Celui qui étudie la théologie réformée / monarchomaque de résistance légitime peut parfois avoir l’impression que ces auteurs de pamphlets politiques étaient des penseurs isolés dans leur tour d’ivoire, sans influence substantielle. Or, la production littéraire du temps indique au contraire que les idées monarchomaques ont rapidement été reçues par la population réformée, que se l’est dûment appropriée. En témoigne, par exemple, le dialogue fictif composé par le Calviniste anonyme de Millau. Ce texte illustre merveilleusement la passion et l’état d’esprit combatif des huguenots français après le Massacre de la St-Barthélemy. Au paroxysme de la joute verbale, quand la Reine-Mère – Catherine de Médicis – dénigre le conseiller du Parlement de Toulouse (que les Provinces-Unies du Midi ont délégué à Paris pour faire connaître au roi Charles IX les cahiers dressés par l’Assemblée de Millau en 1573) en le traitant de « gens de petite qualité », le Calviniste anonyme fait répondre au délégué avec une verve rustre mais assurée :
« Dans ce royaume de France, il y a trois cent soixante villes de la religion [réformée] ; tellement, Madame, que la moindre d’icelles soutiendrait le camp du roi [serait capable de résister au siège] pendant dix jours ; joints aussi, madame, qu’il y a en France encore trois cent mille huguenots ou plus, portant les armes journellement pour leur défense ; vous assurant, Madame, que à c’t’heure, vous n’avez plus affaire avec un prince ou amiral ni autre grand seigneur, mais vous avez à faire avec de petits cadets ou pauvres gentilshommes ou avec un cordonnier, ou couturier, un maçon, un serrurier, méréchaus [?], et autres de petits états lesquels, Madame, ont grand plaisir de porter les armes et d’aller à la guerre. » (Janine Garrisson, Protestants du Midi, p. 209-210)
L’ébauche du Règlement des Provinces-Unies du Midi tel que provisoirement adopté par l’Assemblée politique de Réalmont (Tarn) puis de St-Antonin (Gers) à l’automne 1572 atteste également de l’acceptation populaire effective des principes monarchomaques. Ainsi, l’article premier de cette proto-constitution entérine la résistance armée contre les tyrans violateurs de la Loi divine :
« En attendant qu’il plaise à Dieu, qui a le cœur des rois en Sa main, de changer celui de notre tyran [Charles IX] et restituer l’État de la France en bon ordre ou susciter un prince voisin qui [se] soit manifesté par sa vertu et [ses] marques insignes ; […] on élira par voix et suffrages publics, en chaque ville ou cité que ceux de la religion réformée tiennent ou tiendront à l’avenir, un chef que l’on nommera Majeur pour y commander tant au fait de la guerre que pour leur défense et conservation que de la police, afin que tout soit fait par bon ordre. » (Ibid., p. 180)
L’article dix-neuvième promulgue quant à lui la condamnation des traitres à la collectivité et des anti-protestants. Le peuple peut traduire en justice devant le Conseil de ville « tous ceux soit de la noblesse ou autres chefs ou membres qu’ils penseront machiner, pratiquer, ou faire quelque chose contre le bien public de la religion et la défense commune du corps. » (Ibid., p. 181) On voit ici le lien étroit entre les dispositions monarchomaques et théonomistes.
L’article dernier est le plus fort : il prépare le renversement légal des tyrans illégitimes… « Si le mal est venu jusqu’au comble et que la volonté de Dieu soit de les exterminer [les tyrans anti-réformés], s’il plaisait à Dieu de susciter quelque chrétien vengeur des offenses et libérateur des affligés, qu’à celui-là ils [les réformés] se rendent sujets et obéissants comme à un Régent que Dieu à envoyé, et en attendant cette obtention, qu’ils se gouvernent par l’ordre ci-devant écrit en forme de loi. » (Ibid., p. 180)
Au rang des mesures pour les exactions de la soldatesque, l’article 31 prévoit ceci quant à la discipline militaire en rapport avec la population civile : « Quand on sera contraint de camper, si le soldat est instruit de se contenter de l’ordinaire du bonhomme avec toute modestie et crainte de Dieu et les lois militaires qui leur doivent servir de bride et de conduite. » Cette ordonnance fait écho aux efforts de Coligny pour régénérer moralement l’infanterie française.
Commenter cet article du Monarchomaque