J’avais assemblé puis publié, il y a un peu plus d’un, an un article intitulé L’orientation religieuse des Nazis. Voici une seconde compilation de renseignements pertinents sur ce chaud sujet.
1. Le combat de l’Église protestante contre le nazisme
Commençons par citer la Déclaration de Barmen, adoptée par des pasteurs protestants (réformés, luthériens et méthodistes) lors d’un synode clandestin réuni à Wuppertal en Rhénanie-du-Nord à la fin mai 1934. L’adoption de ce texte constitue l’acte fondateur de la Bekennende Kirche (l’« Église confessante ») d’Allemagne – un mouvement conservateur résistant antinazi – ainsi qu’un haut fait de la Kirchenkampf (« combat ecclésiastique »), le conflit ayant opposé l’Église confessante d’Allemagne aux Deutsche Christen (littéralement « chrétiens allemands ») puis à la Reichskirche (l’« Église du Reich »). Ces deux prolongements religieux pseudo-chrétiens du NSDAP prônaient rien de moins que la suppression de l’Ancien Testament et des Épîtres de Paul hors de la Bible :
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle, en plus et à côté de la seule Parole de Dieu, l’Église pourrait et devrait reconnaître d’autres événements et pouvoirs, personnalités et vérités, comme Révélation de Dieu et source de sa prédication.
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle il y aurait des domaines de notre vie dans lesquels nous n’appartiendrions pas à Jésus-Christ mais à d’autres seigneurs et dans lesquels nous n’aurions plus besoin de justification et de sanctification.
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Église pourrait abandonner le contenu de son message et son organisation à son propre bon plaisir ou aux courants successifs et changeants de convictions idéologiques et politiques.
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Église pourrait, en dehors de ce ministère, se donner ou se laisser donner un chef muni de pouvoirs dictatoriaux.
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’État devrait et pourrait, dépassant en cela les compétences de sa mission particulière, prétendre devenir l’ordre unique et total de toute la vie humaine et remplir ainsi jusqu’à la vocation même de l’Église. Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Église devrait et pourrait, dépassant en cela les compétences de sa mission particulière, s’approprier le caractère, les tâches et le prestige de l’État et devenir ainsi elle-même un organe de l’État.
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Église pourrait, en vertu d’un acte d’autonomie humaine, mettre la Parole et l’œuvre du Seigneur au service de désirs, de buts et de plans quelconques choisis de sa propre autorité.
VERBUM DEI MANET IN AETERNUM
(LA PAROLE DE DIEU DEMEURE POUR L’ÉTERNITÉ)
Référence ↑ : Déclaration de foi du Synode clandestin de Barmen [Église évangélique en Allemagne]
Le combat entre les nazis et l’Église confessante se durcit en 1936, lorsque les opposants publièrent un mémorandum condamnant l’idéologie et les pratiques du régime hitlérien, et réclamèrent la dissolution de la Gestapo ainsi que la fermeture des camps de concentration. Plusieurs dirigeants de l’Église confessante d’Allemagne, dont le pasteur Martin Niemöller, furent arrêtés en 1940. Niemöller fut déporté au camp de Sachsenhausen puis à Dachau. L’un de ses collaborateurs, Werner Sylten, un membre de l’Église confessante d’origine juive, fut arrêté en 1941, déporté à Dachau puis empoisonné. Des manifestations eurent lieu en Allemagne pour réclamer la libération de Niemöler ; en vain. Nombre de pasteurs « suspects » furent à leur tour expédiés sur le front, incarcérés dans les camps (sur le territoire allemand), ou tout simplement assassinés.
Après l’arrestation Niemöller, Theophil Wurm, évêque luthérien du Wurtemberg, prit sa succession à la tête de l’Église confessante d’Allemagne, et protesta à plusieurs reprises contre les crimes nazis. Cela, notamment en 1940 contre l’assassinat des invalides et des malades mentaux (Opération « T4 » – le programme d’euthanasie) ainsi qu’en 1941 contre la déportation des Juifs. Simultanément, le pasteur Heinrich Grüber, qui dirigeait le « Bureau Grüber » et apportait son soutien aux protestants d’origine juive en leur proposant une aide juridique et en les aidant à trouver un pays d’accueil, fut arrêté. Une poignée de chrétiens confessants continua de résister et tenta malgré tout de porter secours aux victimes. Certains, comme le théologien Dietrich Bonhoeffer et la diaconesse Marga Meusel, auront le courage de dénoncer le silence des « églises » nazifiées face à la tyrannie anti-chrétienne et génocidaire.
Références ↑ (via le forum L’embrasement du monde) :
- Max GEIGER, Der Deutsche Kirchenkampf (1933-1945), Zurich, E.V.Z. Verlag, 1965.
- Saul FRIEDLÄNDER, Kurt Gerstein ou l’ambiguïté du bien, Tournai, Éditions Casterman, 1967.
- Daniel Jonah GOLDHAGEN, Les bourreaux volontaires de Hitler, Paris, Éditions du Seuil, 1997.
Ressources supplémentaires :
- Hitler’s Evolution Versus Christian Resistance [Institute for Creation Research]
- Lutherans Against Hitler : The Untold Story [Concordia Publishing House]
- The Fabricated Luther : Refuting Nazi Connections and other Modern Myths [Concordia Publishing House]
Passons maintenant du côté catholique…
2. Le combat de l’Église catholique contre le nazisme
L’encyclique Mit Brennender Sorge
Le 14 mars 1937, Pie XI publie sa célèbre encyclique Mit Brennender Sorge, qui dénonce les erreurs doctrinales du nazisme. L’impact de ce texte est énorme : il est ressenti par les nazis comme une déclaration de guerre. C’est un événement sans précédent dans l’histoire de l’Église romaine.
Genèse du texte
Très tôt, des catholiques allemands tiennent informés le pape de la situation en Allemagne. Certains d’entre eux vont jusqu’à réclamer un texte officiel, telle Edith Stein qui envoie un message au Vatican dès 1933 dans lequel elle demande une encyclique. C’est également la demande formulée par Karl Leisner qui bénéficiera même d’une audience privée lors d’un de ses passages à Rome, en juin 1936. Les deux seront victimes des camps de concentration nazis quelques années plus tard. Cette demande est reprise en août 1936 par les évêques allemands réunis à Fulda, sur la tombe de l’apôtre du pays, saint Boniface. L’épiscopat allemand demande au pape de parler au sujet de l’Allemagne et des persécutions contre l’Église. Le concordat étant de vigueur, l’hésitation de certains évêques est palpable. Le cardinal Eugenio Pacelli [Secrétaire d’État du Vatican] décide alors d’organiser une réunion d’envergure afin de porter un coup sérieux au régime nazi : en février 1937, il réunit au Vatican le cardinal Bertram, le cardinal Schulte, Mgr von Preysing, Mgr von Galen et le cardinal Faulhaber. Il est décidé d’élever une protestation par la plus haute autorité de l’Église. Le cardinal Faulhaber prépare une esquisse du texte. Celle-ci est ensuite grandement revue, corrigée et complétée par le cardinal Pacelli, secondé par le Père Leiber. Le pape Pie XI reprend enfin le manuscrit qu’il signe.
Contenu
L’encyclique Mit Brennender Sorge commence par la dénonciation du non-respect du concordat. Mais elle est surtout une condamnation sans ambiguïté du racisme en tant que doctrine idolâtrique et démoniaque, s’opposant à celle catholique, donc universelle, de l’humanité. Pour l’Église, le nazisme se résume par le racisme, fondement de tout le reste et dont l’antisémitisme est une des composantes.
Quelques extraits
« Quiconque prend la race, ou le peuple, ou l’État, ou la forme de l’État, ou les dépositaires du pouvoir […] et les divinise dans un culte idolâtrique, celui-là renverse l’ordre des choses créé et ordonné par Dieu. »
« Il s’agit d’une véritable apostasie. Cette doctrine est contraire à la foi chrétienne. »
« Il est impossible qu’une chose soit utile si elle n’est pas en même temps moralement bonne. Et ce n’est point parce qu’elle est utile qu’elle est moralement bonne, mais parce qu’elle est moralement bonne qu’elle est utile. » (Pie XI reprenant les propos de Cicéron pour répondre à l’assertion nazie selon laquelle « le droit c’est l’utilité du peuple ».)
« Qui veut voir bannies de l’Église et de l’école l’histoire biblique et la sagesse des doctrines de l’Ancien Testament blasphème le Nom de Dieu, blasphème le plan de salut du Tout-Puissant, et érige une pensée humaine étroite et limitée en juge des desseins divins sur l’histoire du monde. »
Une condamnation radicale de la doctrine nazie
Une accusation récurrente est portée par certains journalistes et historiens de l’Église lorsque ce texte est invoqué pour la défense de Pie XI. Certes l’encyclique a bien été écrite en grande partie par le cardinal Pacelli, mais rien ne prouve qu’elle fût explicitement dirigée contre le nazisme : d’une part il n’est fait aucune mention du national-socialisme ; d’autre part elle n’évoque à aucun endroit la persécution dont les Juifs sont victimes.
Les deux arguments sont justes : il n’y a aucune trace du vocable « national-socialisme » et aucune condamnation de la persécution qui frappe les Juifs. Toutefois, affirmer que l’encyclique ne vise pas le nazisme est un raccourci ne prenant pas en compte nombre de données complémentaires qui ne laissent aucun doute sur la volonté de ses rédacteurs.
Ces données sont les suivantes :
- Les rédacteurs : cette encyclique est la résultante de différentes demandes, d’abord celle de religieux allemands comme Edith Stein et Karl Leisner, ensuite — et surtout — celle de la conférence épiscopale allemande qui a besoin d’un texte fort montrant la perversité de la doctrine national-socialiste. La réunion de préparation du texte rassemble le cardinal Pacelli, ses proches collaborateurs, ainsi que les cardinaux allemands et principaux évêques opposés au nazisme en Allemagne. C’est le cardinal Michael Faulhaber, celui que les nazis surnomment Juden Kardinal (« cardinal des Juifs »), qui écrira la première version de ce texte, reprise amplement par le cardinal Pacelli et Pie XI.
- C’est la première fois qu’une encyclique est publiée directement en langue vernaculaire, en l’occurrence en allemand, preuve indiscutable que les premiers destinataires sont les Allemands eux-mêmes.
- Cette encyclique est imprimée directement en Allemagne pour être lue conjointement dans toutes les églises du pays, le 21 mars 1937, lors de la messe des Rameaux.
Réactions en Allemagne
La réaction de Hitler fut paraît-il effroyable et la répression presque immédiate. Cette encyclique est ressentie par les nazis comme une déclaration de guerre. Il faut bien avoir à l’esprit que cette condamnation de la doctrine nazie a été lue en même temps dan quinze mille églises d’Allemagne ! En l’espace d’une journée, ce sont plusieurs millions d’Allemands qui prennent connaissance de l’accusation portée par l’Église sur l’idéologie national-socialiste.
Les nazis intensifient les exactions contre le clergé et contre tout ce qui participe à la diffusion d’information. L’objectif est clair : le Reich ne veut pas de réseau national capable de concurrencer le sien, et surtout pas un réseau de résistance spirituelle.
- La presse est bâillonnée, les imprimeurs traqués et victimes de discriminations. Ces derniers sont en effet accusés, selon les archives de la Gestapo, d’entretenir des sentiments nuisibles à l’État. Ces persécutions sont si dures que Mgr August von Galen réagit vivement par des protestations publiques et sans appel, au péril de sa vie.
- Le cardinal Faulhaber est publiquement insulté.
- Le jésuite Rupert Mayer est arrêté et incarcéré pour avoir osé commenter l’encyclique en chaire.
- Les évêchés de Rottenburg (Mgr Sproll), de Freiburg (Mgr Gröber) et de Munich (Cardinal Faulhaber) sont pillés par les Jeunesses hitlériennes.
- Les dernières organisations catholiques sont dissoutes.
La répression sera tellement violente, alors même que le nazisme n’a pas atteint son hégémonie, qu’il amènera le pape a faire preuve de prudence dans ses réactions, pour empêcher le redoublement des persécutions. Cette vision de Pie XII se confirmera par la suite, après l’affaire de la protestation publique des évêques hollandais qui accéléra et amplifia les déportations.
Référence : Jean SÉVILLIA, Historiquement correct – Pour en finir avec le passé unique, Paris, Éditions Perrin, 2003, p. 376 sur 455.
Le nouveau pape Pie XII [cardinal Eugenio Pacelli élu en 1939] était avant tout soucieux de rétablir le dialogue avec Berlin, même s’il maintenait des contacts avec l’opposition catholique allemande à Hitler. Dans cet esprit, le 11 mars 1940, il reçut Joachim von Ribbentrop (le Ministres des Affaires étrangères allemand) dans l’espoir de rétablir un concordat [celui de 1933 ayant été rendu nul par les rafles de prêtres lors de la Nuit de cristal de 1938]. Le ministre nazi lui indiqua que la condition primordiale d’un accord était que le clergé catholique « abandonnât en Allemagne tout genre d’activité politique ». Il n’était selon lui « pas normal » que le Führer ait dû assigner sept mille actions en justice contre des prêtres. Ribbentrop refusait d’autoriser la nonciature à faire des visites en Pologne.
[…]
À la suite de Mit Brennender Sorge, de nombreux curés allemands avaient été déportés, l’évêque de Rottenburg, dans le Wurtenberg, avait même été molesté et chassé de son diocèse.
[…]
Aussi le nonce Orsenigo ne cessait d’intervenir. En mars 1940, il demanda au Secrétaire d’État von Weizsäcker un droit de visite pour le camp de Sachenhausen où étaient enfermés des curés allemands. Il ne s’attendait pas à ce que s requête fut acceptée, mais il demandait que des prêtres « nommés par le gouvernement » fussent autorisés à assister les curés à l’article de la mort.
[…]
Au nonce qui s’inquiétait du nombre croissant de curés déportés, notamment à Dachau et à Oranienbourg, la réponse était invariable : seuls ont été arrêtés « ceux dont les activités étaient hostiles à l’État ». Sans jugement ni tribunal, sur simple décision de la Gestapo.
[…]
Un journal portugais se chargeait le 21 mars 1940 de faire connaître au monde que trois mille prêtres avaient été déportés, et que sept cent d’entre eux avaient trouvés la mort.
[…]
Le nonce Valerio Valeri, devant l’émotion d’une partie du clergé français, aurait rencontré le chef du gouvernement de Vichy, Pierre Laval. Celui-ci aurait répondu qu’il ne tolérerait pas l’immixtion de l’Église dans les affaires intérieures françaises. Il s’était déclaré indigné de la teneur de protestation [contre la déportation des Juifs] diffusé par l’archevêque de Toulouse, Mgr Saliège, de l’attitude des archevêques de Paris et de Lyon, et de Mgr Théas, évêque de Montauban. Les évêques de Nice, de Fréjus et de Monaco avaient aussi protesté comme les abbés de Lérins [Alpes-Maritimes] et de Frigolet [Provence].
[…]
Pierre Chaillet, le provincial des Jésuites de Lyon, est arrêté pour avoir caché quatre-vingt enfants juifs. Le père Victor Dillard meurt à Dachau pour voir protesté contre l’étoile jaune.
[…]
Pour mettre fin aux atrocités nazies, il faut une force armée venue de l’extérieur. Le pape n’y peut rien. […] Y a-t-il un plus grand mal que que l’extermination de tout un peuple ? Pour le pape, oui, c’est la disparition de l’Église, son éradication totale, telle que les Allemands l’ont pratiquée dans le Warthegau, la partie occidentale de la Pologne annexée au Reich.
Référence : Pierre MIQUEL, Les mensonges de l’Histoire, Paris, Éditions France Loisirs, 2002, p. 362-371.
En 1941, Pie XII refusa, en dépit des sollicitations de l’ambassadeur italien, de bénir la « croisade » antisoviétique [Opération Barbarossa] qui aurait fait de la guerre sur le front Est une lutte des chrétiens contre l’URSS. À la fin de 1941, on ne nourrissait du reste plus au Vatican aucune illusion sur le sort qui serait réservé à l’Église dans le cas d’une victoire nazie. Les conditions crées dans les territoires polonais annexés à l’Allemagne avaient été à juste titre interprétées par l’épiscopat allemand comme un avertissement pour l’avenir : l’Église était réduite à une association privée dont étaient exclus les moins de dix-huit ans ; les relations officielles avec l’extérieur lui étaient en outre interdites.
L’attaque contre l’Union soviétique fit cependant naître l’espoir d’une usure réciproque des deux ennemis de l’Église, le communisme et le nazisme. Mgr Tardini, l’un des plus proches collaborateurs de Pie XII, l’écrivit ouvertement à l’occasion de la venue au Vatican, en septembre 1941, de Myron Taylor, le représentant personnel du Président Roosevelt : l’idée était que « le communisme sorte défait et anéantit de la guerre et que le nazisme en sorte affaiblit et à vaincre ».
[…]
Eivind Bergavv, évêque luthérien de Norvège, est arrêté en 1942 pour s’être opposé à la politique collaborationniste de Vidkun Quisling. […] Le 17 février 1943, les évêques catholiques hollandais publièrent un texte pastoral contre la déportation des jeunes au travail forcé et contre l’assassinat des Juifs.
Référence : Giovanni MICCOLI, « Pie XII, Hitler et les Juifs », L’Histoire, N° 241, mars 2000, p. 43-44.
Voir aussi : With Bound Hands : A Jesuit in Nazi Germany [Open Library]
Dès 1931, l’épiscopat [catholique] allemand stigmatise le programme national-socialiste. En France, le cardinal Eugenio Pacelli prononce le 11 juillet 1937 un discours devant un auditoire de plusieurs milliers de pèlerins catholiques. Il fustige ces « chefs dangereux d’une nation puissante qui souhaitent lui inoculer l’idolâtrie de la race ». Le général Erich Ludendorff a d’ailleurs pu écrire : « La condamnation de la théorie [germanique] de la race a été au premier plan des visites de Pacelli en France, en 1935 et 1937. »
Les Nazis s’en prennent alors directement au Pape et à Mgr Pacelli : dans le journal Das Reich en 1937 : « Si Pie XI est un demi-juif [les Nazis prétendaient que sa mère était une juive hollandaise], Pacelli, lui, est un juif parfait ». Le journal SS Das schwarze Korps affirme le 24 novembre 1938 que le cardinal Pacelli « s’est allié à la cause de l’internationale juive et franc-maçonne » (sic !). Le 16 février 1939, la même publication qualifie Pie XI « d’ennemi juré du national-socialisme ». La chose est claire : les Nazis haïssaient Pie XI et le futur Pie XII, à cause de leur refus de l’antisémitisme.
Des 44 discours que le nonce Pacelli avait faits en territoire allemand entre 1917 et 1929, au moins 40 contenaient des attaques contre le germanisme et finalement contre le nazisme. Dans la seule avant-guerre, il signa soixante protestations contre les exactions nazies. Il soutint les propos anti-racistes des cardinaux de Paris, Milan, Malines et Lisbonne après la Nuit de cristal de novembre 1938. Il contraignit publiquement le cardinal de Vienne à revenir sur son approbation initiale de l’Anschluss. Nous ne trouvons guère d’équivalent chez les chefs d’État de cette période.
En octobre 1939, alors que la guerre a commencé, le nouveau pape Pie XII suit la ligne tracée par son prédécesseur, avec sa première encyclique Summi Pontificatus, au point que celle-ci est publiée en Allemagne de façon déformée. Les prêtres qui tentent d’en lire en chaire la version non censurée sont arrêtés. Un rapport secret du service de sûreté du Reich, daté du 9 janvier 1940, fait état de l’influence de l’encyclique sur les prêtres allemands : une partie d’entre eux se réjouirait si l’Allemagne perdait la guerre. Côté français, l’ambassadeur auprès du Saint-Siège, François Charles-Roux, écrit : « Tout ce que contenait ce document pontifical était pour nous combler d’une légitime satisfaction. Pie XII y prenait position de la manière la plus nette, du point de vue doctrinal, contre le nationalisme exacerbé, l’idolâtrie de l’État, le totalitarisme, le racisme, le culte de la force brutale, le mépris des engagements internationaux, contre toutes les caractéristiques du régime politique hitlérien. »
Dans son message de Noël 1940, il exprime publiquement sa joie « d’avoir pu aider un grand nombre de réfugiés, surtout des non-aryens ». Le message de 1941, qui déplore « le déshonneur porté à la dignité humaine, à la liberté et à la vie qui crie vengeance », est interdit en Belgique, en Hollande et ailleurs sur les ordres de Berlin. Le message est encore plus explicite le 25 décembre 1942 : il plaide pour « les centaines de milliers de personnes innocentes qui, par le seul fait de leur nation ou de leur race, ont été vouées à la mort par une progressive extermination ».
Pinhas Lapid, consul d’Israël à Milan pendant le pontificat de Pie XII déclarait : « Je peux affirmer que le Pape personnellement, le Saint-Siège, les nonces et toute l’Église catholique ont sauvé de 150 000 à 400 000 Juifs d’une mort certaine. » Auteur de Rome et les Juifs, Pinhas Lapid, après des enquêtes approfondies menées dans toute l’Europe et dans les archives de Jérusalem ainsi qu’auprès des survivants, aboutit finalement au chiffre de 800 000 Juifs sauvés grâce à Pie XII.
En Slovaquie
Tout d’abord les protestations du Saint-Siège n’étaient pas sans conséquence. Des documents attestent que grâce à elles des convois de déportés furent stoppés, des ordres rapportés. Par exemple, en Slovaquie, le 12 novembre 1941, une note du Pape est adressée à Karl Sidor, ministre slovaque : « C’est avec une peine profonde que le Saint-Siège a appris qu’en Slovaquie, pays dont presque toute la population honore les meilleures traditions catholiques, on a publié une ordonnance gouvernementale établissant une législation raciale particulière et contenant plusieurs dispositions qui sont en contradiction flagrante avec les principes catholiques ». En mars 1942, nouvelle protestation au gouvernement slovaque : « Le secrétariat d’État de Sa Sainteté espère que des mesures aussi pénibles et injustes que celles qui ont été prises contre des personnes appartenant à la race hébraïque, ne peuvent recevoir l’approbation d’un gouvernement qui s’enorgueillit de son héritage catholique. Le Saint-Siège négligerait son mandat divin s’il ne déplorait pas ces actes et ces mesures qui portent gravement atteinte aux droits de la personne humaine, simplement à cause de sa race. » Le 7 avril, le nonce ambassadeur du Saint-Siège, reçoit ces paroles du ministre slovaque Tuka : « Je ne comprends pas pourquoi vous voulez m’empêcher de débarrasser la Slovaquie des Juifs, cette bande de criminels et de bandits ». Le nonce lui répond alors : « Je ne considère pas comme criminels des milliers de femmes et d’enfants comme ceux qui ont été emmenés au cours des récentes déportations. » Deux jours plus tard le président slovaque exprimait ses regrets personnels au nonce pour « les paroles rudes du Premier ministre » et annula l’ordre de déportation de 4000 Juifs slovaques.
En Pologne
En Pologne, la cité de Niepokalanow, fondée par Maximilien Kolbe, est transformée en hôpital. En septembre 1940, le père Kolbe donne ses instructions à ses religieux Franciscains pour qu’ils accueillent les réfugiés qui se présenteraient aux portes de la petite cité. Dès les premiers mois, dix mille personnes expulsées de Posnanie sont accueillies, dont plusieurs centaines de Juifs. Ces derniers sont en majorité ceux qui ont refusé de souscrire aux déclarations raciales imposées par les lois nazies. Le père Maximilien veut qu’on ne fasse aucune discrimination et que tous soient traités avec la plus grande charité possible. Cela lui attira l’hostilité des autorités nazies. Maximilien Kolbe est mort en déportation au camp d’Auschwitz le 14 août 1941.
À Rome
Le Pape donne l’exemple quand Rome est occupée par les Allemands à partir du 8 septembre 1943. Le 20 septembre, le colonel SS convoque le grand Rabbin de Rome, Zolli, et le somme de fournir 50 kg d’or dans les 24 heures. La menace est claire : si l’or n’est pas fourni à temps, tous les Juifs résidant dans la capitale seront déportés. Le grand Rabbin ne parvient à en fournir que 35 kg. Mais Pie XII alerté fournit les 15 kg manquants alors même que les communautés religieuses catholiques les avaient déjà fournis de leur propre initiative ! Malgré cela une rafle a lieu le 16 octobre, à la suite de laquelle beaucoup de Juifs se retrouvent à la rue, craignant de rejoindre leurs domiciles consignés sur des listes noires. Le Vatican réagit. Dès la fin d’octobre, 180 lieux de refuge se trouvent disponibles à Rome, les deux principaux étant le Vatican qui a hébergé jusqu’à 400 Juifs à la fois, et la villa papale de Castel Gandolfo (15 000 réfugiés au total).
Source : Mouvement de la Jeunesse Catholique en France.
Consulter aussi cet article écrit par un docteur en histoire de l’Université du Louvain.
La propagande devait, dans l’Allemagne nazie, mener au culte excessif du Führer et ainsi le rendre l’égal d’un dieu. Effectivement, dans la cathédrale de Strasbourg en 1942, on plaça le buste d’Hitler sur l’autel, à la même place que le tabernacle et les hosties qui représentent le Christ. Les statues des saints ont été aussi remplacées par des divinités nordiques et des séides d’Hitler. Un puissant journal religieux hitlérien, le Durchbruch, publia des articles affichant clairement cette foi en leur chef. Un des ces articles allèrent jusqu’à affirmer qu’ils considèrent Hitler comme étant le rédempteur du peuple allemand et qu’ils remettent leur destin entre ses mains.
Source : Jean-Jacques WALTER, Les machines totalitaires, Paris, Denoël, 1982, p. 117 sur 243.
Une histoire théologique du national-socialisme
Fabrice Bouthillon publie Nazisme et Révolution : Histoire théologique du IIIe Reich, chez Fayard, une réflexion décapante sur les fondements politiques du mouvement des années 30 et 40. (…) Notre invité est historien, professeur à l’Université de Bretagne occidentale, spécialiste d’histoire religieuse, d’histoire contemporaine et des totalitarismes. Il renouvelle la réflexion sur le national-socialisme.
(…)
Il réitère l’exercice en situant l’origine du nazisme comme une part de l’héritage des Lumières et de la Révolution française qui scinda l’espace politique entre gauche et droite. L’idée, en soi, n’est pas nouvelle et renvoie à la responsabilité rousseauiste dans l’émergence des totalitarismes parallèlement à celle des régimes démocratiques modernes ayant mis à bas l’Ancien-Régime. Il n’y a encore pas si longtemps, Emmanuel Le Roy Ladurie écrivait dans son introduction au livre publié sous l’égide de l’Académie des Sciences morales et politiques (ASMP), Personnages et Caractères XVe-XXe siècles (édité conjointement par l’ASMP et les PUF en 2004) :
Mais de son côté, Bouthillon va plus loin en expliquant que l’histoire politique moderne se résume à une tentative de réconciliation des deux tendances formées par la coupure révolutionnaire entre la Gauche et la Droite. Hitler n’échappe pas à cette logique, formant comme une forme de centrisme par addition des extrêmes quand d’autres régimes — comme la République de Weimar constitue elle aussi une variation centriste mais, cette fois, par exclusion des extrêmes. La nouveauté de la thèse réside en partie dans l’affirmation de la composante d’extrême-gauche d’un mouvement généralement placé à l’extrême-droite uniquement.
Source : Canal Académie.
Merci beaucoup. On avait établi qu’Hitler avait obtenu les plus mauvais résultats électoraux dans les länder à plus forte proportion catholique.
À l’époque, globalement, les catholiques allemands étaient plus catholiques que les les protestants étaient protestants. Autrement dit, Hitler c’est fait élire par les länder les plus déchristianisés. Voyez ces chiffres de fréquentation ecclésiale fournis par F.G. Dreyfus…
Qu’est-ce qui explique cette débandade du protestantisme allemand ? Plusieurs choses à mon sens.
Premièrement, le prussianisme ; je m’explique. La Prusse médiévale catholique était contrôlée par l’État monastique des chevaliers Teutoniques, un État-Église où deux gouvernements distincts (étatique et ecclésiastique) institués par Dieu étaient fusionnés en un seul pouvoir. Bien que l’État teutonique en Prusse se soit convertit au protestantisme pendant la Réformation, cette mentalité autocratique et autoritaire est demeurée dans la culture, et elle poussa la monarchie prussienne à forcer les calvinistes et les luthériens à ne constituer qu’une seul corps administratif à partir de 1817, ce qui a diminué le dynamisme respectif de ces deux dénominations (en les obligeant à relativiser leurs spécificités doctrinales). Rappelons qu’à partir de 1815 la Prusse contrôle aussi la Poméranie, le Mecklembourg, le Brandebourg, la Silésie et la Rhénanie (bref la moitié de l’Allemagne !), puis à partir de 1870 d’autres territoires supplémentaires.
Deuxièmement, le libéralisme théologique, que l’on connaît bien dans sa forme classique (rejet des dogmes fondamentaux etc.), mais j’insiste aussi sur des aspects méconnus : le piétisme ainsi que la fausse théologie des deux royaumes qui établissent une séparation entre la vie chrétienne et les affaires de la cité (ce qui mène inexorablement à la déchristianisation).