Je reproduis ci-après des extraits de l’article de Neal Blough, « Calvin et les anabaptistes », Théologie évangélique, Vol. 8, N° 3, 2009, p. 197-218. Théologie évangélique est la revue académique de la Faculté libre de théologie évangélique (FLTÉ) de Vaux-sur-Seine en Île-de-France.
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En 1544, 1500 exemplaires d’un traité anabaptiste en langue française circulaient à Neuchâtel. […] Suite aux demandes pressantes de [Guillaume] Farel, Jean Calvin rédigea sa Briève instruction pour armer tous bons fidèles contre les erreurs de la secte commune des anabaptistes.
En ce qui concerne le traité qui circulait à Neuchâtel, il s’agissait de L’Entente fraternelle entre quelques enfants de Dieu sur quelques articles, connue aussi comme la Confession de Schleitheim. Ce texte […] fut rédigé lors d’un synode anabaptiste [tenu à l’extrême-nord de la Suisse alémanique] en février 1527, probablement par l’ancien bénédictin Michaël Sattler.
Jean Calvin était un réformateur européen, pour qui son œuvre ne se limitait pas à la seule ville de Genève. Il savait ce qui se passait en Suisse, en France, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Hongrie, en Pologne, etc. L’anabaptisme qu’il était en train de combattre n’était pas un phénomène local, mais bien répandu.
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Lorsque Jean Calvin écrit son traité, il y a déjà une histoire de relations polémiques entre […] la Réforme et la « Réforme radicale », histoire qui explique et conditionne largement la réponse de Jean Calvin. En fait, ce qu’il écrit dans le traité en question n’est ni très surprenant ni très original, mais tributaire de l’histoire dans laquelle la Réforme de Genève s’insère. [N]ous examinerons […] quel fut l’apport des Réformes de Bâle, de Strasbourg, de Lausanne et de Berne à la pensée de Calvin contre les anabaptistes.
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La théologie de Schleitheim réfutée par Calvin en 1544 est issue de l’anabaptisme suisse, surtout zurichois. Cependant, le mouvement s’était répandu dans d’autres cantons germanophones, surtout ceux de Bâle et de Berne. Oecolampade (1482-1531), le premier réformateur de Bâle, fut souvent confronté à cet anabaptisme, qui se multipliait à tel point qu’en mars 1528, un mandat sévère fut promulgué, menaçant les anabaptistes de confiscation des biens, voire de la peine de mort.
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Oecolampade étant décédé en 1531, Calvin n’avait pas pu le connaître, mais lors de son séjour bâlois, le réformateur français fit connaissance avec son successeur Oswald Myconius (1488-1552) qui lui, avait débattu publiquement avec Balthasar Hubmaier et connaissait très bien l’anabaptiste zurichois Conrad Grebel. Pendant son séjour bâlois, Calvin entra en correspondance avec le réformateur strasbourgeois Wolfgang Capiton, et rencontra Heinrich Bullinger de Zurich (le successeur de Zwingli) ainsi que Pierre Viret de Lausanne. Tous ces personnages avaient à faire avec des anabaptistes et on peut aisément imaginer que Calvin en avait été informé.
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Troisièmement, à partir des paroles du Christ de Matthieu 5, le texte de Schleitheim affirme que le chrétien ne peut pas prêter serment. Selon Jean Calvin, le Christ ne fait ici que poser les conditions d’un mauvais serment et non pas l’interdit total de celui-ci.
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De même avec le serment. Nous ne pouvons lire ni l’argumentation anabaptiste ni la critique de Calvin exclusivement sur le plan exégétique ou comme un débat purement « théologique ». Le serment est au cœur de la vie médiévale et de la société féodale. Le serf prête serment de loyauté à son seigneur, le citoyen prête serment de loyauté à sa ville, le prince prête serment de loyauté à l’empereur. Les Suisses ne s’appellent-ils pas les « Eidgenossen » [Confédérés] ?
Pierre Viret et l’anabaptisme [Bibliothèque Réformée]