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Archive for the ‘Critique textuelle du N.T.’ Category

Folio 38 recto du Papyrus 46, datant de 150-175 ap. J.-C. et conservé à la Bibliothèque Chester Beatty à Dublin en Irlande — Cette page porte la fin de l’Épître aux Hébreux (13:20-25) et le début de la 1ère Épître aux Corinthiens (1:1-3)

Au XIXème siècle, des biblistes comme Karl Lachman, Samuel Prideaux Tregelles, Konstantin von Tischendorf, Brooke Westcott, Fenton Hort, Benjamin Warfield et Eberhard Nestle postulèrent que dans le Nouveau Testament grec, lorsque les textes des manuscrits diffèrent entre eux, en chacun des ces passages (appelés lieux-variants), quand les codices Sinaïticus (01) et Vaticanus (B03) – et Alexandrinus (A02) dans les Actes & Épîtres & Apoc. – s’accordent entre eux mais divergent des manuscrits du texte-type byzantin, ces trois vieux onciaux (01, B03 et A02) correspondent automatiquement au texte original authentique.

Au XXème siècle, la découverte et/ou l’analyse des papyri grecs du N.T. datant des IIème et IIIème siècles nous ont amené à nuancer cette compréhension. Ces papyri primitifs, qui sont environ 150 à 250 ans plus anciens que les trois vieux onciaux, démontrent que l’« état du texte » du N.T. à l’époque où ces papyri furent copiés était plus diversifié qu’on le croyait précédemment. En effet, malgré que ces papyri corroborent très souvent 01, B03 et A02, ils corroborent aussi occasionnellement le texte-type byzantin, le texte-type occidental et le texte-type césaréen.

La thèse de Sturz : Égalité entre les textes-types

En 1984, le savant évangélique Harry Sturz – qui fut le directeur du Département de grec de l’Université Biola à La Miranda en Californie ainsi qu’un co-traducteur du N.T. de la New King James Version (NKJV, 1979) – publia l’ouvrage intitulé The Byzantine Text-Type and New Testament Textual Criticism, lequel fut réédité en 2022.

Dans ce livre, Sturz plaide que tous les texte-types du N.T. seraient d’une ancienneté comparable et qu’ils auraient donc tous une valeur ± équivalente. Pour étayer sa position, cet auteur a inclus dans ce livre une liste de « 150 variantes textuelles byzantines distinctives » corroborées par des papyri grecs du N.T., formant la Liste 1 des Appendices (p. 145-159).

L’argument que soutenait Sturz dans cette œuvre n’était pas que le texte-type byzantin/majoritaire correspond à l’unique texte original immaculé du Nouveau Testament à l’exclusion des trois autres textes-types, mais plutôt que « le texte byzantin devrait avoir le même poids, à côté des textes alexandrin et occidental, dans l’évaluation des preuves extérieures [c-à-d la comparaison des attestations dans les manuscrits] appuyant des variantes » (p. 130).

Quelques autres affirmations de ce bouquin méritent d’être citées afin de représenter fidèlement la portée que son auteur entendait lui donner :

« Plusieurs choses doivent être constatées concernant ces variantes distinctement byzantines trouvées dans les anciens papyri :
(1) Ces 150 variantes sont primitives. […]
(2) Ces variantes n’ont pas été créées au IVème siècle. […]
(3) Les vieux onciaux [01, B03 et A02] n’ont pas préservés le tableau complet du IIème siècle. […]
(4) Le texte-type byzantin a préservé des traditions [textuelles] n’ayant pas été préservées dans les autres textes-types. » (p. 62-64)

« Il y a davantage de différences qu’il n’y a d’accords entre les papyri [grecs du N.T.] et K [= Koinè = texte byzantin] aux endroits où il y a des variations. » (p. 67)

« [L]e texte byzantin devrait être considéré comme un témoin indépendant du texte du Nouveau Testament. Il ne s’agit pas de suggérer que le texte byzantin n’a subit aucun processus éditorial. […] Les variantes byzantines sont aussi anciennes que celles de n’importe quel autre texte-type. Les variantes byzantines remontent au IIème siècle. » (p. 101-102)

La thèse d’Harry Sturz, à savoir l’égalité des textes-types, est donc audacieuse, mais mesurée. Or malgré cette approche tempérée, les zélateurs du soi-disant texte reçu (TR — un dérivé du texte byzantin contaminé par des variantes venant de la Vulgate latine médiévale et par d’autres aléas de l’histoire) n’hésitent pas à l’instrumentaliser et à envoyer aux oubliettes tous les bémols que son auteur avait prudemment énoncés.

Récupération des papyri par le camp “TR-only”

Un cas emblématique de cette appropriation de la thèse modérée d’Harry Sturz par des militants pro-TR exclusivistes est la brochure La Parole que donna le Seigneur de la Société Biblique Trinitaire (SBT), qui s’adonne à interprétation très maximaliste des données rassemblées par Sturz :

« Les premiers papyrus témoignent d’un nombre phénoménal de variantes typiquement byzantines. On retrouve ces mêmes variantes dans P45 et P46 […] et dans P66 […]. Le professeur H.A. Sturz a dressé une liste de 150 variantes byzantines confirmées par des papyrus fort anciens. Cela prouve que contrairement à l’opinion des critiques textuels de la première génération [sic : l’opinion des meilleurs biblistes de la fin du XIXème siècle], les variantes byzantines remontent au deuxième siècle. […] De toute évidence, ce texte était considéré comme la version authentique, intacte, officielle. […] Il est naturel de se demander : ‹ D’une manière générale, quel type de texte fut cautionné et propagé par l’Église dès les premiers siècles ?La réponse est : le texte ‹ byzantin ›. […] Le professeur Sturz montre que certaines de ces variantes [byzantines] sont confirmées par les papyrus les plus anciens (par exemple, les variantes les plus étoffées de Jean 10:19 et 10:31 trouvent confirmation dans P66). » (Malcom Watts, La Parole que donna le Seigneur, SBT, 2012, p. 24, 26-27 et 30.)

Qu’en est-t-il de ces “150 variantes” ?

L’existence présumé de 150 variantes byzantines dans les papyri grecs du N.T. serait un argument vraiment très puissant en faveur du texte-type byzantin/majoritaire. Mais à la grande frustration du lecteur curieux de découvrir quelles sont ces fameuses 150 variantes, celles-ci ne sont pas traduites en langue vernaculaire là où elles sont listées en grec aux p. 145-159. Dans tout l’ouvrage, Sturz traduit uniquement une de ces variantes en anglais, à savoir celle de Luc 10:42 (« cependant une seule chose est nécessaire … », Bible de Genève de 1805), aux p. 57 et 86. Et dans tout son livre, Sturz ne discute que de cinq autres variantes byzantines attestées par les papyri : Marc 7:31, Luc 10:41 et Jean 11:19 (aux p. 56-58) ainsi que Jean 10:19 & 10:31 (à la p. 85).

Le fait que Sturz n’ait pas traduit davantage de ces « 150 variantes », et qu’aucun partisan du soi-disant texte reçu ou du texte majoritaire (𝕸) n’ait publié de traduction intégrale de ces 150 variantes nous autorise à penser que la plupart de celles-ci sont ou bien non-traduisibles, ou bien traduisibles mais insignifiantes (car triviales). Et si nous creusons un peu, nous voyons que cela s’avère exact.

Commençons par les « variantes les plus étoffées de Jean 10:19 et 10:31 » invoqués dans la brochure susmentionnée de la Société Biblique Trinitaire (p. 30) comme preuve ultime de l’antériorité du texte byzantin. Dans le Papyrus 66 (P66) et dans le texte byzantin, ces deux versets contiennent la même variante formée d’un seul terme : Le mot grec οὖν (oun) – qui se traduit le plus souvent en français par « donc » – y précède le mot grec πάλιν (palin), « encore ». Quoique traduisible, cette variante est grammaticalement insignifiante : Le sens de la phrase ne change pas si le vocable οὖν y est présent ou absent. Plutôt décevant pour une prétendue variante étoffée ! (Cf. Sturz, p. 84 ; Kurt Aland et al., Greek New Testament, Alliance Biblique Universelle, 1993 = UBS4, p. 360 n. 6 ; Robinson-Pierpont Byzantine Majority Text, 2000.)

Dans un compte rendu du livre de Sturz (JETS, Vol. 28, N° 2, 1985, p. 241), l’érudit pentecôtiste Gordon Fee a remarqué que dans les Évangiles uniquement, au moins 27 des ces « 150 variantes distinctives » ne sont pas véritablement distinctives parce qu’elles sont aussi attestées par des témoins du texte-type occidental. {J’ajouterai que d’autres de ces variantes supposément byzantines ne sont pas distinctives lorsqu’elles s’accordent avec une branche du texte alexandrin quand ce dernier est divisé en plusieurs branches, tel qu’en Luc 10:39 + 10:41.} Fee a également calculé que sur un total de 18 variantes où le Papyrus 75 (P75) corrobore le texte byzantin, 17 de ces variantes sont des trivialités, et parmi celles-ci, 9 ne sont même pas traduisibles en anglais ou en latin. La seule variante significative est celle de Luc 15:21, où P75 s’accorde avec 𝕸 en omettant la clause « traite-moi comme un de tes salariés » (NBSᵐᵍ) qui figure dans ℵ01 et B03 (où elle fut reproduite depuis le v. 19 pour harmoniser les deux versets).

Dans sa thèse doctorale Assimilation as a Criterion for the Establishment of the Text soutenue à l’Université de Théologie de l’Église reréformée des Pays-Bas à Kampen en Overijssel, Willem Wisselink analyse les données brutes fournies par Sturz (Éditions Kok, 1989, p. 32-34). En faisant un peu de ménage dans le celles-ci, il confirme l’existence de 52 variantes 𝕸 dans P45, 32 variantes 𝕸 dans P66, et 18 variantes 𝕸 dans P75. Ainsi, la liste de Sturz est donc réduite de 150 à 102 variantes. Wisselink reconnait qu’une proportion considérable des ces 102 variantes sont triviales, mais refuse de les écarter. Il clarifie aussi la notion de variante distinctive chez Sturz : le critère retenu par Sturz est distinctive selon Fenton Hort en 1881, pas distinctive en toute objectivité selon l’état actuel des connaissances.

Des études supplémentaires seraient nécessaires pour parvenir à chiffrer avec plus d’exactitude le nombre précis de variantes byzantines distinctives, traduisibles et significatives (non-triviales) attestées dans les papyri néotestamentaires grecs des IIème et IIIème siècles. En attendant, leur quantité peut provisoirement être estimée à environ une demie-douzaine. La section suivante se penche sur ces variantes rarissimes.

Exemples valables de variantes byzantines anciennes

Nous avons précédemment reconnu un alignement valable entre P75 et 𝕸 en Luc 15:21. Le document ci-dessous identifie quatre variantes distinctives byzantines additionnelles qui ont le mérite d’être traduisibles et non-triviales (Marc 7:31, Luc 10:42, Jean 11:19 et Philippiens 1:14). Pour chaque lieu-variant, ce document indique les principaux manuscrits attestant la variante byzantine, les principaux manuscrits attestant la variante non-byzantine, et reproduit les passages pertinents venant de traductions en français et en anglais qui reflètent chacune de ces variantes concurrentes. (On pourrait alléguer que les cas de Luc 10:42 et Jean 11:19 ne sont pas distinctement byzantins car ces textes coïncident avec celui des témoins du texte-type césaréen. Mais puisque l’on sait que ce texte-type césaréen n’existe plus sous forme pure et que tous ses manuscrits souffrent de divers degrés d’assimilation au texte-type byzantin, il est préférable de qualifier ces deux variantes de byzantines étant donné qu’elles ne sont pas non plus distinctement césaréennes.)

Ce document est aussi accessible sur Calaméo et en téléchargement direct ici.

Voici quelques exemples supplémentaires.

Exemple # 6 : En Matthieu 24:6, dans le Papyrus 70 (datant de l’an ≈ 250), le texte du manuscrit correspond au texte 𝕸 que l’on peut lire dans la Bible de Lausanne révisée (BLR 2022) : « … prenez garde que vous ne soyez troublés, car il faut que tout arrive, mais ce n’est pas encore la fin ». Ceci diffère des textes alexandrin, occidental et césaréen – ici représentés par les codices Sinaïticus (01), Vaticanus (B03), Bezæ (D05), Regius (L019), Koridethi (Θ038) et Colbertinus (Minuscule 33) – lesquels correspondent plutôt à ce que l’on peut lire dans la Nouvelle Bible Segond (NBS 2002) : « … gardez-vous de vous alarmer ; car cela doit arriver, mais ce n’est pas encore la fin ». Le mot grec « tout » (παντα) est présent dans le texte byzantin mais est absent des textes alexandrin, occidental et césaréen. (Quant au mot « cela », il n’est dans aucun des témoins grecs susmentionnés mais est inséré dans maintes traductions pour des fins de lisibilité ; les Bibles d’Ostervald de 1724 & 1996 font de même avec les mots « ces choses ».)

Exemple # 7 : En Apocalypse 11:19, le Papyrus 47 (datant de l’an ≈ 275) se lit « … l’arche de l’alliance du Seigneur … », ce qui correspond au texte 𝕸, tandis que le Papyrus 115 (datant de l’an ≈ 250) et les codices Alexandrinus (A02) et Ephraemi Rescriptus (C04) se lisent plutôt « … l’arche de son alliance … », ce qui correspond à la fois au texte standard (cf. Segond 21) et au texte reçu (cf. BLR).
(Philip Comfort, Commentary on the Manuscripts and Text of the N.T., Kregel Academic, 2015, p. 409-410 ; Robert Boyd, The Text-Critical English N.T. – Byzantine Text Version, Lulu Press, 2021, p. 484 ; Maurice Carrez, N.T. interlinéaire grec-français, Alliance Biblique Universelle, 1993, p. 1136.)

Conclusion : Bien apprécier les preuves

Pour conclure cette étude, je cède la plume à d’autres auteurs, qui résument la réalité historique mieux que je ne pourrais le faire.

« [I]l n’y a absolument aucun manuscrit byzantin primitif. […] Certes, il y a des variantes individuelles dans des manuscrits primitifs qui se retrouvent [aussi] dans le texte byzantin. Mais en conformité avec l’approche [pro-]byzantine consistant à regarder le texte comme un ensemble plutôt que comme des unités de variantes individuelles, [nous devons conclure que] il n’y a pas d’évidence dans les premiers siècles qui supporte [l’existence du] texte byzantin [en tant que texte-type systématisé]. » (Dirk Jongkind, Introduction to the Greek New Testament Produced at Tyndale House, Crossway Books, 2019, p. 96 et 98.)

« Certainement, des variantes byzantines sont attestées dans les premiers papyri. Mais s’agit-il d’une preuve de l’existence ancienne du texte-type byzantin, ou simplement d’une indication que certaines des tendances scribales reflétées dans les manuscrits byzantins [plus tardifs] eurent des débuts anciens ? Des papyri qui soutiennent des variantes singulières sont une chose, des papyri représentatifs du texte-type byzantin en sont une autre, et ces derniers n’ont pas été produits. » (Larry Hurtado, “The Byzantine Text-Type and New Testament Textual Criticism”, Catholic Biblical Quarterly, Vol. 48, N° 1, 1986, p. 150.)

« Certes, les papyrus les plus anciens présentent effectivement de fréquentes variantes du type caractéristique des sources manifestement byzantines. […] Mais nulle part on ne trouve la combinaison de variantes typique du texte byzantin. » (Heinrich von Siebenthal, “Nos traductions du N.T. ont-elles une base textuelle fiable ?”, Théologie évangélique, Vol. 2, N° 3, 2003, p. 233.)

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Cet article est une appréciation de la vidéo ci-dessous.

Je partage la croyance de messieurs Christian Khanda et Hugues Pierre dans l’importance primordiale de la doctrine de la préservation des Écritures Saintes, et je suis passionné par la transmission providentielle des oracles divins aux cours des millénaires de l’histoire de la Rédemption. Toutefois, j’estime que la thèse spécifique promue par ces deux internautes, à savoir que pour le N.T., seul le soi-disant “texte reçu” grec doive être considéré comme étant le texte inspiré correctement préservé, est intenable sur les plans théologique et historique. Pour cette raison, je vais répondre ci-dessous aux erreurs les plus sérieuses que j’ai constaté dans cette discussion (que j’ai écouté très attentivement).

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Tout d’abord, vers la minute 12:10, Hugues Pierre s’en prend à la critique textuelle, qu’il présente comme une pratique remontant au XIXème siècle. En réalité, la critique textuelle est aussi ancienne que l’existence de variantes textuelles entres différentes copies manuscrites puis tapuscrites du texte du N.T. Dès l’Antiquité chrétienne, des Pères de l’Église relatent l’existence de variantes et s’attèlent à la critique textuelle, discipline qui consiste à évaluer les variantes connues dans le but de déterminer celle qui correspond au texte révélé original. J’ai reproduit plusieurs définitions et descriptions de la critique textuelle du N.T. venant d’ouvrages académiques chrétiens ici (donc Hugues Pierre ne pourra pas plaider que j’invente une nouvelle définition juste pour les fins de mon propos) : Introduction à la critique textuelle du Nouveau Testament.

Hugues Pierre s’émeut de la notion de « restauration » du Texte Sacré qui est sous-jacente à la critique textuelle. Or si l’on détecte une erreur humaine dans la transmission du texte, que l’on identifie la variante correcte via une démarche de critique textuelle, puis que l’on corrige cette erreur en remplaçant la variante erronée par la variante correcte, cette rectification consiste indubitablement, pour ce lieu-variant, en une *restauration* du texte.

D’ailleurs, ces nouveaux zélateurs du “texte reçu” (TR) ont beau s’émouvoir du concept de *restauration* du texte néotestamentaire, les utilisateurs du TR s’adonnent volontiers depuis 500 ans à cet exercice de *restauration* ! Quelques exemples :

→ En Luc 2:22, Érasme suivi par la Bible de Genève française de 1553 disent « LEUR purification » ; puis Bèze éventuellement suivi par Ostervald *restaurent* (ou s’imaginent restaurer) le texte à « SA purification ».
→ En Luc 17:36, Érasme suivi par les Bibles réformées françaises de 1535, 1540 et 1553 omettent le verset en entier ; puis Bèze suivi par les versions TR ultérieures *restaurent* le verset en entier.
→ En Romains 12:11, Estienne suivi par les Bibles réformées françaises de 1535, 1540 et 1553 disent « servant AU TEMPS » ; puis Bèze suivi par les versions TR ultérieures *restaurent* ce texte à « servant LE SEIGNEUR ».

Démonstration faite : Les biblistes réformés du XVIème siècle n’hésitaient pas à (tenter de) *restaurer* le Texte Sacré en le purgeant de ses corruptions – réelles ou imaginaires – au moyen de la critique textuelle. C’est un fait historique irréfutable.

Vers la minute 16:20, puis encore à 46:05, 56:00 et 1:18:50, Christian Khanda plaide répétitivement que le texte reçu est *le* « texte protestant » et que les confessions de foi protestantes « sont basées sur le TR ». Khanda insiste surtout sur l’article 1:8 de la Confession de Westminster, qui énonce que l’A.T. et le N.T. furent « gardés purs, au long des siècles, par sa providence [de Dieu] et ses soins particuliers » (formulation identique dans la Déclaration de Savoy congrégationaliste de 1658 et la Confession réformée baptiste de 1689). Khanda essaie de capitaliser sur cette affirmation crédale très prudente pour faire accroire à ses auditeurs que le protestantisme réformé confessant est obligatoirement assujetti à sa thèse d’exclusivité du TR. Cette attitude émane d’une compréhension inadéquate de cette clause confessionnelle.

Sans m’attarder sur le fait que le TR est, historiquement, une coproduction de la Papauté idolâtre (!), je démontre dans mon étude Considérations sur l’orthodoxie réformée, la préservation des Écritures Saintes et la critique textuelle du N.T., plus précisément à la section 2 intitulée L’orthodoxie réformée ne requière pas d’adhérer à une traduction et à un texte-type spécifiques, que l’article 1:8 des Westminster / Savoy / 1689 ne peut pas être valablement instrumentalisé pour délégitimer tous les textes néotestamentaires grecs autres que le TR.

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À la minute 20:50, Christian Khanda fait allusion à la redécouverte du Codex Sinaïticus (oncial ℵ01) au milieu du XIXème siècle (mais sans l’identifier explicitement), puis généralise ensuite en alléguant que le peuple de Dieu n’a pas utilisé ces textes (ℵ01 et les autres anciens manuscrits des II-IVèmes siècles) de manière ininterrompue au fil des siècles. Monsieur Khanda mêle vraiment les cartes ici.

Pour commencer, qui est le « peuple de Dieu » ? À partir du IXème siècle, avec le triomphe définitif de la pseudo-orthodoxie (rétablissement durable de l’iconodoulie) dans l’Empire byzantin, l’Église grecque d’Orient devient quasiment aussi hérétique que l’Église catholique romaine (culte des saints = polythéisme, etc.).

Dans cet Orient hellénique, seul le clergé avait un contact direct & régulier avec la Bible… or ce contact n’était pas forcément reluisant. Il n’était pas rare pour les moines byzantins copiant ces Bibles grecques tardives d’y insérer une prière en postlude où ils remercient la Vierge Marie – comme une déesse – de les avoir aidés à copier le manuscrit ! C’est ça le « peuple de Dieu » selon Khanda ? Rappel : les vrais chrétiens sont monothéistes.

Ensuite, concernant l’utilisation effective des grands onciaux tels le Codex Sinaïticus (ℵ01), le Codex Vaticanus (B03) et le Codex Alexandrinus (A02), ce n’est pas parce que ces manuscrits n’étaient pas utilisé lors de leur redécouverte (ou leur revalorisation) aux XVII-XIXèmes siècles qu’ils n’ont jamais été utilisés ! Bien au contraire, ces codices furent tellement utilisés qu’ils tombent en lambeaux et même que plusieurs de leurs portions physiquement situées sur le dessus ou le dessous sont disparues depuis très longtemps à force d’usure. Ainsi, le Sinaïticus est usé à la corde : le 1er folio survivant commence à Genèse 21:26, et à vrai dire la majeure partie du texte précédant 1 Chroniques 9:27 est manquant. Et dans le Vaticanus, les folios portant l’original d’Hébreux 9:15 jusqu’à la fin du N.T. furent perdus avant même l’arrivée de ce manuscrit en Occident au milieu du XVème siècle. Donc ces Bibles ont amplement été utilisées.

La raison pour laquelle ces grands onciaux n’étaient pas en usage en Orient au moment où ils furent transportés en Occident (ou découverts en Orient par des protestants occidentaux) aux XV-XIXèmes siècles, c’est que plus personne sur la planète n’utilisait le script dans lequel ils furent écrits. Duh ! Ces Bibles grecques de l’Antiquité furent entièrement copiés en lettres onciales (majuscules arrondies). Or au VIIIème siècle, autant en Occident latin qu’en Orient grec, les lettres minuscules sont inventées. Ce nouveau script en minuscules remplace rapidement le vieux script en majuscules, et en quelques générations les documents écrits en majuscules sont délaissés parce que devenus désuets aux yeux des lecteurs désormais uniquement habitués à la graphie minuscule.

Monsieur Khanda devrait s’éduquer un peu sur l’histoire de la codicologie chrétienne et de la transmission du texte biblique avant de raconter des balivernes condamnatoires. En ce sens, l’analyse des variantes textuelles contenues dans les citations bibliques des écrits patristiques démontre que dès l’Antiquité, tous les quatre principaux textes-types étaient connus et utilisés dans l’Église chrétienne ; voir mon article L’origine géographique et chronologique des différents textes-types du N.T.

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À la minute 28:00, Hugues Pierre avance que le “texte reçu” est assimilable au texte majoritaire de l’Orient grec médiéval. C’est un argument pro-TR très à la mode, mais fallacieux. La vérité est plus complexe que ça. Le TR est une fabrication éclectique datant du XVIème siècle. En réalité, il existe plus d’un millier de variantes textuelles traduisibles entre le TR et le texte majoritaire byzantin ! Certes, en moyenne, le TR est comparativement plus proche du texte majoritaire que ne l’est le texte standard Nestle-Aland (le texte critique le plus répandu), mais on ne peut pas prendre pour acquis que le texte majoritaire va nécessairement s’aligner avec le TR contre le texte standard (qui est surtout basé sur le texte alexandrin), parce que dans plus de 85 cas, le texte majoritaire concorde avec le texte standard contre le TR ! Voir l’article Leçons du Nouveau Testament où le texte alexandrin concorde avec le texte majoritaire contre le texte reçu.

À la minute 24:00, Christian Khanda attaque la critique textuelle moderne du N.T. comme étant une méthode naturaliste, « la théorie de l’évolution appliquée à la Parole de Dieu », dit-il. Dans la même veine, à la minute 45:00, Hugues Pierre prétends que pendant 300 ans (grosso modo de 1500 à 1800), tout le monde était content avec le texte reçu grec. Ces deux assertions sont erronées.

La critique textuelle moderne de la Bible n’est que le prolongement de la critique textuelle humaniste (pas dans le sens laïciste du terme) et réformationnelle amorcé au XVIème siècle. Dès les premières itérations du TR, plein d’érudits – protestants comme catholiques – étaient conscients des lacunes et des faiblesses de ce texte, c’est pourquoi ils n’hésitèrent pas à le modifier ou à préconiser sa rectification (comme par exemple Théodore de Bèze qui argumente contre l’authenticité de la péricope de la femme adultère dans son édition du TR de 1598).

Mais l’état précoce et fragmentaire de la connaissance des manuscrits grecs du N.T. au début du XVIème siècle fit en sorte que l’entreprise colossale consistant à répertorier et collationner ces manuscrits dispersés à travers l’Europe et l’Asie a nécessité ± 300 ans. Donc c’est tout à fait normal, vu cette progression graduelle des connaissances, que ce n’est qu’au XIXème siècle que l’on put produire un texte standard grec apte à remplacer le TR.

Des chrétiens dévoués participèrent à tout ce long processus, comme je l’explique dans la section La critique textuelle est un vecteur de la providence rédemptrice de Dieu de mon étude Considérations sur l’orthodoxie réformée et la préservation des Écritures Saintes (section 4).

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Vers la minute 57:05, Christian Khanda évoque la variante trinitaire « Dieu le Fils unique » du texte critique (TC) en Jean 1:18, lieu-variant ou le texte reçu porte la variante non-trinitaire « le Fils unique engendré ». Khanda essaie de sauver la réputation de cette variante non-trinitaire du TR en arguant que c’est plutôt le TC qui serait jéhoviste ici. Hugues Pierre s’efforce de lui prêter main forte dans les minutes subséquentes.

Durant l’Antiquité chrétienne, beaucoup de Pères de l’Église utilisèrent des Bibles attestant cette variante « Dieu le Fils unique » du TC en Jean 1:18 – comme les papyri P66 (copié en l’an ≈150) & P75 (copié en l’an ≈175) ou la Peshitta araméenne – et citèrent explicitement cette variante trinitaire dans leurs écrits :
• Irénée de Lyon dans ‹Contre les hérésies› (§ 4:20:11).
• Clément d’Alexandrie dans ‹Stromates› (§ 5:12).
• Origène d’Alexandrie dans ‹Commentaire du Jean› (§ 2:29) et dans ‹Contre Celse› (§ 2:71).
• Eusèbe de Césarée dans ‹Théologie ecclésiastique› (§ 3:7).
• Basile de Césarée-en-Cappadoce dans ‹Sur le Saint-Esprit› (§ 6:15, 8:17, 8:19 et 11:27).
• Didyme l’Aveugle dans ‹Commentaire sur Zacharie› (§ 5:33) et dans ‹Commentaire sur Ecclésiaste› (§ 12:5).
• Épiphane de Salamine dans ‹Ancoratus› (§ 2:5 et 3:9) et dans ‹Panarion› (§ 612 et 817).
• Sérapion de Thmuis dans ‹Contre les manichéens› (p. 639).
• Cyrille d’Alexandrie dans ‹Commentaire sur Jean› (§ 1:10), dans ‹Contre Nestorius› (§ 3:2 et 5:2), dans ‹Le Christ est un› (non numéroté) et dans ‹Thesaurus de sancta et consubstantiali trinitate› (§ 35 ss).

Alors, doit-on conclure du raisonnement de messieurs Khanda et Pierre que les sommités patristiques qui nous ont légués la trinitariologie orthodoxe – tels Basile de Césarée et Cyrille d’Alexandrie – étaient des précurseurs des jéhovistes modernes ?! C’est complètement ridicule. Et Jean 1:18 n’est pas le seul lieu-variant où le texte critique / standard enseigne une christologie supérieure à celle du texte reçu. Y’en a plein d’autres, voyez ces tableaux comparatifs : La christologie des Bibles basées sur le texte standard n’a rien à envier à celle des Bibles basées sur le texte reçu.

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À la minute 1:02:15, Hugues Pierre feint d’adresser le problème des variantes textuelles internes du TR. Malgré qu’il reconnaît que ces variantes existent, il esquive le fait que ces variantes intra-TR obligent les tenants du TR à effectuer de la critique textuelle (s’ils veulent départager les bonnes variantes des mauvaises variantes). Pierre préfère revenir à la charge avec son « objection de principe » au texte critique, à savoir que ce TC présupposerait que « le texte biblique a été perdu, corrompu, et détruit ».

Or cette pirouette rhétorique ne fonctionne pas, car les tenants du TC disent que le texte biblique fut corrompu puis fut rétabli UNIQUEMENT LÀ OÙ IL Y A DES VARIANTES (c’est-à-dire environ 5 à 10 % maximum du texte du N.T.). On revient donc aux variantes !

Dans la suite immédiate de l’entretien, Hugues Pierre expose sa distinction entre un « texte fermé » (le TR selon lui) et un « texte ouvert » (le TC selon lui). Le TC, puisqu’il serait toujours susceptible d’être amélioré dans le futur, serait coupable de « régression à l’infini », il serait modifiable sans aucun garde-fou et sans aucune limite.

C’est une fausse représentation. Loin de menacer la stabilité du texte, les découvertes archéologiques, muséologiques ou archivistiques de « nouveaux » manuscrits néotestamentaires sont toujours appréciées à la lumière de l’immense bagage de connaissances portant sur la masse des 6000+ manuscrits grecs déjà en notre possession. C’est pour ça que le texte standard Nestle-Aland a très peu changé depuis sa 1ère incorporation substantielle de l’apport des papyri dans l’UBS3 (1975) / NA26 (1979).

Nous sommes en bon droit de demander aux zélateurs du TR pourquoi c’était légitime de modifier le TR de 1516 (1ère éd. d’Érasme promue par le pape de Rome) jusqu’en 1881 (éd. de Scrivener promue par la Société biblique trinitaire), mais ça ne serait pas légitime de réformer le TC entre 1975 et 2026 (date prévue de parution du NA29) ? En vertu de quoi devrions-nous nous astreindre à cette braquette temporelle arbitraire imposée par les zélateurs du TR ?

En attendant qu’ils répondent à cela, il est instructif d’explorer les contradictions internes du TR, ce que je propose au lecteur de faire via cet article : Le “texte reçu” versus le “texte reçu” : Un survol des variantes internes au TR.

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Début de l’Évangile selon Marc (folio 70 verso) dans le Codex Regius (L019), un manuscrit grec en écriture onciale datant de c. 750 et conservé à la Bibliothèque nationale de France

Folio 113 recto de L019 montrant la finale courte de l’Évangile selon Marc (au milieu de la colonne de droite) — Cet oncial en parchemin est le plus ancien manuscrit grec attestant cette variante textuelle

Le tableau suivant présente, sur une seule page au format légal, les différents textes des quatre façons dont l’Évangile selon Marc se termine dans les manuscrits répertoriés du Nouveau Testament, ainsi que l’indication des témoins textuels leurs correspondant (manuscrits ou groupes de manuscrits et références aux citations patristiques).

Ce tableau peut aussi être consulté sur Calaméo et est accessible en téléchargement direct ici.

Dans l’article ci-dessous, je vais d’abord fournir quelques explications sur ce tableau en tant que tel. Ensuite, je vais faire une appréciation comparative des quatre finales « concurrentes » de Marc 16. J’enchaînerai en évoquant quelques solutions potentielles ayant été proposées par les érudits. Enfin, j’argumenterai en faveur de la solution que je préconise. Je suggère fortement au lecteur de prendre le temps de consulter le tableau afin de se familiariser avec le texte des différentes finales avant de lire l’article.

Explications sur le tableau

Quelques observations sur le tableau lui-même :

  • Parmi les témoins textuels, pour identifier les manuscrits, j’utilise bien entendu les sigles ou numéros conventionnels reconnus dans le domaine de la critique textuelle. Pour les manuscrits moins bien connus n’entrant pas dans cette numérotation standardisée, j’utilise les abréviations qui leur sont attribuées par leur lieu de conservation (musée / bibliothèque / centre d’archives) ou encore leur appellation non-technique (telle que vieille-syriaque sinaïtique).
  • Concernant la finale très courte (fin de Marc 16 au v. 8 inclusivement) : Les seules traductions protestantes françaises ayant eu l’audace de s’en tenir à cette variante sont Albert Rilliet 1858 et Edmond Stapfer 1889, d’où l’inclusion de ces vieilles versions méconnues dans ce tableau. Au niveau des témoins textuels patristiques, précisions qu’Eusèbe de Césarée et Jérôme de Stridon ne pensaient pas que cette finale très courte était « la bonne » (Eusèbe estimait que la très courte et la longue étaient également valables et Jérôme favorisait la longue). Néanmoins, ils attestent tous deux que dans la 1ère moitié du IVème siècle puis encore dans la 2nde moitié de ce IVème siècle (respectivement), la plupart des manuscrits grecs de l’Évangile selon Marc n’avaient pas la finale longue — ce qui est très significatif !
  • Concernant la finale courte : Aucune Bible française ou anglaise ne l’a retenue comme finale unique ou principale de Marc. Cependant, un nombre croissant de traductions dans ces deux langues l’incluent soit dans le corps du texte mais avant ou après la finale longue (NBS, NTI, LSB), soit en texte marginal (Semeurᵐᵍ, Segond 21ᵐᵍ, TOBᵐᵍ, ESVᵐᵍ, NETᵐᵍ, CSBᵐᵍ, etc.).
  • Concernant la finale longue : J’ai privilégié une traduction basée sur le soi-disant texte reçu car aujourd’hui les principaux défenseurs de cette variante sont les partisans du dit texte reçu. J’ai pris le texte de la Bible de Lausanne révisée (BLR 2022) parce que dans ce passage, elle suit le texte grec plus près que les diverses Ostervald en circulation.
  • Concernant la finale très longue, le blogueur évangélique James Snapp prétends (ici et ici) qu’il ne s’agit pas d’une variante distincte, mais d’une sous-variante de la finale longue (puisqu’elle s’y insère entre les v. 14 et 15). Or si ce raisonnement devait prévaloir, il ne faudrait pas non plus catégoriser la finale courte et la finale longue comme des variantes autonomes, mais plutôt comme des sous-variantes de la finale très courte (puisqu’elles s’insèrent après le v. 8). Ce faisant, nous n’aurions ici qu’une seule pseudo-variante se déclinant en plusieurs sous-variantes, ce qui serait absurde. Il est donc plus adéquat de considérer la finale très longue comme étant une variante en elle-même.

Appréciation comparative des quatre finales

Entrons maintenant dans le vif du sujet : Quelques observations historiques et théologiques sur les finales de Marc :

  • D’emblée, reconnaissons que les trois premières variantes (la finale très courte, la finale courte et la finale longue) existaient toutes dès le IIème siècle ! Force est de constater que sur le plan de l’ancienneté prouvable, ces trois finales obtiennent toutes un pointage ex æquo.
  • La 4ème variante, c’est-à-dire la finale très longue, est comparativement très tardive en plus d’être théologiquement loufoque (on peut aisément y déceler la mentalité gnostique). Par conséquent, nous devons l’écarter ; la confrontation doit donc avoir lieu entre les trois autres finales.
  • La finale très courte est problématique parce qu’en terminant le récit avec « elles ne dirent rien à personne » (Mc 16:8), cette finale contredit de manière frontale les autres trois autres comptes rendus évangéliques (qui eux sont tous très bien attestés par les témoins textuels) : « Elles coururent porter la nouvelle aux disciples » (Mt 28:8, S21) ; « Elles annoncèrent tout cela aux onze et à tous les autres. 10 Celles qui racontèrent cela aux apôtres … » (Luc 24:9-10, S21) ; « Elles sont venues dire que des anges leur sont apparus et ont annoncé qu’il est vivant. 24 … ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit … » (Luc 24:23-24, S21) ; « Elle courut trouver Simon Pierre et l’autre disciple que Jésus aimait et leur dit : … » (Jn 20:2, S21) ; « Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur … » (Jn 20:18, S21).
  • D’ailleurs, cette contradiction criante entre la finale très courte de Mc 16:8 et les trois autres Évangiles n’a pas échappé au copiste du manuscrit vieux-latin Codex Bobbiensis (VL 1 / itᴷ, c. l’an 400) – ou au copiste du manuscrit antérieur (un papyrus datant de c. 230) – qu’il copia, car un copiste dans la chaîne de transmission de cet évangéliaire supprima cette dernière clause de Mc 16:8 (« elles ne dirent rien à personne car elles étaient effrayées ») avant d’enchaîner directement avec la finale courte (« elles annoncèrent brièvement à l’entourage de Pierre tout ce qui leur avait été ordonné … »).
  • La finale courte est aussi problématique. Sur le plan de la théologie et de la narration, elle est impeccable (c’est pourquoi c’est ma préférée), mais le fait qu’il n’existe pas un seul manuscrit grec qui porte *exclusivement* cette finale et que pas un seul Père de l’Église ne la cite doit nous dissuader de la considérer comme étant le texte original, authentique et inspiré.
  • La finale longue est encore plus problématique que la précédente à cause de son contenu saugrenu. Comme l’explique Anthony Etheve sur QQLV : « Certains contenus des versets 9-20 sont uniques et/ou posent problème dans l’esprit des analystes. Les versets 17-18 disent : ‹ Ils saisiront des serpents… ils boiront un poison mortel… ›. Ce passage a été utilisé pour justifier certaines pratiques extrêmes dans certaines Églises [pentecôtistes ou charismatiques] (manipulation de serpents, etc.). Ces signes ne sont pas mentionnés ailleurs dans les Évangiles comme promesses générales faites à tous les croyants ».

Quelques solutions proposées

  • Dans une note d’étude de la Bible anglaise NET, Daniel Wallace plaide en faveur de la finale très courte en arguant que cette fin abrupte et « ouverte » serait un mécanisme littéraire visant à interpeller le lecteur pour le pousser à entrer dans le récit et à accepter l’Évangile (New English Translation – Full Notes Edition, Biblical Studies Press, 2019, p. 1894). En toute franchise, et malgré le respect que j’ai pour Wallace (qui est loin d’être le seul à prôner cette approche), cette tentative de solution est fantaisiste et absurde ; elle ne résout pas la contradiction flagrante avec les trois autres Évangiles.
  • D’autres tenants de la finale très courte font valoir que cette fin de récit abrupte ne serait pas inusitée chez l’évangéliste Marc, mais qu’il s’agirait au contraire d’un élément « normal » et « habituel » de son style. Ils font remarquer que Marc terminerait aussi des unités textuelles de manière abrupte en Mc 5:20 ; 6:6 ; 12:12 ; 12:17 ; 14:72. Cependant, même si cet argument linguistique devait être admis, il ne résoudrait pas le problème persistant de la contradiction stricte avec les trois autres Évangiles.
  • En prenant en considération : {1} Qu’aucune des quatre finales ayant survécu à l’épreuve du temps ne doit être considérée comme authentique ; {2} Que la doctrine de la préservation providentielle des Écritures Saintes enseigne que toute révélation divine à laquelle Dieu confère un statut scriptural demeurera préservée par Dieu ; Je pense que la position la plus solide – sur les plans historique et théologique – est d’affirmer que : {3} Dieu décréta souverainement que la finale originale de Marc 16 ne serait pas préservée en tant qu’Écriture Sainte dans le texte biblique canonique ; {4} Le contenu de la finale originale de Marc fut néanmoins préservé en substance via sa réutilisation (divinement inspirée) par l’évangéliste Matthieu pour la composition de son Évangile (voir Mt 28:9-20).

Articuler perte et préservation

La proposition que la finale authentique de Marc fut perdue très tôt dans la transmission de cet écrit mais que le contenu de cette finale originale ait néanmoins été préservé via son utilisation (avant disparition) par Matthieu dans son Évangile peut paraître surprenante pour les croyants ayant une compréhension magico-mystique de la préservation biblique. Toutefois, la doctrine de la préservation providentielle du Texte Sacré ne s’applique qu’à ce qui est effectivement préservé !

Donc la non-préservation d’une portion de texte – fut-elle rédigée par un proche collaborateur des apôtres (Marc) – n’étant pas prédestinée à être préservée n’est pas une entorse à cette importante doctrine. Après tout, Jésus-Christ, la Parole de Dieu incarnée, a fait & enseigné plein de choses qui n’ont pas été préservées dans les Saintes Écritures (Jean 20:30 ; 21:25), de même que le prophète Jean-Baptiste (Luc 3:18) et que l’apôtre Pierre (Actes 2:40) — pourtant tous deux inspirés par le Saint-Esprit. Ne soyons donc pas scandalisés là où il n’y a pas matière à scandale.

Pour étayer cette thèse de la perte de la conclusion originale de Marc 16 combinée à sa préservation dans Matthieu 28, voici – dans les deux prochaines sections – une sélection d’extraits d’études académiques qui dressent un portrait vraisemblable des circonstances historiques entourant cette disparition puis qui expliquent pourquoi la substance de l’original perdu fut très probablement préservé en Matthieu 28. Les extraits venant de sources anglaises ont été traduits par mes soins.

Comment cette perte est-elle survenue ?

Dixit l’érudit anglican Burnett Hillman Streeter (doyen d’exégèse des Saintes Écritures à l’Université d’Oxford en 1932 & 1933 puis Prévôt du Queen’s College de cette même institution de 1933 à 1937) :
« Il n’est pas difficile de supposer que la copie originale de l’Évangile de Marc, qui fut écrit pour l’Église de Rome vers l’an 65 [ou plutôt avant l’an 62], perdit presque immédiatement sa conclusion. Les deux extrémités d’un rouleau sont toujours les plus exposées aux dommages ; le début encourt le plus grand risque, mais, dans un livre roulé par les deux extrémités, la conclusion n’est pas à l’abri. Dans le cas de Marc, il est inutile de spéculer sur la manière dont le dommage se produisit. À Rome, à l’époque de Néron, les chrétiens et leurs biens étaient victimes de divers ‹ accidents ›. L’auteur de l’Épître aux Hébreux, s’adressant à l’Église romaine, fait allusion à sa patiente endurance face à la ‹ spoliation de leurs biens › [Hé 10:34]. Il est tout à fait crédible que la petite bibliothèque de l’Église, conservée dans la maison d’un adhérent important, ait souffert d’un ‹ pogrom ›. » (The Four Gospels : A Study of Origins, MacMillan & Co., 1953, p. 338.)

Dixit l’érudit protestant Philip Wesley Comfort (professeur de grec et de N.T. dans plusieurs institutions d’enseignement supérieur en Illinois et en Caroline du Sud dans les décennies 1980 à 2010 ; éditeur en chef des ouvrages de références bibliques chez Tyndale House Publishers de 1984 à 2017 ; membre de l’équipe du International Greek New Testament Project (IGNTP) de ≈1990 à ≈2000 ; co-traducteur du N.T. de la New Living Translation (NLT) paru en 1996) :
« Dans l’Évangile de Marc, un paradigme est établi selon lequel chacune des prophéties de Jésus s’accomplit véritablement sous forme narrative. […] Ainsi, puisque Jésus avait annoncé qu’il verrait ses disciples en Galilée (14:28), la narration aurait dû dépeindre une apparition concrète de Christ ressuscité à ses disciples en Galilée.

Mais puisqu’il n’y a pas de tel compte rendu (même dans les additions [c-à-d les finales courte, longue et très longue]), plusieurs lecteurs pensent qu’une finale plus étendue fut perdue dans la transmission primitive de l’Évangile de Marc — probablement parce qu’elle était écrite sur la dernière page d’un codex en papyrus et fut arraché du reste du manuscrit. (Bien que Marc ait originalement été écrit sur un rouleau, lequel aurait préservé la dernière section roulé à l’intérieur, des copies de Marc en forme de codex auraient été utilisées dès la fin du Ier siècle ; voir Comfort, Encountering the Manuscripts, p. 27-40). Dans les deux scénarios, Marc 16 aurait été la dernière feuille. […] Ainsi imaginée, cette finale de Marc doit avoir été perdue très tôt après la composition de cet Évangile. […]

Après cela [c-à-d après 16:8], la narration de Marc aurait continué de relater, en toute vraisemblance, que Jésus apparut aux femmes (comme dans Matthieu et Jean), et que ces femmes – n’ayant plus peur – allèrent alors dire aux disciples ce qu’elles avaient vu. Cela aurait probablement été suivi par Jésus apparaissant à ses disciples à Jérusalem et en Galilée. C’est ça le modèle basique qui se trouve dans les autres Évangiles. Et puisque Marc fut probablement utilisé par les autres écrivains-évangélistes, la raison dicte que leur modèle narratif reflète l’œuvre originale de Marc. » (Commentary on Textual Additions to the New Testament, Kregel Academic, 2017, p. 57-58.)

De deux choses l’une : Soit l’original ou l’archétype de l’Évangile selon Marc fut écrit sur un rouleau de papyrus roulé par les deux bouts et le bout contenant Marc 16 fut endommagé (comme le suggère Streeter), soit l’original fut transcrit sur l’archétype en format de codex et la dernière page de ce codex contenant Marc 16 fut déchirée (comme l’envisage Comfort).

Ce qui est certain, c’est que cette perte accidentelle de la finale originale a dû survenir après que l’Évangile selon Marc ait été suffisamment distribué pour être utilisé par les évangélistes Matthieu et Luc (et peut-être aussi Jean), mais avant que cet Évangile soit suffisamment diffusé dans l’Église universelle pour que sa finale originale puisse survivre directement dans celui-ci.

L’Évangile selon Marc ayant été composé à Rome vers 60-61, l’Évangile selon Matthieu à Antioche vers 64-69, l’Évangile selon Luc à Rome vers 63, et l’Évangile selon Jean à Éphèse vers 65, la réunion de ces conditions ne fut sûrement pas très difficile, surtout si l’on considère que l’évangéliste Luc était natif d’Antioche et qu’Éphèse est à mi-chemin entre Antioche et Rome.

(Pour la datation et la géolocalisation ci-dessus, voir Collectif, Bible d’étude de la foi réformée, Éditions La Rochelle, 2024, p. 1810, 1874, 1922 et 2058 ; Daniel Wallace, “The Gospel of John”, Bible.org, 28 juillet 2004 ; Id., “John 5:2 and the Date of the Fourth Gospel”, Biblica, 71:2, 1990, p. 177-205.)

Certains chrétiens modernes pourraient être étonnés que l’Église primitive n’ait pas – dès la rédaction de l’Évangile selon Marc – immédiatement organisé un système de copiage ± industriel assurant la production massive standardisée de copies de cet écrit inspiré de manière à rendre impossible toute disparition d’un quelconque morceau de celui-ci. Une telle attente serait hélas naïve et anachronique. Outre le fait que la majorité des premiers chrétiens aurait été, à l’instar de leurs contemporains païens, illettrés, il faut savoir que la production livresque était extrêmement dispendieuse dans l’Antiquité gréco-romaine. Ainsi, on évalue que la production d’une seule copie manuscrite de 1 Corinthiens aurait coûté l’équivalent moderne de 2100 $ américains (ou 2875 $ canadiens ≃ 1850 €). Marc étant à peu près le double de la grosseur de 1 Corinthiens (11 300 mots grecs vs 6800 mots grecs), un seul manuscrit de Marc aurait coûté environ 5750 $ canadiens (ou 3700 €) ! Il existait donc des limitations économiques sérieuses à la copie systématique des écrits émanant des cercles apostoliques. Plus tôt on se situe dans le temps, plus modestes auraient été les ressources financières des communautés chrétiennes naissantes.

Marc 16 fut préservé par Matthieu 28 !

Dixit l’érudit baptiste Henri Blocher (doyen de la FLTÉ de Vaux-sur-Seine de 1986 à 1996 et professeur de théologie systématique à l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne de 1961 à 2016) :
« Comme le v. 8 finit très abruptement dans l’original […], plusieurs savants supposent qu’il y avait une suite qui s’est perdue, par détérioration du manuscrit qui contenait le texte original complet. […] Si cette hypothèse est exacte, il faut lire le texte de Marc comme interrompu accidentellement au v. 8. Il racontait peut-être comment les femmes n’ayant rien dit en chemin ont averti les disciples, etc. » (“L’accord des Évangiles et la résurrection (1)”, Évangile 21, 6 septembre 2021.)

Dixit l’érudit épiscopalien Peter Rodgers (professeur de N.T. au Fuller Theological Seminary à Sacramento en Californie) :
« Parmi les théories concernant la fin de l’Évangile de Marc, l’une d’entre elles propose qu’une dernière page ait été perdue au début de sa transmission. Cet article présente des preuves à l’appui de cette théorie. Matthieu semble suivre Marc de près jusqu’en 16:8, où notre Marc authentique s’arrête brusquement. On peut s’attendre à ce qu’il le fasse [c-à-d qu’il continue de suivre Marc] s’il a accès à la fin plus longue de Marc [c-à-d la portion authentique aujourd’hui perdue]. [P]lusieurs particularités du style de Marc […] apparaissent dans Matthieu 28:9-20. Celles-ci indiquent que Matthieu a suivi Marc lorsqu’il a remodelé l’Évangile à sa manière, mais que des traces distinctives de Marc ont survécu. » (“Mark’s Longer Ending”, Filología Neotestamentaria, 34:54, 2021, p. 99.)

Dixit l’érudit baptiste Edgar Goodspeed (professeur de grec à l’Université de Chicago de 1898 à 1937 où il fut aussi Président du Département d’études néotestamentaires et de littérature chrétienne antique dès 1923 ; co-traducteur du N.T. de la Revised Standard Version (RSV) paru en 1946) :
« Un bref récit, au minimum, de l’apparition de Jésus ressuscité à ses disciples en Galilée, tel qu’il a été expressément promis (16:7), est nécessaire à toute forme de complétude [de l’Évangile selon Marc], et il semble à tout point de vue naturel de supposer que le texte de Marc comprenait à l’origine une telle terminaison. […]

Matthieu […] a absorbé substantiellement tout ce que Marc comportait — avant 16:8, bien sûr. On peut raisonnablement s’attendre à ce que ce que Marc avait à l’origine après 16:8 apparaisse dans Matthieu, non pas entièrement dépourvu des enrichissements caractéristiques du premier Évangile, mais en aucun cas transformé au point d’être méconnaissable. […]

Dans la partie de Matthieu subséquente à son parallèle avec Marc 16:8, nous devons donc d’abord, et avec un grand espoir, chercher des traces de la conclusion originale de Marc. […] Cette partie de Matthieu est courte et simple. Marc 16:1-8 est parallèle à Matthieu 28:1-8, et ce qui reste dans Matthieu (28:9-20) ne présente que trois éléments. Le premier est l’apparition aux femmes (28:9-10) ; le deuxième [est] le soudoiement de la garde (28:11-15) ; le troisième [est] l’apparition de Jésus aux disciples en Galilée (28:16-20). Lequel de ces passages, s’il en est, peut avoir figuré dans la conclusion originale de Marc ?

Le premier [élément] d’entre eux se combine à Marc 16:8 d’une manière qui ne laisse rien à désirer : ‹ Elles sortirent du tombeau et s’enfuirent tremblantes et stupéfaites. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. › [Marc 16:8, NBS] ‹ Mais Jésus vint au-devant d’elles et leur dit : “Bonjour !” Elles s’approchèrent et lui saisirent les pieds en se prosternant devant lui. 10 Alors Jésus leur dit : “N’ayez pas peur ; allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront.” › [Matthieu 16:9-10, NBS]

Un tel récit a dû suivre le ‹ car elles avaient peur › de Marc 16:8 ; le ‹ n’ayez pas peur › de Matt. 28:9 correspond assez bien au ‹ avec crainte › de Matt. 28:8, mais [correspond] encore mieux avec le ‹ car elles avaient peur › de Marc 16:8. […] Matthieu ne peut avoir eu aucune [autre] source dans laquelle ses neuvième et dixième versets se trouvaient dans un cadre plus naturel – voire inévitable – que celui fourni par Marc. Ils sont précisément une continuation telle que la fin actuelle de Marc [aux v. 7-8] l’exige explicitement.

Le deuxième élément [v. 11-15] de cette dernière partie de Matthieu – le soudoiement de la garde – est d’une nature très différente. Non seulement il ne s’articule pas étroitement et naturellement avec le récit de Marc, mais il défie même tout effort en ce sens. Il s’agit simplement de la suite d’un incident déjà relaté par Matthieu, la mise en place de la garde (27:62-66). La familiarité avec [le début de] cet incident est nécessaire à la compréhension de [la suite de] celui-ci, et Marc, n’ayant pas le premier, n’avait sans doute pas non plus connu le second. […] Le second ne peut pas avoir été présent dans Marc sans le premier, et le premier est absent.

Le troisième et dernier élément de la conclusion de Matthieu est le récit de l’apparition de Jésus en Galilée (28:16-20). L’évangéliste l’a-t-il tiré de Marc ? Il est clair que le v. 16, le départ des onze vers la Galilée, suit facilement et naturellement le v. 10, où l’ordre de ce faire leur est donné : ‹ Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. › [Mt 28:10, NBS] ‹ Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus avait désignée. › [Mt 28:16, NBS] Si ces paroles de Jésus aux femmes figuraient jadis dans Marc, cette apparition en Galilée y figurait probablement aussi. [Cette] apparition galiléenne s’authentifie comme un matériau d’origine marcaine. C’est précisément cette apparition galiléenne qui avait été prédite par le jeune homme au tombeau (Marc 16:7).

La narration de Marc, lorsqu’elle s’interrompt à 16:8, ne demande évidemment que deux choses pour être complétée : le réconfort des femmes [+ le témoignage des femmes réconfortées aux autres disciples] et la réapparition de Jésus en Galilée. Matthieu rapporte ces deux éléments, et la conclusion semble inévitable qu’il les a tirés de sa principale source narrative, l’Évangile de Marc. Parmi les trois éléments présents dans Matthieu après 28:1-8, le premier et le troisième témoignent donc d’une origine marcaine et se présentent de manière extraordinaire comme des éléments intégraux et originaux du second Évangile.

Récapitulons les étapes de cette argumentation : (1) Depuis plus de 1600 [1900] ans, l’Évangile de Marc est dépourvu de sa conclusion originale, qui s’interrompt brusquement en 16:8. (2) Il est probable, et même presque certain, que lorsqu’il a premièrement été utilisé comme source par les autres synoptiques, ou du moins par l’un d’entre eux, il possédait encore sa conclusion. (3) En ce qui concerne la semaine de la Passion et les apparitions de la Résurrection, Matthieu montre une disposition évidente à reprendre tout ce que contient Marc, et cette tendance, qui l’a contrôlé [c-à-d caractérisé] si longuement, peut difficilement l’avoir abandonné à sept ou huit versets de la fin. (4) On peut donc légitimement s’attendre à ce que ce qui se trouvait dans la conclusion originale de Marc apparaisse dans la partie de Matthieu postérieure à 28:1-8 (le parallèle de Matthieu à Marc 16:1-8). (5) Ainsi considérée, la conclusion de Matthieu fournit deux éléments qui s’accordent si parfaitement avec le contexte de Marc, qui en atténuent si naturellement la brusquerie et qui en complètent si brièvement et si adéquatement la narration, qu’ils semblent davantage appropriés et originaux lorsqu’ils sont rattachés à Marc que dans leur position actuelle dans Matthieu [28:9-10 et 28:16-20] [cette dernière affirmation est une hyperbole, bien entendu]. » (Edgar Goodspeed, “The Original Conclusion of the Gospel of Mark”, American Journal of Theology, 9:3, 1905, p. 484-490.)

Dans cet ordre d’idées, la finale courte résulte plausiblement d’un essai de reconstitution du contenu disparu de la finale originale, fait par un chrétien privilégié mais non-inspiré – et n’ayant pas l’érudition synoptique d’Edgar Goodspeed ! – ayant connu cette finale authentique avant sa disparition mais n’en gardant qu’une mémoire approximative. C’est l’hypothèse que postule Robert Oliver Kevin dans “The Lost Ending of the Gospel According to Mark : A Criticism and a Reconstruction”, Journal of Biblical Literature, 45:2, 1926, p. 101-102. Cette finale courte a donc la valeur d’un commentaire biblique patristique *très* ancien (de source quasi-apostolique) sous forme de condensé historique.

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Début de 1 Jean 5 dans le N.T. réformé français imprimé par les Presses Valentior à Genève en 1551

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Aujourd’hui, certains défenseurs du “texte reçu” grec du Nouveau Testament (en général) et de l’addition non-johannique des trois témoins célestes dans 1 Jean 5:6-8 (en particulier) affirment que l’omission de cette variante textuelle ou l’expression de réserves quant à son authenticité (via des parenthèses, des crochets et des notes marginales ou infrapaginales) est – à l’exception des N.T. d’Érasme de 1516 & 1519 – essentiellement une innovation des « Bibles modernes » supposément bricolées par des éditeurs modernistes infréquentables. Le document consultable ci-dessous démontre que l’historique du traitement éditorial de cette variante est beaucoup plus nuancé que cela.

Document aussi accessible sur Calaméo ou en téléchargement direct ici.

Complément : L’inauthenticité de l’addition non-johannique est signalée dans la Bible de Zürich de 1531 (traduite par les réformateurs Ulrich Zwingli et Leo Judä) par sa réduction en toute petite fonte :

À noter que cette Bible ↑ publiée en Suisse alémanique fut non seulement la toute 1ère Bible réformée en langue allemande, mais carrément la 1ère Bible protestante allemande *complète* (la Bible de Luther *complète* n’ayant été publiée qu’en 1534).

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La “canonisation” de l’addition non-johannique dans les bibliologies protestantes

À l’origine, les premiers traducteurs, éditeurs et imprimeurs des Bibles protestantes actifs pendant la Réformation du XVIème siècle n’étaient guère complexés par cette réalité textuelle. Ils ne faisaient aucun secret de l’incertitude affectant la variante des trois témoins célestes de 1 Jean 5:6-8 et n’entretenaient aucun tabou à son égard. En fait, chronologiquement, cette interpolation pseudo-johannique a eu beaucoup de difficulté à s’imposer dans la bibliologie évangélique européenne.

Tel que le démontrent les extraits reproduits dans le document ci-dessus, dans le protestantisme francophone, cet ajout textuel ne s’imposa qu’à partir de 1553 (la période de sa remise en question s’étendit de 1535 à 1551, soit presque deux décennies). Dans le protestantisme anglophone, cet ajout textuel ne s’imposa qu’à partir de 1568 (son questionnement s’étala de 1534 à 1566, soit pendant plus que trois décennies). Dans le protestantisme germanophone, cet ajout textuel ne s’imposa qu’après 1620 (sa contestation s’échelonna ainsi de 1522 à 1620, elle dura donc carrément un siècle !).

Ce « triomphe » comparativement très tardif de l’addition non-johannique dans les milieux luthériens et réformés de langue allemande s’explique par le fait que le réformateur de Wittenberg en Saxe, Martin Luther (1483-1546), était ouvertement opposé à l’authenticité de cette addition. Ainsi, elle ne figure nullement dans sa traduction allemande du N.T. parue en 1522, ni dans sa traduction de la Bible complète parue en 1534, ni dans sa révision de la Bible entière parue en 1541 puis réimprimée de son vivant en 1542, 1543, 1544 et 1545.

Luther exprima son opposition à l’originalité de cette addition en ces termes : « Les livres grecs n’ont pas ces mots, et il semble que ce verset fut inséré par les catholiques à cause des ariens, mais pas avec justesse, car lorsque [l’apôtre] Jean parle des témoins, il parle de ceux qui sont sur la terre, et non de ceux qui sont dans le ciel. »  {Source : Martin Luther, Cours sur la 1ère Épître de Jean dispensé à l’Université de Wittenberg, 30 octobre 1527 (dix ans jour-pour-jour après la veille du déclenchement symbolique de la Réformation le 31 octobre 1517), reproduit dans Luther’s Works, Vol. 30, Concordia Publishing House, Saint-Louis (Missouri), 1959, p. 318.}

Les dernières Bibles allemandes à omettre totalement cette insertion pseudo-johannique furent publiées à Wittenberg et Hambourg en 1620. {Source : Ezra Abbot, ‹ 1 John v. 7 and Luther’s German Bible ›, 1888, p. 462.} Pourquoi Wittenberg ? Facile : c’est le berceau du luthéranisme. Mais pourquoi Hambourg ? Car c’est notamment là qu’un proche collaborateur de Luther, le réformateur poméranien Johannes Bugenhagen (1485-1558), un autre farouche opposant à l’addition non-johannique, exerça une partie de son ministère professoral et pastoral. Et surtout, pourquoi 1620 ? C’est l’année inaugurale d’une pénible décennie de débâcles politiques & militaires protestantes dans la Guerre de Trente ans, un conflit dont l’enjeu initial était rien de moins que la survie du protestantisme à l’échelle européenne.

En 1620, la Bohême protestante est écrasée à la Bataille de la Montagne Blanche. En 1621, l’« Union protestante » allemande du Saint-Empire – intimidée par les autorités impériales d’obédience papiste – se dissout formellement et le Haut-Palatinat calviniste est annexé par la Bavière catholique. En 1622, le Bas-Palatinat calviniste est conquis et pillé par l’armée de la Ligue catholique (chute des cités de Heidelberg puis de Mannheim). En 1623 et 1626, les protestants allemands sont encore battus à Stadtlohn (en Westphalie) et à Dessau-Roßlau (en Moyenne-Saxe). Entre-temps, le Siège de Bréda (au Brabant-Septentrional) en 1624-1625 se solde par une victoire catholique ; les conditions de capitulation de cette ville excluent la liberté de conscience des réformés. Toujours en 1626, les forces luthériennes de secours du Roi du Danemark (qui était aussi un prince « allemand » via sa possession du Duché de Holstein) sont défaites par la Ligue catholique à la Bataille de Lutter-am-Barenberge (en Basse-Saxe), suite à quoi le Danemark lui-même est envahi lorsque les troupes papistes impériales ravagent la péninsule du Jutland. En 1628, l’ultime défaite de l’armée danoise à la Bataille de Wolgast (en Poméranie) consolide la domination catholique en Europe centrale. En 1629, l’Empereur Ferdinand II de Habsbourg promulgue l’Édit de Restitution, obligeant les protestants du Saint-Empire à céder aux catholiques tous les bâtiments & terres ecclésiastiques qu’ils avaient acquis des cathos depuis 1552 ! En 1631, vingt mille civils protestants allemands sont massacrés par la soldatesque papiste à l’issue du Siège de Magdebourg.

J’avance l’hypothèse qu’au XVIIème siècle, la pression géopolitique, militaire et économique exercée par la Contre-Réforme catholique sur le protestantisme allemand assiégé et traumatisé a vraisemblablement eu des répercussions observables jusque dans sa bibliologie.

Cette hypothèse tient compte du fait que dans le contexte des hostilités inter-confessionnelles de cette époque, le front religieux n’était pas séparé du front politique & militaire. Dès 1604, pendant la montée des tensions préludant à la Guerre de Trente ans, le polémiste jésuite Nicolaus Serarius accusa les luthériens d’être des anti-trinitaires comme les musulmans ; puis en 1612 il reprocha à la Bible de Luther de rejeter l’addition non-johannique à l’instar des « nouveaux ariens ». De 1607 à 1610, le théologien capucin Lorenzo de Brindisi – un mandataire officiel de la Papauté à travers l’Europe ainsi qu’un ambassadeur officiel de la Ligue catholique et un aumônier de ses armées – insinua que Luther avait arraché l’addition non-johannique de sa Bible parce qu’il niait la Trinité. Les professeurs jésuites Adam Tanner (à Ingolstadt en Haute-Bavière) et James Sharpe (à Louvain au Brabant) lancèrent des attaques de la même teneur contre l’exclusion de cette variante dans la bibliologie luthérienne en 1613 et 1630, respectivement. {Source : Grantley McDonald, Raising the Ghost of Arius, thèse doctorale soutenue à l’Université de Leyde en Hollande, 2011, p. 166-170.}

Eut égard à cette conjoncture historique, il est vraisemblable de soutenir que les assauts répétés subis par les protestants germanophones dans la première moitié du XVIIème siècle les poussèrent à se souder et à éliminer cette divergence interne (l’absence ou présence de l’addition non-johannique) dans leur texte biblique imprimé afin que l’omission de cette variante cesse de servir de justification pour les agresser.

En fort contraste avec la situation ayant prévalu en Allemagne et en Suisse alémanique, le « triomphe » comparativement rapide de l’addition non-johannique dans la bibliologie protestante de langue française s’explique en bonne partie par le fait qu’au milieu du XVIème siècle, ses capitales intellectuelles étaient essentiellement cantonnées en Suisse romande (Genève, Lausanne, Neuchâtel). Cette concentration circonstancielle du leadership académique et de l’industrie de l’impression biblique fit en sorte qu’il était beaucoup plus facile d’y standardiser un texte commun.

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L’erreur typographique dans le “texte reçu” de 1550

Dans les discussions sur l'(in)authenticité de l’addition non-johannique des trois témoins célestes en 1 Jean 5:6-8, les tenants de l’authenticité font souvent appel à des arguments d’autorité en citant des affirmations d’une palette de « héros de la foi » (tels Jean Calvin, John Gill, Matthew Henry ou John Wesley) à l’effet que cette variante textuelle serait – contrairement à ce que ne cessent de prouver ses détracteurs – attestée par la vaste majorité des manuscrits grecs de la 1ère Épître de Jean.

Parmi les nombreux exemples d’affirmations pompeuses se rapportant à cette variante que l’on puisse dépoussiérer dans les annales de la bibliologie historique chrétienne, j’en citerai trois. La première affirmation est celle faite par Jean Calvin dans son commentaire français sur les épîtres canoniques de 1562 où il écrit que l’addition non-johannique « se trouve ès meilleurs exemplaires et plus corrects » :

« Tout ceci a été omis par aucuns [c-à-d par plusieurs …]. Mais d’autant que les livres grecs mêmes ne s’accordent pas l’un avec l’autre [sic], à grand’peine en ose-je rien affirmer [?!]. Toutefois pource que le fil du texte coule très-bien si ce membre y est ajouté, et je voie qu’il se trouve ès meilleurs exemplaires et plus corrects, de ma part je le reçois volontiers. » {Transcription de Max Engamarre (cf. note 57), orthographe légèrement modernisée par moi-même. Je cite l’édition française originale de 1562 parce que les rééditions faites par la Librairie Meyrueis en 1855 puis par les Éd. Labor & Fides en 1968 (réimprimée par les Éd. Kerygma et les Éd. Farel en 1992) contiennent une coquille.}

La 2ème affirmation grandiloquente (et gravement erronée) provient d’une note d’étude sur 1 Jean 5:7 dans la Bible réformée néerlandaise dite des États-Généraux (Statenbijbel ou Statenvertaling) de 1637, qui se lit comme suit :

« Ce verset, vu qu’il contient un témoignage très clair de la Sainte Trinité [sic], semble avoir été écarté de certaines copies par les ariens [sic], mais on le trouve dans presque toutes les copies grecques [!!!], et même dans beaucoup d’anciens et dignes docteurs qui vivaient avant l’époque des ariens [sic], et qui en ont tiré une preuve de la Sainte Trinité ; et l’opposition des témoins sur la terre, au verset 8, montre clairement que ce verset doit se trouver là, comme le montre aussi le 9ème verset, où il est parlé de ce témoignage de Dieu. » {Ma traduction française de la traduction anglaise diffusée par Christian McShaffrey sur un site de l’Alliance of Confessing Evangelicals.}

La 3ème affirmation qui me sert d’exemple se trouve dans la Bible David Martin 1707 (publiée à Amsterdam par ce pasteur réformé français réfugié aux Pays-Bas) — plus précisément dans sa Préface à 1 Jean (p. 404-405). Voici l’extrait pertinent que je reproduis avec son criant manque d’irénisme :

« L’hérésie antitrinitaire frémit à la vue de ce passage, qui est pour elle un coup de foudre dont elle sent bien la force, mais aussi il n’est rien qu’elle ne fasse pour le détourner & s’en garantir. Le principal moyen dont elle se sert pour cela, c’est de nier que ce passage soit de Saint Jean, & sous prétexte qu’il ne se trouve pas dans tous les anciens manuscrits de cette Épître, & que tous les Pères qui ont écrit anciennement contre l’hérésie d’Arius ne s’en sont point servis pour prouver la Divinité de Jésus-Christ. Les hérétiques d’aujourd’hui, qui ont renouvelé sous un autre nom l’impiété arienne, prétendent tirer de grands avantages de l’omission de ce texte dans plusieurs manuscrits, du silence de quelques Pères, & du Concile même de Nicée, qui ne l’ont point allégué sur les controverses de leur temps, pour en conclure [tel] qu’il est supposé. […] Car, pour pouvoir se servir raisonnablement d’une semblable réponse, il faudrait que le passage dont il s’agit ne se trouvât que dans un petit nombre de manuscrits, ou pour le moins dans des manuscrits modernes & de peu d’autorité, & qu’il eut été inconnu à toute l’Antiquité chrétienne. Au lieu qu’au contraire ce fameux passage se lit dans un grand nombre de manuscrits [Martin sous-entend ici des manuscrits grecs, puisqu’il invoque la Vulgate latine séparément plus loin], qui sont même des plus anciens, & qu’on le trouve cité dans des livres de la plus vénérable Antiquité ecclésiastique, qui sont tous sans comparaison plus anciens qu’aucun [c-à-d que plusieurs] des manuscrits où ce passage ne se trouve point, & de l’omission duquel les hérétiques modernes & quelques critiques trop audacieux prétendent tirer des conséquences ruineuses contre l’authenticité de ce texte. […] »

Ces allégations impétueuses et outrancières peuvent aisément nous laisser perplexes, voire abasourdis. Considérant que ZÉRO manuscrit biblique grec valable comme tel ne contient l’addition non-johannique des trois témoins célestes, comment expliquer que ces auteurs des XVI-XVIIIèmes siècles aient pu s’exprimer de manière aussi imprudente et présomptueuse ?

Notre réaction spontanée face à ce genre de fausseté flagrante pourrait être de n’y percevoir que de l’ignorance naïve ou de la mauvaise foi. Cependant, porter un tel jugement rapide sur nos précurseurs n’est pas entièrement satisfaisant pour apprécier la complexité de la réalité historique (bien qu’il soit indéniable que David Martin ait fait preuve d’entêtement et de véhémence immodérée).

Rappelons, pour replacer ce débat dans sa longue durée, que les réformateurs et leurs successeurs immédiats n’avaient accès qu’à une infime fraction de l’abondante masse d’informations à laquelle nous avons accès aujourd’hui. Par exemple, du vivant de Jean Calvin, moins d’une trentaine de manuscrits grecs du N.T. étaient recensés ! Du vivant des éditeurs de la Statenbijbel néerlandaise (milieu du XVIIème siècle), à peine une cinquantaine de manuscrits grecs du N.T. étaient vaguement catalogués. Pendant la période où œuvra David Martin (fl. 1663-1721), environ une maigre centaine de manuscrits grecs du N.T. étaient dûment répertoriés. Aujourd’hui, on en compte plus de 6000 !

Par ailleurs, comme l’explique Michael Marlowe, « entre le milieu du XVIème siècle et la fin du XVIIIème, presque personne ne ressentait le besoin de consulter les manuscrits, car les éditions du texte grec imprimées par Estienne étaient acceptées comme étant pratiquement équivalentes aux ‹ copies les plus approuvées › [ou ‹ les copies les plus fiables › selon le luthérien danois Niels Hemmingsen en 1569]. » Le phénomène de la paresse intellectuelle ne date pas d’hier matin. Or c’est justement une erreur typographique dans l’Editio Regia (le “texte reçu” grec édité par Robert Estienne en tant qu’imprimeur officiel du Roi de France à Paris en 1550) qui contribua tôt dans la Réformation à répandre l’idée fausse que l’addition non-johannique en 1 Jean 5:6-8 était excellemment attestée dans le corpus des manuscrits grecs du N.T.

Voici comment deux auteurs expliquent ce détour malencontreux de la philologie biblique occidentale :

La synthèse de J.P.P. Martin est aussi exacte qu’éloquente : L’imprimerie a fait oublier les manuscrits jusqu’au moment où l’on est revenu aux « originaux » (c’est-à-dire aux manuscrits grecs).

Voici l’extrait (annoté par moi-même) de la page 167 de l’Editio Regia de 1550 contenant l’addition non-johannique et la faute de typographie afférente :

Erreur de typographie dans le TR d’Estienne de 1550

C’est précisément cette erreur typographique qui conduisit divers intervenants du domaine de la bibliologie européenne à scander des énormités selon lesquelles la variante des trois témoins célestes « se trouve ès meilleurs exemplaires et plus corrects » (Calvin en 1562), qu’elle « [s]e trouve dans presque toutes les copies grecques » (la Statenbijbel en 1637), et que ces manuscrits fictifs « sont même » beaucoup « plus anciens » que les « manuscrits où ce passage ne se trouve point » (Martin en 1707). Mais ± cinq siècles plus tard, nous savons pertinemment que ce n’est pas le cas, et cette vérité est maintenant incontestable.

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Extrait de 1 Jean 5 dans le N.T. réformé français imprimé par Adam & Jean Riveriz à Genève en 1551    Une note marginale informe le lecteur huguenot que l’ajout non-johannique souffre d’un soutien manuscrit discutable

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L’addition non-johannique des trois témoins célestes en 1 Jean 5:6-8 (« …il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, la Parole, et le Saint-Esprit, et ces trois-là sont un… », Ostervald 1996) – aussi connue sous le vocable de comma johanneum (expression latine signifiant « petite clause de Jean » en français) – est à la fois l’un des traits textuels les plus distinctifs du “texte reçu” grec du Nouveau Testament et l’une des variantes textuelles les plus âprement débattues dans les discussions & disputes sur la transmission du texte biblique.

Le document ci-dessous est un condensé de renseignements historiques et philologiques sur cette interpolation pseudo-johannique des trois témoins célestes en 1 Jean 5:6-8. Il y est démontré, des façon très convaincante (à mon humble avis) que cette variante textuelle − quoique très mignonne – ne fait absolument pas partie du texte scripturaire authentique inspiré de la Première Épître de l’apôtre Jean fils de Zébédée. (Notez que la variante sous étude ne s’insère que dans les v. 7 & 8, mais l’inclusion du v. 6 dans la délimitation de ce lieu-variant est hautement pertinente car la formulation du v. 6 in fine dans la Vulgate confirme l’origine latine de cette insertion.)

Ce document est aussi accessible sur Calaméo et sur Issuu, ou en téléchargement direct ici.

Ce tableau fournit quelques renseignements supplémentaires sur les manuscrits néotestamentaires grecs attestant (de façon très médiocre) l’addition non-johannique en 1 Jean 5:6-8 :

Tableau des manuscrits grecs de 1 Jean 5:6-8 invoqués à l’appui de l’addition non-johannique des trois témoins célestes

La source du tableau-lui-même (pré-annotation) est Restitutio.org, mais l’auteur de ce site n’a que reproduit et formaté les informations venant de l’ouvrage de référence de Bruce Metzger et al., The Text of the New Testament, 4ème éd., Oxford University Press, 2005, p. 146-148. Les informations des annotations faites à la main proviennent de ces sources :

  • Bruce Metzger, Textual Commentary on the Greek New Testament, Alliance Biblique Universelle, 1971, p. 715-717.
  • Philip Comfort, New Testament Text and Translation Commentary, Tyndale House Publishers, 2008, p. 784-785.
  • Daniel Wallace et al., The Holy Bible : New English Translation (NET) – Full Notes Edition, Biblical Studies Press, 2019, p. 2342-2343.
  • De multiples articles des blogues Evangelical Textual Criticism et The Text of the Gospels, ainsi que du Center for the Study of New Testament Manuscripts (CSNTM).

À noter qu’en langue française, la source la plus pointue, rigoureuse et exhaustive sur cette controverse textuelle précise est le tome 5 de l’Introduction à la critique textuelle du Nouveau Testament de Paulin Martin (source qui est toutefois ardue à consulter vu son emploi d’un lettrage imitant l’écriture cursive à la main).

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Les mauvais arguments en faveur de l’authenticité de cette variante – ou à vrai dire de cette collection de variantes – auxquels je me confronte dans le document téléchargeable ci-dessus sont surtout ceux mobilisés dans cette série de prédications (parties 2 à 4). Le prédicateur (qui est mon ami et mon frère spirituel) s’était lui-même surtout basé sur des matériaux du pasteur baptiste arminien fondamentaliste David Cloud, du traducteur KJV-onlyiste (bibliolâtre) australien Nickolas Sayers, et d’un internaute évangélique anonyme américain écrivant sous le pseudonyme Berean Patriot.

Mes recherches aussi intensives que laborieuses ne m’ont pas menées vers les mêmes conclusions que ces messieurs. J’estime néanmoins avoir bénéficié spirituellement des prédications mentionnées ci-dessus parce que ce sont elles qui – en conjonction avec d’autres circonstances – m’ont poussées à m’instruire *beaucoup* sur l’histoire de la transmission textuelle de la Bible en 2022-2024 (et par extension, à rédiger la présente série d’articles sur la critique textuelle du N.T.). Au demeurant, ce prédicateur est le premier que j’ai ouï de ma vie qui ait eu l’audace de soulever l’enjeu primordial des variantes textuelles dans ses prédications ; pour ce seul fait, il mérite à mes yeux un « chapeau bas ».

Le présent article ne doit donc pas être interprété comme ayant pour but spécifique de réfuter ces prédications en particulier, et encore moins de discréditer ce prédicateur. J’ai (re)plongé dans l’étude exploratoire de la bibliologie parce que les questions entourant la fiabilité et la transmission des Écritures Saintes sont importantes pour ma foi personnelle. Ma seule intention en partageant cette documentation patiemment fouillée et minutieusement ficelée est de contribuer à l’intelligence du peuple chrétien (Osée 4:6, Éphésiens 4:23).

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Folio 67 verso du Codex Coridethi (Θ038) copié vers l’an 850, conservé au Centre national des manuscrits à Tbilissi en Géorgie, portant le texte de Mt 27:16-23  ✤  Cet oncial est l’un des principaux représentants du texte-type césaréen du N.T.

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En consultant le chapitre 27 de l’Évangile selon Matthieu dans la Nouvelle Bible Segond (NBS, 2002), nous pouvons lire ceci aux versets 16-17 :

« Ils avaient alors un prisonnier fameux, appelé Jésus-Barabbas. 17 Comme ils étaient rassemblés, Pilate leur dit : Lequel voulez-vous que je vous relâche, Jésus-Barabbas, ou Jésus qu’on appelle le Christ ? »

Vous remarquez sans doute le nom inhabituel donné à l’autre prisonnier que le Préfet & Procurateur de Judée, Ponce Pilate, propose de relâcher : « Jésus-Barabbas », plutôt que simplement « Barabbas ». Sur le plan de l’anthroponymie, il n’y a ici rien de suspect : Jésus – une contraction de Josué – était un nom assez répandu parmi les populations juives du bassin méditerranéen au Ier siècle, comme en témoignent la présence du mage « Elymas Bar-Jésus » (littéralement « Elymas fils de Jésus » en araméen) à Paphos sur l’île de Chypre (Actes 13:6-8) ainsi que de l’évangéliste « Jésus appelé Justus » dans l’Église locale chrétienne de Rome (Colossiens 4:11).

Là où le texte de Matthieu 27:16-17 dans la NBS est inhabituel, c’est parce que la plupart des traductions françaises de la Bible – tant protestantes que catholiques – ont ici « Barabbas » tout court, pas « Jésus-Barabbas » comme dans la NBS, la Bible en français courant (BFC, 1997), la Nouvelle français courant (NFC, 2019) ou la Parole de Vie (PDV, 2017).

Qu’est-ce qui explique cette curiosité ? La Bible du Semeur 2015 fournit un indice en note infrapaginale : « certains manuscrits ont Jésus-Barabbas ». Il s’agit donc d’une différence dans le texte-source qui est traduit, et non d’une différence dans la traduction elle-même. L’explication de Philip Comfort dans son Commentary on the Manuscripts and Text of the New Testament est plus substantielle : Cette variante textuelle (Jésus-Barrabas) ne se trouve que dans des manuscrits catégorisés parmi le texte-type césaréen du N.T (Kregel Academic, 2015, p. 173-174). C’est même la variante la mieux connue de ce texte-type, mais certainement pas la seule, comme nous le verrons ci-après.

En langue anglaise, l’une des multiples versions ayant également choisi de mettre « Jésus-Barabbas » en Matthieu 27:16-17 est la New English Translation (NET, 2019) — les principales autres sont la NAB (1970), la NEB (aussi 1970), la REB (1989), la NRSV (1989/2021) et surtout la fameuse NIV (1978/2011). Dans la Bible d’étude NET (dite Full Notes Edition), Daniel Wallace argumente que malgré le fait que les manuscrits attestant la variante « Jésus-Barabbas » ne soient pas les meilleurs (en termes de qualité et d’ancienneté) et soient relativement peu nombreux, il serait selon lui plus probable que des copistes chrétiens aient intentionnellement enlevé le mot « Jésus » dans le nom du malfaiteur Barabbas (par motif de piété dévote) qu’ils ne l’y aient intentionnellement ajouté puisqu’ils n’auraient eu aucun incitatif théologique pouvant motiver un tel ajout (NET-FNE, Biblical Studies Press, 2019, p. 1848).

Alors qu’en est-il réellement ? L’apôtre Matthieu a-t-il écrit, sous l’inspiration du Saint-Esprit, « Barabbas » ou « Jésus-Barabbas » avant « Jésus qu’on appelle le Christ » ?!

Dans un article publié récemment, le spécialiste de critique textuelle Dirk Jonkind (un protestant néerlandais) résout cette question. Tout d’abord, il observe qu’aucun manuscrit grec existant aujourd’hui portant la variante « Jésus-Barabbas » n’est antérieur au IXème siècle (oncial Θ038) ou au Xème siècle (oncial S028), ce qui est très tardif comparativement aux onciaux 01 et B02 (copiés vers 330), ainsi qu’aux onciaux A02, D05 et W032 (tous copiés vers 400), qui portent simplement « Jésus ». Ensuite, Jonkind épluche les extraits de commentaires exégétiques copiés en gloses marginales dans certains manuscrits bibliques (chaînes de scholia formant des catenae) évoquant cette variante (cela concerne ici une vingtaine de mss au total), et constate qu’elle existait tout de même dans certaines branches isolées de la littérature patristique remontant jusqu’au IIIème siècle. Pour expliquer cet étrange état de fait, Jonkind poursuit en reprenant les travaux d’un savant évangélique britannique du XIXème siècle, Samuel Prideaux Tregelles (1813-1875).

Il est plus aisé de comprendre l’origine de la variante « Jésus-Barabbas » en consultant Tregelles directement. Dans son Account of the Printed Text of the Greek New Testament (1854), cet érudit explique que cette petite corruption textuelle fut vraisemblablement causée par le fait que : {1} Dans les manuscrits primitifs du N.T. (comme dans l’ensemble des documents gréco-romains de la même époque), les textes étaient écrits sans espace entre les mots et sans ponctuation (pratique appelée scriptio continua). {2} Certains mots désignant des personnes divines ou importantes étaient écrits de manière abrégée et stylisée. Ces abréviations textuelles sont appelées au pluriel les nomina sacra (« noms sacrés » en latin ; au singulier nomen sacrum). {3} En Antiquité, la combinaison de la scriptio continua et de l’usage répété du nomen sacrum de « Jésus » (sigle ΙΣ ou ΙΥ avec une barre horizontale au-dessus) faisait en sorte que c’était très facile pour un scribe de générer la variante « Jésus-Barabbas » accidentellement, par dittographie. Ainsi s’exprime Tregelles (à la p. 195 de l’ouvrage susmentionné) :

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Renseignements sur le texte-type césaréen du N.T.

Le texte-type césaréen est clairement le texte-type le moins bien connu parmi les quatre textes-types du Nouveau Testament. À ma connaissance, c’est même le seul d’entre-eux qui ne dispose aujourd’hui d’aucun « partisan » dans l’arène tumultueuse des controverses bibliologiques. Pourtant, comme l’illustre le cas de « Jésus-Barabbas » étudié ci-dessus, des variantes textuelles d’origine césaréenne peuvent figurer dans le corps du texte d’une multitude de traductions néotestamentaires françaises et anglaises – protestantes, catholiques ou œcuméniques – produites ces 50+ dernières années. Il est donc pertinent de se documenter sur cette tradition manuscrite particulière. À cette fin, le document ci-dessous réunit des renseignements généraux sur ce type de texte puis identifie une douzaine de variantes distinctives césaréennes dans les Évangiles selon Matthieu et selon Marc.

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Extrait BnF ms latin 15177, folio 171 verso (Abbaye de Foigny, Aisne, c. 1176)    À l’instar des motifs sur cette enluminure, le soi-disant “texte reçu” du N.T. est parfois très… mélangé !

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En 2002, le libraire, prédicateur et professeur réformé baptiste suisse Jean-Marc Berthoud (envers lequel j’ai un profond respect et auquel je suis grandement redevable pour ma compréhension théocentrique du monde, bien que je ne soit pas d’accord avec lui 100 % du temps) s’exprimait en ces termes dans le N° 216 de la Revue réformée :

« [B]ien des passages de nos Bibles figurent entre crochets carrés, et les notes qui accompagnent ces crochets sont truffées d’indications selon lesquelles tel ou tel passage ne se trouverait pas dans ‹ les plus anciens manuscrits ›, ou encore qu’il ne figurerait pas dans ‹ les meilleurs manuscrits ›. Le lecteur qui, frappé par de telles indications, voudrait en savoir davantage, reste sur sa faim. »

Monsieur Berthoud a parfaitement raison d’observer que de telles notes élusives – que l’on retrouve dans la plupart des Bibles protestantes françaises modernes – sont très agaçantes et soulèvent davantage de questions qu’elles ne fournissent de réponses. Cette sorte de note marginale ou infrapaginale est souvent encore plus fuyante, étant fréquemment formulée dans un style lapidaire qui se réduit typiquement à « un manuscrit dit … », « des manuscrits ont … », « une version / traduction ancienne lit … », sans jamais identifier clairement les témoins textuels auxquels il est trop vaguement fait allusion.

Il convient de remarquer, toutefois, que contrairement à ce que semble sous-entendre J.-M. Berthoud (?), ce genre d’annotation ultra-succincte n’est guère une innovation des éditeurs bibliques des XXème-XXIème siècles. Hélas, cette pratique discutable prévaut dans la culture éditoriale du protestantisme depuis le début de la Réformation au XVIème siècle ! Et ceci n’est pas une invention protestante, parce que cette pratique existait déjà dans les scriptoria byzantins médiévaux ; les éditeurs évangéliques de l’époque de la Réformation n’ont fait que transférer dans leurs éditions grecques imprimées cette procédure qui était déjà observable dans les manuscrits grecs qu’ils avaient sous leurs yeux.

Par exemple, dans la fameuse Bible d’Olivétan de 1535 (la toute première Bible française traduite à partir de l’hébreu et du grec) consultable sur Gallica ou sur e-rara, une note marginale est adossée au texte de la péricope de la femme adultère en Jean 8:1-11 et énonce « cette histoire […] ne se trouve point en plusieurs exemplaires » (c-à-d pas dans plusieurs manuscrits) :

Concernant cette péricope non-authentique, voici ce qu’écrivit Théodore de Bèze en note infrapaginale de son N.T. grec de 1598 :

« Ce verset [Jean 7:53], et ce qui intervient jusqu’à [Jean 8:11], ne se trouve ni dans l’interprétation syriaque [c-à-d la Peshitta araméenne], ni dans Chrysostome, […] ni dans Théophylacte [d’Ohrid, † c. 1126]. En outre, Eusèbe, dans son Histoire ecclésiastique [§ 3:39:17, c. 312-313], dit ouvertement que cette histoire d’une femme adultère est relatée par un certain Papias [de Hiérapolis, † c. 130] qui disait qu’elle se trouvait dans l’Évangile selon les Hébreux ; mais aucune mention n’en est faite dans Nonnos [de Panopolis, c. 400-465]. Enfin, Jérôme témoigne dans son Dialogue contre les pélagiens [§ 2:17, c. 415-416] qu’elle n’est pas écrite dans certains manuscrits. Parmi nos dix-sept [sic] anciens codices, seulement un [le Codex Regius (L019)] ne l’a pas. Quant à moi, je ne cache pas que je considère à juste titre comme suspect ce que les anciens, avec un tel consensus, rejetaient ou ignoraient. Aussi, une telle variété dans la leçon [c-à-d la profusion des sous-variantes] me fait douter de la fidélité de l’ensemble de ce récit. Ensuite, ce qu’elle raconte de Jésus laissé seul avec une femme dans le Temple, ce n’est pas probable ; ce n’est pas cohérent avec ce qui suit au verset 12. La narration que Jésus écrivit avec son doigt sur le sol m’appert inédite et anormale, et je ne peux pas deviner comment cela pourrait être expliqué de manière suffisamment plausible. Enfin, une telle variété de leçons fait douter de la fiabilité de l’ensemble du récit [bis repetita placent]. Cette histoire doit être supprimée. […] »

On peut lire une note marginale d’une teneur similaire à côté de l’addition non-johannique des trois témoins célestes en 1 Jean 5:6-8 dans la Bible de Genève française imprimée par Jean Michel dans la cité de Calvin en 1544 (consultée sur e-rara) : « ceci […] n’est pas en plusieurs exemplaires »…

Idem dans la Bible de Genève française imprimée par Jean Girard en 1551 (aussi consultée sur e-rara) :

Ce type de signalement de variantes textuelles dans des notes marginales était également une pratique courante dans les Bibles protestantes anglaises de l’époque la Réformation ; les éditeurs anglophones justifiaient l’inclusion de ces annotations par motif d’honnêteté.

Ainsi, étant conscient de l’authenticité douteuse de Luc 17:36 (« Deux seront aux champs : l’un sera pris, et l’autre laissé », Martin 1707), William Wittingham relégua ce verset en note marginale (décalant donc la numérotation du v. 37 vers le bas) dans la célèbre Geneva Bible anglaise de 1560, la toute première Bible anglaise complète à adopter le système de subdivision en versets qu’elle emprunta à la Bible de Genève française de 1553 (subdivision depuis lors devenue universelle) :

Toujours concernant Luc 17:36, la King James Bible anglicane de 1611 (ci-après « KJB 1611 ») contient une note marginale informant le lecteur que « ce verset 36 est manquant dans la plupart des copies grecques » — il est présent dans le Codex Bezæ (D05), dans des mss césaréens ainsi que dans d’anciennes traductions latines et coptes :

Cette même KJB 1611 contient une note en marge de Luc 10:22 informant le lecteur que « plusieurs copies anciennes ajoutent les mots “Et se tournant vers ses disciples, il dit” » :

Cette clause supplémentaire insérée au début de Luc 10:22 est dans le Codex Alexandrinus (A02) et dans la majorité des manuscrits tardifs (𝕸), mais n’est pas dans le Papyrus 75 (datant de l’an ≈ 200) ni dans les codices Sinaïticus (01), Vaticanus (B03), Bezæ (D05), Regius (L019) et Zacynthius (Ξ040), ni dans l’onciale 070 (datant du VIème s.), ni dans le minuscule 33 (datant du IXème s.).

Similairement, dans Actes 25:6, la KJB 1611, qui lit « he had taried among them more than ten days », contient une note qui signale : « Or, as some copies read, “no more than eight or ten days”. »

À cet égard, une comparaison rapide d’Actes 25:6 dans différentes versions françaises basées sur le texte reçu (TR) grec permet d’apercevoir un demi-millénaire d’indécision :

  • À l’Épée 1540 : « plus de dix jours ».
  • Calvin 1560 : « que dix jours ».
  • Genève 1588 : « pas plus de dix jours ».
  • Martin 1707 : « pas […] plus de dix jours ».
  • Ostervald 1724 : « pas […] plus de dix jours ».
  • Ostervald 1996 : « que dix jours ».
  • Ostervald 2018 : « plus de dix jour ».
  • Synodale 1920 : « huit à dix jours seulement ».
  • LSG-SBT 1982 : « que huit à dix jours ».
  • Lausanne 1872 et 2022 : « plus de dix jours ».
  • KJF 2022 : « plus de dix jours ».

Qu’est-ce qui explique cet interminable va-et-vient ? C’est que la tradition textuelle byzantine est scindée en trois branches sur ce verset. Une branche du texte byzantin lit, conjointement avec le texte alexandrin, « que huit à dix jours » ou « pas plus de huit à dix jours » ; une deuxième branche du texte byzantin lit « plus de dix jours » (incluant le Codex Angelicus (L020) et le Codex Mutinensis (H014), deux onciaux du IXème s.) ; puis une troisième branche du texte byzantin lit « plus de huit jours » (Bible Segond 21 avec notes de référence, 2007, p. 1331 ; N.T. d’Albert Rilliet, 1858, p. 4 et 368 ; N.T. d’Edmond Stapfer, 1889, p. 25-26).

Autrement dit, il y a des variantes internes dans la masse des manuscrits du texte-type byzantin, et il y a des variantes internes dans le corpus des éditions imprimées du texte-type dit “reçu” ! Cette réalité concrète réfute sévèrement la prétention des partisans de l’exclusivité du TR qui plaident que l’adhésion inconditionnelle au TR est le dogme salutaire permettant d’éviter le « danger » posé par le filtrage des variantes textuelles manuscrites via un exercice diligent de critique textuelle.

Certaines de ces variantes textuelles intra-TR constituent des contradictions intestines criantes. Par exemple, dans la Geneva Bible anglaise de 1560, la variante retenue dans le texte principal lit « show me thy faith out of thy works », tandis que la variante placée en note marginale lit « or, “without works” » :

Même verset, KJB 1611, inversion de la hiérarchie des leçons : La variante promue au texte principal lit « show me thy faith without thy works » ; la variante rétrogradée au texte marginal lit « some copies read “by thy works” » !…

Malgré que les savants pro-TR ont déjà eu 500 ans pour se démêler, cette incompatibilité réciproque entre ces deux variantes intra-TR en Jacques 2:18 s’observe encore entre les récentes révisions de la Bible d’Ostervald (2018) et du N.T. de Lausanne (2022), qui énoncent respectivement « ta foi sans tes œuvres » versus « ta foi par tes œuvres ».

Un autre exemple flagrant de problème textuel intra-TR qui demeure irrésolu en ce début de XXIème siècle se trouve en Apocalypse 16:5, où Ostervald 2018 énonce « qui étais et qui seras », leçon qui est mutuellement incompatible avec Lausanne 2022 qui énonce « qui étais et le saint ». Si les tenants du TR veulent un jour purger leurs versions de ces incohérences, ils devront inévitablement s’astreindre à un travail de critique textuelle… et par cette démarche même, reconnaître que le TR n’est pas méthodologiquement supérieur aux autres textes néotestamentaires grecs académiques, eux aussi modelés par ce que l’on appelait jadis la critique sacrée.

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Tableau — Le TR contre le TR

Le tableau inséré dans le document ci-dessous présente un échantillon élargi d’une douzaine de variantes textuelles intrinsèques dans la tradition du textus receptus grec avec leurs correspondances dans des Bibles françaises basées sur cette tradition textuelle et – information qui n’est pas précisée dans la demie-douzaine d’exemples évoqués ci-dessus – l’indication précise des éditions-sources du TR grec où se retrouvent ces leçons disparates. Il va sans dire que le TR n’échappe pas à l’indispensable nécessité de la critique textuelle.

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Cas additionnels de variantes textuelles intra-TR

En Luc 2:33, les cinq éditions consécutives du TR d’Érasme de Rotterdam (1516, 1519, 1522, 1527 et 1535) se lisent toutes « son père et sa mère » (de Jésus). Cette lecture érasmienne est conforme au Papyrus 141 (datant de l’an ≈ 250), aux codices 01, B03, D05, L019 et W032, ainsi qu’à des mss césaréens, vieux-syriaques, coptes et latins. Cette leçon originale est reflétée dans la Bible d’Olivétan de 1535, la Bible à l’Épée de 1540, la Bible de Louvain de 1550 et les Bibles de Genève françaises de 1553 & 1560.

Toutefois, les éditions du TR de Robert Estienne (1550), de Théodore de Bèze (1598) et d’Isaac Elzévir (1624) se lisent toutes « Joseph et sa mère » (de Jésus). Cette altération se retrouve dans le codex A02 et les mss 𝕸, ainsi que dans des mss césaréens, syriaques et vieux-latins. Cette leçon falsifiée se répercute dans la Bible de Genève de 1588, la Bible Martin de 1707, la Bible de Lausanne de 1872, les Bibles d’Ostervald révisées de 1996 & 2018, etc.

Comme l’observait Érasme lui-même, cette interpolation s’explique par un excès de zèle de certains copistes ayant voulu insister sur la conception miraculeuse et la naissance virginale de Christ. Or la négation de la paternité de Joseph qui en résulte – en plus de générer une contradiction interne dans le sacro-saint “texte reçu” – contredit frontalement la révélation du Saint-Esprit qui, s’exprimant via l’évangéliste Luc, enseigne clairement que Joseph, sans être le géniteur charnel de Jésus, était bel et bien son père terrestre (Luc 2:41, 2:43, 2:48, 3:23 et 4:22 — malgré que divers scribes aient aussi modifiés le libellé de ces trois v. du ch. 2, les copistes byzantins n’ont pas osés le faire au v. 48, qui est justement le plus explicite).

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En 1 Jean 2:23, les TR grecs d’Estienne 1550 et Elzévir 1624 se lisent simplement « Si quelqu’un n’a pas le Fils, il n’a pas non plus le Père », et le verset s’arrête là. Ceci se reflète dans les Bibles TR françaises Olivétan 1535, Épée 1540, ainsi que Lausanne 1872 & 2022.

Mais dans les TR grecs de Bèze 1598 et Scrivener 1894, ce verset est deux fois plus long et se poursuit par une phrase supplémentaire qui se lit « celui qui se déclare publiquement pour le Fils a aussi le Père » (ou équivalent). Cela se reflète dans les Bibles TR françaises Calvin 1553 & 1560, Genève 1588, Martin 1707 & 1744, ainsi qu’Ostervald 1996 & 2018.

C’est donc ici encore une phrase entière qui est complètement absente dans certaines itérations du TR mais bien présente dans d’autres itérations du TR ! Cette embêtante réalité créa un dilemme pour les éditeurs bibliques des XVIIème-XVIIIème siècles. C’est pour cette raison que dans la KJB 1611, la seconde phrase est imprimée en caractères romains (tandis que le reste du texte est imprimé en caractères gothiques) afin de bien la distinguer et d’exprimer l’hésitation des éditeurs :

Dans la KJB révisée par Benjamin Blayney (parue en 1769), cette hésitation – et incidemment cette variante intra-TR – est exprimée par la mise en italique de la phrase concernée :

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En 1 Jean 3:16, les TR grecs d’Érasme 1516 à 1535, Estienne 1546 à 1551, Bèze 1565 et Elzévir 1624 & 1633 se lisent « il / lui / celui-ci a donné sa vie pour nous » (ou équivalent), ce qui se reflète dans les Bibles TR françaises Olivétan 1535, Épée 1540, Calvin 1553 & 1560, Castellion 1555, Genève 1588, Martin 1707 & 1744, Ostervald 1724, puis Lausanne 1872 & 2022.

Par contre, les TR grecs de Bèze 1582 à 1598 et Scrivener 1894 se lisent « Dieu a donné sa vie pour nous », ce qui se reflète dans les Bibles TR anglaises KJB 1611 puis Webster 1833. (Quant aux versions KJB 1769, Ostervald 1771 & 1996 & 2018, puis KJF 2022, elles gomment la divergence textuelle en ayant « Dieu a donné … » ou « Jésus-Christ a donné … » mais en mettant le(s) mot(s) spécieux en italique pour préciser qu’ils ne sont pas dans leur texte-source grec.)

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Dans son article A Critical Apparatus of the Textus Receptus Tradition, le professeur de langues bibliques Timothy Decker dénombre 82 variantes intra-TR dans les seuls trois chapitres du Sermon sur la Montagne (Matthieu 5 à 7), dont 32 variantes majeures ! Dans son article Which Textus Receptus ? A Critique of Confessional Bibliology, le docteur en herméneutique néotestamentaire Mike Ward analyse aussi d’autres variantes textuelles intra-TR traduisibles en 2 Corinthiens 11:10, 2 Thessaloniciens 2:4, Philémon 1:7, 1 Pierre 1:8, Jacques 5:12, 1 Jean 1:5, Apocalypse 7:10 et Apocalypse 11:2.

Dans une œuvre publiée en 1873 (et récemment réimprimée), Frederick Scrivener calcule que dans le processus de traduction du N.T. de la Bible du roi Jacques de 1611, lorsqu’il existait des contradictions entres les multiples éditions du TR auxquels ils avaient accès, les traducteurs anglicans ont choisis des variantes de Bèze contre Estienne 111 fois, des variantes d’Estienne contre Bèze 59 fois (dont 46 variantes traduisibles), et des variantes d’une source tierce (la Vulgate, Érasme ou la Complute) contre Estienne & Bèze 67 fois !

Pour conclure, il convient de citer l’article susmentionné du Dr Mike Ward où il synthétise la situation (aux p. 72-73) : « Les différences [internes au TR] ne sont pas aléatoires ou dénuées de sens ; elles ne sont pas l’équivalent de fautes de frappe. Elles donnent lieu à des traductions différentes — et quelqu’un doit choisir quelle variante du TR traduire et quelle exclure ou mettre en marge. Les traducteurs de la KJV ont dû le faire. Érasme a dû le faire. Tous ceux qui impriment un Nouveau Testament grec ou une traduction de la Bible doivent le faire. Le problème de la critique textuelle ne disparaîtra pas. […] Les positions pro-TR sont typiquement utilisées pour éliminer l’incertitude, pour obvier tout besoin pour les humains de ‹ s’asseoir en jugement › au-dessus du texte de l’Écriture. Mais cela ne fonctionne pas lorsque “le” TR n’est pas lui-même absolu [c-à-d que “le” texte du TR est incertain à cause des variantes intra-TR]. Et si des mots totalement différents sont des ‹ différences triviales › lorsqu’elles se produisent entre les [diverses éditions du] TR mais des ‹ corruptions › lorsqu’elles se produisent entre le TR et le TC [= Texte Critique], on peut se demander où se trouve la limite entre trivial et corrompu. »

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Deux pages de la Saincte Bible en françoys, traduite du latin par Lefèvre d’Étaples et imprimée par Martin Lempereur à Anvers (Brabant) en 1530, conservée à la Bibliothèque de la Southern Methodist University à Dallas (Texas)    La Vulgate latine exerça une influence profonde, quoique subtile, sur le “texte reçu”

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Dans les controverses bibliologiques qui opposent les adeptes du “texte reçu” aux tenants du texte dit alexandrin, les avocats du “texte reçu” ne manquent jamais d’alléguer contre leurs adversaires que leur texte détiendrait l’avantage quantitatif conféré par la volumineuse tradition manuscrite byzantine. Par exemple, la Préface de la Bible d’Ostervald révisée (BOR, 2018) traduite par une équipe dirigée par le pasteur baptiste arminien Mario Monette affirme fièrement que le soi-disant texte reçu « est la préservation fidèle des textes originaux et conforme à l’immense majorité des manuscrits qui existent. » (p. III).

Similairement, la Préface du N.T. de la Bible de Lausanne révisée (BLR, 2022) traduite par une équipe dirigée par le pasteur baptiste calviniste Timothy Ross déclare pompeusement, à propos du texte reçu, que : « [C]’est cette famille de manuscrits du Nouveau Testament que toutes les Églises [sic] ont reçue et utilisée depuis la plus haute antiquité [sic!]. Les manuscrits de cette famille représentent la vaste majorité des quelque cinq mille manuscrits existants. » (p. III).

Dans la même veine, une brochure diffusée par la Société Biblique Trinitaire (SBT, l’éditrice de la BLR susmentionnée) et qui lui sert de manifeste pro-TR, prétends ceci :

« Lorsqu’en 1516 le plus grand savant d’Europe, Érasme, publia la première édition [complète] du Nouveau Testament grec, il prit comme base des manuscrits byzantins typiques [sic]. […] Il s’avère qu’environ 90 % des manuscrits grecs [du N.T.] représentent le texte ‹ byzantin ›. […] ‹ N’oublions pas, écrit le Pr. Owen, que ce texte [reçu] si commun que nous utilisons a publiquement appartenu à de nombreuses générations… Qu’il soit tenu pour normatif, car c’est assurément son droit et son dû. › […] L’époque de la Réforme vit la publication de bon nombre de versions protestantes de la Bible. Les traducteurs appliquaient tous les mêmes principes : ils se fondaient sur le texte massorétique [pour l’A.T.] et sur le texte byzantin, ce ‹ texte reçu › préservé par la providence divine depuis les origines [sic], et accepté dans toutes les Églises réformées ; et ils serraient la langue originale au plus près, recherchant ‹ l’équivalence formelle ›. » (Malcom Watts, La Parole que donna le Seigneur, SBT, 2012, p. 25, 27 et 30).

Voilà donc le postulat erroné qui est supposé donner du crédit aux revendications des zélateurs du texte reçu : Le texte reçu serait identique au texte majoritaire. Or, c’est faux. Le texte reçu est très loin d’être identique au texte majoritaire ou adéquatement représentatif de celui-ci. Comme nous l’avons vu précédemment dans la présente série d’articles sur la critique textuelle du N.T., il existe plus d’un millier de différences textuelles traduisibles entre le texte reçu et le texte majoritaire ! Donc même si le texte reçu (TR) est, en général, *comparativement* plus proche du texte-type byzantin que ne l’est le texte-type dit alexandrin, ce TR ne se confond absolument pas avec le texte majoritaire (𝕸).

Et il y a une réalité assez croustillante qui découle de ce décalage substantiel entre le TR et le texte 𝕸 : Très fréquemment, le texte 𝕸 et le texte alexandrin s’accordent mutuellement et leur témoignage commun diverge du TR ! Les désaccords entre le texte 𝕸 et le TR font s’écrouler le château de cartes du narratif pro-TR ; les accords réciproques entre le texte 𝕸 et le texte alexandrin dispersent cet amas de cartes aux quatre vents.

Par exemple, en Matthieu 5:27, le texte alexandrin, attesté par le Papyrus 64/67 (copié vers l’an 150) – qui est simultanément le plus vieux manuscrit de l’Évangile selon Matthieu et le plus vieux fragment d’un livre (codex) conservé au monde (!) – ainsi que par 01 et B03, lit : « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère » (NBS). Cette lecture alexandrine est corroborée par le texte 𝕸 (cf. EMTV, WEB, BTV, MSB). Toutefois, le TR ajoute de manière illicite deux mots grecs non-inspirés et non-authentiques au milieu de ce verset, qui correspondent ici au texte en rouge : « … dit par les anciens : tu ne … » (BOR) ; « … dit aux anciens : tu ne … » (BLR).

Autre exemple : en Actes 24:6-8, dans le TR, il y a une grosse portion de texte non-original qui fut ajoutée (au texte révélé) et qui correspond ici au texte en rouge : « Et qui même a tenté de profaner le temple ; lequel nous avions saisi, et voulions le juger selon notre loi. 7 Mais le tribun Lysias étant survenu, l’a arraché de nos mains avec une grande violence, 8 En ordonnant à ses accusateurs de venir auprès de toi. Tu pourras apprendre toi-même de lui, en l’in­terrogeant, toutes les choses dont nous l’accusons » (BOR). Toute cette addition non-originale est absente d’au moins 55.3 % des manuscrits grecs d’Actes 24:6-8 ! À peine 16 % des mss contiennent une forme quelconque de cet ajout. Pire, cette variante, dans la forme exacte sous laquelle elle apparaît dans le TR (c-à-d cette sous-variante), n’est présente au mot-pour-mot que dans un très maigre 1 % des mss grecs d’Actes 24:6-8 (!), plus précisément dans le Codex Laudianus (E08), un ms diglotte gréco-latin où le texte latin a visiblement influencé le texte grec. Quant à la balance du 28.7 % des mss, ils contiennent d’autres développements textuels alternatifs. (Robert Boyd, The Text-Critical English New Testament – Byzantine Text Version, Lulu Press, 2021, p. 274 ; Albert Rilliet, Les livres du Nouveau Testament traduits pour la première fois d’après le texte grec le plus ancien, Joël Cherbuliez Libraire-Éditeur, 1858, p. 366.)

Il s’ensuit qu’en Actes 24:6-8, le texte alexandrin et le texte majoritaire se corroborent réciproquement et discréditent le TR qui tient son libellé davantage de la Vulgate latine que de l’héritage hellénique d’Antioche & Byzance. Cette sorte d’occurence, où une variante du TR provient de la Vulgate latine plutôt que du texte-type byzantin, est assez fréquent ; il s’observe aussi notamment en Actes 8:37, Actes 9:6, 2 Timothée 1:18, 1 Jean 5:7-8, Apocalypse 1:11, Apocalypse 16:5 et Apocalypse 22:19.

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Voici un document d’une quinzaine de pages regroupant un échantillon non-exhaustif d’environ 85 variantes textuelles supplémentaires réparties à travers l’ensemble du N.T. où le texte 𝕸 et le texte alexandrin se confirment mutuellement et où leur témoignage combiné contredit le TR, qui se retrouve démenti à la fois par les plus anciens manuscrits (avantage qualitatif) et par les plus nombreux manuscrits (avantage quantitatif) :

Document aussi accessible sur Calaméo et sur Issuu, ou en téléchargement direct ici.

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Folio 415 verso montrant le début du Livre des Actes des Apôtres dans le Codex Bezæ (D05) copié dans le Sud-Est de la Gaule vers l’an 400 et conservé à la Bibliothèque de l’Université de Cambridge (Angleterre) depuis 1581

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Un refrain que l’on entend souvent, dans les débats sur le thème des différentes versions de la Bible, est que certains mots ou certains passages seraient malicieusement « enlevés », « retirés » ou « supprimés » dans les traductions du Nouveau Testament qui ne sont pas basées sur le texte reçu (TR) grec.

Dans l’Anglosphère, certains militants évangéliques fondamentalistes érigent carrément de cette idée de « passages manquants » en cheval de bataille dans leurs parutions. Ainsi, les Chick Publications (l’éditeur des Chick Tracts populaires dans les décennies 1970 à 1990) vendent un livre intitulé Look What’s Missing! et deux DVDs intitulés Is Your Bible Missing Something? (volume 1 ; volume 2). Semblablement, le pasteur baptiste américain Scott Ingram (au Tennessee) vulgarise son mécontentement en ces termes : « Les érudits modernes pensent que nous avons perdu quelque chose que Dieu a dit que nous ne perdrions jamais [sic] et ils essayent de reconstruire un texte qui n’a jamais existé [sic] en supprimant l’équivalent de 1 & 2 Pierre de nos Nouveaux Testaments. »

En Francophonie, plusieurs tiennent ce même discours. Par exemple, la Préface du N.T. de la Bible de Lausanne révisée (BLR) – traduite par Timothy Ross, Philippe Lacombe et Marcel Longchamps et éditée par la Société Biblique Trinitaire (SBT) en 2022 – énonce : « Certaines traductions modernes omettent des versets entiers en suivant cette méthode [c-à-d en n’utilisant pas le TR comme texte de base]. Tout au long du Nouveau Testament, dans les traductions qui ont adopté cette méthode naturaliste [sic], il manque des mots et des parties de versets. » (p. IV).

Dans le manifeste officieux de cette SBT, on peut également lire ceci :

« Après avoir examiné Aleph [c-à-d le Codex Sinaïticus (01)], le Pr. F.H.A. Scrivener l’a déclaré ‹ mal écrit › et ‹ bourré de grossières erreurs de transcription ›, au point ‹ d’omettre des lignes entières de l’original ›. […] Il s’avère que beaucoup de passages manquent dans B[03] (Vaticanus) […] Force est de conclure que c’est le texte alexandrin qui est défectueux. On peut l’accuser d’avoir raccourci le texte byzantin. » (Malcom Watts, La Parole que donna le Seigneur, SBT, 2012, p. 28 et 30).

La Préface de la King James Française (KJF) traduite par Nadine Stratford et éditée par la First Bible Church de Staten Island (dans l’État de New York) en 2022 se fait l’écho de ces récriminations en se plaignant que « toutes les versions modernes anglaises » de la Bible contiennent de « nombreuses omissions et incohérences », et que « toutes les versions françaises » modernes de la Bible sont coupables de « ces mêmes omissions, outranciers changements et contradictions » (p. II).

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Tel que nous le constaterons dans le prochain article de la présente série sur la critique textuelle du N.T., un bon nombre des variantes textuelles caractéristiques du texte reçu sont des altérations illégitimes (comme la leçon « livre de vie » en Ap 22:19) ou des ajouts non-authentiques (comme l’addition des trois témoins célestes en 1 Jn 5:6-8) qui viennent tout droit de la Vulgate latine du Moyen Âge tardif. Pire, certaines variantes du TR furent carrément inventées par les créateurs du TR, comme la leçon « et qui seras » en Ap 16:5 in fine qui fut fabriquée de toutes pièces par Théodore de Bèze en 1588-1589.

Il n’y a pas de formule magique ou d’argument massue que l’on puisse invoquer pour résoudre d’un seul coup la totalité des problèmes textuels. Chaque cas est unique et requière sa propre analyse à tête reposée à la lumière du maximum de sources disponibles. Je ne prétendrai donc pas que c’est toujours le plus long texte qui soit le bon. Cependant, cela semble être la pensée des partisans du TR cités ci-dessus. Et cette pensée est très paradoxale, parce que le TR – ou plus généralement le texte-type byzantin – n’a pas toujours le plus long texte !

En effet, le texte-type occidental porte souvent un texte plus élaboré que le TR / texte byzantin. Les illustrations potentielles de ce phénomène abondent. Prenons, par exemple, Matthieu 25:1, qui se lit comme suit dans la Bible d’Ostervald : « Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent au-devant de l’époux. » (Mission baptiste Maranatha, 1996.) Mais dans le texte grec occidental, ce verset se lit plutôt comme suit : « Alors on comparera le Royaume des cieux à dix vierges qui, prenant leurs lampes, sortent à la rencontre de l’époux et de l’épouse. » (C.-B. Amphoux, L’Évangile selon Matthieu : Codex de Bèze, Éditions Le Bois d’Orion, 1996, p. 203.) Alors, qui est-ce qui supprime des parties de versets, maintenant ?!

Et il y a plus. En Matthieu 20:28, le texte reçu / byzantin se lit comme suit (Ostervald) : « Comme le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour plusieurs. » Toutefois, dans le texte occidental, ce verset contient trois phrases omises dans le texte byzantin : « Comme le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. Vous, vous cherchez à augmenter ce qui était petit et à diminuer ce qui était grand. Si vous entrez et êtes invités à dîner, n’occupez pas les places d’honneur, de peur qu’un autre plus digne que toi ne survienne et que le maître de table s’approchant ne te dise : “Mets-toi un peu plus bas”, et que tu en aies honte. Si tu occupes une place plus modeste et que survienne un autre plus modeste que toi, le maître de table te dira : “Place-toi un peu plus haut”, et cela te sera favorable. » (C.-B. Amphoux, op. cit., p. 169 et 254.) Si nous devions adopter le même genre de réaction impulsive que celui des activistes pro-TR à ce lieu-variant, nous pourrions nous exclamer : Ah ! Horreur et damnation ! Le texte reçu a retranché 61 mots grecs dans un seul verset de la Très-Sainte Parole de Dieu ! Quelle scandaleuse impiété !

Et il y a encore plus. *Beaucoup* plus. Voici ci-dessous quatre documents où l’on peut prendre connaissance de nombreux mots et passages présents dans les manuscrits du texte-type occidental mais absents des manuscrits du texte-type byzantin. (Pour la plupart de ces occurrences, les clauses concernées sont aussi absentes des manuscrits du texte-type dit alexandrin, mais ceci n’est pas problématique pour les adhérents du texte alexandrin puisqu’ils n’emploient pas les mêmes critères que les adhérents du texte reçu / byzantin pour évaluer les variantes.)

On m’excusera d’avoir utilisé des textes anglais pour la confection de la majeure partie de ces documents. Cela s’explique par le fait de larges pans du texte occidental sont aisément disponibles en ligne en traduction anglaise gratuite, tandis que le matériel équivalent est assez dispendieux en traduction française. Certes, les notes infrapaginales de la Bible d’étude NBS des Éditions Bibli’O fournissent maintes traductions des leçons occidentales, mais je ne l’ai réalisé qu’après avoir déjà complété le gros du travail (et de toutes façons ces notes n’identifient pas explicitement les témoins textuels cités, ce qui est plutôt malcommode).

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Titulature christique dans le Livre des Actes des Apôtres — Les lacunes du “texte reçu” :

Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.

Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 1 à 13 et 16 à 22) :

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Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 14 et 15) :

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Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 23 à 28) :

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Explications sur le texte-type occidental

Feu Neville Birdsall (1928-2005), qui fut un prédicateur baptiste britannique, un chargé de cours à l’Université de Leeds puis un professeur à l’Université de Birmingham pendant 25 ans où il occupa la chaire de critique textuelle du N.T., explique que « [d]ans les Actes, des modifications ont sans doute été faites pour des motifs littéraires ou par désir de vulgarisation. […] Le matériau que l’on appelait […] ‹ texte occidental › témoigne de la coexistence, dans des traditions spécifiques, de leçons anciennes avec des éléments de toute évidence secondaires. » (Grand Dictionnaire de la Bible, “Textes et versions”, Éditions Excelsis, 2010, p. 1663).

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Les citations suivantes, traduites (par moi-même) du Textual Commentary on the Greek New Testament de Bruce Metzger (Alliance Biblique Universelle, 1971, ci-après « TCGNT »), fournissent davantage de repères permettant de bien saisir la nature du texte-type occidental dans le Livre des Actes des Apôtres.

« Des érudits expliquent la forme distinctive du texte occidental [du Livre des Actes] comme étant due à de l’interpolation. Ils maintiennent que dans les âges primitifs de l’Église, le texte du Nouveau Testament [ou plus spécifiquement d’Actes, voir l’observation de F.F. Bruce ci-dessous] n’était pas [encore] vu comme étant sacré [c-à-d divinement inspiré], et donc les scribes estimaient avoir la liberté d’en modifier la forme ainsi que d’y incorporer toutes sortes de détails additionnels venant de la tradition orale. Ainsi, le texte occidental, selon cette explication, représente la croissance libre et incontrôlée du texte pendant les Ier et IIème siècles. » — Metzger, TCGNT, p. 264

« Il y a des variantes d’une autre sorte, qui est particulière au texte occidental d’Actes. Celles-ci incluent maintes additions, longues et courtes, dont la nature et la substance révèlent la main d’un réviseur. […] Le réviseur – qui était évidemment un érudit méticuleux et bien informé – élimina des manques de transitions [littéraires] et des écarts [narratifs] puis ajouta des détails historiques, biographiques et géographiques. Apparemment, le réviseur fit son travail à une date précoce [“vraisemblablement entre 120 et 150 ap. J.-C.” dixit R.P.C. Hanson, p. 266], avant que le texte d’Actes n’en soit venu à être regardé comme un texte sacré devant être préservé de manière inviolable. » — Metzger, TCGNT, p. 270

« Le point de vue qu’en général, le texte alexandrin préserve plus fidèlement l’œuvre de l’auteur original et que le texte occidental reflète l’œuvre d’un réviseur fut mis de l’avant avec beaucoup d’érudition par James Hardy Ropes, [lequel explique :] ‹ L’objectif du réviseur “occidental”, tel que montré par son œuvre, était l’amélioration littéraire et l’élaboration en accord avec son propre goût, qui était quelque peu différent de celui de l’auteur [c-à-d Luc l’Évangéliste]. Il visait à améliorer les connexions, à éliminer les inconsistances superficielles, à combler des petits écarts, et à fournir une narration plus complète et continue. Où cela était possible, il aimait introduire des points venant de passages parallèles ou similaires, ou à compléter les citations venant de l’Ancien Testament. Son style était spécialement caractérisé par l’accentuation littéraire [au moyen d’adjectifs et d’adverbes] et un usage plus abondant de lieux communs religieux. Son effort de fluidité, de complétude et d’emphase [observable] dans son expansion eut usuellement pour résultat un style plus faible, montrant souvent une sorte de super-abondance en énonçant expressément ce que tout lecteur aurait compris sans le supplément diluant du réviseur. › » — Metzger, TCGNT, p. 265

« Dans aucun de ces trois cas [variantes amélioratives non-distinctives, variantes amélioratives caractéristiques du texte-type occidental et variantes amélioratives propres au Codex Bezæ], le texte “occidental” ne conserve pour nous le texte original de ce Livre [des Actes]. [… Cependant,] certaines des informations incorporées dans certaines expansions occidentales peuvent très bien être factuellement exactes [c-à-d historiquement véridiques], quoique ne dérivant pas de l’auteur original d’Actes. » — Metzger, TCGNT, p. 271-272

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Concernant la thèse de la réception comparativement tardive (j’ai bien dit comparativement) des Actes des Apôtres dans l’Église primitive – ou si vous préférez, la compréhension comparativement tardive de sa canonicité (je ne réfère pas ici aux synodes & conciles des IVème-VIème siècles où fut actée la reconnaissance officielle du canon, mais à sa reconnaissance officieuse tacite survenue dès les Ier-IIIème siècles) – cette observation de Frederick Fyvie Bruce est pertinente pour situer chronologiquement l’origine du texte-type occidental d’Actes :

« Contrairement à la plupart des autres livres du N.T., les deux tomes de l’œuvre de Luc ne semblent pas avoir été écrits en relation étroite avec des Églises : ils n’étaient pas spécialement adressés à une communauté chrétienne et n’ont [initialement] pas circulé parmi les Églises. [… L]’œuvre de Luc fut [au départ] surtout diffusée dans les milieux païens pour lesquels elle avait d’ailleurs été rédigée. Il est donc possible qu’un certain temps se soit écoulé entre la date de sa première publication et son utilisation courante dans les Églises en tant qu’écrit chrétien faisant autorité. » (Grand Dictionnaire de la Bible, “Actes des Apôtres”, loc. cit., p. 20).

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Extrait facsimilé de la 2ème éd. du N.T. bilingue grec-latin d’Érasme de Rotterdam imprimé par Johann Froben à Bâle en 1519. Page de gauche : Lettre de recommandation de l’œuvre par le pape Léon X. Page de droite : Lettre de dédicace de l’œuvre au même souverain pontife. Ce « vicaire du Christ », qui excommunia Martin Luther en 1521, joua un rôle décisif dans la création du textus receptus, allant jusqu’à censurer les critiques d’Érasme !

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Le “texte standard” du Nouveau Testament est un ensemble d’éditions académiques du N.T. grec réalisées aux XIXème-XXIème siècles dont le contenu provient principalement (mais pas exclusivement) des manuscrits néotestamentaires grecs du texte-type alexandrin antique. Le “texte reçu” du Nouveau Testament est un ensemble d’éditions du N.T. grec réalisées aux XVIème-XIXème siècles dont le contenu est dérivé en partie des manuscrits néotestamentaires grecs du texte-type byzantin médiéval, en partie de la Vulgate latine médiévale tardive, et en partie des aléas circonstanciels de la Pré-Réforme catholique, de la Réformation protestante puis de la Contre-Réforme catholique.

Chacun de ces deux ensembles – le texte standard et le texte reçu – constituent des textes de base qui servent à leur tour pour la traduction du N.T. en langue vernaculaire (c’est-à-dire en français, anglais, allemand, néerlandais, etc.). Ainsi, il y a des Bibles françaises dont le N.T. est basé sur le texte standard (comme la famille des Bibles Louis Segond, ou les Bibles Darby, Jérusalem et Semeur), et aussi d’autres Bibles françaises dont le N.T. est basé sur le texte reçu (comme les Bibles Martin, Ostervald ou Lausanne).

Une accusation qui est souvent dirigée par certains gens qui préfèrent les Bibles basées sur le texte reçu contre les gens qui utilisent les Bibles basées sur le texte standard, est que ce texte standard remettrait en question des croyances centrales de la foi chrétienne telles que la compréhension orthodoxe (c’est-à-dire nicéenne & chalcédonienne) de la Trinité et de la divinité de Jésus-Christ. Par exemple, la Préface du N.T. de la Bible de Lausanne révisée (BLR, 2022) traduite par Timothy Ross et al. affirme :

« Les changements introduits par le texte critique [c-à-d le texte standard] touchent aussi aux doctrines fondamentales de la foi chrétienne. Rien que dans l’Évangile selon Matthieu, ce texte omet le nom ‹ Jésus › vingt-deux fois. La nouvelle méthode a également ressuscité des erreurs [sic] enterrées depuis des siècles dans une infime minorité de manuscrits. Ainsi la phrase ‹ Dieu a été manifesté en chair › (1 Timothée 3:16, Bible Martin et Bible de Lausanne) est devenue ‹ celui qui a été manifesté en chair › (1 Timothée 3:16, Segond). Cette dernière lecture qui porte atteinte à la doctrine de la divinité de Christ [sic!] est appuyée par moins de douze manuscrits sur les cinq mille existants [sic]. » (p. IV-V).

Le même genre d’attaque se retrouve également dans la brochure de Malcom Watts intitulée La Parole que donna le Seigneur – Histoire du texte biblique, publiée par la Société Biblique Trinitaire (SBT, qui est aussi l’éditrice de la BLR) en 2012 :

« Le texte de type alexandrin

[…] Ce type de texte est issu d’Alexandrie en Égypte [sic]. Nulle part les Écritures ne témoignent de la moindre présence apostolique dans cette région ; et l’histoire de l’Église révèle que bien des hérétiques notoires y résidèrent et y dispensèrent leurs enseignements, par exemple des gnostiques comme Basilide, Isidore, et Valentin. On doit considérer avec la plus grande prudence tout texte qui émane de cette région. […]
Les deux grands représentants de ce type de texte, les codex Aleph [01] (Sinaïticus) et B[03] (Vaticanus), sont de qualité particulièrement médiocre [sic]. […] Ces manuscrits principaux montrent à quel point ils sont corrompus […] on peut supposer que ces deux codex furent écartés à cause de leurs défauts […] on est en droit de penser que les premiers scribes doutaient de sa fidélité [du Codex Vaticanus]. Il se peut que les chrétiens orthodoxes des premiers siècles aient su que B[03] était corrompu […] les ‹ manuscrits les plus anciens › sont en fait les plus mauvais [sic]. » (p. 28-29).

Même rengaine dans la Préface de la King James Française (KJF, 2022) traduite par Nadine Stratford et publiée par la First Bible Church de Staten Island dans l’État de New York :

« Ces outranciers changements et édulcorations qui apparaissent dans les versions françaises de la Bible soulèvent des controverses et confusion. Ils vont même jusqu’à renier quelques-unes des doctrines fondamentales, telles que le salut par grâce par la foi en l’oeuvre achevée du Seigneur Jésus Christ, la Déité de Jésus Christ [sic], la naissance de Jésus Christ d’une vierge [sic], l’infaillibilité de la Bible [sic], l’omission du mot “sang” dans des douzaines de versets, pour ne citer que ces quelques erreurs majeures. » (p. II).

Bref, aux yeux de messieurs Ross et Watts, ainsi que de madame Stratford, le texte-type alexandrin antique, et par extension le texte standard moderne, sont des textes hérétiques anti-trinitaires. (S’ils hésitent à le dire explicitement, ils ne se gênent pas pour le sous-entendre implicitement dans le but de conduire leurs lecteurs à soupçonner les N.T. dérivant du texte standard d’être teintés par l’anti-trinitarisme.)

Mais est-ce vraiment le cas ? Les manuscrits grecs dits alexandrins et les Bibles françaises reflétant le texte grec standard rejettent-ils ou diminuent-ils véritablement la divinité et la majesté de Jésus-Christ ? Les tableaux comparatifs contenus dans le document ci-dessous prouvent que ce n’est absolument pas le cas ! Bien au contraire, dans une multitude de lieux-variants, le texte standard véhicule une christologie plus orthodoxe ou plus élevée que le texte reçu (qui fait même pâle figure en comparaison).

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La christologie du texte standard est souvent supérieure à la christologie du texte reçu

Document aussi accessible sur Calaméo et sur Issuu, ou en téléchargement direct ici.

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Les allégations ou insinuations d’hérésie anti-trinitaire reproduites ci-dessus n’ont donc aucun fondement théologique ou factuel. Elles peuvent et doivent par conséquent être qualifiées de calomnies et de médisances.

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« Ceux qui ont fait de nouvelles traductions du Nouveau Testament [aux XVIe-XVIIe siècles] sur le grec n’ont pas été tous exacts dans leurs versions, parce qu’ils n’ont consultés qu’un petit nombre d’éditions grecques [c-à-d le “texte reçu”] ; au lieu qu’ils doivent aussi consulter plusieurs exemplaires manuscrits qui fournissent un grand nombre de leçons [comme le font aujourd’hui ceux qui établissent le texte standard Nestle-Aland]. » — Richard Simon, Histoire critique du texte du N.T., 1689, p. 344

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