre les imposteurs intérieurs et extérieurs.
Tous sont égaux sous le devoir de « maintenir l’état légitime de sa patrie : à laquelle, après Dieu, chacun se doit soi-même, contre celui qui n’est point son magistrat, puis qu’il veut usurper, ou a usurpé telle domination contre les lois. »
— Philippe de Mornay, Vindiciae Contra Tyranos, 1581.
« Avenant qu’une tyrannie se voulût fourrer en un État, il est permis au moindre du peuple de repousser telle usurpation. Celui qui réprime le destructeur de la patrie et de la discipline publique n’esmeut [ne commet] point de sédition, mais au contraire l’abolit. »
— Philippe de Mornay, Vindiciae Contra Tyrannos, 1581.
Que doivent faire les gouvernés qui se retrouvent soumis à un gouvernant illégitime (irréligieux) ? Le renverser et le châtier.
« Car s’il y avait en ce temps-ci des magistrats constitués pour la défense du peuple, pour refréner la trop grande cupidité et licence des rois – comme anciennement les Lacédémoniens avaient ceux qu’ils appelaient Éphores, et les Romains leurs défenseurs populaires [Tribuns de la Plèbe], et les Athéniens leurs Démarques [sortes de maires] – et comme sont possibles aujourd’hui en chaque royaume les trois États [États-Généraux] quand ils sont assemblés : À ceux qui seraient constitués en tel États, tellement que je ne leur défendrais pas de s’opposer et de résister à l’intempérance ou la crudelité des rois, selon le devoir de leur office, que même s’ils dissimulaient, voyant que les rois désordonnément vexassent le pauvre populaire, j’estimerais devoir être accusée de parjure telle dissimulation, par laquelle malicieusement ils trahiraient la liberté du peuple, de laquelle ils se devraient connaître être ordonnés tuteurs par le vouloir de Dieu. »
— Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, volume 4, chapitre 20, section 31.
« S’il advient que les princes veulent nous détourner de l’honneur de Dieu, s’ils veulent nous contraindre aux idolâtries et superstitions, alors ils ne doivent avoir nulle autorité entre nous, non plus que les grenouilles, non plus que les poux et encore moins. Et pourquoi ? D’autant qu’il nous veut contraindre de faire une chose qui est contre la volonté du Prince souverain [Dieu], auquel nous devons obéir plutôt qu’à tous les hommes du monde, quelque soit l’autorité et la prééminence qu’ils aient par-dessus nous. »
— Jean Calvin, 41e sermon sur les Actes des Apôtres, 14 décembre 1550.
« La plus grande autorité que puissent avoir les rois de ce monde, n’est-ce point qu’ils soient serviteurs de Dieu, qu’ils soient comme ses officiers ? Or si un prince ne se contente point de ceste simplicité là, il n’est pas digne d’être accomparagé à un poux, à un ver, ou quelque autre vermine, car les poux sont encore créatures de Dieu, et voilà un vilain qui avait été institué de Dieu pour être son lieutenant, et toutefois il se moque de son Prince Souverain ! N’est-il pas digne qu’on lui crache au visage ? Nous sommes tenus d’obéir à nos princes, voire sinon qu’ils s’élèvent à l’encontre de Dieu. Mais quand ils voudront déroger de sa Majesté, qu’ils entreprendront plus qu’il ne leur est permis, si les princes s’élèvent jusque-là, fi, fi, ce n’est plus qu’ordures d’eux. Il faut qu’ils soient mis en bas, et qu’on ne tienne plus compte d’eux non plus que de savates [vieille pantoufle usée]. »
— Jean Calvin, 9e sermon sur le Livre de Daniel, 1552.
« Les rois, combien qu’ils confessent que Dieu gouverne le monde, néanmoins ne peuvent pas se persuader qu’ils peuvent être renversés de leur dignité en un moment, car ils leurs semblent qu’ils sont attachés à leur nids, et par ce moyen ils se font accroire que leur état sera permanent à toujours. »
— Jean Calvin, sermon sur le chapitre 27 du Livre de Jérémie, entre 1559 et 1562 (publié à Lyon par Claude Senneton en 1565). Notons que des agents sont requis pour renverser et abattre les régnants iniques.
« Même les rois de ce monde, quand ils sont ennemis de Dieu, nous les devons tenir comme des diables enchaînés. »
— Jean Calvin, 19e sermon sur le Second Livre de Samuel, 14 juillet 1562.
« Tous les rois et princes sont enseignés de dominer en telle sorte qu’ils fassent toujours hommage à Dieu de la supériorité qu’ils ont en main, et qu’ils se gouvernent de telle sorte que Dieu soit toujours par dessus, et qu’ils se montrent être ses vrais lieutenants et officiers, ou bien Dieu leur ôtera toute liberté, et il faudra que ceux qui leur doivent être sujets s’élèvent et les tiennent captifs et attachés. »
— Jean Calvin, 63e sermon sur le Second Livre de Samuel, 13 novembre 1562.
« [Les États-Généraux] du pays ou autres, à qui telle autorité est donnée par les lois, […] s’y peuvent et doivent opposer jusques à remettre les choses en leur état, et punir même le tyran, si besoin est, selon ses démérites. »
— Théodore de Bèze, Du Droit des magistrats, 1574.
« Cas advenant aussi que celui qui est Roy par élection ou droit héréditaire se détourne manifestement des conditions sous lesquelles & non autrement il a été reconnu & avoué pour Roy, qui peut douter que l’inférieur Magistrat du Royaume, ou de la ville ou de la Province, de laquelle il a reçu l’administration de par sa souveraineté, ne soient quittes de leur serment, au moins jusqu’à ce point qu’il leur soit loisible de s’opposer à l’oppression manifeste du Royaume, duquel ils ont juré la défense & protection selon leur charge & particulière administration ? »
— Théodore de Bèze, Du Droit des magistrats, 1574.
« Si le pape veut susciter une guerre, il faut lui résister comme à un monstre furieux et possédé ou, à vrai dire, comme à l’arctolucos [au loup-garou]. »
— Martin Luther, 1539 ; cité dans Éric FUCHS et Christian GRAPPE, Le droit de résister – Le protestantisme face au pouvoir, Genève, Labor & Fides, 1990, p. 40 sur 97.
Après les quatre questions qui forment la table des matières des Vindiciae viennent en exergue deux textes très significatifs :
1. Un extrait du Code Théodosien (1.14.4) qui affirme la soumission de l’empereur à la loi.
2. Un extrait de Justin [Marcus Junianus Justinus] à propos de Lycurgue qu’il indique comme obligé par ses propres lois.
Le prince est tenu par les lois, nous disent des autorités de l’Antiquité.
Source : Vindiciae contra tyrannos [La Question du Latin]
Déjà au Moyen Âge central, Thomas d’Aquin avait autorisé la rébellion contre le prince lorsque celui-ci empiète sur le droits de Dieu et de l’Église.
Source ↑ : Arlette Jouanna, Classiques de la pensée politique, Volume XI, Droz, 1979, p. 21 sur 403, cf. Somme théologique, Tome II, Question 24, Réponse 2.
Source ↑ : Il faut tuer le roi [Bibliothèque et Archives du Château de Chantilly]
Aussi : Le pouvoir temporel selon Thomas d’Aquin [Rives Méditerranéennes | OpenEdition]