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Grand tour de France du roi Charles IX de Valois en 1564-1566

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« Fin novembre [1564], Geoffroy de Caumont, que nous n’avions vu de longtemps, nous vint voir de ses Milandes [Périgord / Dordogne], tout plein de récits sur la rencontre des deux reines, Jeanne d’Albret ayant été invitée par Catherine de Médicis à rejoindre la cavalcade royale sur son parcours, afin d’embrasser son fils [Henri de Navarre qui était otage de la Cour des Valois] et s’entretenir avec le roi [Charles IX] des plaintes qu’elle voulait lui faire sur  Montluc [un persécuteur papiste].

— Je fus, dit Caumont, non sans fierté, des trois cent cavaliers qui escortèrent Jeanne d’Albret à son départ de Pau [Béarn / Pyrénées-Atlantiques] le deuxième jour du mois d’avril. L’extraordinaire piquant de la chose, c’est que la reine de Navarre remontait du sud au nord en soutenant nos Églises [réformées] de sa ferveur et des ses deniers, tandis que la reine-mère et le roi descendaient du nord au sud en légiférant contre nous. […] Le plus beau de l’affaire fut la rencontre des deux cortèges à Mâcon [Bourgogne / Saône-et-Loire] ! Monsieur l’écuyer, poursuivit-il en se tournant courtoisement vers Sauveterre, et vous, mon cousin, imaginez, je vous prie, l’ébahissement de ces courtisans musqués et des quatre-vingt putains brodées d’or de la Florentine [c-à-d Catherine de Médicis], quand paru la reine de Navarre, sans un bijou, sans une perle, toute de noir vêtue, entourée de huit ministres de notre Religion [réformée], et suivie de trois cent cavaliers gascons, vêtus non de soie mais de buffle, tous bottés et crottés, et sentant non point le musc, mais l’ail et la sueur.

Ha, mon cousin ! Il n’y a pas une France, mais deux ! Celle du Nord, riche, fière puissante, et toute gâtée de ses vices, et celle du Midi, qui vaut deux fois celle du Nord. Mon père rit à cette saillie, mais Sauveterre, après un bref sourire, dit avec gravité : — Il n’y a pas deux France, monsieur Caumont, il n’y en a qu’une, et qui un jour sera, je l’espère, huguenote.Amen ! dit Caumont. »

Source ↑ : Robert Merle, Fortune de France, Tome I, Éditions de Fallois, Paris, 1992, p. 391-393 sur 445.

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Itinéraire Pau–La Rochelle parcouru par Jeanne d’Albret et Henri de Navarre en 1568

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Prise de Nîmes au Languedoc / Gard par la cavalerie calviniste le 14 novembre 1569

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Monument de Jeanne III, Duchesse d’Albret, Reine de Navarre et Dame souveraine de Béarn, au Jardin du Luxembourg à Paris, tenant ses Ordonnances ecclésiastiques

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Armoiries du Duché d’Albret dans le sud-ouest de la France

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Drapeau du Béarn dans les Pyrénées

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Drapeau de la Navarre dans les Pyrénées

La théonomie consiste en le maintien du droit biblique par les autorités étatiques. Le présent article porte sur la Réformation du double État indépendant de Béarn-Navarre (formellement : la Souveraineté de Béarn et le Royaume de Navarre) sous l’égide de la courageuse Reine Jeanne III d’Albret au XVIe siècle. Je reproduis des extraits de l’étude Le souverain, l’Église et l’État : Les “Ordonnances ecclésiastiques” de Béarn de Philippe Chareyre, parue dans la revue Zwingliana en 2008 (N° 35, p. 161-185), que j’enrichis en l’entrecoupant d’éléments supplémentaires.

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Le Département des Pyrénées-Atlantiques en Nouvelle-Aquitaine

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Le Béarn et la Basse-Navarre dans le Département des Pyrénées-Atlantiques

Le présent article est divisé en plusieurs sections. Est d’abord cité le préambule des Ordonnances ecclésiastiques de Jeanne III d’Albret proclamées en 1571 (en moyen français). Ensuite, une mise en contexte historique et géographique permettent de saisir le cadre dans lequel ces lois civiles d’inspiration biblique furent édictées. Une description sommaire des Ordonnances s’ensuit, puis vient un compte-rendu sur l’origine européenne de cette législation et sa postérité dans le calvinisme béarnais.

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ORDONNANCES ECCLÉSIASTIQUES

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de Jeanne, Reine de Navarre, Dame souveraine de Béarn,
Sur le rétablissement entier du Royaume de Jésus-Christ
en son Pays souverain de Béarn

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Jeanne, par la grâce de Dieu, Reine de Navarre, Dame souveraine de Béarn […s’ensuit une volumineuse titulature féodale héréditaire…]

À tous présents et advenir, salut et dilection.

Si ainsi est [formule signifiant Comme il est à la vérité], qu’il n’y ait monarque qui vive qui doive avec plus de pouvoir commander à tout son royaume que Jésus-Christ au sien, d’autant que le Père céleste lui a donné toute puissance au ciel et en la terre, et qu’il ait fait commandement à tous ses sujets et élus de le chercher devant toute autre chose. Combien plus les Princes qu’il a par sa seule grâce et bonté retirés de péché de la mort voire de l’Enfer pour les conduire vers la vie éternelle sont-ils justement obligés d’en procurer l’avancement et l’établissement entier entre tous leurs sujets. Que si leur devoir les invite à conserver la paix publique qui ne touche que leurs États, il les oblige davantage de rétablir la piété eux mêmes.

Qu’il est impossible que le lien de la police ne se lâche et rompe du tout, où Dieu n’est purement suivi au contenu de sa Parole. Qui peut donc douter que les Rois et les princes qui diligemment ne s’emploient à l’exemple de Josias, d’Ézéchias et Théodose qui ont esté remplis et poussés de l’Esprit de Dieu pour rejeter au loin toutes idolâtries et superstitions de leurs royaumes et États pour de tout leur pouvoir en approcher et y faire régner la vraie piété ne tombent à la fin sous le pesant fardeau de la fureur de l’ire de Dieu.

Pour donc obéir au commandement du Seigneur, satisfaire au devoir et à l’office du chrétien, répondre à la vocation que nous avons de Dieu, procurer le salut de tout notre peuple et sujets, conserver le lien de la police et paix publique en son entier, suivre diligemment l’exemple des bons princes et rois, prévenir l’horrible fureur du jugement de Dieu, et pour accorder la requête des derniers États de Béarn [un organe législatif électif], Pays souverain de notre obéissance légitimement assemblés par laquelle ils nous ont, de leur mouvement propres très humblement suppliée et requise en bannissant tous faux serments idolâtries et superstitions, nous y fassions purement annoncer la Parole de Dieu […]

Nous avons dit déclaré et ordonné, disons déclarons et ordonnons par notre édit présent perpétuel et irrévocable que nous voulons que tous les sujets de notre dit pays de quelque qualité, condition, sexe et état qu’ils soient fassent profession publique de la confession de foi que nous publions maintenant sous notre autorité comme étant sûrement fondée sur la doctrine et les écrits des prophètes et apôtres. Et afin que nul ne l’ignore, nous avons ordonné qu’elle soit ici insérée de mot à mot comme il s’ensuit : […]

Contexte historique

De 1571 à 1620, date de son rattachement effectif au royaume de France, la Vicomté souveraine de Béarn est régie en matière de religion par les Ordonnances ecclésiastiques prises par Jeanne d’Albret. […] Le Béarn est une vicomté qui a conquis sa souveraineté à la faveur de la Guerre de Cent ans. Depuis 1290, aucun hommage n’a été prêté pour le Béarn au roi d’Angleterre qui possède alors l’Aquitaine. […] Gaston III [de Béarn] signifie en 1347 à un envoyé de Philippe de Valois [roi de France] qu’il ne reconnaît aucun supérieur pour le Béarn. Cette souveraineté de fait […] offre aux dynasties de Foix puis d’Albret […] une base solide à un grand ensemble féodal sous suzeraineté du roi de France, qui s’étend en Aquitaine et bien au-delà. […]

Délaissons un instant Zwingliana

Contexte géographique

Carte de l’archipel féodal du domaine de la famille d’Albret-Bourbon dans la seconde moitié du XVIe siècle :

Archipel féodal des Albrets

Source de cette carte ↑ : Ministère de la Culture

Les deux principautés indépendantes de la famille d’Albret-Bourbon ····· Toutes deux aujourd’hui situées dans le Département des Pyrénées-Atlantiques :

  • Royaume de Navarre (capitale = St-Jean-Pied-de-Port).
  • Souveraineté de Béarn (capitale = Pau).

Les vassalités françaises de la famille d’Albret-Bourbon dans le Sud du Royaume de France ····· Certaines de ces possessions territoriales ne constituent qu’une seule localité ····· Les entités administratives actuelles leur correspondant sont indiquées entre accolades ( {} ) ····· Pour vous orienter géographiquement, consultez les cartes reproduites en commentaire ci-dessous ou bien celles accessible via ces hyperliens : Journal du Gers ; Fondation Lebrel Blanco ; Wikimédia ; Bicarrosse TV :

  • Duché d’Albret (capitale = Nérac), comprenant notamment :
    • Baronnie de Nérac {commune éponyme dans le Département de Lot-et-Garonne} ;
    • Baronnie de Casteljaloux {commune éponyme dans le Département de Lot-et-Garonne} ;
    • Vicomté de Castelmoron-d′Albret {commune éponyme dans le Département de la Gironde} ;
    • Vicomté de Marsan (chef-lieu = Mont-de-Marsan) {Département des Landes} ;
    • Vicomté de Gabardan (chef-lieu = Gabarret) {à cheval entre les Départements des Landes et du Gers} ;
    • Vicomté de Tartas {commune éponyme dans le Département des Landes} ;
    • Vicomté de St-Pé-de-Boulogne {commune de St-Pé–St-Simon dans le Département de Lot-et-Garonne} ;
    • Seigneurie de Ste-Maure-de-Peyriac {commune éponyme dans le Département de Lot-et-Garonne} ;
    • Seigneurie de Torrebren {commune de Labarrère dans le Département du Gers}.
  • Comté de Bigorre (capitale = Tarbes) {Département des Hautes-Pyrénées}.
  • Comté des Quatre-Vallées (capitale = Arreau) {Département des Hautes-Pyrénées}.
  • Comté de Foix (capitale = Pamiers) {Département de l’Ariège}, incluant :
    • Coprincipauté d’Andorre (partagé avec l’Évêché d’Urgell en Catalogne).
  • Comté de Rodez (capitale = cité éponyme) {Département de l’Aveyron}.
  • Vicomté de Limoges (chef-lieu = Ségur-le-Château) {Département de la Haute-Vienne} ; ce territoire fut érigé en Province du Limousin en 1589.
  • Comté de Périgord (capitale = Périgueux) {Département de la Dordogne}.
  • Comté d’Armagnac (capitale = Lectoure) {Département du Gers}.
  • Comté de Fézensac (capitale = Vic-Fézensac) {Département du Gers}.
  • Vicomté de Lomagne (chef-lieu = Lectoure) {Département du Gers}.
  • Vicomté de Fézensaguet (chef-lieu = Mauvezin) {Département du Gers}.
  • Seigneurie de l’Isle-Jourdain {commune éponyme dans le Département du Gers}.
  • Vicomté de Maremne (chef-lieu = Tosse) {Département des Landes}.
  • Vicomté de Dax {commune éponyme dans le Département des Landes}.
  • Vicomté de Tursan (chef-lieu = Aire-sur-l’Adour) {Département des Landes}.
  • Vicomté de Nébouzan (chef-lieu = St-Gaudens) {à cheval entre les Départements des Hautes-Pyrénées et de la Haute-Garonne}.
  • Vicomté de Villemur {commune de Villemur-sur-Tarn dans le Département de la Haute-Garonne} ; cette localité fut le théâtre d’une importante bataille en 1592 (victoire huguenote) pendant la 8ème Guerre de Religion.
  • Baronnie de Caussade {commune éponyme dans le Département du Tarn-et-Garonne}.
  • Seigneurie de Buch (chef-lieu = La-Teste-de-Buch) {Département de la Gironde}.
  • Seigneurie du Bazadais (chef-lieu = Bazas) {Département de la Gironde}.

Les vassalités françaises de la famille d’Albret-Bourbon dans le Nord de la France :

  • Duché de Vendômois.
  • Duché de Nemours.
  • Duché de Beaumont.
  • Duché d’Alençon (dès 1584).

Référence de ces renseignements ↑ : Ministère de la Culture

Reprenonons avec Zwingliana

C’est donc en Béarn que la souveraineté des Albrets-Bourbons est la moins établie juridiquement, mais la plus stable, et donc là que le changement religieux voulu par le souverain s’établira le plus solidement.

[…]

Henri II d’Albret [père de Jeanne d’Albret et époux de Marguerite de d’Angoulême, la sœur de François Ier] a consacré une bonne part de sa vie au renforcement de la souveraineté béarnaise […] Il crée un Conseil souverain en 1519 puis réorganise les finances en centralisant l’impôt, en surveillant les frappes monétaires et en instituant en 1520 […] une Chambre des comptes. Il procède à l’unification judiciaire et administrative [en 1535]. […] Le Béarn est donc un petit État centralisé à son échelle, situé aux portes du royaume de France [et de l’Espagne].

[…]

Antoine de Bourbon [second mari de Jeanne d’Albret et roi de Navarre] […] est tué le 17 novembre 1562. Jeanne, veuve, exerce seule la souveraineté sur ses États et mettra en conformité ses convictions religieuses avec son rôle de reine. Elle y parviendra de manière exemplaire dans sa vicomté de Béarn.

Les débuts de la Réformation en Béarn

La date décisive pour l’instauration de la Réforme en Béarn a été traditionnellement fixée aux années 1560-1561. […] Le 25 décembre 1560, elle [Jeanne] prend publiquement la cène [réformée] dans l’église St-Martin de Pau. En mai 1561, elle ordonne aux magistrats de Bigorre de laisser le pasteur prêcher en public à Cauterets et le 19 juillet, la communauté protestante béarnaise reçoit son appui officiel par l’ordonnance de Nérac qui, en six articles, établit un simultaneum [utilisation d’un même édifice religieux pour les liturgies respectives d’obédiences différentes].

[…]

Le choix de Jeanne d’Albret s’oriente alors plutôt vers Genève qui a envoyé le pasteur François Le Gay, sieur de Boisnormand, en octobre 1557 à Pau, puis Théodore de Bèze rencontré en 1561 à Nérac. […] En mars [1563, le pasteur] Jean Reymond-Merlin est envoyé par Calvin comme réformateur à la demande de la reine. Il rassemble le premier synode « national » de Béarn-Navarre le 20 septembre 1563 […] puis divise le pays en cinq grands colloques. C’est une institution « nationale » sous la protection du souverain. Il rédige une Discipline des églises réformées du Béarn, puis un catéchisme extrait de celui de Genève et fait instituer un collège par le synode. […] C’est par ordre de Jeanne d’Albret que plusieurs églises et même la cathédrale de Lescar sont vidées de leur mobilier pour être consacrées exclusivement au culte réformé.

[…]

Une nouvelle ordonnance prise à Paris en juillet 1566, juste avant le départ de la reine pour le Béarn, contient en 22 articles une série de mesures classiques destinées à l’« entière repurgation [assainissement] de l’idolâtrie romaine» : les pasteurs peuvent prêcher partout ; les processions publiques sont interdites […] ; il n’y aura pas de prédicateurs catholiques, interdiction est faite au clergé catholique de retourner dans les lieux d’où le culte catholique a été banni ; […] les quêtes par les moines sont interdites.

[…]

Ces Ordonnances contiennent une série de mesures morales : réglementation des danses publiques, interdiction des jeux de cartes et de dés [c’est-à-dire des jeux d’argent, du gambling], bannissement des « femmes publiques », et des dispositions concernant le règlement de la pauvreté : attribution à la caisse des pauvres des revenus des bénéfices ecclésiastiques vacants, expulsion des mendiants valides et des mendiants étrangers.

Le collège est transformé en académie par lettres patentes du 19 juillet 1566. C’est le troisième établissement de ce type fondé en Europe, après Genève et Nîmes. Elle a pour but de former les élites administratives et religieuses de la souveraineté et même au-delà. Tel est le cadre juridique dans lequel arrive Pierre Viret que la reine a appelé à Pau pour « parachever » la réformation du Béarn, ce qu’il fera jusqu’à sa mort en mars 1571.

Délaissons un instant Zwingliana

L’invasion du Béarn par les forces papistes

Tandis que Jeanne d’Albret tient sa cour à La Rochelle avec les Coligny et Condé au pendant la Troisième guerre de religion, et qu’elle conçoit peut-être l’idée d’une vaste principauté aquitaine réformée, le Béarn est envahi en 1569 sur l’ordre du roi de France Charles IX par le vicomte de Terride qui reçoit le support de gentilshommes catholiques béarnais et navarrais, mécontents de la politique religieuse de leur souveraine. Le théologien Pierre Viret est emprisonné à Pau ; sept pasteurs y sont exécutés. Une armée de secours envoyée par Jeanne d’Albret (elle a dû vendre ses bijoux pour la financer) et commandée par le vicomte de Montgomery chasse les occupants et fait lever le siège de la forteresse de Navarrenx qui seule avait résisté. L’unique guerre de religion que connut le Béarn donne ainsi le momentum à Jeanne d’Albret de parachever sans obstacle son œuvre de réformation.

Référence de ces renseignements ↑ : Centre d’Étude du Protestantisme Béarnais

La théonomie en Béarn : les Ordonnances ecclésiastiques

Les propriétés ecclésiastiques des romanistes sont saisis le 2 octobre 1569 et l’exercice du catholicisme est interdit le 28 janvier 1570. Finalement, Jeanne d’Albret prend le 26 novembre 1571 à La Rochelle ses fameuses Ordonnances ecclésiastiques en 77 articles, transformant juridiquement le Béarn en souveraineté calviniste.

Jeanne d’Albret n’a pas composé ni édicté ces Ordonnances ecclésiastiques de manière unilatérale. Un collectif de syndics des États de Béarn avait demandé à la reine de « délivrer le pays de l’idolâtrie ». Pour y parvenir, elle a mobilisé de multiples théologiens et jurisconsultes, dont le pasteur Nicolas des Gallars qui succède à Pierre Viret (Modérateur du Synode national de Béarn) ainsi que le prince allemand Ludovic de Nassau. Le Synode a notamment fourni une commission sur les affaires matrimoniales et se sont les États-Généraux (avec l’aide d’un comité pastoral) qui ont déterminé les clauses sur les propriétés ecclésiastiques.

Officiellement, ces textes ne concernaient que le Béarn, mais ils furent vraisemblablement également appliqués dans leur intégralité en Navarre « indépendante » : administrativement, elle semble avoir était fusionnée avec le Béarn, et l’Église réformée de ces deux principautés ne formait qu’un seul corps. De plus, les dispositions n’impliquant pas nécessairement l’exclusion des catholiques ont dû être appliquées dans les autres territoires de Jeanne d’Albret.

Voici un organigramme juridique de la Souveraineté de Béarn à l’époque qui nous intéresse…

Organigramme Béarn

Reprenons avez Zwingliana

Le texte est imposant, il tranche par sa longueur [et sa systématisation théologique & juridique] avec les précédents. Il débute par un préambule suivi de la Confession de foi de La Rochelle. Les dix premiers articles exposent ensuite les principes de la foi et l’organisation du culte réformé ; du 11e au 21e sont définies les institutions ecclésiastiques, consistoires, colloques, synodes ; du 22e au 33e est réglementée la gestion des biens ecclésiastiques ; du 34e au 67e est créée une législation protestante du mariage ; du 68e au 77e sont édictées des règles de moralité publique.

[…]

Les Ordonnances […] ont été données à Pau le 26 novembre [1571]. Les Ordonnances définissent précisément la part du politique et celle de l’ecclésiastique. Une réglementation du mariage et des « dépendances d’icelluy » (adultères, fiançailles, séparation) qui, avec ses trente trois articles, occupe la place la plus importante, permet de définir de nouvelles règles […] « selon la parole de Dieu et au contenu de nos lois ». L’exercice du pouvoir de censure et notamment d’excommunication est reconnu à la nouvelle Église. Le texte établit enfin une séparation des biens ecclésiastiques et des biens de l’État. C’est donc un régime de protectorat qui donne une part importante d’autonomie à une Église mieux encadrée [sic] que dans le système presbytéro-synodal français.

[…]

C’est donc la création d’une Église modèle, destinée à montrer que le calvinisme peut parfaitement s’intégrer dans le cadre d’une principauté, sans mettre en danger l’État mais bien en le confortant. Il est pour le meilleur le porteur d’un programme, et pour le pire un réduit solide pour des temps difficiles. […] Le synode de Pau du 17 octobre 1571 auquel assiste la reine est sans ambiguïté sur le sujet : « Tous ceux qui auront charge en l’Eglise seront promeuz & depposez par l’Eglise ». Les Ordonnances béarnaises font donc le choix de Genève, mais en compensant le système égalitaire par la mise en place d’une surveillance des Églises et des pasteurs que l’on ne trouve pas dans la discipline des Églises réformées de France [la fonction d’épiscopes-surveillants qui inspectent périodiquement les colloques et consistoires et au nom du synode].

Les Ordonnances : le fruit d’une mûre expérience protestante

Qui sont donc les rédacteurs ou les inspirateurs de ce texte ? Une première influence provient de l’expérience de Lausanne dont les principaux acteurs de la réformation du Béarn sont issus, Jean Reymond-Merlin et surtout Pierre Viret […] On sait qu’il a rédigé à Pau […] un Traité de la distinction de la juridiction civile et ecclésiastique. […]

Viret tout comme Jean Reymond-Merlin sont passés par Genève, et sont des familiers de Calvin. La seconde influence est donc celle de Genève dont la position s’impose au cours du synode de La Rochelle auquel participe Théodore de Bèze. Celui-ci a rédigé à l’adresse de Coligny vers 1567 un Avis sur le gouvernement spirituel et le gouvernement temporel dont les préoccupations sont identiques à celles du traité de Viret.

[…]

[Nicolas des Gallars] rédige l’incipit du De Regno Christi rédigé par Bucer [réformateur de Strasbourg en Alsace] pour Édouard VI d’Angleterre, réédité récemment à Genève. Par l’intermédiaire de Des Gallars, la troisième source d’inspiration vient donc de Martin Bucer par l’intermédiaire de Des Gallars […] [Des auteurs ont] souligné l’influence du traité de Bucer au travers de Nicolas des Gallars en s’appuyant en particulier sur le préambule des Ordonnances béarnaises qui, comme le De Regno Christi, insiste sur le devoir du prince chrétien d’œuvrer pour la réformation de ses sujets.

[…]

Il convient donc de ne pas négliger l’influence de la reine Jeanne et de ses officiers, notamment les légistes de la Chancellerie de Navarre […] qui ont pu intervenir tout au long de la rédaction du texte. […] Les Ordonnances ecclésiastiques de Béarn sont donc une construction complexe et aboutie qui est le fruit de plusieurs décennies d’expérimentation de la Réformation en Europe, […] La réformation béarnaise est donc […] le résultat d’une synthèse.

[…]

Cet appui du pouvoir civil apparaît également dans les articles des Ordonnances portant sur la moralité. L’ordre public est un ordre protestant, calviniste, qui associe un système de double interdiction et de double peine, civile et ecclésiastique. [Il faut y voir] le concours des deux pouvoirs vers le même objectif.

[…]

Le souverain béarnais, comme le roi de Navarre, règne selon une tradition forale, c’est-à-dire un régime de type contractuel dans lequel l’Assemblée des États, réunie annuellement, joue un rôle administratif déterminant. En Béarn, le for rénové d’Henri II [en 1551] rappelle l’origine mythique d’une monarchie choisie par ses sujets. Il prévoit que le souverain prête serment à son avènement aux barons comme à tous les habitants de Béarn d’être leur fidèle seigneur, de leur rendre la justice, de ne pas leur faire de tort et de maintenir les fors, privilèges et libertés. Les souverains béarnais sont donc habitués à gouverner civilement avec une assemblée représentative réunie annuellement. L’organisation administrative du Béarn prend donc un nouveau visage, avec deux assemblées représentatives qui se réunissent […] Ces assemblées [États-Généraux et Synode] sont régies par des textes constitutifs, prennent des règlements et tiennent des corpus de délibérations. Elles exercent une autorité sur le territoire […]

Le parachèvement de la Souveraineté de Béarn

Le choix religieux parachevé par les Ordonnances de 1571, contribue à la construction de l’État béarnais en y apportant la dernière pierre. La nouvelle assemblée [le Synode], sans toucher aux prérogatives traditionnelles des États[-Généraux], peut constituer un contre-pouvoir, une alternative de légitimation décisionnelle pour le souverain. Par l’application de la discipline, elle intervient dans des domaines partagés entre les pouvoirs temporel et ecclésiastique. Elle possède enfin un pouvoir réglementaire qui peut aller jusqu’à l’excommunication, alors que les États[-Généraux] sont dépossédés de tout pouvoir judiciaire qui est exercé par le Conseil souverain.

[…]

Le choix de la Réforme a ensuite pour conséquence de superposer la carte ecclésiastique et la carte politique du pays. […] Ce nouveau découpage permet de formaliser l’union des deux terres souveraines en annexant le colloque de la Basse-Navarre [partie de la Navarre au nord des Pyrénées] au Synode national du Béarn.

[…]

L’Académie d’Orthez-Lescar, promue université en 1583, […] vient renforcer cette cohésion « nationale ». La réformation béarnaise est l’occasion également de codifier une langue spécifique, marqueur d’une identité propre. […] L’Église béarnaise pratiquera un bilinguisme : sermons, psaumes et catéchismes en béarnais, mais le français restera la langue théologique. Le béarnais demeurera toutefois la langue officielle et sera conservée pour les délibérations des États jusqu’à la Révolution.

[…]

Ce discours [légitimiste] est clairement affiché sur les monnaies frappées par la reine. [S’y ajoutent] en 1571 [un sigle signifiant] « Jeanne par la Grâce de Dieu Reine de Navarre et Dame de Béarn ». […] Sur un jeton en argent qu’elle fait frapper en tant que reine de Navarre cette même année [1571 … figure] la formule en castillan Hasta la Muerte. […] L’emploi du castillan et celui du français laissent bien entendre qui étaient les destinataires du message. Hasta la Muerte est directement inspiré de ce verset de l’Apocalypse : « Sois fidèle jusqu’à la mort » (Ap. 2:10).

[…]

Les Ordonnances survivront au décès en juin 1572 de Jeanne d’Albret, ne seront pas remises en cause par les États [de Béarn] et seront entretenues par son fils Henri et sa fille Catherine [de Bourbon] qui exercera la régence pendant que son frère combattra pour le trône de France. […] Quant aux textes des Ordonnances, […] La seule qui se trouve dans un recueil d’actes synodaux témoigne de leur application à une période où elles sont sur le point de disparaître [avant 1620 ou 1685 ?].

Délaissons désormais Zwingliana

À l’automne 1572, Henri IV autorisa par lettre patente les catholiques béarnais de se rendre à la messe en dehors du Béarn-Navarre, mais le Conseil souverain de Béarn refusa d’enregistrer cette lettre et ainsi de lui donner force de loi. Le Conseil souverain repromulgua les Ordonnances ecclésiastiques de Jeanne d’Albret en 1576.

Dans la décennie 1590, un parti papiste se reforma en Béarn-Navarre, mais il était tenu à l’œil par les monarchomaques & souverainistes. Par l’Édit de Fontainebleau de 1599, Henri IV tenta de rétablir le culte catholique dans l’ensemble de la Béarn-Navarre. Sur le terrain, les évêchés de Lescar et d’Oloron furent réoccupés par des prélats papistes, mais pour le reste, cette volonté royale restait lettre morte.  En 1605, Henri IV modifia l’Édit de 1599 de façon à rétablir partiellement le catholicisme en Béarn-Navarre (dans 24 municipalités/seigneuries sur 42 au total). Heureusement, le Conseil souverain refusa ici aussi d’enregistrer ces arrêts agressifs qui conservèrent pour le moment une portée purement symbolique à Paris (elle contribuait à faire paraître Henri IV comme un « bon roi catholique »).

En 1617, Louis XIII pris le pouvoir en France par un coup de force. Il signa rapidement un édit visant le rétablissement du culte catholique romain et rétrocédant les propriétés ecclésiastiques romanistes en Béarn-Navarre. Ce roi de France s’estimait être le suzerain naturel de ce double État, ce qui était fort contestable, vu qu’il n’avait jamais été reconnu comme régnant légitime par les assemblées souveraines de ce double pays, comme l’exigeait justement le droit constitutionnel navarro-béarnais. Les autorités locales refusèrent encore une fois d’enregistrer et d’appliquer ces décrets subversifs.

En 1620, profitant de la centralisation excessive du Royaume de France opérée par son débauché de père, Louis XIII envahit manu militari le Béarn-Navarre et le rattacha illégalement à la couronne de France (c’est-à-dire au domaine royal). Se faisant, il supprima le Conseil souverain de Béarn ainsi que la Chancellerie de Navarre et les remplaça par une créature servile de son invention : le Parlement de Navarre, qu’il installa… à Pau au Béarn (!). Malgré cette intimidation despotique, la population navarro-béarnaise et ses dirigeants légitimes n’acceptèrent jamais cette dépossession illicite et cette annexion illégale, au point tel que deux siècles plus tard, lorsque furent convoqués les États-Généraux du Royaume de France en 1788, le Béarn-Navarre refusa d’y envoyer des députés et se contenta d’en envoyer à « Louis V roi de Navarre » (et non à « Louis XVI roi de France ») !

Références de ces renseignements ↑ :

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Traduction anglaise partielle de la présente étude : The Ecclesiastical Ordinances of Jeanne d’Albret [Theonomy Resources].

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Le 1er mars 1562, six semaines après que l’Édit de Janvier ait autorisé le culte calviniste à l’extérieur de toutes les villes françaises, quelque 200 protestants célèbrent dans une grange de Wassy en Champagne. Le Duc de Guise, archi-catholique, passe par là et entend résonner leurs cantiques. Il s’irrite et ordonne à sa troupe de châtier ces renégats. Elles s’exécutent brutalement, assassinent et humilient collectivement les pratiquants… on décompte une cinquantaine de morts et 150 blessés avant que les soldats ne permettent aux survivants de se disperser. Cette commotion marque le début des Guerres de Religion qui vont déchirer la France pendant 30 ans et causer — directement ou indirectement (par famine et épidémie) — la mort d’un millions d’habitants, soit  le huitième de la population du royaume. En rétribution aux exactions de Guise, le prince protestant Louis de Condé attaque Orléans le 2 avril 1562, puis s’ensuit un cycle incessant d’épiques et sanglantes prises d’armes entrecoupées d’édits de cessation des hostilités…

Environ 15 % des Français adoptent entre-temps la foi nouvelle qui s’articule autour d’un corps de doctrines solidement établi : rapport personnel et direct au Créateur, lecture par tous  les chrétiens de la Parole de Dieu (Saintes Écritures), sacerdoce de tous les croyants, salut par la foi, adoration de la Trinité seule (et non pas de Marie et d’une ribambelle de saints quasi-déifiés). Mais cette minorité est disproportionnellement répartie entre les classes. En chiffres ronds, le protestantisme rallie 10 % de la paysannerie, 50 % de la bourgeoisie et 50 % de la noblesse. Comment expliquer cette disparité ? C’est que les membres de l’élite lettrée, qui avaient la chance de lire la Bible eux-mêmes et y redécouvrir ses trésors, étaient beaucoup plus enclins à passer à la Réforme que les paysans analphabètes qui dépendaient entièrement d’un curé pour leur nourriture spirituelle. Les cultivateurs et les éleveurs des villages où il pré-existait une école communale qui enseignait les rudiments de la lecture et de l’écriture aux enfants acceptèrent généralement avec beaucoup d’enthousiasme la Réforme, comme dans le Vaucluse, les Cévennes et le Vercors.

Si la moitié des nobles de l’ensemble des provinces embrassent le protestantisme (même dans des régions massivement catholiques comme la Bretagne), les fidèles calvinistes sont nettement concentrés dans le sud et l’ouest. En 1562, on compte déjà quelque 1400 Églises réformées « dressées » à la genevoise (c’est-à-dire organisées autour d’un pasteur et d’un consistoire) en territoire français :

Plusieurs métropoles régionales comme Montauban, Nîmes et Montpellier deviennent des bastions réformés, la Cité de La Rochelle se transforme pratiquement en république calviniste indépendante. Lyon est une capitale protestante temporaire en 1562-1563 ; le Quatrième Synode national des Églises réformées du Royaume de France s’y tient en 1563 sous l’autorité du respecté pasteur Pierre Viret.

La Cité de Lyon devient le deuxième plus important centre d’imprimerie de France et un foyer de réflexion considérable, au point où certains historiens parlent de Lyon comme de la « capitale intellectuelle du royaume » (source) pendant cette brève parenthèse. C’est dire l’influence de cette ville pendant cette période.

La Paix d’Ambroise rend la ville à la Ligue catholique, mais le parti réformé en redeviendra maître en 1594. En 1570, Jeanne d’Albret fait de la foi réformée la religion d’État du Béarn dont voici la localisation dans l’Hexagone :

Malgré une tentative d’apaisement via un mariage mixte entre le Roi Henri III de Navarre (officiellement protestant) et la fille du Roi Henri II de France, Marguerite de Valois (officiellement catholique), la populace catholique parisienne assassine 30 000 réformés lors du massacre de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572. Le chef politique et militaire des huguenots, l’amiral Gaspard de Coligny), fut la première victime. Ce proto-génocide est reproduit à Orléans le 25 août, à Bourges le 26 août, à Troyes le 27 août, à Angers le 29 août, à Lyon le 31 août, à Bourges le 11 septembre, à Rouen le 17 septembre, à Bordeaux le 3 octobre, à Toulouse le 4 octobre, etc.

La régente Catherine de Médicis observe avec satisfaction les résultats de l’hécatombe criminelle :

Après une tentative de meurtre contre lui par Catherine de Médicis en 1576, Henri de Navarre prend la tête du parti protestant et prépare la contre-offensive avec le surnom de « Roi de Gascogne », titre qui n’était pas tout à fait inapproprié si l’on compare les frontières de son domaine avec celles de la Gascogne…

Carte des domaines d’Henri de Navarre dans le Sud-Ouest de la France :

Carte de la Gascogne dans le Sud-Ouest de la France :

Contrairement aux espérances des massacreurs catholiques, la décapitation du mouvement calviniste français lors de l’hécatombe de la Saint-Barthélemy ne mit pas fin à la Réformation en France. Dans la décennie 1570, catholiques et protestants s’organisent en territoires quasi-souverains dans les parties du royaume qu’ils contrôlent respectivement. Le calvinisme est porteur d’une théorie politique selon laquelle le tout système étatique doit s’appuyer sur le peuple qui est indirectement souverain (via la petite noblesse dans ce contexte). Les huguenots créent ainsi dans le Sud de la France une république fédérative où chaque province jouit d’une grande autonomie face au pouvoir central. L’autorité est confiée au « pays », c’est-à-dire à des États-Généraux. Les Provinces-Unies du Midi sont fondées à Anduze en février 1573. Ce régime perdurera une bonne vingtaine d’années. Les Provinces-Unies du Midi constituent un précédent à la monarchie constitutionnelle.

Le 20 octobre 1587, l’armée royale catholique est écrasée par les calvinistes des Provinces-Unies du Midi à Coutras en Gironde (Gascogne/Aquitaine),  ce qui prélude à la marche de l’héritier du trône, de la couronne et sceptre sur Paris et à la conclusion de la 8ème guerre de religion.

Voir également sur Le Monarchomaque :

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