● ● ●
En 2002, le libraire, prédicateur et professeur réformé baptiste suisse Jean-Marc Berthoud (envers lequel j’ai un profond respect et auquel je suis grandement redevable pour ma compréhension théocentrique du monde, bien que je ne soit pas d’accord avec lui 100 % du temps) s’exprimait en ces termes dans le N° 216 de la Revue réformée :
« [B]ien des passages de nos Bibles figurent entre crochets carrés, et les notes qui accompagnent ces crochets sont truffées d’indications selon lesquelles tel ou tel passage ne se trouverait pas dans ‹ les plus anciens manuscrits ›, ou encore qu’il ne figurerait pas dans ‹ les meilleurs manuscrits ›. Le lecteur qui, frappé par de telles indications, voudrait en savoir davantage, reste sur sa faim. »
Monsieur Berthoud a parfaitement raison d’observer que de telles notes élusives – que l’on retrouve dans la plupart des Bibles protestantes françaises modernes – sont très agaçantes et soulèvent davantage de questions qu’elles ne fournissent de réponses. Cette sorte de note marginale ou infrapaginale est souvent encore plus fuyante, étant fréquemment formulée dans un style lapidaire qui se réduit typiquement à « un manuscrit dit … », « des manuscrits ont … », « une version / traduction ancienne lit … », sans jamais identifier clairement les témoins textuels auxquels il est trop vaguement fait allusion.
Il convient de remarquer, toutefois, que contrairement à ce que semble sous-entendre J.-M. Berthoud (?), ce genre d’annotation ultra-succincte n’est guère une innovation des éditeurs bibliques des XXème-XXIème siècles. Hélas, cette pratique discutable prévaut dans la culture éditoriale du protestantisme depuis le début de la Réformation au XVIème siècle ! Et ceci n’est pas une invention protestante, parce que cette pratique existait déjà dans les scriptoria byzantins médiévaux ; les éditeurs évangéliques de l’époque de la Réformation n’ont fait que transférer dans leurs éditions grecques imprimées cette procédure qui était déjà observable dans les manuscrits grecs qu’ils avaient sous leurs yeux.
Par exemple, dans la fameuse Bible d’Olivétan de 1535 (la toute première Bible française traduite à partir de l’hébreu et du grec) consultable sur Gallica ou sur e-rara, une note marginale est adossée au texte de la péricope de la femme adultère en Jean 8:1-11 et énonce « cette histoire […] ne se trouve point en plusieurs exemplaires » (c-à-d pas dans plusieurs manuscrits) :
Concernant cette péricope non-authentique, voici ce qu’écrivit Théodore de Bèze en note infrapaginale de son N.T. grec de 1598 :
« Ce verset [Jean 7:53], et ce qui intervient jusqu’à [Jean 8:11], ne se trouve ni dans l’interprétation syriaque [c-à-d la Peshitta araméenne], ni dans Chrysostome, […] ni dans Théophylacte [d’Ohrid, † c. 1126]. En outre, Eusèbe, dans son Histoire ecclésiastique [§ 3:39:17, c. 312-313], dit ouvertement que cette histoire d’une femme adultère est relatée par un certain Papias [de Hiérapolis, † c. 130] qui disait qu’elle se trouvait dans l’Évangile selon les Hébreux ; mais aucune mention n’en est faite dans Nonnos [de Panopolis, c. 400-465]. Enfin, Jérôme témoigne dans son Dialogue contre les pélagiens [§ 2:17, c. 415-416] qu’elle n’est pas écrite dans certains manuscrits. Parmi nos dix-sept [sic] anciens codices, seulement un [le Codex Regius (L019)] ne l’a pas. Quant à moi, je ne cache pas que je considère à juste titre comme suspect ce que les anciens, avec un tel consensus, rejetaient ou ignoraient. Aussi, une telle variété dans la leçon [c-à-d la profusion des sous-variantes] me fait douter de la fidélité de l’ensemble de ce récit. Ensuite, ce qu’elle raconte de Jésus laissé seul avec une femme dans le Temple, ce n’est pas probable ; ce n’est pas cohérent avec ce qui suit au verset 12. La narration que Jésus écrivit avec son doigt sur le sol m’appert inédite et anormale, et je ne peux pas deviner comment cela pourrait être expliqué de manière suffisamment plausible. Enfin, une telle variété de leçons fait douter de la fiabilité de l’ensemble du récit [bis repetita placent]. Cette histoire doit être supprimée. […] »
On peut lire une note marginale d’une teneur similaire à côté de l’addition non-johannique des trois témoins célestes en 1 Jean 5:6-8 dans la Bible de Genève française imprimée par Jean Michel dans la cité de Calvin en 1544 (consultée sur e-rara) : « ceci […] n’est pas en plusieurs exemplaires »…
Idem dans la Bible de Genève française imprimée par Jean Girard en 1551 (aussi consultée sur e-rara) :
Ce type de signalement de variantes textuelles dans des notes marginales était également une pratique courante dans les Bibles protestantes anglaises de l’époque la Réformation ; les éditeurs anglophones justifiaient l’inclusion de ces annotations par motif d’honnêteté.
Ainsi, étant conscient de l’authenticité douteuse de Luc 17:36 (« Deux seront aux champs : l’un sera pris, et l’autre laissé », Martin 1707), William Wittingham relégua ce verset en note marginale (décalant donc la numérotation du v. 37 vers le bas) dans la célèbre Geneva Bible anglaise de 1560, la toute première Bible anglaise complète à adopter le système de subdivision en versets qu’elle emprunta à la Bible de Genève française de 1553 (subdivision depuis lors devenue universelle) :
Toujours concernant Luc 17:36, la King James Bible anglicane de 1611 (ci-après « KJB 1611 ») contient une note marginale informant le lecteur que « ce verset 36 est manquant dans la plupart des copies grecques » — il est présent dans le Codex Bezæ (D05), dans des mss césaréens ainsi que dans d’anciennes traductions latines et coptes :
Cette même KJB 1611 contient une note en marge de Luc 10:22 informant le lecteur que « plusieurs copies anciennes ajoutent les mots “Et se tournant vers ses disciples, il dit” » :
Cette clause supplémentaire insérée au début de Luc 10:22 est dans le Codex Alexandrinus (A02) et dans la majorité des manuscrits tardifs (𝕸), mais n’est pas dans le Papyrus 75 (datant de l’an ≈ 200) ni dans les codices Sinaïticus (ℵ01), Vaticanus (B03), Bezæ (D05), Regius (L019) et Zacynthius (Ξ040), ni dans l’onciale 070 (datant du VIème s.), ni dans le minuscule 33 (datant du IXème s.).
Similairement, dans Actes 25:6, la KJB 1611, qui lit « he had taried among them more than ten days », contient une note qui signale : « Or, as some copies read, “no more than eight or ten days”. »
À cet égard, une comparaison rapide d’Actes 25:6 dans différentes versions françaises basées sur le texte reçu (TR) grec permet d’apercevoir un demi-millénaire d’indécision :
- À l’Épée 1540 : « plus de dix jours ».
- Calvin 1560 : « que dix jours ».
- Genève 1588 : « pas plus de dix jours ».
- Martin 1707 : « pas […] plus de dix jours ».
- Ostervald 1724 : « pas […] plus de dix jours ».
- Ostervald 1996 : « que dix jours ».
- Ostervald 2018 : « plus de dix jour ».
- Synodale 1920 : « huit à dix jours seulement ».
- LSG-SBT 1982 : « que huit à dix jours ».
- Lausanne 1872 et 2022 : « plus de dix jours ».
- KJF 2022 : « plus de dix jours ».
Qu’est-ce qui explique cet interminable va-et-vient ? C’est que la tradition textuelle byzantine est scindée en trois branches sur ce verset. Une branche du texte byzantin lit, conjointement avec le texte alexandrin, « que huit à dix jours » ou « pas plus de huit à dix jours » ; une deuxième branche du texte byzantin lit « plus de dix jours » (incluant le Codex Angelicus (L020) et le Codex Mutinensis (H014), deux onciaux du IXème s.) ; puis une troisième branche du texte byzantin lit « plus de huit jours » (Bible Segond 21 avec notes de référence, 2007, p. 1331 ; N.T. d’Albert Rilliet, 1858, p. 4 et 368 ; N.T. d’Edmond Stapfer, 1889, p. 25-26).
Autrement dit, il y a des variantes internes dans la masse des manuscrits du texte-type byzantin, et il y a des variantes internes dans le corpus des éditions imprimées du texte-type dit “reçu” ! Cette réalité concrète réfute sévèrement la prétention des partisans de l’exclusivité du TR qui plaident que l’adhésion inconditionnelle au TR est le dogme salutaire permettant d’éviter le « danger » posé par le filtrage des variantes textuelles manuscrites via un exercice diligent de critique textuelle.
Certaines de ces variantes textuelles intra-TR constituent des contradictions intestines criantes. Par exemple, dans la Geneva Bible anglaise de 1560, la variante retenue dans le texte principal lit « show me thy faith out of thy works », tandis que la variante placée en note marginale lit « or, “without works” » :
Même verset, KJB 1611, inversion de la hiérarchie des leçons : La variante promue au texte principal lit « show me thy faith without thy works » ; la variante rétrogradée au texte marginal lit « some copies read “by thy works” » !…
Malgré que les savants pro-TR ont déjà eu 500 ans pour se démêler, cette incompatibilité réciproque entre ces deux variantes intra-TR en Jacques 2:18 s’observe encore entre les récentes révisions de la Bible d’Ostervald (2018) et du N.T. de Lausanne (2022), qui énoncent respectivement « ta foi sans tes œuvres » versus « ta foi par tes œuvres ».
Un autre exemple flagrant de problème textuel intra-TR qui demeure irrésolu en ce début de XXIème siècle se trouve en Apocalypse 16:5, où Ostervald 2018 énonce « qui étais et qui seras », leçon qui est mutuellement incompatible avec Lausanne 2022 qui énonce « qui étais et le saint ». Si les tenants du TR veulent un jour purger leurs versions de ces incohérences, ils devront inévitablement s’astreindre à un travail de critique textuelle… et par cette démarche même, reconnaître que le TR n’est pas méthodologiquement supérieur aux autres textes néotestamentaires grecs académiques, eux aussi modelés par ce que l’on appelait jadis la critique sacrée.
● ● ●
Tableau — Le TR vs le TR
Le tableau inséré dans le document ci-dessous présente un échantillon élargi d’une douzaine de variantes textuelles intrinsèques dans la tradition du textus receptus grec avec leurs correspondances dans des Bibles françaises basées sur cette tradition textuelle et – information qui n’est pas précisée dans la demie-douzaine d’exemples évoqués ci-dessus – l’indication précise des éditions-sources du TR grec où se retrouvent ces leçons disparates. Il va sans dire que le TR n’échappe pas à l’indispensable nécessité de la critique textuelle.
Ce document est aussi accessible sur Calaméo ou en téléchargement direct ici.
● ● ●
Cas additionnels de variantes textuelles intra-TR
En Luc 2:33, les cinq éditions consécutives du TR d’Érasme de Rotterdam (1516, 1519, 1522, 1527 et 1535) se lisent toutes « son père et sa mère » (de Jésus). Cette lecture érasmienne est conforme au Papyrus 141 (datant de l’an ≈ 250), aux codices ℵ01, B03, D05, L019 et W032, ainsi qu’à des mss césaréens, vieux-syriaques, coptes et latins. Cette leçon originale est reflétée dans la Bible d’Olivétan de 1535, la Bible à l’Épée de 1540, la Bible de Louvain de 1550 et les Bibles de Genève françaises de 1553 & 1560.
Toutefois, les éditions du TR de Robert Estienne (1550), de Théodore de Bèze (1598) et d’Isaac Elzévir (1624) se lisent toutes « Joseph et sa mère » (de Jésus). Cette altération se retrouve dans le codex A02 et les mss 𝕸, ainsi que dans des mss césaréens, syriaques et vieux-latins. Cette leçon falsifiée se répercute dans la Bible de Genève de 1588, la Bible Martin de 1707, la Bible de Lausanne de 1872, les Bibles d’Ostervald révisées de 1996 & 2018, etc.
Comme l’observait Érasme lui-même, cette interpolation s’explique par un excès de zèle de certains copistes ayant voulu insister sur la conception miraculeuse et la naissance virginale de Christ. Or la négation de la paternité de Joseph qui en résulte – en plus de générer une contradiction interne dans le sacro-saint “texte reçu” – contredit frontalement la révélation du Saint-Esprit qui, s’exprimant via l’évangéliste Luc, enseigne clairement que Joseph, sans être le géniteur charnel de Jésus, était bel et bien son père terrestre (Luc 2:41, 2:43, 2:48, 3:23 et 4:22 — malgré que divers scribes aient aussi modifiés le libellé de ces trois v. du ch. 2, les copistes byzantins n’ont pas osés le faire au v. 48, qui est justement le plus explicite).
• • • • •
En 1 Jean 2:23, les TR grecs d’Estienne 1550 et Elzévir 1624 se lisent simplement « Si quelqu’un n’a pas le Fils, il n’a pas non plus le Père », et le verset s’arrête là. Ceci se reflète dans les Bibles TR françaises Olivétan 1535, Épée 1540, ainsi que Lausanne 1872 & 2022.
Mais dans les TR grecs de Bèze 1598 et Scrivener 1894, ce verset est deux fois plus long et se poursuit par une phrase supplémentaire qui se lit « celui qui se déclare publiquement pour le Fils a aussi le Père » (ou équivalent). Cela se reflète dans les Bibles TR françaises Calvin 1553 & 1560, Genève 1588, Martin 1707 & 1744, ainsi qu’Ostervald 1996 & 2018.
C’est donc ici encore une phrase entière qui est complètement absente dans certaines itérations du TR mais bien présente dans d’autres itérations du TR ! Cette embêtante réalité créa un dilemme pour les éditeurs bibliques des XVIIème-XVIIIème siècles. C’est pour cette raison que dans la KJB 1611, la seconde phrase est imprimée en caractères romains (tandis que le reste du texte est imprimé en caractères gothiques) afin de bien la distinguer et d’exprimer l’hésitation des éditeurs :
Dans la KJB révisée par Benjamin Blayney (parue en 1769), cette hésitation – et incidemment cette variante intra-TR – est exprimée par la mise en italique de la phrase concernée :
• • • • •
En 1 Jean 3:16, les TR grecs d’Érasme 1516 à 1535, Estienne 1546 à 1551, Bèze 1565 et Elzévir 1624 & 1633 se lisent « il / lui / celui-ci a donné sa vie pour nous » (ou équivalent), ce qui se reflète dans les Bibles TR françaises Olivétan 1535, Épée 1540, Calvin 1553 & 1560, Castellion 1555, Genève 1588, Martin 1707 & 1744, Ostervald 1724, puis Lausanne 1872 & 2022.
Par contre, les TR grecs de Bèze 1582 à 1598 et Scrivener 1894 se lisent « Dieu a donné sa vie pour nous », ce qui se reflète dans les Bibles TR anglaises KJB 1611 puis Webster 1833. (Quant aux versions KJB 1769, Ostervald 1771 & 1996 & 2018, puis KJF 2022, elles gomment la divergence textuelle en ayant « Dieu a donné … » ou « Jésus-Christ a donné … » mais en mettant le(s) mot(s) spécieux en italique pour préciser qu’ils ne sont pas dans leur texte-source grec.)
• • • • •
Dans son article A Critical Apparatus of the Textus Receptus Tradition, le professeur de langues bibliques Timothy Decker dénombre 82 variantes intra-TR dans les seuls trois chapitres du Sermon sur la Montagne (Matthieu 5 à 7), dont 32 variantes majeures ! Dans son article Which Textus Receptus ? A Critique of Confessional Bibliology, le docteur en herméneutique néotestamentaire Mike Ward analyse aussi d’autres variantes textuelles intra-TR traduisibles en 2 Corinthiens 11:10, 2 Thessaloniciens 2:4, Philémon 1:7, 1 Pierre 1:8, Jacques 5:12, 1 Jean 1:5, Apocalypse 7:10 et Apocalypse 11:2.
Dans une œuvre publiée en 1873 (et récemment réimprimée), Frederick Scrivener calcule que dans le processus de traduction du N.T. de la Bible du roi Jacques de 1611, lorsqu’il existait des contradictions entres les multiples éditions du TR auxquels ils avaient accès, les traducteurs anglicans ont choisis des variantes de Bèze contre Estienne 111 fois, des variantes d’Estienne contre Bèze 59 fois (dont 46 variantes traduisibles), et des variantes d’une source tierce (la Vulgate, Érasme ou la Complute) contre Estienne & Bèze 67 fois !
Pour conclure, il convient de citer l’article susmentionné du Dr Mike Ward où il synthétise la situation (aux p. 72-73) : « Les différences [internes au TR] ne sont pas aléatoires ou dénuées de sens ; elles ne sont pas l’équivalent de fautes de frappe. Elles donnent lieu à des traductions différentes — et quelqu’un doit choisir quelle variante du TR traduire et quelle exclure ou mettre en marge. Les traducteurs de la KJV ont dû le faire. Érasme a dû le faire. Tous ceux qui impriment un Nouveau Testament grec ou une traduction de la Bible doivent le faire. Le problème de la critique textuelle ne disparaîtra pas. […] Les positions pro-TR sont typiquement utilisées pour éliminer l’incertitude, pour obvier tout besoin pour les humains de ‹ s’asseoir en jugement › au-dessus du texte de l’Écriture. Mais cela ne fonctionne pas lorsque “le” TR n’est pas lui-même absolu [c-à-d que “le” texte du TR est incertain à cause des variantes intra-TR]. Et si des mots totalement différents sont des ‹ différences triviales › lorsqu’elles se produisent entre les [diverses éditions du] TR mais des ‹ corruptions › lorsqu’elles se produisent entre le TR et le TC [= Texte Critique], on peut se demander où se trouve la limite entre trivial et corrompu. »
À Tribonien Bracton
Cher Monsieur,
Dans la série d’articles sur la Présentation du texte byzantin ou majoritaire du N.T. et réfutation de sa supériorité, vous mentionnez dans votre dernier article du 25 mai 2024, le texte de Jean-Marc Berthoud – Faut-il avoir peur de la critique textuelle ? paru dans le N° 216 de la Revue réformée.
Étant le secrétaire de l’Association pour la publication et la diffusion des ouvrages de Jean-Marc Berthoud, je vous recommande eu égard à ce vous avez écrit sur la femme adultère en Jean 8 : 1-11, de vous procurer son livre L’Alliance de Dieu à travers l’Écriture Sainte, Tome II, où il traite de ce sujet à l’Annexe 2, Considérations sur les aberrations de la Critique textuelle Biblique. « Jésus-Christ et la femme prise en flagrant délit d’adultère, La péricope manquante, Jean 7 : 53 à 8 : 11 », pp., 517-533.
Ce livre peut être commandé sur le site Alliance, Loi et Évangile et sur Bibliothèque Réformée.
Un autre livre a vous conseiller est le livre récemment paru du même auteur sur le commentaire de L’Apocalypse de Jésus-Christ Volume IV — De la chute de Babylone la grande à la Jérusalem céleste — Aboutissement du Règne de Dieu, particulièrement le Chapitre 20.
Pour être informé des nouveautés vous pouvez nous communiquer votre adresse courriel qui figurera sur nos listes d’envoi.
Pierre Benoit
Bonjour monsieur Benoit,
Tout d’abord, cette série s’intitule simplement Critique textuelle du Nouveau Testament. L’étude Présentation du texte byzantin ou majoritaire du N.T. et réfutation de sa supériorité n’est que le 4ème article dans cette série.
Passons maintenant au vif du sujet de votre commentaire : L'(in)authenticité de la péricope de la femme adultère. J’ai lu très attentivement l’appendice que vous recommandez dans L’Alliance de Dieu à travers l’Écriture Sainte de J.M.B. (1ère éd. publiée chez L’Âge d’Homme en 2012, p. 435-448, qui appert être identique à la 2ème éd. publiée chez Messages en 2022).
À mon humble avis, eu égard à « toute l’évidence textuelle disponible » (dixit Berthoud, p. 444/529), la seule position qui rende pleinement compte de l’état des témoins textuels sur ce lieu-variant est que cette histoire d’une femme accusée d’adultère devant Jésus est probablement véritable sur le plan historique (excepté les invraisemblances soulevées par Théodore de Bèze) mais n’est certainement pas authentique sur le plan textuel/scripturaire (dans l’Évangile selon Jean).
Berthoud oublie ou néglige de tenir compte du fait que pas moins de trois papyri grecs de cet Évangile, P39, P66 et P75, datant de 175-225, ne contiennent pas cette péricope. Rappelons que les grands onciaux ℵ01 et B02, datant de ≈ 330, ne la contiennent pas non plus. L’oncial D04, datant de 400-425, est le plus vieux manuscrit néotestamentaire grec à contenir une forme quelconque de cette péricope. Il faut ensuite attendre trois siècles avant d’avoir un 2ème manuscrit qui l’atteste, à savoir l’oncial E07, datant de ≈ 750. Mais pendant tout ce temps il continue d’y avoir de multiples onciaux qui ne l’attestent pas, soit : A02 (≈ 400) ; W032 (≈ 400), C04 (≈ 450) ; T029 (≈ 450) ; N022 (≈ 550) ; 0211 (c. 650) ; L019 (≈ 750).
Je récapitule :
→ Période 175-330 : Cinq manuscrits l’omettent, zéro l’incluent.
→ Période 400-750 : Sept manuscrits l’omettent, deux l’incluent.
Pour la période 175-330 (ou antérieure), seuls deux témoins textuels non-manuscrits sont invoqués en faveur de l’authenticité : {1} Papias d’Hiérapolis (≈ 130) ; {2} Didascalie des apôtres (≈ 200-250). Or un examen rapide de ces deux sources permet de voir qu’aucune d’entre-elles ne se présente comme une citation explicite de l’Évangile selon Jean. Par conséquent, ces deux sources sotn en harmonie avec la thèse de l’historicité de l’épisode et de l’inauthenticité scripturaire de la péricope.
{1} Papias d’Hiérapolis. Le morceau pertinent concernant le récit de la femme pécheresse n’est même pas reproduit (en tant que citation) parmi les fragments de l’Explication des paroles du Seigneur de Papias qui sont conservés par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique (§ 3:39:3-16, cf. l’anthologie Les Pères apostoliques des Éditions du Cerf, p. 316-323). Ce morceau y est plutôt relaté sous forme de résumé (§ 3:39:17) ; voici donc la totalité de ce que nous avons de Papias là-dessus :
Voilà. Il n’est pas question du texte canonique de l’Évangile selon Jean, mais de l’Évangile selon les Hébreux ! En toute rigueur, cette source araméenne ne fait que relayer un élément de tradition orale sur le ministère terrestre de Christ, élément véridique mais non-inspiré qui fut plus tardivement inséré dans le texte inspiré de l’Évangile selon Jean.
{2} Didascalie des apôtres. Œuvre composée dans la 1ère moitié du IIIème siècle par un presbyte grec d’origine juive en Syrie septentrionale. Voici la totalité de ce que nous avons de la Didascalie là-dessus (traduction française de François Nau, Lethielleux Libraire-Éditeur, 1902, p. 46) :
Ici encore, il n’est guère question d’une citation explicite de la variante de la femme adultère telle que popularisée en Occident par la Vulgate latine et le texte reçu grec, mais de la simple narration d’un épisode historique qui présente plusieurs points de divergence avec la péricope classique.
Je me permets de conclure en faisant miens ces propos de Charles Spurgeon, qu’on accusera difficilement d’être un vilain libéral naturaliste moderniste occultiste…
« Au moyen de la meilleure et la plus honnête érudition qui puisse se trouver, nous désirons que la version commune [de la Bible] soit purgée de toutes les bévues des copistes, ou [de toutes] les additions de l’ignorance humaine ou de la connaissance humaine, afin que la Parole de Dieu puisse venir à nous comme si elle provenait de sa propre main [de Dieu]. Je concède que cela paraît être une chose pénible que de se départir de mots que nous pensions être une partie intégrante [des Écritures Saintes], mais puisqu’ils ne sont pas dans les copies les plus anciennes, il faut y renoncer. » (Prédication prononcée le 19 juin 1881, citée par Elijah Hixson, JETS, 5:3, 2014, p. 569.)
Cordialement,
Tribonien Bracton
··· Pro Rege ···