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Archive for the ‘Histoire de la Réformation’ Category

« Madame, puisqu’il a plu à Dieu, en retirant de ce monde le feu roi votre mari [Antoine de Bourbon (1518-1562)], vous remettre la charge de vos pays et sujets, vous faites très bien de penser à vous acquitter de votre devoir, comme ayant à rendre compte à un Maître et Souverain Prince [c-à-d l’Éternel], lequel veut que son droit lui soit gardé {Psaumes 72:11 ; Romains 14:10}. Car en commandant qu’on le craigne et qu’on honore les rois {1 Pierre 2:17}, puisqu’ils vous fait cet honneur de vous associer à soi, c’est bien raison que vous mettiez toute peine à lui faire hommage et reconnaissance de l’état et dignité que vous tenez de lui {Romains 13:1}, et comme vous ne voudriez souffrir que la supériorité qui vous appartient vous fut ravie par vos officiers, aussi faut-il bien, si vous désirez d’être maintenue sous la protection de Dieu, que vous donniez ordre, en tant qu’en vous sera, qu’il soit servi et honoré de tous, montrant exemple à ceux qui doivent ensuivre.

Et de fait, Madame, voilà comment votre règne sera établi devant lui [c-à-d l’Éternel] : c’est en lui assujettissant votre majesté. Vous savez que tous genoux doivent ployer sous l’empire de notre Seigneur Jésus-Christ {Philippiens 2:10-11}, mais notamment il est commandé aux rois de les baisser en signe d’hommage {Romains 14:11 ; Matthieu 2:11}, pour mieux spécifier [= exprimer] qu’ils sont tenus plus que les autres à humilier la hautesse qui leur est donnée, pour exalter celui qui est le Chef des anges de paradis, et par conséquent des plus grands de ce monde {Psaume 82:6}. Aussi, Madame, puisque le gouvernement [du Royaume de Navarre, du Duché d’Albret, de la Souveraineté de Béarn, des Comtés de Bigorre, Foix, Rodez, Périgord et Armagnac, des Vicomtés de Limoges, Lomagne, Marsan, Villemur, etc.] est aujourd’hui entre vos mains, connaissez que Dieu veut tant plus éprouver le zèle et la sollicitude que vous avez de vous acquitter fidèlement à mettre sus le vrai service qu’il demande. Il y a plusieurs raisons qui m’empêchent de déduire [= traiter] cet argument plus au long.

C’est aussi qu’il est enjoint [par l’Écriture Sainte] à tous ceux qui ont domination de purger leurs terres de toutes idolâtries et souillures dont la pureté de la vraie religion est corrompue. Et quand saint Paul commande de prier pour les rois et ceux qui sont en prééminence, ce n’est pas sans cause qu’il ajoute à raison : ‹ afin que nous vivions sous eux en toute piété et honnêteté › {1 Timothée 2:1-2}. Devant que parler des vertus civiles, il met la crainte de Dieu, en quoi il signifie que l’office des princes est de procurer que Dieu soit adoré purement.

Je considère les difficultés qui vous peuvent débiliter [= affaiblir] le courage et ne doute pas, Madame, que tant de conseillers que vous aurez autour de vous, s’ils regardent ce monde, ne tâchent à vous empêcher. Mais il est certain que toute crainte des hommes qui nous détournent de faire à Dieu l’honneur qu’il mérite, et nous induit à le frauder de son droit, nous rend convaincus que nous ne le craignons pas à bon escient et n’estimons guère sa vertu invincible de laquelle il a promis nous garantir.

Parquoi [= c’est pourquoi], Madame, afin de surmonter toutes difficultés, appuyez-vous sur l’assurance qui vous est donnée d’en haut quand vous obéirez à ce que Dieu requiert. Ce sont les deux points où il vous convient avoir vos deux yeux fichés [= fixés], et même ils vous doivent servir d’ailes à vous élever par-dessus tous les obstacles du monde : à savoir ce que Dieu ordonne, et qu’il ne faudra à [= ne manquera pas de] vous tenir la main forte pour venir à bout de tout ce que vous attendrez [= entreprendrez] en son obéissance.

Or je sais les disputes que certains émeuvent [= soulèvent] pour montrer que les princes ne doivent pas contraindre leurs sujets à vivre chrétiennement {cf. Sébastien Castellion, Ami Perrin, Menno Simons, et autres antinomiens}. Mais c’est une dispense trop profane de permettre à celui qui ne veut rien quitter du sien, que son supérieur soit fraudé de son droit. Et si ce n’était assez du commandement, cette menace nous doit bien faire trembler : que tout royaume qui ne servira à celui de Jésus-Christ sera ruiné, car cela se rapporte proprement à l’état de l’Église chrétienne {Matthieu 12:25}. Ainsi quelques belles excuses qu’amènent ceux qui veulent colorer [= légitimer] leur lâcheté, je vous prie, Madame, de ne point préférer l’honneur qu’il vous a donné, et ce point vous sera tantôt bien résolu.

Il reste en second lieu de vous armer de ses promesses, afin que votre foi soit victorieuse par-dessus le monde, comme dit saint Jean {1 Jean 5:4}, et ici, qu’il vous souvienne de ce qui est dit au prophète Ésaïe et allégué par saint Pierre, de ne nous point étonner de la frayeur de nulle multitude, mais sanctifier le Seigneur des armées, afin qu’il soit notre forteresse {1 Pierre 3:14-15 ; Ésaïe 8:12-13}.

Je sais, Madame, combien vous êtes épiée de votre voisin {Philippe II roi d’Espagne et du Portugal, fer de lance de la Contre-Réforme catholique} qui ne faudra [= manquera] pas, s’il le peut, à prendre occasion de troubler : mais en craignant Dieu, vous ne les craindrez point. Ce ne sera pas [votre] zèle qui l’émouvra, encore qu’il en fasse une fausse couverture. Voyant donc qu’il vous aguette pour vous nuire, fortifiez-vous de meilleure défense que vous puissiez avoir. Que si Dieu permet que les malins s’efforcent à vous faire quelque molestie [= préjudice], que l’histoire mémorable du roi Ézéchias vous vienne en mémoire. Car combien que Dieu lâchât la bride à l’ennemi pour l’assaillir tantôt après qu’il eut abattu les superstitions, et même qu’il lui fut reproché par Rabshaké que Dieu ne lui aiderait pas, vu qu’il avait abattu les autels, toutefois le secours admirable qui lui vint soudain du Ciel vous est matière suffisante pour défier tous ceux qui cuideront [= s’imagineront] avoir avantage sur vous sous ombre [= prétexte] du changement {2 Rois 18 à 20}.

Cependant, Madame, je ne dis pas que tout se puisse faire en un jour. Dieu vous a donné prudence pour juger de la procédure qui vous aurez à tenir, les circonstances aussi vous enseigneront quels moyens seront les plus propres. Et pour ce que le papier ne peut tout comprendre, j’ai remis la plus grand’part au porteur, lequel je vous ai choisi pour le plus suffisant [= capable] que j’eusse en main, selon que j’espère bien que [vous] le trouverez tel par expérience {ce ‹ porteur › fut l’hébraïste & diplomate Jean-Raymond Merlin, lequel, une fois arrivé dans les Pyrénées, organise la jeune Église réformée du Béarn (qui s’étend aussi à la Soule, à la Basse-Navarre et au Labourd), répartit ses paroisses entre cinq colloques, modère son premier Synode national en septembre 1563 où est adoptée une Discipline ecclésiastique du Pays de Béarn, et enfin traduit le Catéchisme de Genève en occitan béarnais en 1564 avant de repartir pour la Suisse}.

J’ai impétré [= obtenu] tant de notre Compagnie {des pasteurs de Genève} que de nos Seigneurs [le nom officiel de la République de Genève était alors ‹ Seigneurie de Genève ›, Calvin réfère donc ici probablement aux quatre Syndics de Genève] que vous en ayez la jouissance pour le temps que vous l’avez fait demander, et tous s’y sont volontiers accordé, pour ce qu’il n’y a celui qui [= car il n’y a personne qui] ne désirât de s’employer entièrement à votre service.

Seulement je dirai ce mot, Madame, que votre plus aisé [= le plus facile pour vous] sera de commencer aux lieux qui semblent les plus difficiles, pour être [= parce qu’ils sont] les plus apparents, car ils se rangeront avec moins de bruits, et si vous en avez gagné un, il tirera après soi plus longue queue [= plus d’imitateurs]. Je ne vous avertis pas que votre présence y sera toute requise, comme aussi qu’il faudra faire telles provisions les unes sur les autres [= prendre une série de mesures pour] que les ennemis soient rompus ou fort affaiblis, avant d’entrer en combat manifeste.

S’il vous plaît aussi, Madame, de mettre en effet ce que vous avez délibéré, ce sera un acte digne de votre Majesté et autant utile à la Chrétienté qu’il serait possible, c’est d’envoyer [une ambassade] vers les Princes [protestants] d’Allemagne pour les prier et exhorter à continuer la bonne affection qu’ils ont montrée à soutenir la cause de notre Seigneur. Il se faudrait adresser au Comte Palatin Électeur {Frédéric III du Palatinat}, au Duc Auguste de Saxe, du Duc {Christophe Ier} de Würtemberg, au Landgrave {Philippe} de Hesse, mais le plus tôt serait le meilleur. Je vous supplie donc, Madame, de hâter cette dépêche. Je laisse le reste au porteur à dire de bouche.

Madame, après vous avoir présenté mes très humbles recommandations à votre bonne grâce, je supplierai le Père céleste vous tenir en sa sainte garde, vous gouverner par son Esprit en toute prudence, vous fortifier en vertu et constance et accroître votre Majesté en tout bien. »

Source : Francis Higman et Bernard Roussel, Calvin : Œuvres, Éditions Gallimard – Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 2009, p. 378-381 (texte) et 1219-1221 (notules) sur 1432.

Dans le texte ci-dessus, les références bibliques et autres mentions entre accolades proviennent pour la plupart des notules figurant en fin de volume (p. 1219-1221). Les mots ou expressions archaïques (ou ayant changés de sens) en italiques suivis d’une précision entre crochets débutant par le signe égal [= blablabla] proviennent pour la plupart des notes infrapaginales placés sous le corps du texte (p. 378-381) ; quelques-unes de ces précisions viennent toutefois du lexique inséré dans l’Introduction à la réédition des œuvres de Pierre Viret publiée dans le tome 1 de l’Instruction chrétienne en la doctrine de la Loi et de l’Évangile (1564) de Pierre Viret rééditée par Arthur-Louis Hofer via les Éditions L’Âge d’Homme à Lausanne en 2004. J’ai apporté quelques modernisations orthographiques mineures à ce texte de la Bibliothèque de la Pléiade.

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Pays souverains et fiefs français de Jeanne d’Albret au nord des Pyrénées en 1555-1572 :

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Domaines des Rois de Navarre en 1527 — Notez toutefois que la Haute-Navarre (au sud des Pyrénées) avait été conquise par les Royaumes de Castille et d’Aragon en 1512 puis annexée en 1515 par la Castille (invasion bénie par le pape qu’une tentative de reconquête en 1521-1522 échoua à repousser) :

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Monnaie (demie-livre) navarro-béarnaise frappée à Morlaàs au Béarn en 1573 puis 1575 arborant les emblèmes du Royaume de Navarre (carreaux supérieur gauche & inférieur droit), de la Souveraineté du Béarn (carreau supérieur droit) et de l’Héritage de Bourbon (carreau inférieur gauche) :

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Armoiries de la Ville de Nérac, l’ancienne capitale du Duché d’Albret, aujourd’hui une sous-préfecture du Département de Lot-et-Garonne — La devise Christ soleil de justice remonterait à Jeanne d’Albret ou à sa mère Marguerite d’Angoulême et est directement inspirée de Malachie 3:20 (Colombe/NBS/S21/Semeur) ou Malachie 4:2 (LSG/NEG) :

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Églises protestantes dans l’extrême Sud-Ouest de la France en 1851 (carte produite par le MIP permettant de constater un certain ancrage de la Réformation de Jeanne d’Albret dans la longue durée) :

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Églises protestantes dans le Sud-Ouest de la France en 1923 (carte produite par la FPF) — Chaque point noir correspond à une communauté ayant un seul pasteur et chaque point transparent à une communauté ayant deux pasteurs ou plus :

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Le Béarn et le Pays basque « français » (composé de la Soule, de la Basse-Navarre et du Labourd) formant l’actuel Département des Pyrénées-Atlantiques :

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Quelques hyperliens sur ce thème :

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« La raison d’être du droit est de nous permettre de cheminer paisiblement à travers cette vie ombrageuse et d’être guidés à Christ et à la vie éternelle. »
— Johann Oldendorp (1486-1567)

↓ La suite est en anglais, mea-culpa. ↓

Voir aussi :

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Confessions religieuses en Suisse en 1536

Je reproduis ci-après des extraits de l’article de Neal Blough, « Calvin et les anabaptistes », Théologie évangélique, Vol. 8, N° 3, 2009, p. 197-218. Théologie évangélique est la revue académique de la Faculté libre de théologie évangélique (FLTÉ) de Vaux-sur-Seine en Île-de-France. Les hyperliens et les emphases sont mes ajouts.

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Au début des années 1540, Guillaume Farel, le réformateur de Neuchâtel, fut confronté de manière directe à l’anabaptisme. En 1543, lors d’une cérémonie de baptême dans son Église, des personnes intervirent pour mettre en question la pratique du baptême des nourrissons, affirmant que l’Écriture n’en disait rien. En 1544, 1500 exemplaires d’un traité anabaptiste en langue française circulaient à Neuchâtel. […] Suite aux demandes pressantes de Farel, Jean Calvin rédigea sa Brieve instruction pour armer tous bons fidèles contre les erreurs de la secte commune des anabaptistes.

En ce qui concerne le traité qui circulait à Neuchâtel, il s’agissait de L’Entente fraternelle entre quelques enfants de Dieu sur quelques articles, connue aussi comme la Confession de Schleitheim. Ce texte […] fut rédigé lors d’un synode anabaptiste [tenu dans l’extrême-nord de la Suisse alémanique] en février 1527, probablement par l’ancien bénédictin Michaël Sattler. Sattler lui-même fut arrêté peu après le synode de Schleitheim et mis à mort en mai 1527 en « territoire catholique ».

[…]

Jean Calvin était un réformateur européen, pour qui son œuvre ne se limitait pas à la seule ville de Genève. Il savait ce qui se passait en Suisse, en France, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Hongrie, en Pologne, etc. L’anabaptisme qu’il était en train de combattre n’était pas un phénomène local, mais bien répandu. Lorsque Jean Calvin écrit son traité, et déjà avant la rédaction de la première édition [latine] de l’Institution de la religion chrétienne en 1536 [première édition française en 1541], il y a déjà une histoire de relations polémiques entre […] la Réforme et la “Réforme radicale”, histoire qui explique et conditionne largement la réponse de Jean Calvin au traité anabaptiste qui circulait à Neuchâtel. En fait, ce qu’il écrit dans le traité en question n’est ni très surprenant ni très original, mais tributaire de l’histoire dans laquelle la Réforme de Genève s’insère.

Vers la fin de cet article, nous examinerons plusieurs éléments de la polémique anti-anabaptiste de Calvin, mais dans un premier temps, nous nous poserons la question de savoir quelle expérience directe de l’anabaptisme pouvait avoir le réformateur de Genève ? Et de manière probablement plus importante, quel fut l’apport des Réformes de Bâle, de Strasbourg, de Lausanne et de Berne à la pensée de Calvin contre les anabaptistes.

{1} Que savait Calvin des anabaptistes ?

[…] Que pouvait savoir Jean Calvin de l’anabaptisme européen en 1544, surtout que ce dernier était multiforme et beaucoup plus un phénomène germanophone et néerlandophone que francophone ? […] Les premières notions d’anabaptisme de Jean Calvin sont probablement liées à deux choses : tout d’abord à son séjour à Bâle, puis à l’affaire de « Münster » en 1534-1535. […]

La théologie de Schleitheim réfutée par Calvin en 1544 est issue de l’anabaptisme suisse, surtout zurichois. Cependant, le mouvement s’était répandu dans d’autres cantons germanophones, surtout ceux de Bâle et de Berne. Oecolampade (1482-1531), le premier réformateur de Bâle, fut souvent confronté à cet anabaptisme – par exemple, Balthasar Hubmaier [c.1480-1528] avait essayé de convaincre Oecolampade d’abandonner le pédobaptême – qui se multipliait à tel point qu’en mars 1528, un mandat sévère fut promulgué, menaçant les anabaptistes de confiscation des biens, voire de la peine de mort.

[…]

Oecolampade étant décédé en 1531, Calvin n’avait pas pu le connaître, mais lors de son séjour bâlois, le réformateur français fit connaissance avec son successeur Oswald Myconius (1488-1552) qui lui, avait débattu publiquement avec Balthasar Hubmaier et connaissait très bien l’anabaptiste zurichois Conrad Grebel [1498-1526]. Pendant son séjour bâlois, Calvin  entra en correspondance avec le réformateur strasbourgeois Wolfgang Capiton [1478-1541], et rencontra Heinrich Bullinger [1504-1575] de Zurich (le successeur de Zwingli) ainsi que Pierre Viret [1511-1571] de Lausanne. Tous ces personnages avaient à faire avec des anabaptistes et on peut aisément imaginer que Calvin en avait été informé.

Le mouvement suisse se réclamant de Schleitheim était non-violent de principe et c’était justement cet anabaptisme-là qui était connu et combattu par les autorités et les réformateurs de Bâle. Cependant, ce fut pendant la période du séjour de Calvin à Bâle qu’un autre mouvement anabaptiste se fit connaître par les événements de la ville de Münster, en Westphalie (1534-35). La réforme de Münster avait commencé selon la ligne zwinglienne, était ensuite devenue anti-pédobaptiste, pour finir millénariste et violente.

[…]

Le séjour de Calvin à Bâle et les événements de Münster constituent donc la première source de connaissance de l’anabaptisme de Jean Calvin. Il en existe une autre, qui est aussi sinon plus importante. Étant donné les liens qui existent entre Berne et la Réforme genevoise, il faut aussi évoquer l’importance de l’expérience qu’avaient les protestants bernois de l’anabaptisme. […]

Les troupes bernoises, déjà protestantes, deviennent la source de la liberté genevoise, mettant de côté l’autorité du Duc de Savoie […] Un traité conclu avec les Bernois, le 7 août 1536, reconnut l’indépendance de Genève, mais comme une vassale […]. Les Réformes bernoise et genevoise furent ainsi très proches l’une de l’autre.

Or Berne connaissait très bien l’anabaptisme suisse issu de Schleitheim. Dès 1525, le réformateur bernois [Berchtold] Haller [1492-1536] signalait à Zwingli le développement rapide de l’anabaptisme dans son territoire. En 1527, quelques anabaptistes s’étaient rendus de Bâle à Berne, munis d’une copie des articles de Schleitheim. Haller l’avait immédiatement envoyée à Zwingli, qui lui, écrira sa réfutation, In catabaptistarum strophas elenchus, pendant l’été 1527. Au mois d’août de cette même année, les cantons de Berne, Zurich et Saint-Gall promulguent un mandat contre l’anabaptisme.

Étant donné les liens étroits entre Berne et Genève, Jean Calvin devait certainement être au courant de ces développements et des débats théologiques qui les accompagnaient. D’ailleurs, les autorités de Berne se manifestèrent très rapidement auprès de Guillaume Farel lorsque le texte de Schleitheim commença à circuler dans les environs de Neuchâtel.

Il est important de rappeler ce contexte plus général d’une polémique anti-anabaptiste « réformée », commençant à Zurich, et se prolongeant à Bâle, à Strasbourg et à Berne, avant d’arriver à Genève. Calvin s’inscrit dans une tradition préexistante et n’ajoute pas grand-chose d’original au débat.

[…]

{2} Calvin et les anabaptistes à Strasbourg

En se rendant à Strasbourg en septembre 1538, Jean Calvin se trouvera pendant quelques années dans une ville ayant une histoire unique et importante en ce qui concerne l’anabaptisme du XVIe siècle. C’est Martin Bucer qui convainc un Calvin, très découragé par son expérience à Genève, de devenir le pasteur d’une paroisse de protestants francophones réfugiés de France et de Wallonie.

[…]

Deux estimations, l’une de 1530 et l’autre de 1534, citent le chiffre de 2000 anabaptistes, ce qui ferait à peu près 10 % de la population [strasbourgeoise]. Cependant, d’une ville très tolérante envers les dissidents de toute sorte, Strasbourg deviendra progressivement plus sévère à leur égard.

[…]

Lors de son séjour, Calvin devint certainement davantage conscient de l’importance géographique et théologique de la Réforme radicale, et ses polémiques anti-anabaptistes se font plus explicites dans la version latine de L’Institution de 1539. On peut aussi imaginer, mais sans le prouver, que sa relation avec Martin Bucer, qui avait une longue expérience des anabaptistes, contribua largement à sa connaissance du sujet. Cependant, selon Willem Balke, les positions de Calvin sur le mouvement anabaptiste n’évoluèrent pas beaucoup à cause de son expérience strasbourgeoise [Willem Balke, Calvin and the Anabaptist Radicals, Eerdmans Publishing, 1981, p. 153].

{3} Contenu de la Brieve instruction

Terminons cette étude par quelques remarques sur le contenu même de la Brieve instruction. Le texte de Schleitheim réfuté par Calvin comporte sept articles sur les sujets suivants : le baptême, la discipline ecclésiale, la cène, la séparation d’avec le monde, le rôle des pasteurs, le magistrat et le serment. Nous limiterons nos remarques à trois de ces points qui sont étroitement liés : le baptême, le magistrat et le serment.

Tout d’abord, le baptême des croyants est refusé par une défense musclée [sic] du pédobaptême fondée sur l’analogie de la circoncision de l’Ancien Testament et du baptême du Nouveau. […] À cet égard, Calvin s’en tient tout simplement à la tradition réformée remontant à Zwingli et affinée par Martin Bucer.

Deuxièmement, l’anabaptisme de Schleitheim reconnaît le bien-fondé biblique du magistrat (l’autorité politique), tout en insistant sur le fait que le chrétien ne peut pas participer à cette fonction [sic] à cause de la nécessité d’appliquer la peine de mort et de faire la guerre.

[…]

Troisièmement, à partir des paroles du Christ de Matthieu 5, le texte de Schleitheim affirme que le chrétien ne peut pas prêter serment. Selon Jean Calvin, le Christ ne fait ici que poser les conditions d’un mauvais serment et non pas l’interdit total de celui-ci.

[…]

{4} Remarques d’un historien anabaptiste

Remarquons d’abord que le débat théologique entre Calvin et l’anabaptisme ne se passe pas dans une situation d’égalité. […] Jean Calvin pouvait écrire, il avait accès à des imprimeries et à un réseau de théologiens et d’écoles théologiques. Aucun anabaptiste n’avait le droit d’éditer publiquement un livre.

[…]

Aujourd’hui les débats sur le baptême, dans un contexte laïque, n’ont pas du tout la même résonance qu’au XVIe siècle. Aux yeux des anabaptistes, le baptême des enfants hérité de la période médiévale imposait la foi à des personnes qui ne l’avaient pas forcément choisi. Comment réformer une Église composée de personnes qui se croyaient chrétiennes en vertu de leur baptême et à qui l’on ne pouvait pas demander un véritable changement de vie, appelé conversion, sanctification ou discipulat dans le Nouveau Testament ?

De plus, permettre le choix d’adhésion à la communauté ecclésiale sapait le fondement même de la théologie réformée selon laquelle la réforme de l’Église et de la cité allait de pair. Aux yeux de Zwingli, Bucer ou Calvin, on ne pouvait réformer une ville dont tous les habitants n’étaient pas membres de l’Église [multitudinisme]. Les enjeux politiques de ce débat étaient rarement visibles dans les écrits réformés, mais toujours sous-jacents dans les débats du XVIe siècle.

Il est vrai que la position de Schleitheim sur le magistrat et l’impossibilité pour le chrétien de prendre part à cette fonction est radicale et ne peut se justifier théologiquement en toutes circonstances. […] De même avec le serment. Nous ne pouvons lire ni l’argumentation anabaptiste ni la critique de Calvin exclusivement sur le plan exégétique ou comme un débat purement « théologique ». Le serment est au cœur de la vie médiévale et de la société féodale. Le serf prête serment de loyauté à son seigneur, le citoyen prête serment de loyauté à sa ville, le prince prête serment de loyauté à l’empereur. Les Suisses ne s’appellent-ils pas les « Eidgenossen » [Confédérés] ?

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De la naissance des Réformations en Europe au XVIe siècle, de l’implantation difficile du protestantisme en France jusqu’à la Révolution, trois films retracent l’histoire des mouvements protestants en Europe et en France. Des documentaires historiques, pédagogiques, où sont mis en scène les principaux personnages, lieux, évènements. Incontournable pour connaître l’histoire du protestantisme français.

Le jupon socialiste dépasse un peu (au début du moins)…

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Jean Hus, prêtre catholique, influencé par les idées de Wycliffe, lutta contre les abus de la hiérarchie. Excommunié en 1411, il comparut devant le concile de Constance muni d’un sauf-conduit impérial. Il fut cependant arrêté et brûlé vif comme hérétique le 6 juillet 1415. Jean Hus était convaincu que la Bible devait être présentée dans le langage du peuple, que le salut était obtenu par la foi en Jésus-Christ, et que la Parole de Dieu était l’autorité suprême. Non seulement Jean Hus s’écarta de la messe latine, mais il introduisit le chant en assemblée dans son église. Cela entraîna la colère de la hiérarchie de l’Église catholique romaine. Intrigues et fausses promesses tissent cette histoire émouvante relatant l’engagement d’un homme de foi en Jésus-Christ.

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Les deux pages suivantes sont tirées de Patrick Cabanel, Histoire des protestants en France (XVIe-XXIe siècle), Paris, Arthème Fayard, 2012, p. 115-116 sur 1502.

Cabanel.115

Cabanel.116

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La Confession de foi de Puylaurens est une curiosité historique. Elle a été découverte au XXe siècle dans une très vieille maison située dans ce qui est aujourd’hui la commune de Puylaurens dans le Tarn (Occitanie). Elle date de l’époque des Guerres des religions et présente à ce titre une particularité fort intéressante. Elle peut être en effet être lue de deux manières différentes : Lorsqu’elle est lue par colonne (à la verticale), c’est une confession de foi papiste pour converti huguenot exemplaire ; mais lorsqu’elle est lue par ligne complète (à l’horizontale), sans tenir compte des colonnes, c’est une confession qui devient « pas très catholique » !

Confession de Puylaurens

Source : Jacques Gradt, Bulletin de l’Oratoire, Numéro 776, 2008.

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Dans la nuit du 12 au 13 décembre 1602 — c’est-à-dire la nuit qui était alors réputée la plus longue de l’année (calendrier julien) — le catholique Charles-Emmanuel Ier, duc de Savoie et prince du Piémont, dont les terres enclavent la calviniste République de Genève, brise un traité de paix en lançant une attaque surprise sur la cité endormie. Mais, par providence divine, les sentinelles s’en aperçoivent aussitôt et réveillent la population à temps en sonnant l’alarme. Les habitants réformés bondissent hors de leurs lits, sortent dans les rues avec leur accoutrement nocturne, accourent aux postes de combat et repoussent vaillamment les traîtres assaillants qui s’en retournent bredouilles. Gloire à Dieu !

La résistance ferme et les ripostes immédiates des Genevois et de leurs alliés protestants (villes de Berne et de Zurich, et même Henri IV de France) valurent à Genève — la Rome réformée — la reconnaissance de sa souveraineté dans le Traité de St-Julien en 1603. Une grande victoire pour la foi réformée ! L’Escalade est commémorée chaque année à Genève par la Compagnie de 1602 qui nous partage des centaines de photos ; en voici une sélection parmi celles de 2012 :

1602.1 1602.2 1602.3 1602.4 1602.5 1602.6 1602.7 1602.8 1602.9 1602.10 1602.11 1602.12

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Consultez le site de Chalcedon Foundation pour les références bibliographiques.

Femme plaidant à Genève

Calvin’s Geneva came to be known as « the paradise of women ». There were good reasons for this. Calvin was strongly protective of « women’s rights ». Under his guidance, church consistories went after wife abusers. They prosecuted guardians who had misappropriated trust funds of widows and orphans. Deserted wives were protected, and so on. Prestwich has referred to « the attraction of Calvinism for women  in that area ».

In that era, and for centuries before, powerful and prosperous elderly men and women contracted marriages with very young women and men. The families of the young complied with these arrangements for their personal advantages. Calvin felt strongly that such marriages should not be allowed. In January, 1557, the Consistory dissolved a marriage between a woman of « more than 70 » with a man of 27 or 28. Rules were published to protect both men and women in marriage. To avoid deception, many rules were established. Thus, « strangers coming from a distant country » could not be permitted to marry in Geneva until a careful investigation of their past and their family were made. A woman persecuted for her faith could legitimately leave her husband.

[…] What is clear is that Calvinist Geneva was seen in its day as « the paradise of women » because of the receptivity of Calvin and others to their plight and their need for justice. There was a reason for this attitude. It was the revival of the Old Testament as an inseparable part of the Bible […].

Because the Old Testament solidly links holiness with the law, and the law is concerned with everyday life, the result was what Henri Hauser called the « secularization of holiness », i.e., holiness was made a matter of everyday life for all believers. Holiness now was the pursuit of all Christians. It was, in Luthy’s words, an « insistence on saintly life as the duty of every believer ». […]

We have a remarkable fact here in Calvin’s reformation of Geneva. It was a city rightly called in its day « the paradise of women ». This is an aspect of the Reformation which has been given insufficient attention. The reason is that these reforms in civil and church law which made Geneva so remarkable in its day are now associated with patriarchalism, and patriarchy is a hated word to the feminists in both skirts and trousers. It suggests visions of male oppression, domination and rule. It has become a symbol of past and present evils.

The significant fact, however, is that patriarchalism was not male-centered but faith-[governed] and family-governed. Modern men in the atomistic family often have more power, if they choose to exercise it, than did patriarchal man. The reason was a very clear one : patriarchal man was a trustee from the past to the future. In 1 Kings 21, we see that Naboth did not feel that he had the right to sell the family land no matter how much money King Ahab offered. The land was not his except as a trust from his forefathers to the generations yet unborn. […]

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Compléments :

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Scène tirée du film long-métrage Cromwell (1970).

Fichier alternatif.

Un siècle plus tard, cet événement était encore célébré par les chrétiens réformés, comme en fait foi cette page couverture d’un sermon publié à l’anniversaire du centenaire (en 1749) de l’exécution moralement louable du prétendu « roi » Charles Ier d’Angleterre (cliquez sur l’image pour accéder au texte)…

Mayhew Discourse

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