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Posts Tagged ‘provinces-unies du midi’

Celui qui étudie la théologie réformée / monarchomaque de résistance légitime peut parfois avoir l’impression que ces auteurs de pamphlets politiques étaient des penseurs isolés dans leur tour d’ivoire, sans influence substantielle. Or, la production littéraire du temps indique au contraire que les idées monarchomaques ont rapidement été reçues par la population réformée, que se l’est dûment appropriée. En témoigne, par exemple, le dialogue fictif composé par le Calviniste anonyme de Millau. Ce texte illustre merveilleusement la passion et l’état d’esprit combatif des huguenots français après le Massacre de la St-Barthélemy. Au paroxysme de la joute verbale, quand la Reine-Mère – Catherine de Médicis – dénigre le conseiller du Parlement de Toulouse (que les Provinces-Unies du Midi ont délégué à Paris pour faire connaître au roi Charles IX les cahiers dressés par l’Assemblée de Millau en 1573) en le traitant de « gens de petite qualité », le Calviniste anonyme fait répondre au délégué avec une verve rustre mais assurée :

« Dans ce royaume de France, il y a trois cent soixante villes de la religion [réformée] ; tellement, Madame, que la moindre d’icelles soutiendrait le camp du roi [serait capable de résister au siège] pendant dix jours ; joints aussi, madame, qu’il y a en France encore trois cent mille huguenots ou plus, portant les armes journellement pour leur défense ; vous assurant, Madame, que à c’t’heure, vous n’avez plus affaire avec un prince ou amiral ni autre grand seigneur, mais vous avez à faire avec de petits cadets ou pauvres gentilshommes ou avec un cordonnier, ou couturier, un maçon, un serrurier, méréchaus [?], et autres de petits états lesquels, Madame, ont grand plaisir de porter les armes et d’aller à la guerre. » (Janine Garrisson, Protestants du Midi, p. 209-210)

L’ébauche du Règlement des Provinces-Unies du Midi tel que provisoirement adopté par l’Assemblée politique de Réalmont (Tarn) puis de St-Antonin (Gers) à l’automne 1572 atteste également de l’acceptation populaire effective des principes monarchomaques. Ainsi, l’article premier de cette proto-constitution entérine la résistance armée contre les tyrans violateurs de la Loi divine :

« En attendant qu’il plaise à Dieu, qui a le cœur des rois en Sa main, de changer celui de notre tyran [Charles IX] et restituer l’État de la France en bon ordre ou susciter un prince voisin qui [se] soit manifesté par sa vertu et [ses] marques insignes ; […] on élira par voix et suffrages publics, en chaque ville ou cité que ceux de la religion réformée tiennent ou tiendront à l’avenir, un chef que l’on nommera Majeur pour y commander tant au fait de la guerre que pour leur défense et conservation que de la police, afin que tout soit fait par bon ordre. » (Ibid., p. 180)

L’article dix-neuvième promulgue quant à lui la condamnation des traitres à la collectivité et des anti-protestants. Le peuple peut traduire en justice devant le Conseil de ville « tous ceux soit de la noblesse ou autres chefs ou membres qu’ils penseront machiner, pratiquer, ou faire quelque chose contre le bien public de la religion et la défense commune du corps. » (Ibid., p. 181) On voit ici le lien étroit entre les dispositions monarchomaques et théonomistes.

L’article dernier est le plus fort : il prépare le renversement légal des tyrans illégitimes… « Si le mal est venu jusqu’au comble et que la volonté de Dieu soit de les exterminer [les tyrans anti-réformés], s’il plaisait à Dieu de susciter quelque chrétien vengeur des offenses et libérateur des affligés, qu’à celui-là ils [les réformés] se rendent sujets et obéissants comme à un Régent que Dieu à envoyé, et en attendant cette obtention, qu’ils se gouvernent par l’ordre ci-devant écrit en forme de loi. » (Ibid., p. 180)

Au rang des mesures pour les exactions de la soldatesque, l’article 31 prévoit ceci quant à la discipline militaire en rapport avec la population civile : « Quand on sera contraint de camper, si le soldat est instruit de se contenter de l’ordinaire du bonhomme avec toute modestie et crainte de Dieu et les lois militaires qui leur doivent servir de bride et de conduite. » Cette ordonnance fait écho aux efforts de Coligny pour régénérer moralement l’infanterie française.

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La version PDF de cette étude est accessible ici.

La version anglaise de cette étude se trouve ici.

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Jubile400ansEditNantes

Médaillon commémoratif réalisé à l’occasion du 400ème anniversaire de l’« Édit de Nantes » (1598-1998). L’édiction de ce texte législatif ne fut possible que grâce à la pression politique, économique et militaire des Provinces-Unies huguenotes

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La théonomie consiste en le maintien du droit biblique par les autorités étatiques.

Après l’hécatombe de la St-Barthélemy où le pouvoir royal approuva le massacre de quelque 30 000 huguenots (réformés français) d’août à novembre 1572, les survivants se redressèrent après la tourmente. Sachant que les autorités catholiques se préparaient à « finir le travail », les réformés du Sud commencèrent à s’organiser pour repousser la prochaine agression monarchique. « On voit surgir un peu partout dans le royaume de nouvelles Genèves, des cités saintes, dont la vertu et la bravoure défient la corruption de la cour » (Jacques Madaule, Histoire de France, Tome I, p. 315). Des raids de commandos bien planifiés et exécutés livrent aux réformés maints points stratégiques d’Occitanie nécessaires à la mise en place d’un vaste dispositif défensif.

Parallèlement,  des assemblées politiques se tiennent à Réalmont (Haut-Languedoc), St-Antonin et St-Pierre-de-Salles (Cévennes) à l’automne pour donner une assise légale et institutionnelle à ce mouvement. Le Gouverneur catholique de la province de Guyenne, Honorat de Savoie, rapporte des mobilisations de « confédérés » à son suzerain. En février 1573, un premier congrès d’envergure a lieu à Anduze (Bas-Languedoc) où siègent des représentants de plusieurs provinces occitanes (Albigeois, Quercy, Rouergue, etc.). Les assemblées se poursuivent à Réalmont en Mars, Montauban et Nîmes en août, encore à Anduze en novembre, et enfin des États-Généraux se tenant à Millau (Aveyron) en décembre entérinent l’essentiel de la législation approuvée aux assemblées préparatoires.

À Millau, les huguenots sudistes décident d’établir un véritable pouvoir civil pour encadrer leur structure militaire opérationnelle. On appelle cette confédération de villes et de territoires les « Provinces-Unies du Midi ». Selon les lois en vigueur dans cette instance souveraine, les Conseils municipaux (élus au suffrage communal) déléguaient des députés aux Assemblées provinciales qui déléguaient elles-mêmes des députés aux États-Généraux ou Assemblée générale. Ces différents paliers de gouvernement nommaient leurs Conseils permanents respectifs. L’ensemble de ces actions représentent un excellent cas d’application historique de la théonomie.

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Carte suggérée des Provinces-Unies du Midi respectant le tracé des anciennes provinces du Royaume de France, 1573-1594 :

Légende ↑ :

  • Bleu pâle () = provinces principalement contrôlées par les Provinces-Unies du Midi (incluant des villes catholiques telles que Bordeaux et Toulouse qui ne reconnurent jamais son autorité).
  • Bleu foncé () = État réformé indépendant formé par la Souveraineté de Béarn, le Royaume de Navarre et la Vicomté de Soule.
  • Jaune-orange () = provinces contrôlées par la monarchie des Valois et/ou la Ligue catholique.
  • Vert () = régions françaises actuelles ne faisant pas partie de la France à la fin du XVIe siècle.
  • Brun/marron () = autres pays.
  • Turquoise () = Manche, océan Atlantique et mer Méditerranée.

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Les historiens ont longtemps tergiversé sur la question à savoir si les Provinces-Unies du Midi ont réellement formé une république sécessionniste par rapport au Royaume de France. La lecture du Règlement (texte constitutif) des Provinces-Unies indique que les calvinistes d’Occitanie occidentale (ils étaient trop peu populeux en Provence et au Dauphiné pour y résister efficacement aux persécuteurs) ne considéraient pas opérer une sécession totale du Royaume de France, patrie à laquelle ils demeuraient attachés. Ils espéraient rendre à la France « la grandeur de son renom, l’intégrité de son État avec la fermeté des lois » alors que le parti archi-catholique avait jeté « opprobre et déshonneur » en « temps de paix et liesse solennelle sous une couronne nuptiale » sur « le célèbre nom de Valois et la nation française » (dixit le Préambule cité plus bas). À moyen terme, au-delà de leur survie immédiate, les Provinces-Unis se donnaient comme objectif la rénovation nationale.

Cependant, à court terme, les Provinces-Unies du Midi ne représentent pas moins une vraie sécession temporaire du pouvoir parisien, comme le révèle clairement l’article second du Règlement : « par provision et en attendant […le] rétablissement d’un bon État, la puissance et autorité publique sera retenue, gardée et conservée par le pays [contrôlé par l’Union] sur les avis et délibérations des États[-Généraux]… ».

D’autre part, nonobstant l’éventuelle restauration d’un rapport de confiance entre la monarchie parisienne et les sujets-citoyens du sud-ouest, ces derniers souhaitaient, non seulement, faire reconnaître par Charles IX la permanence de l’institutionnalisation politique du calvinisme au Midi, mais encore plus, lui faire reconnaître l’intégration de leur nouveau système à une alliance internationale des États calvinistes (c’est ce que dévoile une requête envoyée par l’Assemblée de Montauban au roi en août 1573, cf. Janine Garrisson, Protestants du Midi, p. 177-224 et 339-348, qui est ma source principale pour cette étude). Ainsi, les architectes des Provinces-Unies du Midi voyaient leur construction comme une réingénierie définitive de l’espace politique européen. Ils étaient prêts à coopérer avec Paris, mais ils n’entendaient nullement se dissoudre sitôt qu’un arrangement serait trouvé avec le monarque du nord. Cette république officieuse (noblesse, bourgeoise et roture s’y partageaient les offices) préparait le terrain à une potentielle sécession effective (Philip Conner, 2002, p. 136), ce qui sera tenté trop tard, en 1621-1628 (Charles Weiss, 1853, p. 13-24).

Les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont nettement distingués dans la constitution politique des Provinces-Unies du Midi (presque deux siècles avant Charles de Secondat, baron de Montesquieu !). Il est pertinent de faire ressortir les principes théonomiques (maintien du droit biblique par les autorités étatiques) présents dans cette documentation historique calviniste.

Étant donné que le texte de Millau (décembre 1573) renvoie expressément à l’autorité des versions antérieures du Règlement (et en reprend le contenu), je me permets premièrement de me référer au texte d’Anduze (février 1573) comme législation officielle des Provinces-Unies du Midi. Nous reviendrons plus loin au texte de Millau (qui est plus définitif, mais dont la version accessible n’est pas numérotée).

En voici des extraits non exhaustifs. J’ai modernisé l’orthographe et la ponctuation, mais j’ai laissé la vieille syntaxe intacte. Je suis l’auteur des intertitres, mais pas les titres d’articles.

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Règlement des
Provinces-Unies du Midi

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Édicté par
l’Assemblée interprovinciale d’Anduze

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7 février 1573

Préambule

A tous présents et advenir,

Soit notice que ce jourd’hui, septième février mil cinq cent soixante-treize, les manants [ruraux] et habitants du pays du Languedoc [et d’Occitanie plus largement] — tant de la noblesse que du commun État — faisant profession de la religion réformée, convoqués et assemblés […] en la ville d’Anduze après avoir invoqué le nom de Dieu pour l’assistance et vertu du Saint-Esprit, ont unanimement avisé, conclu et arrêté ce qui s’ensuit.

[…] Ils protestent et jurent par main levée devant Dieu et Ses anges […] qu’ils n’ont [pas] entrepris la levée et ne poursuivent [pas] la voie des armes par haine ni par ambition de liberté humaine ou autre mauvaise affection.

[…par précaution diplomatique, les rédacteurs feignent ensuite accorder le bénéfice du doute au roi Charles IX qu’ils savent sciemment être à moitié responsable du massacre de la St-Barthélémy…]

En ces justes occasions, lesdits manants et habitants du pays ont résolu que pour empêcher de leur part [la reine-mère Catherine de Médicis et le duc Henri de Guise] les inconvénients qui semblent pencher sur nos têtes, ils prendront et tiendront toutes les armes en mains pour se rendre les plus forts contre ces monstres d’iniquité, conjurés ennemis de Dieu et de la royauté, déshonnêteté de la loi publique et du repos commun. Et s’ils les peuvent affaiblir ou divertir de leur méchanceté, ils ont délibéré [les huguenots] se joindre à quelque force avec laquelle ils puissent s’aider et employer à chasser les consuls auteurs et nourriciers de la tyrannie exercée contre la jeunesse, l’honneur, l’État et volonté du roi […] ils espèrent aussi que par ce moyen et arme accessoire leur être conservé […] la liberté de prédication de l’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ [et] à l’avancement de Son règne […].

Article I — [explication préliminaire] :

Et pour acheminer toutes choses à cette bonne et louable fin, par un bon ordre a été arrêté de l’avis d’aucuns [= de plusieurs] principaux magistrats de la justice qui sont de la religion [réformés] préservés comme un résidu en la province [rappelons que le parti huguenot avait récemment été  décapité à Paris] avec lesquels les députés de l’Assemblée ont pour cet effet conféré.

Se doter de dirigeants moralement intègres

Article VII — Police des villes et lieux :

Pour la police des villes et lieux, les élections des consuls se feront selon la coutume sans distinction de religion aux lieux où les catholiques se seront bien et accomodément comportés, et aux autres [lieux], entre ceux de la religion [réformée] seulement.

Article XVII — Confirmation des capitaines et nomination :

[On] les fera présenter au Conseil du pays afin qu’on puisse reconnaître par témoignage leurs mœurs, conditions et comportements passés et sur cela l’appréhender ou le refuser [tel qu’ils] le verront expédient […].

Limitation de la taxation

Article XI — Prohibition d’imposition :

Il ne se fera aucune imposition générale ou particulière sans expresse commission ou ordonnance des États [confédéraux] […]

Illégalité de la corruption fiscale

Article XVI — Touchant le Gouverneur général du pays :

[…] Sera élu un Gouverneur général [et ?] provincial et les États [confédéraux et provinciaux ?] connaîtront de ses actions en cas qu’il y ait plainte contre lui de malversation ou autre [chose] important à la sûreté du pays en général ou particulier.

Aliénation des possessions matérielles des païens guerroyant contre le peuple de Dieu

Article XXIII — Biens des papistes :

Quant aux biens des papistes faisant la guerre ou y favorisant, chaque ville pourra faire à sa discrétion.

Soumission des magistrats à la loi

Article XXIX — Observations et ordonnances :

Et seront tenus les Gouverneurs généraux et particuliers de faire garder strictement cette ordonnance [XXVIII : sur la distribution de butins légitimes].

Devoir civique des sujets-citoyens

Article XXXVI — Exhortation à tous de se déclarer pour la cause :

Tous gentilshommes et autres aptes au service public de cette cause seront exhortés [de] se déclarer et de s’y employer sans plus différer autrement, sinon ils seront tenus pour déserteurs et ennemis.

Structuration militaire du corps civique

Article XLIIII — De l’enrôlement des hommes :

Seront enrôlés en chacun lieu […] tous hommes aptes à porter armes et […] [ceux qui n’ont pas d’armes devront] s’en procurer dans trois jours après l’intimation […et ceux en ayant les moyens aideront ceux qui n’en ont pas].

Article XLV — Injonction aux consuls pour l’enrôlement des hommes :

Enjoint à tous [les] consuls et syndics des villes et lieux […] tous les « réduire » [organiser les hommes aptes au combat] en compagnies, en chacune desquelles il y aura cent hommes au moins, commandés par un capitaine […].

L’armée vit sur sa logistique et non sur la rapine

Article XLV — [suite] :

[…Les compagnies…] marcheront ainsi quand le sera commandé par ledit Gouverneur, sans user d’oppression envers quelconque ni oppresser leurs hôtes par un traitement défavorable.

Article XV — Pour le prévôt :

Seront ordonnés prévôts des maréchaux en chaque diocèse et un commissaire d’étape et logis qui tiendront lieu de fournir pour loger les compagnies tant à pied qu’à cheval.

Article XXI — Commissaires de vivres :

Pour l’armée quand elle marchera seront ordonnés commissaires de vivres, un pour chaque diocèse bien témoigné et serviront chacune pour son diocèse et viguerie [juridiction administrative médiévale en Occitanie] avec contrôleurs.

Droit de propriété et liberté économique

Article LI — Laboureurs et commerce :

Le laboureur et ses journaliers ne seront troublés en leur labourage, instruments et bétail de labour ou pareillement le commerce des marchandises qui ne seront de contrebande.

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Règlement des
Provinces-Unies du Midi

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Édicté par les
États-Généraux de Millau

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16 décembre 1573

Préambule

Ayant été jugé très nécessaire que comme le salut et conservation de tous ceux de la religion [réformée] dépend de l’union, bonne intelligence et correspondance qui doit être entre eux étroitement gardée et jurée […] tous et chacun des assistants et députés en ladite Assemblée [de Millau … ont] contracté union, entière association, et fraternité mutuelle, parfaite et perdurable à jamais, en toutes choses saintes et civiles […] et y persévérer constamment jusqu’à la mort, de ne faire ensemble qu’un même corps.

Pouvoirs, compétences et prérogatives des Provinces-Unies

Entre tous et par tous généralement, toutes lois divines [religieuses] et humaines, constitutions tant ecclésiastiques que militaires, de la justice, police et finances, faites par toutes assemblées légitimes, et spécialement par cette présente [Assemblée confédérative], auront la supériorité et domination par-dessus tous […] que tout le reste des personnes faisant profession de la religion réformée, de quelque état et condition qu’ils soient, ont à icelles obéir respectivement, sur peine d’être retranchés de l’union civile de l’Église réformée ci-dessus jurée.

Protection de la pudeur publique et de la moralité privée

Seront exhortés messieurs les ministres de la Parole de Dieu et autres [membres] des consistoires [des églises] de surveiller aux crimes et dissolutions qui se commettent journellement pour en faire la délation et donner les avertissements auxdits juges [des] présidiaux ou au lieutenant du sénéchal syndic de la cause ou autre [information] qui appartiendra, donner [les] instructions et moyens [nécessaires pour] vérifier les cas dénoncés, aux fins que la digne punition s’ensuive.

[…]

Et pareillement sera enjoint aux généraux et Conseil [de] pourvoir qu’en toutes villes et autres lieux qui sont de la religion [réformée], l’exercice d’icelle y soit établit pour contenir toute espèce de personne sous la censure et la discipline de l’Église.

Autonomie politique des collectivités locales

[…] La police sera administrée par les consuls et autres officiers publics des villes et villages […] sans qu’ils puissent être aucunement troublés ni empêchés par messieurs les généraux et Conseil, ni pareillement par les Gouverneurs diocésains, mais seront à ces fins gardés et entretenus tous les privilèges et statuts municipaux, franchises et libertés des corps des villes et autres lieux qui seront dans l’obéissance de la religion [réformée]. »

Reproduit dans Eugène & Émile Haag, La France protestante, Volume 10 : Pièces justificatives, p. 121-126.

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Carte du Royaume de France pendant les Guerres de religions :

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Janine Garrisson, s’appuyant en partie sur les historiens l’ayant précédés, a fait les observations suivantes sur les aspirations et les accomplissements des Provinces-Unies du Midi (dans l’ouvrage susmentionné) :

« La cité est la base essentielle de l’organisation politique envisagée. […] La ville et son plat pays s’organise en cellule autonome. » (p. 181)

« Les gentilshommes chargés de faire la guerre ont un pouvoir limité. D’autre part, la conduite des opérations militaires ne leur incombe pas entièrement puisque l’assemblée provinciale contrôle et fixe le nombre des soldats et qu’elle dégage les sommes nécessaires à leur entretien. Les affaires financières sont de la compétence exclusive du Conseil. » (p. 186)

« Selon le Règlement de Millau [les États-Généraux] se réunissent deux fois l’an. […] Les États[-Généraux] possèdent les droits régaliens : ceux d’établir des impôts nouveaux, de faire des lois, d’investir des magistrats et de nommer ou destituer les chefs militaires suprêmes. Ils peuvent légiférer sur toutes choses publiques et religieuses. L’Assemblée de Millau constitue donc les premiers États-Généraux protestants et son Règlement, la première œuvre législative de cette instance souveraine. » (p. 186)

« Les États[-Généraux] de Millau sont donc à l’image du protestantisme combattant : les points chauds de l’opposition au pouvoir royal ont fourni la majorité des hommes de l’assemblée. […] En 1573 à Millau, en 1575 et même encore à Montauban en 1581, la relative souplesse qui préside aux députations souligne combien, à l’origine de l’État protestant, il y a vraiment une confédération de villes et de pays autonomes. » (p. 202)

« Ces assemblées [politiques] établissent donc la traditionnelle alliance méridionale de la petite noblesse et des notables urbains ; ce groupe, on le sait, possède une longue pratique de la gestion commune des affaires provinciales et municipales. » (p. 209)

« Les Provinces-Unies ont assuré une continuité administrative dans le sud du royaume. Indirectes ou directes, les taxes ont toujours été levées. […] La vigueur de l’administration financière protestante apparaît également à travers [… les livres de compte], un ordre impeccable y règne. […] L’État huguenot a également assuré la continuité de la justice. […] L’État huguenot a contribué à maintenir l’unité du sud du royaume. » (p. 210, 211 et 213)

« En Dauphiné, les troupes de l’Union commandées par Lesdiguières ont arrêté l’armée d’invasion lancée par le duc de Savoie. […] Dans tout le Midi, les menées de la Ligue [catholique] à partir de 1588 et surtout de 1589 seront combattues par les forces des Provinces-Unies. […] La défense des Églises a été, comme il se doit, l’œuvre essentielle des dirigeants de l’Union. […] [Entre 1593 et 1597], les dirigeants des Provinces menacent Henri IV de se choisir un nouveau Protecteur (Guillaume Ier d’Orange-Nassau ?). Si la menace est lourde, c’est parce que ces hommes s’appuient sur une organisation politique qui a déjà fait ses preuves. […] Ainsi s’établit un rapport de force où les protestants se trouvent en position avantageuse. » (p. 214)

« En 1585 […] les ministres réunis en synode à Privas [Vivarais] se rendent à l’assemblée [politique] protestante siégeant en même temps dans la même ville. […] Les pasteurs suggèrent un programme précis de bonne tenue chrétienne et notamment la défense des blasphèmes […] des “propos profanes, vilains et sales”, la punition des “larcins, concussions et extorsions”. Ce plan de redressement moral est entendu par l’assemblée. Jacques de Chambaud, le Président […] répond alors au nom de tous : “L’assemblée a loué grandement les dits ministres et synode et remercié bien fort du soin qu’ils ont de leurs troupeaux et des saintes et nécessaires remontrances et excitations qu’il leur a plût de faire par les dits articles […] lesquels l’assemblée a reçus et reçoit de très bon cœur et avec toute humilité comme provenant de leurs vrais et légitimes pasteurs, serviteurs de Dieu et annonciateur de sa sainte Parole.” » (p. 217)

« Plusieurs de ces villes se laissèrent manier à la coutumée par […] des gentilshommes […] Mais beaucoup d’autres, notamment La Rochelle, Montauban, Sancerre et [un] grand nombre de celles de Gascogne, Quercy et Languedoc n’en voulurent d’autres que les maires [et] consuls. […]Le succès final du projet politique huguenot aurait amené les provinces méridionales vers un devenir suisse ou néerlandais. » (p. 220)

« [C’est] une nouvelle espèce de république, composée de toutes ses parties et séparée du reste de l’État [français], qui avait ses lois pour la religion, le gouvernement civil, la justice, la discipline militaire, la liberté du commerce, la levée des impôts et l’administration des finances. » (p. 220)

Dans Huguenot Heartland – Montauban and Southern French Calvinism during the Wars of Religion, Philip Conner explique que l’Édit de Nantes de 1598 fut le fruit des efforts de la république huguenote (pages 136 et 139). Effectivement, après que le Protecteur des Provinces-Unies, Henri IV (depuis 1575), ait illégitimement ordonné à cet État de se dissoudre (cela dépassait totalement ses prérogatives légales), le personnel de l’Union se prépara à entrer en guerre contre ce monarque dépravé. L’ancien diplomate d’Henri IV, Philippe de Mornay, l’avertit que « Nos gens […vont] passer le Rubicon gaiement ». Henri IV, acculé, accepte donc de négocier un nouvel édit avec l’Assemblée générale permanente des Provinces-Unies du Midi, qui garde une forte pression sur Paris de 1596 à 1598 (Léonce Anquez, 1859, p. 62-71).

Aux États-Généraux de Ste-Foy-la-Grande en 1594, les Provinces-Unies avaient étendu leur dispositif représentatif à toute la France, devenant ainsi un État parallèle à la monarchie ou, avec l’Édit de Nantes, littéralement un État dans l’État. Cette situation perdure pour les trois décennies suivantes. Pendant les soixante années d’existence de l’État huguenot, sa législation constitutionnelle de ne cesse d’évoluer, mais ses principes fondateurs ne furent jamais répudiés.  Le commentaire d’Anquez à ce propos est instructif : « [Les Règlements] établissaient la périodicité des assemblées et déterminaient leurs attributions avec une précision dont aucune [autre] loi de ce temps n’offre d’exemple » (supra, p. 68).

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Liste non exhaustive des États-Généraux des Provinces-Unies du Midi :

  • 1573 : Montauban (Tarn) ;
  • 1573 : Millau (Aveyron) ;
  • 1554 : Millau (Aveyron) ;
  • 1575 : Montauban (Tarn) ;
  • 1581 : Montauban (Tarn) ;
  • 1582 : St-Jean-d’Angély (Saintonge) ;
  • 1588 : La Rochelle (Aunis) ;
  • 1593 : Mantes (Île-de-France) ;
  • 1594 : Ste-Foy-la-Grande (Périgord) ;
  • 1595 : Saumur (Maine-et-Loire) ;
  • 1596-1598 : Loudun (Poitou) + Vendôme (Loir-et-Cher) + Saumur (Maine-et-Loire) + Châtellerault (Poitou) = États-Généraux permanents ;
  • 1601 : Ste-Foy-la-Grande (Périgord) ;
  • 1605 : Châtellerault (Poitou) ;
  • 1608 : Jargeau (Orléanais) ;
  • 1611 : Saumur (Maine-et-Loire) ;
  • 1615 : Grenoble (Gévaudan) puis Nîmes (Gard) ;
  • 1617 : La Rochelle (Aunis) ;
  • 1618 : Orthez (Béarn) ;
  • 1619 : Loudun (Poitou) ;
  • 1620-1621 : La Rochelle (Aunis).

Références de la liste des États-Généraux ci-dessus :

Charles Weiss, Histoire des réfugiés protestants de France, Tome I, Charpentier, Paris, 1853, p. 13-24 sur 233, édition électronique de l’UQÀC.

Léonce Anquez, Histoire des assemblées politiques des réformés de France, Auguste Durand, Paris, 1859, p. 62-71 sur 520.

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Le 1er mars 1562, six semaines après que l’Édit de Janvier ait autorisé le culte calviniste à l’extérieur de toutes les villes françaises, quelque 200 protestants célèbrent dans une grange de Wassy en Champagne. Le Duc de Guise, archi-catholique, passe par là et entend résonner leurs cantiques. Il s’irrite et ordonne à sa troupe de châtier ces renégats. Elles s’exécutent brutalement, assassinent et humilient collectivement les pratiquants… on décompte une cinquantaine de morts et 150 blessés avant que les soldats ne permettent aux survivants de se disperser. Cette commotion marque le début des Guerres de Religion qui vont déchirer la France pendant 30 ans et causer — directement ou indirectement (par famine et épidémie) — la mort d’un millions d’habitants, soit  le huitième de la population du royaume. En rétribution aux exactions de Guise, le prince protestant Louis de Condé attaque Orléans le 2 avril 1562, puis s’ensuit un cycle incessant d’épiques et sanglantes prises d’armes entrecoupées d’édits de cessation des hostilités…

Environ 15 % des Français adoptent entre-temps la foi nouvelle qui s’articule autour d’un corps de doctrines solidement établi : rapport personnel et direct au Créateur, lecture par tous  les chrétiens de la Parole de Dieu (Saintes Écritures), sacerdoce de tous les croyants, salut par la foi, adoration de la Trinité seule (et non pas de Marie et d’une ribambelle de saints quasi-déifiés). Mais cette minorité est disproportionnellement répartie entre les classes. En chiffres ronds, le protestantisme rallie 10 % de la paysannerie, 50 % de la bourgeoisie et 50 % de la noblesse. Comment expliquer cette disparité ? C’est que les membres de l’élite lettrée, qui avaient la chance de lire la Bible eux-mêmes et y redécouvrir ses trésors, étaient beaucoup plus enclins à passer à la Réforme que les paysans analphabètes qui dépendaient entièrement d’un curé pour leur nourriture spirituelle. Les cultivateurs et les éleveurs des villages où il pré-existait une école communale qui enseignait les rudiments de la lecture et de l’écriture aux enfants acceptèrent généralement avec beaucoup d’enthousiasme la Réforme, comme dans le Vaucluse, les Cévennes et le Vercors.

Si la moitié des nobles de l’ensemble des provinces embrassent le protestantisme (même dans des régions massivement catholiques comme la Bretagne), les fidèles calvinistes sont nettement concentrés dans le sud et l’ouest. En 1562, on compte déjà quelque 1400 Églises réformées « dressées » à la genevoise (c’est-à-dire organisées autour d’un pasteur et d’un consistoire) en territoire français :

Plusieurs métropoles régionales comme Montauban, Nîmes et Montpellier deviennent des bastions réformés, la Cité de La Rochelle se transforme pratiquement en république calviniste indépendante. Lyon est une capitale protestante temporaire en 1562-1563 ; le Quatrième Synode national des Églises réformées du Royaume de France s’y tient en 1563 sous l’autorité du respecté pasteur Pierre Viret.

La Cité de Lyon devient le deuxième plus important centre d’imprimerie de France et un foyer de réflexion considérable, au point où certains historiens parlent de Lyon comme de la « capitale intellectuelle du royaume » (source) pendant cette brève parenthèse. C’est dire l’influence de cette ville pendant cette période.

La Paix d’Ambroise rend la ville à la Ligue catholique, mais le parti réformé en redeviendra maître en 1594. En 1570, Jeanne d’Albret fait de la foi réformée la religion d’État du Béarn dont voici la localisation dans l’Hexagone :

Malgré une tentative d’apaisement via un mariage mixte entre le Roi Henri III de Navarre (officiellement protestant) et la fille du Roi Henri II de France, Marguerite de Valois (officiellement catholique), la populace catholique parisienne assassine 30 000 réformés lors du massacre de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572. Le chef politique et militaire des huguenots, l’amiral Gaspard de Coligny), fut la première victime. Ce proto-génocide est reproduit à Orléans le 25 août, à Bourges le 26 août, à Troyes le 27 août, à Angers le 29 août, à Lyon le 31 août, à Bourges le 11 septembre, à Rouen le 17 septembre, à Bordeaux le 3 octobre, à Toulouse le 4 octobre, etc.

La régente Catherine de Médicis observe avec satisfaction les résultats de l’hécatombe criminelle :

Après une tentative de meurtre contre lui par Catherine de Médicis en 1576, Henri de Navarre prend la tête du parti protestant et prépare la contre-offensive avec le surnom de « Roi de Gascogne », titre qui n’était pas tout à fait inapproprié si l’on compare les frontières de son domaine avec celles de la Gascogne…

Carte des domaines d’Henri de Navarre dans le Sud-Ouest de la France :

Carte de la Gascogne dans le Sud-Ouest de la France :

Contrairement aux espérances des massacreurs catholiques, la décapitation du mouvement calviniste français lors de l’hécatombe de la Saint-Barthélemy ne mit pas fin à la Réformation en France. Dans la décennie 1570, catholiques et protestants s’organisent en territoires quasi-souverains dans les parties du royaume qu’ils contrôlent respectivement. Le calvinisme est porteur d’une théorie politique selon laquelle le tout système étatique doit s’appuyer sur le peuple qui est indirectement souverain (via la petite noblesse dans ce contexte). Les huguenots créent ainsi dans le Sud de la France une république fédérative où chaque province jouit d’une grande autonomie face au pouvoir central. L’autorité est confiée au « pays », c’est-à-dire à des États-Généraux. Les Provinces-Unies du Midi sont fondées à Anduze en février 1573. Ce régime perdurera une bonne vingtaine d’années. Les Provinces-Unies du Midi constituent un précédent à la monarchie constitutionnelle.

Le 20 octobre 1587, l’armée royale catholique est écrasée par les calvinistes des Provinces-Unies du Midi à Coutras en Gironde (Gascogne/Aquitaine),  ce qui prélude à la marche de l’héritier du trône, de la couronne et sceptre sur Paris et à la conclusion de la 8ème guerre de religion.

Voir également sur Le Monarchomaque :

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