J’avais assemblé puis publié, il y a un peu plus d’un, an un article intitulé L’orientation religieuse des Nazis. Voici une seconde compilation de renseignements pertinents sur ce chaud sujet.
1. Le combat de l’Église protestante contre le nazisme
Commençons par citer la Déclaration de Barmen, adoptée par des pasteurs protestants (réformés, luthériens et méthodistes) lors d’un synode clandestin réuni à Wuppertal en Rhénanie-du-Nord à la fin mai 1934. L’adoption de ce texte constitue l’acte fondateur de la Bekennende Kirche (l’« Église confessante ») d’Allemagne – un mouvement conservateur résistant antinazi – ainsi qu’un haut fait de la Kirchenkampf (« combat ecclésiastique »), le conflit ayant opposé l’Église confessante d’Allemagne aux Deutsche Christen (littéralement « chrétiens allemands ») puis à la Reichskirche (l’« Église du Reich »). Ces deux prolongements religieux pseudo-chrétiens du NSDAP prônaient rien de moins que la suppression de l’Ancien Testament et des Épîtres de Paul hors de la Bible :
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle, en plus et à côté de la seule Parole de Dieu, l’Église pourrait et devrait reconnaître d’autres événements et pouvoirs, personnalités et vérités, comme Révélation de Dieu et source de sa prédication.
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle il y aurait des domaines de notre vie dans lesquels nous n’appartiendrions pas à Jésus-Christ mais à d’autres seigneurs et dans lesquels nous n’aurions plus besoin de justification et de sanctification.
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Église pourrait abandonner le contenu de son message et son organisation à son propre bon plaisir ou aux courants successifs et changeants de convictions idéologiques et politiques.
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Église pourrait, en dehors de ce ministère, se donner ou se laisser donner un chef muni de pouvoirs dictatoriaux.
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’État devrait et pourrait, dépassant en cela les compétences de sa mission particulière, prétendre devenir l’ordre unique et total de toute la vie humaine et remplir ainsi jusqu’à la vocation même de l’Église. Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Église devrait et pourrait, dépassant en cela les compétences de sa mission particulière, s’approprier le caractère, les tâches et le prestige de l’État et devenir ainsi elle-même un organe de l’État.
- Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Église pourrait, en vertu d’un acte d’autonomie humaine, mettre la Parole et l’œuvre du Seigneur au service de désirs, de buts et de plans quelconques choisis de sa propre autorité.
VERBUM DEI MANET IN AETERNUM
(LA PAROLE DE DIEU DEMEURE POUR L’ÉTERNITÉ)
Référence ↑ : Déclaration de foi du Synode clandestin de Barmen [Église évangélique en Allemagne]
Le combat entre les nazis et l’Église confessante se durcit en 1936, lorsque les opposants publièrent un mémorandum condamnant l’idéologie et les pratiques du régime hitlérien, et réclamèrent la dissolution de la Gestapo ainsi que la fermeture des camps de concentration. Plusieurs dirigeants de l’Église confessante d’Allemagne, dont le pasteur Martin Niemöller, furent arrêtés en 1940. Niemöller fut déporté au camp de Sachsenhausen puis à Dachau. L’un de ses collaborateurs, Werner Sylten, un membre de l’Église confessante d’origine juive, fut arrêté en 1941, déporté à Dachau puis empoisonné. Des manifestations eurent lieu en Allemagne pour réclamer la libération de Niemöler ; en vain. Nombre de pasteurs « suspects » furent à leur tour expédiés sur le front, incarcérés dans les camps (sur le territoire allemand), ou tout simplement assassinés.
Après l’arrestation Niemöller, Theophil Wurm, évêque luthérien du Wurtemberg, prit sa succession à la tête de l’Église confessante d’Allemagne, et protesta à plusieurs reprises contre les crimes nazis. Cela, notamment en 1940 contre l’assassinat des invalides et des malades mentaux (Opération « T4 » – le programme d’euthanasie) ainsi qu’en 1941 contre la déportation des Juifs. Simultanément, le pasteur Heinrich Grüber, qui dirigeait le « Bureau Grüber » et apportait son soutien aux protestants d’origine juive en leur proposant une aide juridique et en les aidant à trouver un pays d’accueil, fut arrêté. Une poignée de chrétiens confessants continua de résister et tenta malgré tout de porter secours aux victimes. Certains, comme le théologien Dietrich Bonhoeffer et la diaconesse Marga Meusel, auront le courage de dénoncer le silence des « églises » nazifiées face à la tyrannie anti-chrétienne et génocidaire.
Références ↑ (via le forum L’embrasement du monde) :
- Max GEIGER, Der Deutsche Kirchenkampf (1933-1945), Zurich, E.V.Z. Verlag, 1965.
- Saul FRIEDLÄNDER, Kurt Gerstein ou l’ambiguïté du bien, Tournai, Éditions Casterman, 1967.
- Daniel Jonah GOLDHAGEN, Les bourreaux volontaires de Hitler, Paris, Éditions du Seuil, 1997.
Ressources supplémentaires :
- Hitler’s Evolution Versus Christian Resistance [Institute for Creation Research]
- Lutherans Against Hitler : The Untold Story [Concordia Publishing House]
- The Fabricated Luther : Refuting Nazi Connections and other Modern Myths [Concordia Publishing House]
Passons maintenant du côté catholique…
2. Le combat de l’Église catholique contre le nazisme
L’encyclique Mit Brennender Sorge
Le 14 mars 1937, Pie XI publie sa célèbre encyclique Mit Brennender Sorge, qui dénonce les erreurs doctrinales du nazisme. L’impact de ce texte est énorme : il est ressenti par les nazis comme une déclaration de guerre. C’est un événement sans précédent dans l’histoire de l’Église romaine.
Genèse du texte
Très tôt, des catholiques allemands tiennent informés le pape de la situation en Allemagne. Certains d’entre eux vont jusqu’à réclamer un texte officiel, telle Edith Stein qui envoie un message au Vatican dès 1933 dans lequel elle demande une encyclique. C’est également la demande formulée par Karl Leisner qui bénéficiera même d’une audience privée lors d’un de ses passages à Rome, en juin 1936. Les deux seront victimes des camps de concentration nazis quelques années plus tard. Cette demande est reprise en août 1936 par les évêques allemands réunis à Fulda, sur la tombe de l’apôtre du pays, saint Boniface. L’épiscopat allemand demande au pape de parler au sujet de l’Allemagne et des persécutions contre l’Église. Le concordat étant de vigueur, l’hésitation de certains évêques est palpable. Le cardinal Eugenio Pacelli [Secrétaire d’État du Vatican] décide alors d’organiser une réunion d’envergure afin de porter un coup sérieux au régime nazi : en février 1937, il réunit au Vatican le cardinal Bertram, le cardinal Schulte, Mgr von Preysing, Mgr von Galen et le cardinal Faulhaber. Il est décidé d’élever une protestation par la plus haute autorité de l’Église. Le cardinal Faulhaber prépare une esquisse du texte. Celle-ci est ensuite grandement revue, corrigée et complétée par le cardinal Pacelli, secondé par le Père Leiber. Le pape Pie XI reprend enfin le manuscrit qu’il signe.
Contenu
L’encyclique Mit Brennender Sorge commence par la dénonciation du non-respect du concordat. Mais elle est surtout une condamnation sans ambiguïté du racisme en tant que doctrine idolâtrique et démoniaque, s’opposant à celle catholique, donc universelle, de l’humanité. Pour l’Église, le nazisme se résume par le racisme, fondement de tout le reste et dont l’antisémitisme est une des composantes.
Quelques extraits
« Quiconque prend la race, ou le peuple, ou l’État, ou la forme de l’État, ou les dépositaires du pouvoir […] et les divinise dans un culte idolâtrique, celui-là renverse l’ordre des choses créé et ordonné par Dieu. »
« Il s’agit d’une véritable apostasie. Cette doctrine est contraire à la foi chrétienne. »
« Il est impossible qu’une chose soit utile si elle n’est pas en même temps moralement bonne. Et ce n’est point parce qu’elle est utile qu’elle est moralement bonne, mais parce qu’elle est moralement bonne qu’elle est utile. » (Pie XI reprenant les propos de Cicéron pour répondre à l’assertion nazie selon laquelle « le droit c’est l’utilité du peuple ».)
« Qui veut voir bannies de l’Église et de l’école l’histoire biblique et la sagesse des doctrines de l’Ancien Testament blasphème le Nom de Dieu, blasphème le plan de salut du Tout-Puissant, et érige une pensée humaine étroite et limitée en juge des desseins divins sur l’histoire du monde. »
Une condamnation radicale de la doctrine nazie
Une accusation récurrente est portée par certains journalistes et historiens de l’Église lorsque ce texte est invoqué pour la défense de Pie XI. Certes l’encyclique a bien été écrite en grande partie par le cardinal Pacelli, mais rien ne prouve qu’elle fût explicitement dirigée contre le nazisme : d’une part il n’est fait aucune mention du national-socialisme ; d’autre part elle n’évoque à aucun endroit la persécution dont les Juifs sont victimes.
Les deux arguments sont justes : il n’y a aucune trace du vocable « national-socialisme » et aucune condamnation de la persécution qui frappe les Juifs. Toutefois, affirmer que l’encyclique ne vise pas le nazisme est un raccourci ne prenant pas en compte nombre de données complémentaires qui ne laissent aucun doute sur la volonté de ses rédacteurs.
Ces données sont les suivantes :
- Les rédacteurs : cette encyclique est la résultante de différentes demandes, d’abord celle de religieux allemands comme Edith Stein et Karl Leisner, ensuite — et surtout — celle de la conférence épiscopale allemande qui a besoin d’un texte fort montrant la perversité de la doctrine national-socialiste. La réunion de préparation du texte rassemble le cardinal Pacelli, ses proches collaborateurs, ainsi que les cardinaux allemands et principaux évêques opposés au nazisme en Allemagne. C’est le cardinal Michael Faulhaber, celui que les nazis surnomment Juden Kardinal (« cardinal des Juifs »), qui écrira la première version de ce texte, reprise amplement par le cardinal Pacelli et Pie XI.
- C’est la première fois qu’une encyclique est publiée directement en langue vernaculaire, en l’occurrence en allemand, preuve indiscutable que les premiers destinataires sont les Allemands eux-mêmes.
- Cette encyclique est imprimée directement en Allemagne pour être lue conjointement dans toutes les églises du pays, le 21 mars 1937, lors de la messe des Rameaux.
Réactions en Allemagne
La réaction de Hitler fut paraît-il effroyable et la répression presque immédiate. Cette encyclique est ressentie par les nazis comme une déclaration de guerre. Il faut bien avoir à l’esprit que cette condamnation de la doctrine nazie a été lue en même temps dan quinze mille églises d’Allemagne ! En l’espace d’une journée, ce sont plusieurs millions d’Allemands qui prennent connaissance de l’accusation portée par l’Église sur l’idéologie national-socialiste.
Les nazis intensifient les exactions contre le clergé et contre tout ce qui participe à la diffusion d’information. L’objectif est clair : le Reich ne veut pas de réseau national capable de concurrencer le sien, et surtout pas un réseau de résistance spirituelle.
- La presse est bâillonnée, les imprimeurs traqués et victimes de discriminations. Ces derniers sont en effet accusés, selon les archives de la Gestapo, d’entretenir des sentiments nuisibles à l’État. Ces persécutions sont si dures que Mgr August von Galen réagit vivement par des protestations publiques et sans appel, au péril de sa vie.
- Le cardinal Faulhaber est publiquement insulté.
- Le jésuite Rupert Mayer est arrêté et incarcéré pour avoir osé commenter l’encyclique en chaire.
- Les évêchés de Rottenburg (Mgr Sproll), de Freiburg (Mgr Gröber) et de Munich (Cardinal Faulhaber) sont pillés par les Jeunesses hitlériennes.
- Les dernières organisations catholiques sont dissoutes.
La répression sera tellement violente, alors même que le nazisme n’a pas atteint son hégémonie, qu’il amènera le pape a faire preuve de prudence dans ses réactions, pour empêcher le redoublement des persécutions. Cette vision de Pie XII se confirmera par la suite, après l’affaire de la protestation publique des évêques hollandais qui accéléra et amplifia les déportations.
Référence : Jean SÉVILLIA, Historiquement correct – Pour en finir avec le passé unique, Paris, Éditions Perrin, 2003, p. 376 sur 455.
Le nouveau pape Pie XII [cardinal Eugenio Pacelli élu en 1939] était avant tout soucieux de rétablir le dialogue avec Berlin, même s’il maintenait des contacts avec l’opposition catholique allemande à Hitler. Dans cet esprit, le 11 mars 1940, il reçut Joachim von Ribbentrop (le Ministres des Affaires étrangères allemand) dans l’espoir de rétablir un concordat [celui de 1933 ayant été rendu nul par les rafles de prêtres lors de la Nuit de cristal de 1938]. Le ministre nazi lui indiqua que la condition primordiale d’un accord était que le clergé catholique « abandonnât en Allemagne tout genre d’activité politique ». Il n’était selon lui « pas normal » que le Führer ait dû assigner sept mille actions en justice contre des prêtres. Ribbentrop refusait d’autoriser la nonciature à faire des visites en Pologne.
[…]
À la suite de Mit Brennender Sorge, de nombreux curés allemands avaient été déportés, l’évêque de Rottenburg, dans le Wurtenberg, avait même été molesté et chassé de son diocèse.
[…]
Aussi le nonce Orsenigo ne cessait d’intervenir. En mars 1940, il demanda au Secrétaire d’État von Weizsäcker un droit de visite pour le camp de Sachenhausen où étaient enfermés des curés allemands. Il ne s’attendait pas à ce que s requête fut acceptée, mais il demandait que des prêtres « nommés par le gouvernement » fussent autorisés à assister les curés à l’article de la mort.
[…]
Au nonce qui s’inquiétait du nombre croissant de curés déportés, notamment à Dachau et à Oranienbourg, la réponse était invariable : seuls ont été arrêtés « ceux dont les activités étaient hostiles à l’État ». Sans jugement ni tribunal, sur simple décision de la Gestapo.
[…]
Un journal portugais se chargeait le 21 mars 1940 de faire connaître au monde que trois mille prêtres avaient été déportés, et que sept cent d’entre eux avaient trouvés la mort.
[…]
Le nonce Valerio Valeri, devant l’émotion d’une partie du clergé français, aurait rencontré le chef du gouvernement de Vichy, Pierre Laval. Celui-ci aurait répondu qu’il ne tolérerait pas l’immixtion de l’Église dans les affaires intérieures françaises. Il s’était déclaré indigné de la teneur de protestation [contre la déportation des Juifs] diffusé par l’archevêque de Toulouse, Mgr Saliège, de l’attitude des archevêques de Paris et de Lyon, et de Mgr Théas, évêque de Montauban. Les évêques de Nice, de Fréjus et de Monaco avaient aussi protesté comme les abbés de Lérins [Alpes-Maritimes] et de Frigolet [Provence].
[…]
Pierre Chaillet, le provincial des Jésuites de Lyon, est arrêté pour avoir caché quatre-vingt enfants juifs. Le père Victor Dillard meurt à Dachau pour voir protesté contre l’étoile jaune.
[…]
Pour mettre fin aux atrocités nazies, il faut une force armée venue de l’extérieur. Le pape n’y peut rien. […] Y a-t-il un plus grand mal que que l’extermination de tout un peuple ? Pour le pape, oui, c’est la disparition de l’Église, son éradication totale, telle que les Allemands l’ont pratiquée dans le Warthegau, la partie occidentale de la Pologne annexée au Reich.
Référence : Pierre MIQUEL, Les mensonges de l’Histoire, Paris, Éditions France Loisirs, 2002, p. 362-371.
En 1941, Pie XII refusa, en dépit des sollicitations de l’ambassadeur italien, de bénir la « croisade » antisoviétique [Opération Barbarossa] qui aurait fait de la guerre sur le front Est une lutte des chrétiens contre l’URSS. À la fin de 1941, on ne nourrissait du reste plus au Vatican aucune illusion sur le sort qui serait réservé à l’Église dans le cas d’une victoire nazie. Les conditions crées dans les territoires polonais annexés à l’Allemagne avaient été à juste titre interprétées par l’épiscopat allemand comme un avertissement pour l’avenir : l’Église était réduite à une association privée dont étaient exclus les moins de dix-huit ans ; les relations officielles avec l’extérieur lui étaient en outre interdites.
L’attaque contre l’Union soviétique fit cependant naître l’espoir d’une usure réciproque des deux ennemis de l’Église, le communisme et le nazisme. Mgr Tardini, l’un des plus proches collaborateurs de Pie XII, l’écrivit ouvertement à l’occasion de la venue au Vatican, en septembre 1941, de Myron Taylor, le représentant personnel du Président Roosevelt : l’idée était que « le communisme sorte défait et anéantit de la guerre et que le nazisme en sorte affaiblit et à vaincre ».
[…]
Eivind Bergavv, évêque luthérien de Norvège, est arrêté en 1942 pour s’être opposé à la politique collaborationniste de Vidkun Quisling. […] Le 17 février 1943, les évêques catholiques hollandais publièrent un texte pastoral contre la déportation des jeunes au travail forcé et contre l’assassinat des Juifs.
Référence : Giovanni MICCOLI, « Pie XII, Hitler et les Juifs », L’Histoire, N° 241, mars 2000, p. 43-44.
Voir aussi : With Bound Hands : A Jesuit in Nazi Germany [Open Library]