Feeds:
Articles
Commentaires

Archive for the ‘Théologie chrétienne’ Category

Partie 4 sur 4 : La colonne de nuée, le tétragramme lumineux et l’Ange de l’Éternel

✤ ✤ ✤ ✤ ✤

Dans le premier article de la présente série, nous avons vus qu’il existe deux positions réformées sur la légitimité des images de Dieu (l’iconoclasme radical et l’iconoclasme modéré), nous avons démontrés qu’il ne peut pas y avoir d’idolâtrie sans idoles et pas d’idoles sans adoration indue, nous nous sommes penchés sur le concept crucial de théophanie (une manifestation visible & audible de Dieu aux humains), puis nous avons fait le point sur la question de l’(in)visibilité de Dieu selon la Écritures Saintes.

Dans le deuxième article de cette série, nous avons fait une synthèse rapide des approches divergentes relativement aux images de Dieu ayant existé à travers l’histoire de l’Église et nous avons étudiés en profondeur l’historique de l’utilisation du buisson ardent comme image de Dieu dans le protestantisme réformé (surtout français et écossais) du XVIème siècle jusqu’à nos jours.

Dans le troisième article de cette série, nous avons constatés que plusieurs Bibles protestantes réformées de l’époque de la Réformation contiennent un riche foisonnement d’images de Dieu illustrant des passages bibliques prophétiques / eschatologiques (particulièrement le Livre d’Ézéchiel dans l’A.T. et le Livre de l’Apocalypse dans le N.T.).

Dans ce quatrième et dernier article de la série, nous verrons plusieurs exemples supplémentaires de représentations imagées de diverses théophanies utilisées dans l’histoire protestante réformée ancienne (aux XVIème et XVIIème siècles).

Théophanie d’Exode 14:10-31 (colonne de nuée/feu surplombant la mer Rouge) sur la page-titre de la Geneva Bible anglaise de 1560 (photo prise par moi-même au Plimoth-Patuxet Museum à “New” Plymouth au Massachusetts en 2024) — la même gravure y est reproduite à l’identique entre le texte sacré d’Exode 14:10 et 14:11 :

Ce n’est pas toujours facile de déterminer quelle personne de la Trinité se manifeste dans une théophanie. Ainsi, cette théophanie de la colonne de nuée ou de feu ↑ serait peut-être une apparition de la Seconde personne de la Trinité, comme semble le suggérer indirectement 1 Corinthiens 10:1-4 (cf. Exode 17:4-7). Toutefois, certains arguments indiquent que cette théophanie est plutôt une manifestation de la Troisième personne de la Trinité : « On doit d’ailleurs considérer que la nuée qui a conduit le peuple au désert représentait l’Esprit (elle est mentionnée juste avant l’Esprit dans la prière de Né 9, au v. 19). Il est aussi possible que, dans le récit de l’exode, il y ait un jeu sur les deux sens du mot rûaḥ, ‹ vent › et ‹ esprit ›, lorsqu’il est écrit que le Seigneur refoula la mer toute la nuit par un vent d’est puissant et qu’il la mit à sec (Ex 14:21). En effet, David dit ailleurs que ‹ le souffle exhalé du nez › du Seigneur a fait apparaître le lit de la mer (2 Sam 22:16 = Ps 18:16). On peut donc considérer que le vent qui a refoulé les eaux de la mer des Roseaux [du golfe d’Aqaba, un bras de la mer Rouge] était une manifestation de l’action de l’Esprit du Seigneur. » | « [L]a nuée théophanique représente l’Esprit selon Né 9:19-20 ; És 63:14 [cf. v. 10-13]. » (Sylvain Romerowski, L’œuvre du Saint-Esprit dans l’histoire du salut, Éditions de l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne, 2005, p. 29-30 et 314.) Il est possible que ces deux identifications ne soient pas mutuellement exclusives.

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux — une représentation artistique classique de l’Éternel dans le christianisme) dans la Bible de Genève de 1565 sous le texte de Nombres 22 & 23 (l’image de Dieu est identifiée par la flèche rouge et illustre les théophanies du mont Sinaï narrées en Exode 24:15-18 puis 34:5-28) :

Selon Actes 7:38, les théophanies d’Exode 24 puis 34 au sommet du mont Sinaï furent des manifestations de l’Ange de l’Éternel — pas au sens d’un ange ayant des ailes et des vêtements blancs, mais au sens du Verbe pré-incarné (Dieu le Fils) agissant comme ambassadeur de Dieu le Père. (Jean Calvin, Commentaire sur les cinq livres de Moïse, section Harmonie de la Loi, p. 165-166.)

Zoom sur l’extrait pertinent :

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux) au début du texte de l’Ancien Testament dans la Bible de Genève de 1588, qui fut « la » Bible des réformés français pendant plus d’un siècle jusqu’aux parutions des Bibles Martin en 1707 et Ostervald en 1724 :

Probable théophanie sur la page-titre d’une édition compacte de la Bible de Genève de 1588 (qui est cet Ange de l’Éternel ayant vaincu la mort et brandissant la Parole divine, si ce n’est le Verbe victorieux & ressuscité ?) :

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux) sur la page-titre de la Bible de Cipriano de Valera (1602), qui est la 2ème plus ancienne Bible protestante espagnole et la plus ancienne Bible spécifiquement réformée espagnole :

Image de la Trinité (triangle avec tétragramme émettant des rayons lumineux) sur la page-titre de la Bible réformée néerlandaise dite Statenvertaling (1637) :

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux) au début du texte de l’Ancien Testament dans la Statenvertaling réformée :

Il importe de comprendre ces images de Dieu tel que les réformés des XVIème et XVIIèmes siècles les comprenaient : La lumière est un attribut du Dieu trinitaire, pas juste une ornementation décorative accompagnant ses apparitions spectaculaires. La Bible dit que « Dieu est lumière » (1 Jean 1:5) et que le Verbe/Parole est lumière (Jean 1:4-13). Comme l’indique le Dictionnaire en théologie de l’imprimeur réformé Jean Crespin publié à Genève en 1560, « Jésus-Christ est la vraie lumière […] Tout ce qui est clair ou lumineux tant au ciel qu’en la terre emprunte sa clarté d’ailleurs ; mais Christ est la lumière reluisante de par soi-même : davantage il illumine et baille [c-à-d donne] clarté au monde par sa lueur, de telle façon que l’origine et cause de sa splendeur ne lui vient point d’ailleurs. » (p. 271-272, orthographe modernisée.)

Une petite étude lexicale nous renseigne qu’en certains contextes, la luminosité est une expression de l’être de l’Éternel. En effet, dans l’A.T., le mot hébreu ’ôr (אוֹר), traduit par lumière en français, « est souvent mentionné en lien avec la personne de Dieu. Il est question de la ‹ lumière de [sa] face › dans Ps 4:6 ; 44:3 ; 89:15. Dieu lui-même est décrit comme étant ‹ lumière ›, la source ultime de direction (Ps 4:6 ; 43:4 ; 119:105 ; És 2:5 ; Mi 2:8). […] La ‹ lumière › de la personne de Dieu est également associée au jour de l’Éternel dans Am 5:20. » (Stephen Renn et Gilles Despins, Dictionnaire des mots bibliques, Publications chrétiennes, 2023, p. 556.)

Semblablement, dans le N.T., le mot grec phōs (φῶς), traduit par lumière en français, « se réfère à la lumière qui vient d’une source naturelle, de même qu’à une lumière surnaturelle qui vient du ciel. phōs est aussi utilisé au figuré pour décrire la personne de Dieu ou une vérité morale et spirituelle. […] phōs se réfère également à la lumière surnaturelle de la transfiguration de Christ (Mt 17:2), de son apparition à Paul lors de sa conversion (Ac 9:3 ; 22:6 ss), d’un ange (Ac 12:7) et de la ville céleste (Ap 21:24 ; 22:5). Au sens figuré, phōs décrit aussi la personne et les œuvres de Dieu. […] La lumière divine, dont Christ est la manifestation suprême, est la source de la vie éternelle (voir Jn 1:4 ss ; 3:19 ss ; 11:10 ; 12:35 ss ; 2 Cor 4:6 ; 1 Pi 2:9 ; 1 Jn 2:8 ss). » (Renn et Despins, Dictionnaire des mots bibliques, p. 557.)

« La notion de ‹ lumière ›, dans les Écritures, comporte un sens théologique très important relativement à la personne de Dieu et de Christ. […] Pour ce qui est de la ‹ lumière › dans les théophanies de l’Ancien Testament, elle évoque surtout la personne de Yahvé et met l’accent sur sa parfaite sainteté. Dieu est présenté comme étant la lumière qui dirige son peuple dans quelques contextes différents (par exemple, la colonne de nuée lumineuse dans le désert). […] Le Nouveau Testament maintient ce lien entre la ‹ lumière › et la personne de Dieu, mais surtout avec la personne et l’œuvre de Christ. D’une manière particulière, Jésus-Christ déclare qu’il est la ‹ lumière du monde › [Jn 8:12 ; 9:5]. » (Renn et Despins, Dictionnaire des mots bibliques, p. 557-558.)

Dans cet ordre d’idées, précisons ceci sur l’adéquation entre la gloire de Dieu et les rayons de lumière émanant de certaines théophanies de l’Éternel tel que la colonne de nuée ou colonne de feu (Exode 16:10) : « La ‹ gloire › ici est certainement la théophanie lumineuse dans la nuée. […] Par conséquent, dans de nombreux passages, la ‹ gloire › est simplement la lumière créée qui émerge de la théophanie. Ces passages pourraient laisser entendre que la gloire [c-à-d la lumière] est quelque chose qui accompagne Dieu, plutôt qu’un attribut divin en tant que tel. Toutefois, dans la nuée de gloire, Dieu est avec son peuple, immanent et allianciellement présent. » (John Frame, Systematic Theology : An Introduction to Christian Belief, Presbyterian & Reformed Publishing, 2013, p. 396-397.)

La gloire-lumière théophanique rayonnant de l’Éternel est donc un attribut de sa divinité, et l’imager en connexion avec son Nom divin, c’est imager Dieu.

Probable théophanie (l’Ange de l’Éternel = Jésus-Christ) au début du texte de 1 Chroniques dans la Statenvertaling réformée :

Cette gravure ↑ renvoie à Genèse 22:1-19 où l’Ange de l’Éternel intervient pour sauver la vie d’Isaac juste avant qu’il ne soit sacrifié par Abraham (v. 11 puis 15). « Une interprétation chrétienne traditionnelle voit dans l’ange de l’Éternel une manifestation de la Deuxième personne de la Trinité » (Bible d’étude version Semeur, p. 38). L’expression « Ange de l’Éternel » décrit parfois le Christ pré-incarné et parfois un ange-créature (Reformation Study Bible ESV, p. 38 ; Bible d’étude New English Translation, p. 36 et 48), mais elle désigne bel et bien Dieu/Jésus en Genèse 22:1-19 (Nelson Study Bible NKJV, p. 45 ; MacArthur Study Bible LSB, p. 29 et 72) ainsi qu’en Genèse 31:11-13, Exode 3:2-15, Juges 6:11-24, etc. Considérant la fréquence élevée avec laquelle Jean Calvin identifiait l’Ange de l’Éternel avec le Verbe pré-incarné, il est très plausible que les éditeurs réformés néerlandais de la Statenvertaling voyaient ici une manifestation théophanique du Fils de Dieu.

Étant maintenant arrivés au terme de cette série, nous pouvons conclure qu’il y a été irréfutablement démontré que l’héritage historique de la foi réformée admet la légitimité des images de Dieu, que l’iconoclasme modéré est la position la plus représentative de cet héritage, et que l’iconoclasme radical non-biblique fait plutôt fausse note.

Read Full Post »

Partie 3 sur 4 : Théophanies des textes bibliques prophétiques

✤ ✤ ✤ ✤ ✤

Il existe une multitude d’exemples d’utilisations d’images de Dieu datant des XVIème et XVIIème siècles démontrant que la tradition théologique réformée admet la légitimité de certaines images de Dieu (moyennant le respect de certaines conditions — dont l’une qui s’articule à la notion de théophanie). Dans l’article précédent de cette série, nous avons vu le cas du buisson ardent, qui fut utilisé sur les sceaux des Églises réformées de France et d’Écosse (notamment).

Dans le présent article, nous verrons plusieurs exemples additionnels de représentations imagées de diverses théophanies (c’est-à-dire de manifestations visibles et audibles de Dieu) utilisées dans l’histoire protestante réformée ancienne. Plus spécifiquement, nous nous concentrerons sur les images de Dieu illustrant des textes bibliques prophétiques où de telles théophanies sont révélées. J’accompagne les images d’explications théologiques lorsqu’il n’est pas 100 % évident, à la simple vue de ces images ou à la simple lecture des textes scripturaux auxquels elles se rapportent, qu’il s’agit effectivement d’images de Dieu.

Théophanie d’Ézéchiel 1:1 à 3:15 (cf. surtout 1:25-28) et 10:1-22 (cf. surtout 10:20) dans les pages liminaires de la Biblia del Oso (1569) traduite par Casiodoro de Reina, qui est la toute 1ère Bible protestante espagnole :

Autre théophanie d’Ézéchiel (coin supérieur droit) présidant au siège de la Cité-État de Tyr par l’Empire néo-babylonien de Nebucadnetsar II en 585-572 av. J.-C. puis à sa destruction totale par l’Empire macédonien d’Alexandre III en 332 av. J.-C. (prophétisé en Ésaïe 23, Ézéchiel 26 à 28 et Amos 1:9-10), toujours dans les pages liminaires de la Biblia del Oso :

Théophanie d’Apocalypse 1:12-18 dans la Bible de Zürich (1531) traduite par les réformateurs Ulrich Zwingli et Leo Judä, qui est non seulement la toute 1ère Bible réformée allemande, mais même la 1ère Bible protestante allemande *complète* (la Bible de Luther *complète* n’étant sortie des presses qu’en 1534) :

Double théophanie (de Dieu le Père + Dieu le Fils) venant d’Apocalypse 4 & 5 dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Père venant d’Apocalypse 8:2-4 (cf. Ap 7:9-15) dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Père venant d’Apocalypse 9:13 dans la Bible de Zürich réformée :

Notez que la section inférieure de cette gravure ↑ montre le châtiment surnaturel des malfaiteurs qui « ne cessèrent pas d’adorer les démons et les idoles en or, en argent, en bronze, en pierre et en bois qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni marcher » (Ap 9:20, S21). De toute évidence, les réformés germanophones qui produisirent et utilisèrent cette Bible ne considéraient pas que cette illustration de la condamnation divine de l’idolâtrie était elle-même idolâtrique.

Théophanie de la Seconde Personne de la Trinité venant d’Apocalypse 10 dans la Bible de Zürich réformée :

L’« ange puissant » ↑ que l’apôtre Jean voit « descendre du ciel » (S21) en Ap 10 est Jésus-Christ. L’apparition angéomorphique de Christ est attestée ailleurs dans le dernier livre de la Bible (Ap 1:13-16, 14:14-15 et 21:1-2), sans parler du reste des Écritures Saintes. Que Jean tombe aux pieds d’un ange non-divin pour l’adorer ailleurs dans l’Apocalypse (19:10 et 22:8) suggère qu’il a déjà vu Jésus en tant qu’ange en écrivant ce livre. Une panoplie d’arguments théologiques peuvent être alignés en faveur de l’identification de l’être angélique d’Ap 10 avec Christ :

{1} Cet ange est « enveloppé d’une nuée » (Ap 10:1). La nuée est directement associée à Jésus-Christ venant en gloire dès Ap 1:7 ; et ces deux textes renvoient à Dn 7:13-14 qui réfère clairement au Roi éternel & universel Jésus-Christ.

{2} « Au-dessus de sa tête était l’arc-en-ciel » (Ap 10:1). Ce signe renvoie au trône de Dieu qui est entouré d’un arc-en-ciel en Ap 4:3 et Ézéchiel 1:27-28. Dans le texte grec d’Ap 10:1, la présence de l’article défini (« l’ », ἡ) avant « arc-en-ciel » (ἶρις) renvoie à une occurence antérieure de ce terme (donc à 4:3, où cet article défini est absent).

{3} « [S]on visage était comme le soleil » (Ap 10:1). Cette caractéristique renvoie à Jésus en Ap 1:16 où « son visage était comme le soleil ». Mieux encore, cette clause d’Ap 10:1 est 100 % identique en grec (to prosopon autou hos ho helios) à la 2ème clause de la description de la transfiguration de Christ en Mt 17:2 !

{4} « [S]es jambes [étaient] comme des colonnes de feu » (Ap 10:1). Cet attribut physique renvoie à la colonne de feu qui guida et protégea le peuple allianciel chaque nuit pendant son périple de l’Égypte vers la Terre promise à travers le désert (Ex 13:21-22, 14:24, 40:34-38, etc.). Dans la Septante, la traduction grecque antique de l’A.T., c’est les mêmes mots grecs qui sont utilisés (stulō puros). De surcroît, cette colonne de feu du désert est identifiée à l’Ange de l’Éternel (Ex 32:34 et 33:2, Nb 20:16) qui est lui-même identifié à Jésus (Ex 3:2 et 3:14, Jn 8:58).

{5} « [I]l cria d’une voix forte, comme un lion qui rugit » (Ap 10:3). Le rugissement d’un lion est souvent une métaphore de l’appel de Dieu (Jér 25:30, Os 11:10, Jo 3:16, Am 1:2 et 3:8). Cela fait allusion au « lion de la tribu de Juda, le rejeton de la racine de David [qui] a vaincu » (Ap 5:5), c’est-à-dire Christ.

{6} La manière dont cet ange apparaît dans la vision est un indice supplémentaire de son identité christique : L’apôtre Jean l’observe « descendre du ciel » (Ap 10:1). Il s’agit de la même provenance céleste que la voix divine faisant autorité et donnant des ordre à Jean (Ap 10:4, 8). En outre, cette terminologie (« descendre du ciel » = katabainonta / katabainō ek tou ouranou en grec) réfère typiquement à Jésus sous la plume de Jean (Jn 3:13 et 6:33, 38, 41-42, 50-51, 58).

{7} L’ange « posa son pied droit sur la mer et son pied gauche sur la terre » (Ap 10:2, réitéré deux fois aux v. 5 et 8). Cette posture désigne la domination planétaire du Fils de Dieu. La combinaison de la mer et de la terre dénote l’entièreté du monde terrestre, non seulement dans la Bible (Gn 1:9-10) mais aussi dans la culture gréco-romains antique. Ainsi, les Res Gestae autobiographiques de l’Empereur romain Octave Auguste datant de ≈ 14 ap. J.-C. décrivent les moments où « la paix était assurée par des victoires à travers tout l’Empire du peuple romain, sur terre et sur mer » (§ 13) comme un événement très rare et solennel.

(Kenneth Gentry, The Divorce of Israel : A Redemptive-Historical Interpretation of Revelation, Vol. 2, Tolle Lege Press, 2024, p. 843-856 ; David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, Dominion Press, 1987, p. 259-268 ; Collectif, Nouveau Testament interlinéaire grec-français, Éditions Bibli’O, 2015, p. 1166 et 1183.)

Double théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 12:5 & 12:7-8 (cf. Daniel 12:1) dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Fils (l’Agneau sur Sion) venant d’Apocalypse 14:1-13 dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 14:14-20 dans la Bible de Zürich réformée :

En Ap 14:14 ↑, ce « quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme » assis sur « une nuée blanche » qui « avait sur la tête une couronne d’or » (S21), est assurément le Roi Jésus-Christ. En Ap 1:13, c’est Jésus qui est ce « quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme ». En Ap 10:10, c’est Christ qui est « enveloppé d’une nuée ». En Daniel 7:13-14, la Seconde personne de la Trinité est ce « quelqu’un qui ressemblait à un fils de l’homme [qui] est venu avec les nuées du ciel » et auquel est donné la royauté universelle.

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 18:1-3 dans la Bible de Zürich réformée :

Concernant cette image de Dieu ↑ en Apocalypse 18:1-3 (l’ange colorisé en rouge ci-dessus) : « Saint Jean est maintenant introduit à un autre ange — probablement le Seigneur Jésus-Christ, considérant la description de celui-ci [en Ap 18:1] comparée avec les affirmations sur Christ dans l’Évangile selon saint Jean : Il descend du ciel (Jean 3:13, 31 ; 6:38, 58), il a une grande autorité (Jean 5:27 ; 10:18 ; 17:2), et la terre fut illuminée de sa gloire (Jean 1:4-5, 9, 14 ; 8:12 ; 9:5 ; 11:9 ; 12:46 ; cf. 1 Tim 6:16). Ces expressions forment un parallèle avec [celles d’Ap 10:1], lesquelles, comme nous l’avons vu, parlent clairement du Fils de Dieu. La dernière clause est pratiquement une répétition d’Ézéchiel 43:2, où il est dit de Dieu que “la terre resplendissait de sa gloire” [S21]. » (David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, p. 445-446.)

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 19:11-21 dans la Bible de Zürich réformée — ici j’ai pris une image venant d’un exemplaire original non-colorisé (à l’intérieur) car l’exemplaire colorisé à la main utilisé ci-dessus ne respecte pas les couleurs indiquées par le texte biblique d’Ap 19 :

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 20:1-3 dans la Bible de Zürich réformée :

Concernant cette image de Dieu ↑ en Apocalypse 20:1-3 : « Saint Jean voit “descendre du ciel un ange qui tenait la clef de l’abîme et une grande chaîne à la main” [Ap 20:1, NBS]. Encore une fois, comme en 10:1 et 18:1 (cf. 12:7), c’est le Seigneur Jésus-Christ qui, en tant que Médiateur, est l’Ange (Messager) de l’Alliance (Malachie 2:7 ; 3:1). Son contrôle et son autorité absolus sur l’abîme sont symbolisés par “la clef” et la “grande chaîne”. L’auteur établit un contraste frappant : Satan, l’étoile maléfique tombée du ciel [Luc 10:18], a reçu brièvement la clé de l’abîme (9:1) ; mais Christ est “descendu” du ciel, ayant en sa possession légitime “les clés de la mort et du séjour des morts” (1:18). […] Jésus-Christ, dans sa mission en tant qu’Ange du ciel, “saisit le dragon, le serpent d’autrefois, qui est le diable et Satan, et il le lia pour mille ans. Il le jeta dans l’abîme, qu’il ferma et scella au-dessus de lui” [Ap 20:2-3, NBS, corrigé]. Tel que saint Jean l’a déclaré dans sa 1ère épître, si Christ “s’est manifesté, c’est pour détruire les œuvres du diable” (1 Jean 3:8). » (David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, p. 499-500 ; Collectif, Nouveau Testament interlinéaire grec-français, p. 1219.)

Il y a donc pas moins d’une douzaine d’images de Dieu ayant un appui textuel direct dans les pages du Livre de l’Apocalypse de la Bible de Zürich produite par les réformateurs Ulrich Zwingli et Leo Judä !

Read Full Post »

Partie 2 sur 4 : Le buisson ardent

✤ ✤ ✤ ✤ ✤

Dans l’article introductif de cette série, nous avons expliqué qu’il existe, dans l’histoire de l’Église et la théologie chrétienne, essentiellement trois positions sur la légitimité des images de Dieu : L’iconodoulie, qui voue un culte aux images de Dieu et qui n’a aucun fondement scripturaire (c’est-à-dire biblique) ; L’iconoclasme modéré, qui accepte certaines images de Dieu sous certaines conditions et qui est la position ayant le meilleur appui scripturaire ; Et enfin l’iconoclasme radical, qui rejette l’absolue totalité des dites images mais qui bénéficie d’un piètre appui scripturaire malgré qu’il jouisse d’antécédents substantiels – quoique pas unanimes – dans la littérature réformée historique.

Le tableau-synthèse ci-dessous résume ces trois positions classiques en reproduisant des citations sélectionnées parmi les textes d’autorité les plus anciens et les mieux autorisés pour chaque position (téléchargement direct ici) :

✤ ✤ ✤ ✤ ✤

Passons maintenant au vif du sujet, qui retiendra notre attention dans le présent article ainsi que dans les deux prochains de cette série : Les nombreux exemples d’images de Dieu non-cultuelles (habituellement des reproductions artistiques de théophanies bibliques) dans la tradition théologique réformée.

Théophanie (buisson ardent) sur le sceau des Églises réformées de France (reconstitué), qui fut officiellement adopté au 12ème Synode national des Églises réformées de France à Vitré en Bretagne en 1583 :

Image de Dieu (buisson ardent) sur le sceau officiel du Synode général de l’Église réformée de France en 1872 :

Image de Dieu sur l’emblème officiel de l’Église réformée de France pendant une partie du XXème siècle :

Certains zélateurs modernes de l’iconoclasme radical nient que cette représentation du buisson ardent sur le sceau des Églises réformées de France soit une image de Dieu. Ils invoquent, comme argument, qu’Exode 3:2 énonce que « L’ange de l’Éternel lui apparut [à Moïse] dans une flamme de feu, au milieu d’un buisson … » (S21). Ainsi, si l’on suit les traductions modernes, cette théophanie avait la configuration d’une poupée russe : Il y aurait eu un ange dans une flamme dans un buisson. Conséquemment, l’omission d’un ange sur le sceau réfuterait l’assertion voulant que ce sceau porte une image de Dieu. L’inclusion d’une figure simili-angélique dans une autre représentation artistique réformée de cette théophanie (dans la Bible de Zürich de 1531), viendrait conforter cette argumentation.

Or, ce raisonnement est faible sur les plans linguistique et historique.

Dans texte hébreu d’Exode 3:2, les quatre mots traduits par « dans une flamme de » dans la plupart des Bibles françaises modernes ne correspondent qu’à un seul vocable : labbâh (בְּלַבַּת־). L’élément principal de cette locution, c’est les trois lettres du milieu (racine לַבָּה / forme nominale לַבַּת) qui signifient « flamme ». La 1ère lettre à droite (préposition בְּ) signifie « dans », « avec », « par » ou « en »,  dépendamment du contexte. Le 5ème symbole à gauche (le signe de liaison ־) est une sorte de trait d’union qui connecte le mot à la fin duquel il est placé avec le mot suivant (ici ’esh, אֵשׁ, « feu ») ; il est donc adéquatement traduit en français par le mot « de » dans la séquence « flamme de feu ». (Collectif, Ancien Testament interlinéaire hébreu-français, Éditions Bibli’O, 2007, p. 179 ; Thom Blair, Hebrew-English Interlinear ESV Old Testament, Crossway Books, 2013, p. 129-130 ; Andrew Bowling, Theological Wordbook of the Old Testament, Vol. 1, Moody Press, 1980, p. 467 et 469.)

Ce choix de traduction – observable dans la totalité des Bibles protestantes françaises modernes – de cette préposition בְּ de la locution בְּלַבַּת־ en Exode 3:2, est très discutable. En effet, c’est le contexte qui détermine s’il est préférable de traduire cette préposition par « dans », « avec », « par » ou « en ». (Jacob Weingreen, Practical Grammar for Classical Hebrew, Oxford University Press, 1959, p. 26-28 ; Id. et Paul Hébert, Hébreu biblique : Méthode élémentaire, Beauchesne Éditeur, 1984, p. 34-36.) Penchons-nous maintenant sur ce contexte.

Traduire ce segment d’Exode 3:2 par « dans une flamme » induit à penser que l’Ange de l’Éternel était à l’intérieur de la flamme de feu, ce qui est inapproprié. Il est invraisemblable que Moïse ait vu un ange physique tel que nous le concevons ordinairement (un être ayant un corps humain avec des ailes d’oiseau et des vêtements blancs). L’idée d’un ange physique dans le feu dans le buisson s’accorde mal avec le fait que Moïse s’étonne de ce que le buisson ne brûle pas mais ne s’étonne aucunement de ce qu’un supposé ange physique ne brûle pas (alors que s’il avait été là, il aurait « dû » brûler lui aussi, puisque les anges-créatures ne sont pas invincibles). Par conséquent, l’expression « Ange de l’Éternel » n’est ici qu’une désignation littéraire de la Seconde personne de la Trinité.

Traduire ce segment d’Exode 3:2 par « avec une flamme » est tout aussi inapproprié, puisque cela induit à penser que l’Ange de l’Éternel était à côté de la flamme dans le buisson, ce qui est inadmissible pour la raison sus-évoquée.

Traduire la préposition בְּ de la locution hébraïque בְּלַבַּת־ d’Exode 3:2 par le mot français « par » est le choix optimal, puisque ça veut dire que l’Ange de l’Éternel revêtait la forme ou l’apparence de la flamme de feu, et c’est précisément ça qui doit se déduire du contexte immédiat. Traduire בְּ par « en » est aussi acceptable puisqu’ici « en » peut s’interpréter comme voulant dire la même chose que « par » ; nous y reviendrons.

Michael Houdmann, qui détient un baccalauréat/licence en études bibliques et deux maîtrises en théologie, est d’avis qu’il n’y avait pas d’ange physique au sens ordinaire du terme : « Dieu est apparu à Moïse sous la forme d‎’un buisson ardent et lui a dit exactement ce qu‎’il voulait qu‎’il fasse » (source) ; « le feu brûlant dans le buisson était la forme de l’Ange de l’Éternel qui “lui est apparu [à Moïse] en des flammes de feu” » (source). Le chrétien israélien Joshua Vine, dont la langue maternelle est l’hébreu, explique que « l’Ange de l’Éternel se manifeste par une flamme. […] Donc, l’Ange de l’Éternel se révèle au moyen d’une flamme » (source).

Comme l’enseigna le théologien réformé Richard Charles Sproul (1939-2017), puisque le feu brûlait par lui-même et n’utilisait pas le buisson comme combustible, la théophanie est la flamme de feu surnaturelle. Alors la bonne distinction ici est entre l’ange-feu et le buisson, et non entre l’ange physique imaginaire et le buisson + le feu. (R.C. Sproul, Moses and the Burning Bush, Ligonier Ministries, 2018, 105 p.)

Qu’en était-il des exégètes du XVIème siècle ? François Vatable (1495-1547) est un érudit chrétien français du XVIème siècle qui donna des cours d’hébreu au Collège de France à Paris et rédigea plusieurs commentaires en latin sur différents livres de la Bible. Il collabora étroitement avec les réformateurs Lefèvre d’Étaples (à la tête du fameux Cercle de Meaux) et Robert Estienne (imprimeur officiel du Roi de France ultérieurement relocalisé à Genève). « Vatable fut le restaurateur de l’étude de la langue hébraïque en France » (source).

Les commentaires et les notes de cours de Vatable n’existant qu’en latin, je ne peux guère les analyser directement. J’ai donc demandé à deux agents conversationnels propulsés par intelligence artificielle (ChatGPT le 19-02-2025 puis Grok le 23-02-2025) si Vatable pensait que l’Ange de l’Éternel était séparé et distinct de la flamme de feu, ou si cet Ange était assimilable à la flamme de feu dans le sens où il avait pris la forme de cette flamme.

La réponse de ChatGPT est catégorique :

« Vatable semble pencher pour une unité entre l’ange et la flamme dans ce passage. […] Il considère que l’ange n’est pas un être séparé de la flamme, mais que la flamme de feu elle-même est l’image visible de la présence divine. Autrement dit, l’ange de l’Éternel prend la forme de la flamme dans ce passage pour manifester la sainteté et la majesté de Dieu de manière tangible et compréhensible pour Moïse. La flamme devient un moyen par lequel l’ange (c’est-à-dire la présence de Dieu) se fait voir. […]

Selon Vatable, il n’y a pas de dissociation entre l’ange et la flamme. L’ange de l’Éternel est identifié avec la flamme de feu dans ce passage, ce qui signifie que la flamme elle-même est une manifestation visible de l’ange qui représente Dieu. En d’autres termes, l’ange et la flamme sont intimement liés et l’ange apparaît sous la forme du feu.

Vatable semble donc considérer que l’ange de l’Éternel et la flamme de feu sont indissociables dans ce passage. Il n’y a pas de distinction nette entre l’ange et la flamme, car l’ange prend précisément cette forme de feu pour se manifester à Moïse. La flamme devient un moyen visuel de la présence divine, et l’ange de l’Éternel est effectivement assimilé à cette flamme dans la théophanie décrite. »

La réponse de Grok est plus nuancée mais conduit essentiellement à la même conclusion :

Dans ses notes sur ce verset, Vatable ne semble pas trancher explicitement entre une distinction stricte ou une assimilation totale [entre l’Ange et la flamme], mais son approche philologique suggère qu’il privilégiait une lecture où l’Ange est l’agent actif de la révélation, utilisant la flamme comme un signe ou un vecteur. […] Vatable ne semble pas avoir considéré l’Ange comme strictement séparé de la flamme au sens d’une entité extérieure manipulant un phénomène indépendant, ni comme totalement assimilé à elle au point de perdre son identité propre. […]

[Selon Vatable,] la flamme est le médium de la manifestation plutôt qu’une équivalence ontologique avec l’Ange. […] Cependant, Vatable ne rejette pas totalement l’idée d’une assimilation symbolique. Dans la tradition exégétique, le feu qui ne consume pas le buisson est souvent interprété comme une métaphore de la présence divine — immanente mais non destructrice.

[Toujours selon Vatable,] Moïse aurait perçu un phénomène visuel – une flamme surnaturelle qui ne consume pas le buisson – et, dans ce phénomène, l’Ange de l’Éternel se serait rendu perceptible, sans que l’Ange lui-même ne soit nécessairement un ‹ ange physique › avec des contours définis ni une flamme anthropomorphisée. »

Je me permets d’en déduire que Vatable, tout en étant sobre et prudent dans son travail exégétique, n’enseignait pas l’existence d’un ange physique au sens ordinaire en Exode 3:2. Est-ce pertinent pour éclairer le sceau des Églises réformées de France arborant un buisson ardent ? Puisque Vatable est officiellement demeuré catholique jusqu’à son trépas (malgré que les papistes de la Sorbonne et du Parlement l’aient persécuté), nous pourrions penser qu’il n’eut qu’un impact négligeable sur la compréhension de cette théophanie qu’eurent ses compatriotes protestants du XVIème siècle. Nous aurions tort. C’est François Vatable qui a fourni à Clément Marot la traduction des Psaumes que ce dernier utilisa pour composer ses 50 Psaumes de sa 1ère itération du Psautier huguenot et qui « les lui expliqua lui-même mot à mot » (source) ; c’est notamment pour cela que Théodore de Bèze qualifia Vatable de « guide » (source).

De surcroît, c’est François Vatable qui fut le professeur d’hébreu de Jean Calvin au Collège de France (alors appelé Collège royal) à Paris en 1531-1533 ! (Albert-Marie Schmidt, Jean Calvin et la tradition calvinienne, Éditions du Seuil, 1957, p. 20 ; Douglas Kelly, « The Catholicity of Calvin’s Theology », Tributes to John Calvin, Presbyterian & Reformed Publishing, 2010, p. 196.) L’érudition de Vatable eut donc une influence profonde et durable dans les milieux réformés français.

Cela se perçoit dans l’approche de Jean Calvin sur cette question. Tout d’abord, il convient de remarquer que la traduction française d’Exode 3:2 que Calvin utilise dans son Commentaire sur les cinq livres de Moïse (1564) se lit précisément : « Et l’Ange du Seigneur s’apparut à luy du milieu d’vn buiſſon, en flamme de feu, & il regarda : & voici le buiſſõ ardoit en feu, & ne se cõſumoit point. » Ici, l’utilisation du mot français « en » pour traduire la préposition hébraïque בְּ est plus prudente que les traductions modernes qui traduisent par « dans » car elle évite d’exprimer de manière univoque que l’ange était à l’intérieur du feu et peut se comprendre comme référant à l’état de l’ange. (Certains pourraient rétorquer qu’avant le XVIIIème siècle, le mot « en » était plus fréquemment utilisé dans le sens de « dans » qu’aujourd’hui, ce qui n’est pas faux, mais le fait demeure que le mot « en » avait un champ sémantique plus large que le mot « dans » dès les XVI-XVIIèmes siècles.) Cette traduction était certainement approuvée par Calvin, comme l’atteste la Bible qu’il avait lui-même révisée en 1546.

De plus, la ponctuation de cette traduction de 1564 n’est pas anodine : L’insertion d’une virgule entre le mot « buiſſon » et les mots « en flamme de feu » aide à distancer le buisson et la flamme ; elle facilite aussi l’articulation entre l’ange et la flamme — et incidemment l’identification de la flamme à l’ange.

Ensuite, les commentaires eux-mêmes : Une lecture attentive des commentaires de Calvin sur Exode 3:1-5 (page 20, page 21 et page 22 de l’Harmonie de la Loi) permet de constater que le réformateur de Genève n’affirme nulle part que l’Ange de l’Éternel intervenu au buisson ardent avait l’apparence extérieure d’un « ange » au sens classique du terme (physionomie humaine, grandes ailes d’oiseau, tunique blanche).

Soit-dit en passant, l’édition originale du Commentaire sur les cinq livres de Moïse (1564) où Calvin commente sur cette théophanie du buisson ardent porte une image de Dieu sur sa page couverture (!) — une illustration de la métaphore de l’olivier venant de Romains 11:16-24 où des branches sont coupées et d’autres sont greffées, et où l’action de couper et de greffer est faite par les mains de Dieu (représentation s’inspirant des nombreuses allusions à la main ou au bras de l’Éternel dans la Bible, cf. Exode 6:6, 15:16, Deutéronome 4:34, 5:15, 7:19, 26:8, 33:27, Psaumes 44:3, 73:23, 89:10-13, 89:21, 98:1, 139:10, Ésaïe 30:30, 40:10, 52:10, 53:1, 59:1, 63:12, Luc 1:51, Jean 12:38, Actes 13:17, etc.) :

Revenons à nos moutons, ou devrais-je dire, aux moutons que gardait Moïse lorsque l’Éternel se manifesta à lui au buisson ardent du mont Sinaï. Les partisans de l’idée d’un ange physique en Exode 3:2 pourraient à ce stade-ci invoquer le Commentaire sur les Actes des Apôtres (1552) de Calvin, où l’on peut lire à la p. 139 : « Car combien que pour quelque temps il [= Ieſus Chriſt] ayt pris la forme d’vn Ange, neantmoins il n’a iamais pris la nature Angelique : comme nous ſavons qu’il a eſté vrayment fait homme. » Argument décisif en faveur de la croyance en un ange physique dans le buisson ardent ? Pas si vite !

Que veut dire Calvin lorsqu’il parle de la « forme d’un ange » ? D’un être anthropomorphique en toge blanche avec des ailes ? Non. Pour Calvin, les anges n’ont pas naturellement une physionomie humaine. À vrai dire, selon lui, les anges n’ont pas de forme matérielle distinctive ! Dans son Institution de la religion chrétienne (1560), à § 1:14:3, ce théologien explique que les anges correspondent aux « choses invisibles » auxquelles il est fait référence dans le Crédo de Nicée-Constantinople (381). Et dans le même ouvrage, à § 1:14:4, cet auteur décrit les anges comme étant des « ministres de Dieu » ; puis après, à § 1:14:5, il déclare que « Nous lisons par toute l’Écriture, que les anges sont [des] esprits célestes ». (Jean Calvin, L’Institution chrétienne : Livres premier et second, Éditions Kerygma, 1978, p. 114-116.)

Dans son Commentaire sur Genèse (1564), Calvin a l’opportunité d’exposer plus en détail sa pensée sur la relation entre l’apparence des anges et l’apparence des humains lorsqu’il traite du chapitre 18. Commentant sur le v. 2, il écrit : « Moïse […] nomme les anges hommes parce qu’ayant revêtu des corps humains ils ne montraient d’autre apparence que d’être des hommes. » Commentant sur le v. 8, Calvin avance que les anges de Genèse 18 n’avaient que des corps humains temporaires créés par Dieu pour la durée de leur visite au campement d’Abraham, puis qu’après leur brève mission terminée, « Dieu réduit à néant les corps qu’il avait créés pour un usage temporel ». Commentant sur le v. 16, il réitère l’affirmation qu’« il ne faut pas penser » que ces anges avaient naturellement des « corps humains » ; simplement, « Dieu les a vêtus pour un temps de corps humains dans lesquels ils pussent être visibles à Abraham et parler familièrement avec lui. » Calvin étaye son propos quand il commente sur le v. 22, où il insiste que cet anthropomorphisme angélique circonstanciel et passager n’est que l’un des « signes extérieurs par lesquels Dieu se représente » à nous. (Jean Calvin, Commentaires bibliques : Le Livre de la Genèse, Éditions Kerygma, 1978, p. 274, 276, 280 et 284.) Ce théologien soutenait la même analyse concernant les anges dans plusieurs autres textes des Écritures Saintes.

Tout cela implique que dans le vocabulaire de Calvin, l’expression « la forme d’un ange » ne signifie pas automatiquement que ce juriste imaginait un ange physique au sens usuel, ressemblant à un humain avec des ailes. La « forme d’un ange » est n’importe quelle forme que l’ange-créature ou l’ange-théophanie prends au moment et à l’endroit où il apparaît. Et au buisson ardent, tout semble indiquer que cette forme était la flamme de feu. Dans l’angéologie calvinienne, le point commun de toutes ces manifestations angéliques n’est pas une apparence spécifique codifiée, mais le fait d’agir en tant que messager et d’ambassadeur de l’Éternel des armées.

Même lorsque la Bible décrit certains anges comme étant des être ailés, Calvin était parfois disposé à ne voir dans ces ailes qu’une allégorie non-littérale (IRC, § 1:14:8) : « Il est bien vrai que les esprits n’ont point de forme comme les corps : toutefois l’Écriture pour notre petite capacité et rudesse […] nous peint les Anges avec des ailes sous les titres de chérubin et séraphin, à ce que nous ne doutions point qu’ils seront toujours prêts à nous secourir avec une hâtiveté incroyable, sitôt que la chose le requerra, comme nous voyons que les éclairs volent parmi le ciel ». (Jean Calvin, L’Institution chrétienne, 1978, p. 119.) « Nous ne savons pas à quoi les anges ressemblent puisqu’ils sont des esprits », paraphrase Herman Selderhuis (« Calvin’s View of Angels », Southern Baptist Journal of Theology, Vol. 25, N° 2, 2021, p. 78).

Plusieurs arguments supplémentaires à l’appui de cette compréhension pourraient être mobilisés. Grok fait état des commentaires de Calvin sur Exode 14:19 et 23:20 (lien alternatif). Cette accumulation de preuves atteste à quel point la notion d’apparence angélique était variable et fluide pour Calvin en matière de théophanies.

Le même exercice pourrait être fait pour Antoine-Rodolphe Chevalier (1507-1572) (lien alternatif), qui fut professeur d’hébreu à l’Académie de Genève (1559-1567) et auteur d’une grammaire hébraïque publiée dans cette illustre cité du Léman. Ce même exercice pourrait également être fait pour Corneille “Pierre” Bertram (1531-1594) (lien alternatif), qui fut lui aussi professeur d’hébreu à l’Académie de Genève (1567-1586) puis à l’Académie de Lausanne (1588-1594) ainsi que le traducteur principal du texte de l’A.T. pour la Bible de Genève française de 1588. Aucun de ces hébraïstes réformés français du XVIème siècle n’était enclin à enseigner que la théophanie du buisson ardent avait la configuration d’une poupée russe avec un être ayant l’apparence classique d’un ange (physionomie humanoïde, ailes d’oiseau, vêtements blancs) au centre de celle-ci.

Je crois avoir amplement démontré que les sommités réformatrices françaises du XVIème siècle versées en hébreu n’enseignaient pas qu’il y avait un ange physique au beau milieu du feu dans le buisson ardent, et par extension que le buisson ardent sur le sceau officiel des Églises réformées de France adopté en 1583 est bel et bien une IMAGE DE DIEU.

✤ ✤ ✤ ✤ ✤

Le site web de la Bible d’étude de la foi réformée (Éditions La Rochelle, 2024) explique ceci : « [L]es Églises réformées d’autres pays ont fini par suivre l’exemple des huguenots en intégrant l’image dans leurs propres sceaux et emblèmes officiels. En Écosse, cela s’est produit en grande partie par accident. Peu après que le presbytérianisme eut été rétabli en 1690 [suite à la Glorieuse Révolution de 1688], l’Église d’Écosse (la Kirk) a chargé un imprimeur d’Édimbourg, George Mosman, d’imprimer les comptes rendus de ses Assemblées générales annuelles. Mosman prit la liberté d’inclure une image circulaire du buisson ardent sur la page de titre du premier acte de l’assemblée, et des suivants, accompagnée de la phrase latine ‹ Nec tamen consumebatur › (‹ Pourtant, il ne fut pas consumé › [cf. Exode 3:2-3]), et placée, du moins dans une des premières versions, sur une toile de fond carrée avec des chardons écossais dans chaque coin. Les autorités de la Kirk n’y ont apparemment pas vu d’inconvénient, probablement parce qu’elles connaissaient l’usage du symbole du buisson ardent par l’Église réformée française, et parce qu’elles considéraient qu’il s’agissait d’un emblème approprié pour leur propre Église, compte tenu des souffrances que l’Église avait endurées, et de la protection divine dont elle avait bénéficié tout au long du précédent siècle. En effet, le buisson ardent a fait figure d’image littéraire de la Kirk et de ses épreuves perpétuelles dans les écrits d’éminents Covenantaires écossais tels que Samuel Rutherford. De manière informelle et non officielle, le buisson ardent est donc devenu, puis est resté, le symbole de l’Église d’Écosse, avant d’acquérir un statut officiel. »

Voici à quoi ressemblait cette image de Dieu utilisée par l’Église réformée d’Écosse dès ≈ 1691 :

Comme l’explique la Presbyterian Historical Society of Ireland, le buisson ardent fut utilisé comme symbole identitaire réformé en Irlande du Nord (Ulster) à partir de 1842.

Le site web de la Bible d’étude de la foi réformée explique également : « Lorsque le presbytérianisme s’est répandu dans le monde à partir du XVIIe siècle, notamment par l’intermédiaire des émigrants écossais, il s’est généralement accompagné d’une version du symbole adopté par la Kirk écossaise. Aujourd’hui, le buisson ardent figure sur les armoiries officielles des Églises presbytériennes d’Irlande, d’Irlande du Nord, du Canada, du Brésil, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, de Taïwan, de Singapour, de Malaisie, d’Afrique de l’Est (Kenya et Tanzanie), et d’Afrique australe (Afrique du Sud, Zambie et Zimbabwé). Les Églises ayant des relations historiques plus immédiates avec la Kirk écossaise, telles que l’Église libre d’Écosse et l’Église libre unie d’Écosse, ont également conservé l’emblème du buisson ardent sous une forme ou une autre. »

Le théologien & géographe réformé brésilien Diego Montenegro a dressé un catalogue remarquable de ce foisonnement de buissons ardents dans la symbolique identitaire réformée presbytérienne à l’échelle internationale. Voici un aperçu très échantillonnaire de son impressionnante compilation :

Il va sans dire que dans le monde réformé presbytérien, la position de l’iconoclasme radical doit être ultra-minoritaire, la position réformée classique dominante étant plutôt celle de l’iconoclasme modéré.

✤ ✤ ✤ ✤ ✤

En guise de complément, voici quelques images de Dieu – toujours en forme de buisson ardent – plus récentes usitées dans un contexte réformé ecclésial ou para-ecclésial…

Théophanie (buisson ardent) dans le vitrail du bâtiment de l’Église réformée évangélique d’Aix-en-Provence (en actuelles Bouches-du-Rhône) en France :

Théophanie (buisson ardent) sur l’emblème officiel de la Faculté libre de théologie réformée (FLTR) d’Aix-en-Provence dans les décennies 1980 et 1990 :

Théophanie (buisson ardent) sur l’emblème officiel de la Faculté libre de théologie réformée (FLTR) d’Aix-en-Provence dans la décennie 2000 (cet institut changea de nom pour celui de Faculté Jean Calvin en 2010) :

Théophanie (buisson ardent) sur l’emblème de la Revue réformée (journal académique officiel de la Faculté Jean Calvin) en 2020 :

Read Full Post »

Partie 1 sur 4 : Prolégomènes (notions préliminaires) théologiques

✤ ✤ ✤ ✤ ✤

Le protestantisme réformé est résolument iconoclaste : Il récuse l’iconodoulie, c’est-à-dire le culte des icônes – ou images & statues religieuses – tel qu’il est pratiqué dans le catholicisme romain, la pseudo-orthodoxie orientale, ainsi que la plupart des paganismes polythéistes. Ceci, sur la base du Deuxième Commandement du Décalogue (Exode 20:4-6, Deutéronome 5:8-10), de la législation mosaïque (Exode 34:17, Deutéronome 4:15-19, 16:21-22, 17:2-3, 27:15, Lévitique 19:4, 26:1) ainsi que des enseignements des Poètes de l’A.T. (Psaumes 115:4-8, 135:15-18, etc.) et des Prophètes de l’A.T. (Ésaïe 40:18-20, 41:6-7, 44:9-20, Jérémie 10:1-16, Daniel 5:23, Habacuc 2:18-19, etc.).

Cependant, est-il légitime d’avoir des images de la divinité lorsque ces images ne sont pas utilisées comme des instruments cultuels ? Sur cette question, les avis divergent ; la foi protestante réformée historique n’est pas monolithique. Deux approches différentes coexistent à l’intérieur de cette tradition. À l’instar de ce que l’on a pu observer durant les deux iconoclasmes byzantins (survenus dans l’Empire romain d’Orient au Haut Moyen Âge), ces deux approches réformées peuvent être appelées l’iconoclasme radical (qui correspond ± au 1er iconoclasme byzantin), d’une part, et l’iconoclasme modéré (qui correspond ± au 2nd iconoclasme byzantin), d’autre part.

Deux positions réformées coexistent

Les iconoclastes radicaux pensent que toutes les représentations artistiques de Dieu sont absolument et invariablement illégitimes, sans aucune distinction, nuance ou exception. Les iconoclastes modérés estiment que ces représentations sont légitimes si : {1} Aucun culte ne leur est rendu (pas d’iconodoulie / totémisme) ; {2} Ces représentations ne sont pas conçues ou perçues comme étant des personnifications ou incarnations de Dieu ; {3} Ces représentations ne sont pas des inventions provenant de l’imagination humaine mais sont plutôt des reproductions visuelles de théophanies préexistantes. Le mot théophanie désigne « une manifestation visible de Dieu » (Robert Charles Sproul, La sainteté de Dieu, Éditions Impact, 2020, p. 223 ; Collectif, Bible d’étude de la foi réformée, Éditions La Rochelle, 2024, p. 43).

Parmi les réformés, l’iconoclasme radical est notamment représenté par le réformateur Guillaume Farel (1489-1565), qui déclarait, dans Du vrai usage de la croix de Jésus-Christ (1560) : « [T]ant d’idolâtries ont été commises à causes des croix et des images, et toutes autres telles choses, que je désire que tout cela soit ôté » (p. 210).

Cette position intransigeante est aussi observable chez le réformateur Pierre Viret (1511-1571), selon lequel l’absolue totalité des images de Dieu seraient illégitimes en toutes circonstances imaginables, à un point tel que même les croix ornementales seraient très dangereuses : « [J]e ne puis trouver raison assez suffisante pour m’induire à approuver qu’il soit bon et convenable au service de Dieu [sic] d’avoir des images, ni ès temples, ni en lieu, ni en chose quelconque, qui appartienne à la religion. Car combien que […] nous proposions seulement […] la croix, ou des autres choses semblables […] ; toutefois, cela ne se pourra faire en manière quelconque, qu’il n’y ait de la superstition, de l’idolâtrie et de l’erreur, ou pour le moins [un] grand danger de tomber en aucunes [c-à-d en plusieurs] des fautes que nous avons tantôt touchées, qui y pourraient être. » (Pierre Viret, Instruction chrétienne, Tome 2 : Exposition sur les Dix Commandements de la Loi donnée de Dieu par Moïse, Éditions L’Âge d’Homme, 2009/1564, p. 185-186.)

Semblablement ahuri et dégouté par la superstition catholique romaine imprégnant son époque, le réformateur Théodore de Bèze (1519-1605) était incapable de percevoir les images religieuses autrement que comme une pierre d’achoppement. À ses yeux, la seule approche prudente serait de les bannir entièrement, toute solution alternative étant à ses yeux trop risquée. Dans son Discours de Saint-Germain (1562), Bèze raisonnait ainsi : « [S]’il y avait une pierre en un chemin contre laquelle plusieurs se fussent heurtés, et serait-on en danger de se blesser encore, il vaudrait beaucoup mieux complètement ôter la pierre – malgré qu’elle pût servir à quelque autre chose où elle serait – qu’avoir des hommes à gages pour avertir les passants de ne s’y heurter. » (cité dans Pierre Bourguet, « La doctrine reformée sur les images en tant que “Libri idiotarum” », Foi & Vie, Vol. 36, N° 72, 1935, p. 575, français modernisé.)

Également parmi les réformés, l’iconoclasme modéré est notamment représenté par le réformateur Ulrich Zwingli (1484-1531), selon lequel les images pieuses servant d’objet de culte sont illégitimes, mais pas les images n’ayant qu’une valeur pédagogique et/ou mémorielle (Paul Sanders, Zwingli & Bullinger : Quand la Réforme entre en cène, Éditions La Cause, 2023, p. 32.)

Zwingli expliquait, dans sa Brève instruction chrétienne aux ministres (17 novembre 1523) : « Nous laissons subsister ce qui relève le culte sans favoriser la superstition ; nous ne pensons pas, par exemple, que l’on doive enlever les images peintes sur verre qui sont enchâssées, en manière d’ornement, dans les fenêtres, car personne ne songe à les adorer. » (Freddy Durleman, Zwingli : Textes choisis, Éditions La Cause, 2024, p. 19).

Telle appert être aussi la compréhension du pasteur & théologien réformé français Abraham Rambour (1590-1651), qui fut professeur à l’Académie réformée de Sedan dans les Ardennes puis recteur de ce bastion éducationnel de l’orthodoxie réformée en France. Faisant sienne la voie médiane de l’Église carolingienne (articulée aux IXème & Xème siècles), Rambour affirmait dans son Traité de l’adoration des images (1635) qu’« une ressemblance [c-à-d une image] est une idole quand on lui rend service [c-à-d qu’on la sert, qu’on lui rend une dévotion cultuelle] » (p. 124) et « que l’usage des images peut être bon, lesquelles étant adorées deviennent idoles. » (p. 131).

La présente série d’articles, en quatre parties, vise à défendre le bien-fondé de la position de l’iconoclasme modéré. Cela, dans un premier temps, sur le plan théologique (partie 1), et dans un second temps, sur le plan historique (parties 2, 3 et 4).

Définir l’idole, l’idolâtrie et l’icône

Puisque les partisans de l’iconoclasme radical font planer beaucoup de confusion au sujet de l’idolâtrie en accusant prématurément toutes les images de Dieu d’être des idoles et toutes les utilisations d’images de Dieu d’être de l’idolâtrie, il convient de commencer par les bases et de définir correctement – au sens biblique & théologique – ce qu’est l’idole, l’idolâtrie et l’icône religieuse. J’ai donc réuni plusieurs définitions de ces concepts-clés venant d’ouvrages de référence chrétiens. Vous constaterez qu’il y a une forte redondance dans cette succession de définitions, et c’est à dessein que je les empile, afin de démontrer le consensus linguistique et théologique existant en cette matière.

« Idole : Vaut autant comme si on disait ‹ image ›, ou ‹ statue ›, ou ‹ figurine › qui représente quelque chose. Mais en l’Écriture ce mot se prend pour image qui est faite pour dévotion, et laquelle on tient pour chose sainte ou sacrée. Les idolâtres sont ceux qui les adorent ou honorent. Idolâtrie est l’adoration laquelle on leur fait, ou la révérence qu’on leur porte. C’est pourquoi on prend ce mot d’image en cette même signification, c’est-à-dire pour idole, car ce n’est qu’un. » (Jean Crespin, Dictionnaire en théologie, Genève, 1560, p. 223, français modernisé.)

« Image : Ce terme dénote une représentation visuelle, usuellement d’une déité [païenne]. […] À travers tout le Proche-Orient antique, de nombreuses images de multiples déités se trouvaient dans des temples et d’autres lieux sacrés, tels que des sanctuaires à ciel ouvert ; maintes maisons privées comportaient aussi une niche où l’image de la déité protectrice de la maisonnée se tenait. […] L’image n’était pas principalement conçue comme une [simple] représentation de la déité, mais comme le lieu d’habitation de l’esprit de la déité, permettant au dieu d’être physiquement présent à plusieurs places simultanément. Un adorateur priant devant une image […] aurait regardé cette image comme une projection ou une incarnation de cette déité. » (Ralph Martin, The Illustrated Bible Dictionary, Tome 2, Inter-Varsity Press, 1994, p. 683.)

« Idole : […] Représentation par l’image, la sculpture, ou un autre moyen, d’une personne ou d’un animal, afin d’en faire soit un objet d’adoration, soit l’habitat d’une divinité. [C]es représentations, travaillées avec des instruments tranchants, sont appelées images taillées, ou idoles sculptées. » (Collectif, Nouveau Dictionnaire biblique, Éditions Emmaüs, 1983, p. 339.)

« Idolâtrie : L’idolâtrie dans les temps anciens incluait deux façons de s’écarter de la vraie religion : L’adoration de faux dieux, que ce soit au moyen d’images ou autrement ; et l’adoration de l’Éternel au moyen d’images. » (James Douglas et Merrill Tenney, New International Dictionary of the Bible, Zondervan Publishers, 1987, p. 459.)

« Idolâtre : Qui rend un culte aux idoles. »
« Idolâtrie : Culte rendu aux idoles. » (Jack Cochrane, Dictionnaire des mots et des expressions de la Bible, Distributions évangéliques du Québec, 1999, p. 271.)

« Idolâtrie : Adoration d’une idole, ou d’une divinité représentée par une idole, généralement sous forme d’image [ou de statue]. […] L’adoration de Dieu sous forme d’une idole réduirait le Créateur à la substance d’une création (représentée par et même dans l’idole), sapant ainsi fondamentalement la conception du Dieu créateur transcendant. L’idole donnait à ses adorateurs la sensation de la proximité physique de la divinité et peut-être aussi la conviction que son pouvoir pouvait être exploité. » (Peter Craigie, Grand Dictionnaire de théologie, Éditions Excelsis, 2021, p. 645.)

« Idole : Plusieurs mots hébreux désignent les représentations des divinités adorées par les païens : ce sont des images ou des représentations, des objets fabriqués ou encore, dans des termes péjoratifs, des ordures [ou] des horreurs. L’idolâtrie est très souvent comparée à une prostitution. » (Jules-Marcel Nicole et al., La Sainte Bible [Colombe], Alliance biblique universelle, 1978, Glossaire, p. 8.)

« Idolâtrie : […] Les mots hébreux et grecs relatifs à l’‹ idolâtrie › se ressemblent beaucoup. L’Ancien et le Nouveau Testament décrivent tous deux l’adoration des idoles comme une abomination et condamnent ceux qui la pratiquent. Le mot hébreu hebel et le mot grec eidōlon démontrent qu’il est futile d’adorer des idoles parce qu’il s’agit de [faux] dieux fabriqués de toutes pièces par les hommes. » (Stephen Renn et Gilles Despins, Dictionnaire des mots bibliques, Publications chrétiennes, 2023, p. 474-475.)

Icône (εἰκών) : « En Colossiens 1:15, Christ est décrit comme étant εἰκὼν τοῦ θεοῦ τοῦ ἀοράτου [‹ l’image du Dieu invisible › (S21)] [et semblablement en 2 Corinthiens 4:4 : εἰκὼν τοῦ θεοῦ = ‹ l’image de Dieu › (S21)]. Pour la logique moderne cela semble être une contradiction, car comment peut-il y avoir une image de ce qui est invisible et sans forme ? La particularité de cette expression est reliée à l’ancien concept [de l’icône dans la culture gréco-romaine en Antiquité. Dans le contexte de celle-ci, le mot] εἰκὼν n’implique pas un affaiblissement ou une copie frêle d’une chose. Il implique l’illumination de son cœur ou de son essence. […] Ici, l’opinion très répandue [dans le paganisme gréco-romain antique] était qu’en quelque sorte, dans l’image, l’être propre du dieu lui-même est présent devant l’homme. Ceci est confirmé par les miracles et la magie associée aux images. Les copies [= εἰκὼν] ont les mêmes pouvoirs et les mêmes capacités de sentiment et d’action que les originaux. […] Ainsi, l’εἰκὼν exprime la manifestation du divin dans ce monde. » (Hermann Kleinknecht, Theological Dictionary of the New Testament, Vol. 2, Eerdmans Publishing, 1964, p. 389-390.)

Ce qui se dégage de la multiplicité de définitions reproduites ci-dessus, c’est qu’en ce qui concerne les images religieuses, la seule existence d’une image de Dieu n’est jamais constitutive d’idolâtrie en elle-même. Pour qu’il y ait idolâtrie – et incidemment idole – cette image doit être un objet ou un instrument d’adoration illicite, objet auquel on attribue des pouvoirs surnaturels. Pas d’adoration, pas d’idolâtrie ; pas d’idolâtrie, pas d’idole.

En outre, malgré qu’en linguistique l’étymologie doive être distinguée de la définition, et que l’étymologie d’un mot ne soit pas toujours indicative du sens de ce mot – en anglais, « pineapple » (ananas) ne désigne pas une pomme poussant dans un pin ! – elle peut parfois l’être. Ça semble être le cas avec le mot idolâtrie. En effet, ce mot français est dérivé du mot grec eidōlolatreia (εἰδωλολατρεία), qui est lui-même composé des mots grecs eidōlon (εἴδωλον), signifiant « image/idole », et latreia (λατρεία), signifiant « culte/adoration ». (Émile Pessonneaux, Dictionnaire grec-français, Librairie classique Eugène Belin, 1953, p. 436 ; John Kohlenberger et James Swanson, The Strongest Strong’s Exhaustive Concordance of the Bible, Zondervan Publishers, 2001, p. 2008.)

Il s’ensuit qu’étymologiquement, « idolâtrie » signifie « adoration d’image » ou « culte d’image ». Cela veut donc dire qu’une image de Dieu à laquelle aucun culte n’est rendu n’est pas et ne peut pas être une idole, mais aussi que toute image à laquelle un culte est rendu est, étymologiquement, une idole (peu importe si le contexte de ce culte est païen ou pseudo-chrétien).

La définition et l’étymologie de l’idôlatrie et des mots apparentés est fort instructive pour la controverse entre l’iconoclasme radical et l’iconoclasme modéré. Les tenants de l’iconoclasme radical ont tendance à affubler d’« idole » toute image de l’une des trois personnes de la Trinité, sans considération du cadre pratico-théologique de ces images, et à accuser d’« idolâtrie » tous ceux qui ne partagent pas leur myopie doctrinale en ce domaine. Les adhérents de l’iconoclasme modéré, par contre, tiennent compte de ce qu’est la réalité factuelle et spirituelle de l’idolâtrie dans leur approche mesurée et prudente sur la question des images divines.

Théophanie(s) 101

Comme les trois prochains articles de la présente série le démontreront (images à l’appui), le courant théologique réformé fondé au XVIème siècle puis consolidé au XVIIème siècle admet la légitimité de certaines images de Dieu moyennant certaines conditions. Ainsi, le sceau officiel des Églises réformées de France (1583), la Bible de Genève française de 1565, la Bible de Genève française de 1588, la Geneva Bible anglaise de 1560, la Bible de Zürich réformée allemande (1531), la Bible réformée néerlandaise (Statenvertaling, 1637), les deux premières éditions de la Bible réformée espagnole (dite Reina-Valera, 1569 & 1602), le sceau officieux de l’Église réformée d’Écosse utilisé dès 1691 et d’autres autorités « mainstream » datant de la genèse de la foi réformée portaient tous des images de Dieu ! Or l’ensemble de ces images ont en commun qu’elles ne sont pas des images issues de l’imagination humaine ; elles sont plutôt des représentations de diverses théophanies par lesquelles l’Éternel s’est préalablement, de sa propre initiative, souverainement imagé lui-même à l’humanité. L’importance capitale de la notion de théophanie mérite donc que l’on définisse davantage ses contours historico-théologiques.

« Théophanie : Terme théologique qui désigne une manifestation visuelle ou auditive de Dieu. Les manifestations visibles peuvent être celles d’un ange apparaissant sous une forme humaine (Jg 13) ; d’une flamme dans le buisson ardent (Ex 3:2-6) ; et de feu, de fumée et de tonnerre sur le mont Sinaï (Ex 19:18-20). […] Dieu prend l’initiative de la théophanie. » (James Moyer, Grand Dictionnaire de théologie, Éditions Excelsis, 2021, p. 1331.)

« Les doctrines de la théophanie et de l’incarnation nous montrent que Dieu est capable de prendre une forme physique. […] Une théophanie est une manifestation visible de Dieu aux être humains. » | « Dans une théophanie, Dieu apparaît sous la forme de quelque chose créé, souvent comme un ange ou un homme. L’‹ ange de l’Éternel › apparaît tel un ange, mais à un point dans le contexte s’identifie lui-même comme étant Dieu, comme en Genèse 16:7-14 [puis] 21:17-21. En Genèse 32:22-32, Jacob lutte avec ‹ un homme › (v. 24) qui s’avère être Dieu (v. 30). […] Le plus souvent, une théophanie prends la forme d’une nuée de gloire, tel que le pilier de nuée et de feu par lequel Dieu guida Israël à travers le désert [Ex 13:21-22 ; 14:19-25 ; 33:9-10 ; 40:34-38]. Dans cette nuée est Dieu lui-même (Ex 16:6-10). Ici la révélation a un aspect fortement visuel. Malgré que Dieu soit invisible, il prend volontairement des formes visibles pour impressionner les gens avec sa puissance terrifiante et sa gloire magnifique. Or Jésus-Christ est aussi une théophanie. […] Dans l’Écriture Sainte, la théophanie est aussi connectée au Saint-Esprit, la Troisième personne de la Trinité. » (John Frame, Systematic Theology : An Introduction to Christian Belief, Presbyterian & Reformed Publishing, 2013, p. 390-391 et 672-673.)

« Qu’est-ce qu’une théophanie ? Très souvent, dans l’histoire biblique, Dieu apparaît sous forme humaine ou se révèle par l’intermédiaire d’éléments naturels. Il apparaît parfois à des gens pleinement éveillés ; à d’autres moments, il se révèle dans un rêve, à quelqu’un qui dort ou encore à quelqu’un qui est en transe. On appelle ‹ théophanies › ces cas tangibles de révélation divine. […] La révélation théophanique de Dieu culmine dans l’incarnation de Jésus-Christ, le Fils de Dieu. » (Robert Chisholm, Dictionnaire de théologie biblique, Éditions Excelsis, 2006, p. 471-474.)

(In)visibilité de Dieu et de sa réalité céleste

Le développement ci-dessous aide à fournir la toile de fond théologique pour une compréhension adéquate de la légitimité de certaines représentations artistiques du Dieu trinitaire incorporel et immatériel.

« Dire que Dieu est invisible, ce n’est pas l’exclure du domaine du visible, mais le considérer comme le Seigneur de la visibilité, le Seigneur de la lumière. Plusieurs textes bibliques parlent de Dieu comme étant invisible (grec aoratos) (Rom. 1:20 ; Col. 1:15 ; 1 Tim. 1:17 ; Heb. 11:27). La littérature johannique affirme à plusieurs endroits que personne n’a jamais vu Dieu (Jean 1:18 ; 5:37 ; 6:46 ; 1 Jean 4:12, 20).

Cependant, comme nous l’avons vu, Dieu s’est révélé par la théophanie et l’incarnation, qui sont toutes deux des moyens très visibles. En réalité, voir une théophanie ou le Christ incarné, c’est voir Dieu. […] Dieu n’est certainement pas irreprésentable au sens strict. Il se représente dans la théophanie, le Christ est son image par excellence (Col. 1:15 ; Heb. 1:3), et l’homme est également son image (Gen. 1:27). Dieu prohibe le culte des images, non pas parce qu’il ne peut pas être représenté, mais […] parce qu’il entend affirmer son droit exclusif à se faire des images de lui-même [c-à-d de choisir souverainement sous quelle forme concrète il se représente et est représenté]. […]

1. Dieu est essentiellement invisible. Cela ne signifie pas qu’il ne peut en aucun cas être vu, mais plutôt qu’en tant que Seigneur, il choisit souverainement quand, où et à qui il se rend visible. Il contrôle toute la matière et la lumière dans l’univers, de sorte que c’est lui seul qui détermine si et comment il sera visible pour ses créatures. […]

2. Dieu s’est souvent rendu visible, dans les théophanies et dans le Christ incarné, de sorte que les êtres humains peuvent à l’occasion véritablement dire qu’ils ont ‹ vu Dieu ›. La théophanie de la nuée de gloire […] est une révélation permanente et visible de Dieu, située dans le ciel, mais parfois visible de la terre [1 Rois 22:19 ; Ésaïe 6:1-4 ; Ézéchiel 8:2-4 ; Daniel 7:9-10 ; Actes 7:55-56 ; etc.] Et à la droite de Dieu dans le ciel se trouve Jésus, qui demeure à la fois Dieu et homme et est donc une personne divine visible en permanence.

3. ‹ Personne n’a jamais vu Dieu › (Jean 1:18a) signifie que personne n’a jamais vu Dieu en dehors de sa révélation théophanique-incarnationnelle volontaire : ‹ Dieu le Fils unique, qui est dans l’intimité du Père, est celui qui l’a fait connaître › (v. 18b [S21]). » (John Frame, Systematic Theology, p. 392-395.)

∴ ∴ ∴

« Dans l’Évangile de Jean, il est dit : ‹ Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu, le Fils unique qui vit dans l’intimité du Père, nous l’a révélé › (1:18) [Semeur]. Jean veut dire que jamais personne n’a vu Dieu dans sa nature absolue et illimitée — pas même Moïse. C’est ce que confirme Ex 33:20. […] Pour revenir à Moïse, si nous lisons qu’il parlait à Dieu ‹ directement face à face, comme un homme parle à son ami › (Ex 33:11), c’est le Fils de Dieu qu’il rencontrait.

Rappelons-nous que le Fils de Dieu appelle ceux qui croient en lui ‹ ses amis › (Jn 15:15). Nb 12:7-8 nous confirme que Moïse a vu ‹ l’image › de Dieu c.-à-d. le Christ : ‹ C’est de vive voix que je lui parle (à Moïse), de façon claire et non dans un langage énigmatique, et il voit l’Éternel de façon visible › (litt. : ‹ il voit l’image de l’Éternel de façon visible ›). [L]a Bible fait une nette distinction entre voir Dieu dans sa gloire non voilée et contempler une représentation ou un reflet de Dieu dans une rencontre avec lui. » (Alfred Kuen, Encyclopédie des difficultés bibliques, Vol. 1 : Pentateuque, Éditions Emmaüs, 2006, p. 410-411.)

✤ ✤ ✤ ✤ ✤

Dans les trois prochains articles de la présente série, nous verrons une multitude d’exemples d’utilisations d’images de Dieu dans le protestantisme réformé ancien (XVIème et XVIIème siècle). En attendant, voici quelques images de Dieu plus récentes usitées dans un contexte réformé militaire ou ecclésial…

Théophanie (colombe représentant le Saint-Esprit dans la croix huguenote créée à Nîmes au Languedoc vers 1688) sur l’insigne officiel des protestants des Forces Françaises Libres (FFL) et des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) pendant la Seconde Guerre mondiale (1940-1945) :

Théophanie (colombe) dans le vitrail du temple de l’Église protestante unie de Dreux en Orléanais (actuel Eure-et-Loir) en France :

Read Full Post »

Quelques brèves réflexions sur la culture du prosélytisme intempestif combinée à la suremphase sur le salut individuel éternel (au détriment du salut collectif temporel) qui affaiblissent l’Église au milieu du chaos éthique et identitaire qui sature l’Occident postmoderne…

« Nous produisons, dans une trop large mesure, un christianisme auto-effondrant, dans le sens où nos convertis se font [souvent] dire que la seule chose importante qu’ils doivent faire est de gagner davantage de convertis. C’est comme s’engager dans les forces armées et demander ce qu’on est censés faire. ‹ Ah, et bien, vous êtes censés recruter. › Ensuite, ils recrutent de plus en plus de personnes tout en les incitant à recruter encore d’autres personnes. Puis un jour, quelqu’un dit : ‹ Ne sommes-nous pas censés mener une guerre ? › [C’est alors que quelqu’un se rappelle :] ‹ Ah oui, il y a une guerre. › »

Référence ↑ : Ralph Winter, « Understanding the Polarisation between Fundamentalist and Modernist Mission », International Journal of Frontier Missiology (IJFM), Vol. 26, N° 1, p. 10.

« Ces chrétiens [les fondamentalistes nord-américains du 1ier tiers du XXème siècle] ont commencé à s’isoler de presque tout sens de la responsabilité sociale, résultant dans une sous-culture de ‹ blottissement sacré ›. Ils focalisèrent sur le développement d’une culture d’Église qui devint [presque exclusivement] préoccupée par se reproduire elle-même plutôt que d’être un agent de transformation. »

Référence ↑ : Debra Buenting, « Evangelicals and Social Action : YWAM’s Adoption of Kingdom Mission », International Journal of Frontier Missiology (IJFM), Vol. 26, N° 1, p. 17.

« D’autres partisans de la position piétiste ont défendu l’idée selon laquelle l’effort d’améliorer la culture, même indirectement, n’est pas un objectif approprié pour les chrétiens. L’évangéliste américain du XIXème siècle Dwight Moody est connu pour avoir dit : ‹ Je considère ce monde comme un vaisseau [c-à-d un navire] brisé. Dieu m’a donné un canot de sauvetage et m’a dit : “Moody, sauve tout ceux que tu peux”. › L’argument est le suivant : Pourquoi s’impliquer dans la culture alors que les gens sont spirituellement perdus et à l’agonie ? Ce qui devrait importer, c’est l’évangélisation et la formation de disciples. Mais cette approche n’a pas conscience du rôle de la culture dans la préparation des gens à l’évangélisation. [Après avoir poussé les membres de son Église locale à négliger les carrières soi-disant ‹ séculières › pendant plusieurs décennies, un pasteur] remarqua que de plus en plus de gens n’étaient pas nécessairement en désaccord avec son message évangélique, mais simplement incapables de saisir les concepts fondamentaux de bien et de mal, de péché et de grâce. [Après moult réflexion, ce pasteur prit conscience que :] ‹ Si tous les chrétiens ne faisaient qu’évangéliser […], très vite, les concepts les plus fondamentaux du christianisme deviendraient tellement lointains que plus personne ne comprendrait mes prédications. › On pourrait en fait dire que c’est déjà en cours. Le basculement de la culture [vers le paganisme] a mis en lumière les problèmes que pose l’indifférence piétiste vis-à-vis de la culture. »

Référence ↑ : Timothy Keller, Une Église centrée sur l’Évangile : La dynamique d’un ministère équilibré au cœur des villes d’aujourd’hui, Éditions Excelsis, 2015, p. 278-279.

Read Full Post »


Le reconstructionisme chrétien constitue une école de pensée distinctive à l’intérieur de la tradition théologique réformée. L’idée de « reconstruction » provient de textes prophétiques de la Bible prédisant la reconstruction victorieuse de cités saintes par le peuple allianciel de Dieu à travers – et malgré – des temps d’adversité et d’épreuve (tels Ésaïe 61:4 et Amos 9:11-14). Le reconstructionisme consiste en la combinaison de cinq composantes doctrinales. Les voici :

  1. Le calvinisme (doctrines de la grâce), c’est-à-dire la sotériologie affirmant la souveraineté du Seigneur Tout-Puissant dans le déploiement de son plan historico-rédemptif ayant à la fois une dimension individuelle et collective, éternelle et temporelle, spirituelle et cosmique ;
  2. Le postmillénarisme, c’est-à-dire l’eschatologie optimiste et victorieuse articulant le mieux une juste espérance pour l’avenir du Royaume de Dieu, de l’Église universelle et de la Chrétienté (l’humanité rachetée) avant le retour de Jésus-Christ à l’Eschaton… ce postmillénarisme est normalement synchronisé avec le prétérisme orthodoxe (modéré/partiel) ;
  3. Le présuppositionalisme, c’est-à-dire la méthode apologétique affirmant que la défense raisonnée de la foi doive : {1} Présupposer (prendre comme prémisses ou axiomes) l’existence du Dieu trinitaire et la véracité de la Bible chrétienne pour pouvoir connaître ou interpréter correctement une quelconque facette de la réalité ; {2} En appeler à la connaissance de Dieu supprimée par l’interlocuteur non-chrétien dans son propre intellect (la « révélation existentielle » signalée en Romains 1:18-32 et 2:1-16) ; et {3} Réfuter les postulats les plus basiques du système de croyance de l’interlocuteur non-chrétien (discréditer ses racines plutôt que contester ses ramifications) ;
  4. Le dominionisme conjugué à l’alliancisme (la théologie des alliances), c’est-à-dire l’accomplissement des Mandat créationnel & Grande commission au moyen des quatre sphères/institutions alliancielles établies par l’Éternel (à savoir l’individu, la famille, l’Église et l’État), lesquelles sphères/institutions doivent fonctionner dans une dynamique d’indépendance et d’interdépendance réciproque en respectant leurs champs d’action spécifiques et en coordonnant (si possible) leurs efforts de christianisation salutaire ;
  5. La théonomie, c’est-à-dire le système éthique & juridique postulant que tout droit applicable dans toute juridiction gouvernementale doive être entièrement et exclusivement inspiré et modelé par la Bible (Sola Scriptura), directement ou indirectement… bref, que le magistrat civil doive être le gardien & protecteur des deux Tables des Dix Commandements (custos et vindex utriusque tabulæ), lesquels sont le résumé de l’immuable loi morale.

Le reconstructionisme chrétien fut principalement formulé et systématisé dans le milieu de la seconde moitié du XXème siècle (décennies ’60 à ’80 inclusivement). Ses trois cofondateurs – tous d’obédience réformée – sont le théologien Rousas Rushdoony (1916-2001), l’apologète Greg Bahnsen (1948-1995) et l’économiste Gary North (1942-2022). Ces trois érudits de terrain n’ont inventé aucune des cinq doctrines cardinales du reconstructionisme. Leur seule innovation fut de les ériger dans un dispositif intellectuel organisé et cohésif.

Références bibliographiques

Mark Rushdoony et Martin Selbrede, « The Creed of Christian Reconstruction », Chalcedon Foundation, consulté le 19 août 2019 {fichier sauvegardé}.

Gary DeMar, Christian Reconstruction : What it Is [and] What it Isn’t, Institute for Christian Economics, Tyler (Texas), 1991, p. 81-95 sur 219.

Kenneth Gentry, Préface de la 3ème édition dans Greg Bahnsen, Theonomy in Christian Ethics, Covenant Media Press, Nacogdoches (Texas), 2002 (1977), p. XV sur XLIII / 610.

Gary North, préface de l’éditeur dans David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, Dominion Press, Fort Worth (Texas), 1986, p. 9 sur 270 (version retapée / retypesetted version).

Greg Bahnsen, Presuppositional Apologetics : Stated & Defended, Covenant Media Press, Nacogdoches (Texas), 2008, p. 14 sur 289.

John Frame, Five Views on Apologetics, chapitre 4 : Presuppositional Apologetics, Zondervan Publishing, Grand Rapids (Michigan), 2000, p. 207-231 sur 400.

Joe Boot, Why I Still Believe, Sovereign World, Tonbridge (Kent), 2005, 159 p.

MoiseExhortantPeupleAllianceMontagneSinai

·

« Le reconstructionisme chrétien est le seul mouvement sur terre confessant la Bible qui offre une alternative [aux divers paganismes ou syncrétismes pagano-“chrétiens”] et qui soit biblique sans compromis. »
— Gary North, Préface dans Christian Reconstruction, ICE, 1991, p. XII.

·

« L’œuvre de re-formation, de restauration, de reconstruction chrétienne à laquelle, dans le monde entier, est appelé le peuple de Dieu, n’est pas seulement celle de l’Église et de la théologie, encore qu’il faille, bien sûr, commencer par celle-ci. Puisque la Parole de Dieu est souveraine, elle doit être reconnue comme telle en tout et partout. Nul n’a le droit de restreindre l’étendue de son autorité. Notre Seigneur est Roi sur tous les domaines de l’univers et de l’existence. Et si la volonté apostate de sécularisation, œuvrant en tout et partout, a visé et vise à rejeter la souveraineté de Dieu […] la volonté obéissante de christianisation, œuvrant en tout et partout, doit viser à ce que soit manifestée la souveraineté de Dieu jusqu’aux extrémités de l’univers et jusque dans la moindre parcelle de l’existence. »
— Pierre Courthial, « Le mouvement réformé de reconstruction chrétienne », Hokhma, N° 14, juin 1980, p. 44-70.

Read Full Post »

Extrait du docu-film The Kingdom of God :

Pour du matériel en français : Introduction au Royaume de Dieu [Le Monarchomaque]

Read Full Post »

Gracieuseté de The Bible Project | Sous-titrage français.

Read Full Post »

Article du Réseau Fraternel Évangélique Français. Référes-vous y pur les notes marginales.

Le deuxième article de la Confession de Foi du Réseau FEF déclare: «L’Écriture sainte, rédigée sans erreur dans les manuscrits originaux, exprime avec une parfaite fidélité ce que Dieu a voulu nous dire». L’article affirme «l’entière vérité jusque dans son détail» de la Bible et «l’inspiration plénière» de ses auteurs. Ces convictions proclament la doctrine de l’inerrance de l’Écriture.

En dehors des Églises évangéliques, la doctrine de l’inerrance paraît suicidaire. La Bible semble se composer d’éléments disparates, se contredire par moments, et regorger d’erreurs scientifiques et historiques. Nous devons donc établir les fondements de notre conviction et évacuer un certain nombre d’idées fausses pourtant largement répandues.

Fondements de la doctrine

La doctrine de l’inerrance trouve son fondement dans celle de l’inspiration. Nous affirmons que c’est Dieu qui a inspiré les auteurs de la Bible. Il ne l’a pas fait comme s’il utilisait de simples sténographes. Il s’est servi de la personnalité des différents auteurs pour qu’ils expriment chacun à leur manière la pensée que Dieu voulait communiquer aux hommes.

Pour l’Ancien Testament, notre point de départ est la personne et l’enseignement de Jésus-Christ. Si nous pensons que les Évangiles nous en donnent un compte rendu historique relativement fiable, nous ne manquerons pas d’être frappés par l’importance que Jésus attachait à ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament. C’était son pain quotidien ( MAt 4.4) . Il en a souligné la valeur jusque dans ses plus petits détails (Mt 5. 17-18). Dans ses controverses avec les autorités religieuses de son temps, il l’a constamment cité, allant parfois jusqu’à s’appuyer sur un seul mot du texte biblique 1. Ce recueil, comprenant la Loi, les Prophètes et les Écrits, était pour Jésus parole de Dieu. Il faisait autorité. Ainsi, ce qu’un prophète a dit, c’est Dieu qui l’a dit. Il est remarquable que Jésus a pu contester de nombreuses croyances de son temps – par exemple concernant le sabbat, les règles de pureté, la mission du Messie – sans jamais mettre en cause la foi de ses contemporains dans l’Écriture en tant que parole de Dieu. Il a affirmé que l’Écriture ne peut être anéantie 2. Un chrétien, donc, se voulant disciple de Jésus-Christ, ne peut pas adopter à l’égard de l’Ancien Testament une vision moins élevée que celle de son maître.

La pratique des apôtres reflète tout à fait celle de leur Maître. Notons en particulier combien souvent nous trouvons des expressions comme «Dieu dit», «l’Écriture dit», «afin que la prophétie s’accomplisse….». Ces prophéties qui se réalisent, ce sont parfois des prédictions précises, comme sur la naissance du Messie (Mt 1.23 ; 2.6, par exemple) ; ce sont parfois des analogies avec le parcours du peuple d’Israël (Mt 2.15)  ou de David( Jn 13.18). Mais la conviction des auteurs du Nouveau Testament, c’est que des passages précis de l’Ancien Testament s’accomplissent en Jésus.

Le témoignage interne de l’Ancien Testament confirme ces indications. De très nombreuses fois, nous y trouvons des expressions comme «Dieu dit», «oracle du Seigneur», «la parole de Dieu vint à untel.» Les prophètes et les Psaumes en appellent aux livres de Moïse comme étant «la Loi»  ou «la Loi du Seigneur.» Les prophètes savent qu’ils annoncent la parole de Dieu pour leur peuple, et c’est parfois à contre-cœur, comme pour Jonas et Jérémie. Ce n’est pas leur message, mais celui de Dieu qu’ils prononcent.

Pour le Nouveau Testament, la doctrine de l’inspiration repose sur le fait que Jésus a promis à ses apôtres l’assistance de son Esprit pour qu’ils enseignent tout ce qu’ils ont reçu de lui, Jésus ( Jn 14.26; 15.26-27; 16.13-14).  On rencontre dans plusieurs épîtres des indications montrant que les apôtres étaient bien conscients de leur autorité particulière et de l’inspiration de leurs écrits. Paul parle des bienfaits que Dieu accorde «non avec des termes qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu’enseignent l’Esprit» (1Co 2.12-13). Pour l’apôtre Jean, ne pas recevoir l’enseignement des apôtres, c’est ne pas être en communion avec Dieu, ne pas connaître Dieu (1Jn 1.3 ; 4.6).

L’apôtre Paul résume la doctrine de l’Écriture par ces paroles célèbres : «Toute l’Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, réfuter, redresser et apprendre à mener une vie conforme à la volonté de Dieu ( 2Ti 3.16)». Cette affirmation concerne très clairement l’Ancien Testament, mais peut très légitimement être étendue au Nouveau. En effet, Paul cite un passage de l’Évangile de Luc comme étant au même plan qu’un texte du Deutéronome (1Ti 5.18, citant Dt 25.4 et Lc 10.7). Et l’apôtre Pierre n’hésite pas à qualifier «d’Écriture» les écrits de Paul, en les mettant sur le même plan que le reste de la Bible.

Nous pouvons maintenant aller au-delà de notre premier postulat. Les Évangiles ne nous donnent pas seulement un compte rendu historique relativement fiable de la vie et de l’enseignement de Jésus. Ils sont inspirés de Dieu, et à ce titre entièrement dignes de confiance, jusque dans le détail. Comme le reste de la Bible. (2P 3.16)

Si c’est le Dieu qui ne ment pas, qui ne trompe pas et qui ne peut pas se tromper qui a inspiré l’Écriture, alors il est logique de penser que l’Écriture ne va pas nous induire en erreur, qu’elle est fiable, qu’elle est sûre.

Dans les manuscrits originaux

La question se pose alors de savoir quelle Écriture, quelle Bible, est inerrante. Et là nous pouvons déjà écarter un premier faux problème. Nous ne disons pas que telle version, française ou autre, est sans erreur. Nous affirmons l’inerrance de la Bible «dans les manuscrits originaux», à savoir en hébreux, en araméen, et en grec.

On ne manque pas de nous reprocher ici de croire à une chimère, parce que personne ne détient des textes originaux, sortis tout droit de la main d’un Paul ou d’un Ésaïe.

Les éditions récentes de la Bible indiquent ici ou là dans des notes en bas de page que les différents manuscrits anciens diffèrent parfois entre eux. Lorsque ces différences sont importantes – et c’est rare – alors nous devons reconnaître que nous ne pouvons pas savoir avec certitude quel était le texte original à cet endroit-là. Mais la plupart du temps, ces différences sont mineures, et aucune n’affecte l’enseignement biblique dans son ensemble. Aucune doctrine biblique ne repose sur un seul texte, encore moins sur un texte qui ne serait pas sûr. L’abondance, la redondance même des textes, répartis dans plusieurs livres, garantissent pour nous la fiabilité de l’enseignement reçu.

Un cas concret illustrera ce propos. Dans la première phrase de l’Évangile de Marc, faut-il lire : «Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ» ou «Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu» ? Une note en bas de page nous dira que les manuscrits anciens divergent sur ce point. Mais sans même chercher ailleurs dans la Bible, l’Évangile de Marc affirme clairement que Jésus est Fils de Dieu : cf. son baptême, sa confrontation avec les démons, sa transfiguration, son procès, et la déclaration du centenier (Mc 1.11 ; 3.11 ; 5.7 ; 9.7 ; 14.61 ; 15.39). Dès lors, la question qui se pose sur le texte original de Marc 1.1 est un débat purement technique, sans incidence sur la théologie de Marc, et encore moins sur celle du Nouveau Testament.

La transmission du texte

A ceux qui s’inquiètent de ces variantes, et qui se demandent si le texte de la Bible nous est parvenu de manière fiable, il faut répondre par l’affirmative. Il suffit de comparer la transmission des livres bibliques à celle d’autres ouvrages de l’antiquité. La Guerre des Juifs de Flavius Josèphe nous est connue grâce à 130 manuscrits grecs, s’échelonnant du Xe au XVIe siècle, une traduction latine, avec 230 manuscrits, du VIIe au XVIe siècle, et une traduction en slavon, du XIIe siècle, qui subsiste en deux versions 3. Pour le Nouveau Testament, par contre, nous disposons de plus de 5000 manuscrits, dont plusieurs éditions complètes des IVe et Ve siècles, et de nombreux papyrus parfois incomplets du IIIe. Un petit fragment de l’Évangile de Jean est daté des environs de l’an 125. La comparaison de tous ces manuscrits entre eux, et avec des traductions anciennes et des citations d’auteurs anciens, permet aux spécialistes d’aboutir à un texte grec extrêmement sûr, à 90 voire à 99%.

Pour l’Ancien Testament, la situation est un peu différente, car il s’est constitué sur une période bien plus longue et plus reculée dans le temps. C’est un codex en hébreu de l’an 1009, conservé à Leningrad (Saint-Pétersbourg), qui sert encore de base à nos traductions. On savait avec quelle minutie les scribes juifs, appelés les massorètes, copiaient et recopiaient leurs écrits sacrés. Mais il n’était guère possible de remonter au-delà du Xe siècle pour le vérifier. Puis survint en 1947 la découverte des manuscrits de la Mer Morte, comprenant de très nombreux textes de la Bible, dont le célèbre rouleau d’Ésaïe. Et là, on s’est aperçu que sur environ 1000 ans le texte avait peu changé.

Mais il est également apparu qu’au 1er siècle de notre ère il existait des manuscrits assez divers. Pour la Loi, les divergences entre les manuscrits sont minimes ; pour Jérémie, elles sont importantes et peuvent remonter à différentes éditions autorisées par le prophète lui-même ainsi qu’aux conditions difficiles qui entouraient le recueil et la transmission de ses écrits. Avec la destruction de Jérusalem en l’an 70 et l’expulsion des Juifs de Judée, le texte de l’AT a été uniformisé pour l’ensemble du judaïsme dispersé. On a alors sélectionné un texte parmi d’autres et c’est à partir de là que les scribes ont redoublé de minutie pour éviter au maximum que ce texte reçu soit altéré.

Puisque nous avons moins de documents pour l’AT que pour le NT, la critique textuelle ne permet pas toujours de trancher entre les différentes variantes avec autant de certitude. Les incertitudes qui subsistent sont ainsi proportionnellement plus nombreuses que pour le NT. Mais il est toujours légitime de parler d’un texte globalement fiable.

Nous pouvons souligner ici la différence qualitative entre des copies imparfaites de textes originaux inerrants, et des copies, même très fiables, de textes originaux comportant des erreurs. Une erreur de copiste n’est pas la même chose que la présentation d’un événement qui ne s’est pas produit, ou d’une information erronée.

Dans sa providence bienveillante, Dieu à veillé à ce que sa parole parvienne jusqu’à nous, transmise avec une grande fidélité de siècle en siècle. À cet égard, le statut de la Bible est sans comparaison possible avec aucun autre document ancien.

Le statut des traductions

Revenons à la question des traductions : quel est leur statut ? Notons d’abord que la Bible elle-même use de traductions. Jésus a parlé en araméen : mais ses propos sont rapportés la plupart du temps en grec. Les auteurs grecs du Nouveau Testament utilisent la traduction de la Septante ou, en citant parfois de mémoire, traduisent eux-mêmes l’Ancien Testament hébreu. Ces citations sont autant parole de Dieu que l’original, dans ce sens qu’elles expriment avec une parfaite fidélité ce que Dieu a voulu nous dire. S’il y a un écart entre la traduction grecque et l’original, il peut relever soit de divergences dans les manuscrits hébreux, soit d’une citation lâche, comme tout auteur peut se le permettre, soit encore de la volonté de souligner un aspect particulier du texte. Dès lors qu’il ne cherche pas à fournir une traduction minutieusement exacte, l’auteur ne peut pas être accusé d’erreur quand sa citation en grec diverge de l’original en hébreu, pourvu qu’il n’en trahisse pas l’intention et le sens. Si on modifie le texte pour souligner quelque chose qu’il n’enseigne pas, c’est une erreur : mais cela ne se produit pas.

Donnons un exemple : la citation du Psaume 40 dans Hébreux 10.5. Tu m’as formé un corps, dans l’épître aux Hébreux, reprend le texte de la Septante, alors que le texte hébreu du Psaume comporte : Tu m’a creusé des oreilles. Manifestement, les traducteurs de la Septante, s’ils n’avaient pas sous les yeux une variante textuelle, ont cherché à expliciter une expression jugée obscure. C’était peut-être une allusion au percement de l’oreille, signe de soumission volontaire (Ex 21.6 ; Dt 15.17), ou alors le creusement des oreilles, avec leur forme très particulière, est une façon de parler du façonnage du corps entier. On peut aussi considérer que Dieu a donné des oreilles au psalmiste pour qu’il entende sa parole et y obéisse (Cf. Es 50.4) ; et que la LXX a traduit que Dieu lui a donné un corps pour qu’il agisse en obéissance à la parole de Dieu : cela revient au même. Dans les trois options, l’utilisation de la version de la Septante ne pose aucun problème de cohérence ou de compréhension dans la suite du passage. 4

Les utilisateurs des traductions françaises peuvent être confiants. Les différents traducteurs ont travaillé consciencieusement en essayant de rendre au mieux le texte original. Aujourd’hui, la traduction se fait généralement en équipe, ce qui en améliore encore la fiabilité. Lorsque nous lisons donc une traduction française, nous sommes en présence de la parole de Dieu. Et si un doute surgit sur l’interprétation de tel passage, nous pouvons comparer les traductions entre elles, recourir aux textes hébreux et grecs, ou consulter les commentateurs qui le font.

Les auteurs humains

Notre doctrine de l’Écriture pourrait faire croire que nous voyons la Bible comme un document dicté du début jusqu’à la fin par Dieu. Ce n’est pas ainsi que nous concevons les choses. Nous reconnaissons que les auteurs bibliques ont chacun leur style propre et leurs centres d’intérêt. On ne confondrait pas 1 Jean avec Romains ou Matthieu, ni Job avec Esdras. Nous affirmons, non pas la dictée de l’Écriture, mais son inspiration.

La différence de style et des centres d’intérêt explique certaines contradictions apparentes. Ainsi, Paul et Jacques n’utilisent pas de la même manière les termes «foi», «œuvre», et «justifier». L’un va pouvoir dire que nous sommes «justifiés par la foi sans les œuvres» (Ro 3.28) et l’autre que «l’homme est justifié par les œuvres, et non par la foi seulement» (Ja 2.24). Mais la contradiction réside uniquement dans les mots et non dans le sens voulu par les auteurs. Paul s’intéresse à notre statut devant Dieu. Pour lui, «justifier» équivaut à «mettre en règle devant la justice de Dieu.»  Jacques pense à ce qu’est la justice dans la vie. Paul met à l’honneur une foi personnelle en Christ, engagée, qui produit de bonnes œuvres. Jacques dénonce une foi qui serait, comme celle des démons, sans fruit. Leurs affirmations se complètent donc, car les œuvres sont le fruit nécessaire d’une foi authentique. (Ep 2.10)

Disparaissent de la même manière certaines prétendues contradictions historiques et chronologiques. À regarder superficiellement les trois premiers Évangiles, nous dirions que le ministère de Jésus n’a duré qu’un an. Mais l’Évangile de Jean note soigneusement plusieurs fêtes juives dont trois Pâques (Jn 2.13 ; 6.4 ; 11.55) , indiquant un ministère de trois ans. Les Évangiles ne se contredisent pourtant pas, car Matthieu, Marc et Luc simplifient leur présentation de la vie de Jésus pour la raconter en cinq étapes décisives et faciles à retenir : le ministère de Jean-Baptiste, le ministère de Jésus en Galilée, son ministère en Judée, sa mort et sa résurrection. Un regard plus attentif montre que leur récit couvre aussi plusieurs années, car en Marc 6, avec l’herbe verte, nous sommes manifestement au printemps, à l’époque d’une Pâque qui n’est pas la Pâque finale. La prétendue contradiction chronologique n’en est pas une.

Dieu a parlé de plusieurs manières

On confond parfois l’inerrance avec le littéralisme. Or, traiter un texte poétique comme si tout devait être pris au pied de la lettre détruirait toute littérature. L’auteur de l’épître aux Hébreux dit que Dieu a parlé à bien des reprises et de bien des manières (Hé 1.1). Nous trouvons dans l’Ancien Testament des textes poétiques et des textes en prose, de l’histoire, des lois, des textes de sagesse, des prières, des hymnes, des textes prophétiques, des paraboles… La clé de la compréhension, c’est de traiter comme littéral ce que l’auteur a voulu comme tel – le récit de l’adultère de David en 2 Samuel 11, par exemple – et de reconnaître les différents mécanismes imagés et poétiques que l’auteur a pu choisir à d’autres endroits. L’adultère de David est raconté une deuxième fois sous forme de parabole en 2 Samuel 12. Bien sûr, il y a parfois débat sur l’intention de l’auteur. Mais ceci ne met pas en cause les doctrines de l’inspiration et de l’inerrance de l’Écriture.

La reconnaissance de styles différents va de pair avec la compréhension des textes dans leur contexte. Nous ne voyons pas la Bible comme un recueil d’oracles infaillibles qui ont de la valeur en dehors de leur cadre propre. La Bible rapporte les paroles d’insensés, de menteurs, de personnes mal informées comme les amis de Job, et même du diable. Ce ne sont pas là des paroles magiques à citer à tort et à travers, mais une petite partie de textes plus grands, poétiques ou historiques, qui pris ensemble nous livrent un message véridique.

Erreurs scientifiques ?

De nos jours, parler du soleil qui se lève (cf. Ps 19), ou des quatre coins de l’Hexagone, n’expose personne à être traité d’antiscientifique. Nous devrions user d’autant de bon sens à l’égard des auteurs bibliques. Dans un texte qui ne prétend pas être un traité de science, le langage de tous les jours suffit.

Des problèmes plus aigus surgissent lorsqu’il s’agit de récits de miracles qui, par leur nature, échappent aux lois habituelles de la nature. Nous avons affaire là à des événements uniques, que les témoins reconnaissent comme extraordinaires et qui ne pourront jamais être reproduits en laboratoire. Ici ce n’est pas le regard du scientifique qui est sollicité mais celui de l’historien, qui examinera la crédibilité des témoins et les faits qui entourent le miracle même. Parfois le fait est proprement inexplicable, comme l’eau changée en vin à Cana. Parfois, le fait reçoit un début d’explication.

[…]

Erreurs historiques ?

Les allégations contre l’inerrance biblique sont de deux sortes ici. D’une part, il est parfois affirmé que les récits historiques de la Bible se contredisent entre eux. Nous en avons déjà donné un exemple, en parlant de la chronologie de la vie de Jésus. Dans l’Ancien Testament, la chronologie des événements n’est pas toujours facile à suivre, et les dates données semblent n’être pas toujours cohérentes. Ainsi, et c’est le cas le plus flagrant, une lecture naïve des longueurs de règne attribuées aux rois bibliques nous laisse dans la plus totale confusion quand on les compare entre elles et avec les quelques points fixes de la chronologie ancienne. Depuis quelques décennies, on reconnaît que les rois de Juda en particulier nommaient parfois leur successeur de leur vivant, instaurant pour une période plus ou moins longue une co-régence. Selon que ces années de règne partagé sont comptées ou non par l’auteur biblique, la longueur du règne va être calculée différemment : sans que la Bible soit coupable d’une contraction interne.

Un deuxième type de difficulté provient d’allégations selon lesquelles les récits bibliques contrediraient ce que l’on sait de l’histoire de par des sources profanes et par l’archéologie. En fait, et malgré des sériés télévisées à succès, les spécialistes recourent de moins en moins à ce genre d’argument. Car d’innombrables découvertes archéologiques viennent confirmer que le texte biblique s’insère parfaitement dans le contexte historique et culturel qui est le sien. Pour les Actes des Apôtres, par exemple, le XXe siècle a vu un revirement spectaculaire, les spécialistes notant que Luc est extrêmement précis quand il donne le nom d’un officiel romain ou local, quand il mentionne des personnages connus de l’histoire profane, ou des villes et des régions. Il dispose d’une connaissance minutieuse qui n’aurait pas été accessible à un auteur plus tardif. Pour l’Ancien Testament, quand on recule dans le temps, les indices archéologiques deviennent bien sûr plus ténus, et davantage sujets à des interprétations divergentes. Mais la tendance est la même : une meilleure connaissance des civilisations anciennes renforce notre confiance en la fiabilité de la Bible. 7

Précisions apportées par la Déclaration de Chicago

En 1978, plus de 200 théologiens de premier plan se sont retrouvés à Chicago pour affiner la doctrine évangélique de l’Écriture. Leurs conclusions méritent d’être connues. Nous en citerons quelques-unes :

Article XI – Nous affirmons que l’Écriture, divinement inspirée, est infaillible, de telle sorte que, loin de nous égarer, elle est vraie et sûre sur tous les points qu’elle traite…

Article XII – Nous affirmons que l’Écriture dans son intégralité est inerrante, exempte de toute fausseté, fraude ou tromperie. Nous rejetons l’opinion qui limite l’infaillibilité et l’inerrance de la Bible aux thèmes spirituels, religieux, ou concernant la rédemption, et qui exclut les énoncés relevant de l’histoire et des sciences…

Article XIII – Nous affirmons que le mot d’inerrance convient, comme terme théologique, pour caractériser l’entière vérité de l’Écriture. Nous rejetons la démarche qui impose à l’Écriture des canons d’exactitude et de véracité étrangers à sa manière et à son but. Nous rejetons l’opinion selon laquelle il y aurait démenti de l’inerrance quand se rencontrent des traits comme ceux-ci : absence de précisions techniques à la façon moderne, irrégularités de grammaire ou d’orthographe, référence aux phénomènes de la nature tels qu’ils s’offrent au regard, mention de paroles fausses mais qui sont seulement rapportées, usage de l’hyperbole et de nombres ronds, arrangement thématique des choses racontées, diversité dans la sélection lorsque deux ou plusieurs récits sont parallèles, usage de citations libres.

Conclusion

On peut faire quelques reproches au mot – mais pas à la doctrine – de l’inerrance. Nos dictionnaires français l’ignorent. Il présente les choses négativement, alors que des mots comme «vérité», «sûreté», «autorité»,  ou «fiabilité» disent la doctrine positivement. Il génère peut-être des attentes irréalistes, car il semble supposer une exactitude mathématique qui ne laisse aucune place aux procédés ordinaires du langage. Il nécessite de nombreux commentaires pour expliquer ce qu’il ne veut pas dire. Dans des milieux mal informés, il peut prêter à confusion : nous en avons donné quelques exemples.

Mais il reste vrai, comme l’affirme la Déclaration de Chicago, que «le mot d’inerrance convient, comme terme théologique, pour caractériser l’entière vérité de l’Écriture». Il est nécessaire à la précision de la pensée évangélique et il en définit l’une des limites. La doctrine de l’inerrance dit bien que la Bible est fiable dans toutes ses affirmations, les grandes comme les petites, c’est-à-dire sans erreur.

L’inerrance de la Bible ne signifie pas l’inerrance du lecteur ou du prédicateur. Nous ne connaissons qu’en partie… (1Co 13.9) ainsi devrions-nous aborder l’Écriture avec humilité. Nous ne l’instrumentalisons pas au profit de nos convictions : nous l’étudions pour les tester et éventuellement les réviser. Face aux désaccords possibles entre chrétiens respectueux du texte, nous restons dans une attitude d’écoute : de la Bible, et de nos frères. Ainsi, bien comprise, la doctrine de l’inerrance nous pousse à sonder davantage les Écritures, car c’est en elles que nous avons la vie. (Jn 5.39)

Read Full Post »

Media Gratiae a produit une série d’études bibliques sur l’être de Dieu, amenées dans une thématique historique : il y est expliqué comment dix hommes et une femme de Dieu ayant marqués l’histoire de l’Église ont vécus leur réunion avec Dieu, et quelles furent les conséquences et les applications concrètes de cette réunion.

Site web : Behold your God

Survol de la série :

Le vidéo et le matériel afférent de la première semaine est disponible gratuitement ici.

Read Full Post »

Older Posts »