Feeds:
Articles
Commentaires

Posts Tagged ‘texte occidental’

Cet article est une appréciation de la vidéo ci-dessous.

Je partage la croyance de messieurs Christian Khanda et Hugues Pierre dans l’importance primordiale de la doctrine de la préservation des Écritures Saintes, et je suis passionné par la transmission providentielle des oracles divins aux cours des millénaires de l’histoire de la Rédemption. Toutefois, j’estime que la thèse spécifique promue par ces deux internautes, à savoir que pour le N.T., seul le soi-disant “texte reçu” grec doive être considéré comme étant le texte inspiré correctement préservé, est intenable sur les plans théologique et historique. Pour cette raison, je vais répondre ci-dessous aux erreurs les plus sérieuses que j’ai constaté dans cette discussion (que j’ai écouté très attentivement).

⁜ ⁜ ⁜ ⁜ ⁜

Tout d’abord, vers la minute 12:10, Hugues Pierre s’en prend à la critique textuelle, qu’il présente comme une pratique remontant au XIXème siècle. En réalité, la critique textuelle est aussi ancienne que l’existence de variantes textuelles entres différentes copies manuscrites puis tapuscrites du texte du N.T. Dès l’Antiquité chrétienne, des Pères de l’Église relatent l’existence de variantes et s’attèlent à la critique textuelle, discipline qui consiste à évaluer les variantes connues dans le but de déterminer celle qui correspond au texte révélé original. J’ai reproduit plusieurs définitions et descriptions de la critique textuelle du N.T. venant d’ouvrages académiques chrétiens ici (donc Hugues Pierre ne pourra pas plaider que j’invente une nouvelle définition juste pour les fins de mon propos) : Introduction à la critique textuelle du Nouveau Testament.

Hugues Pierre s’émeut de la notion de « restauration » du Texte Sacré qui est sous-jacente à la critique textuelle. Or si l’on détecte une erreur humaine dans la transmission du texte, que l’on identifie la variante correcte via une démarche de critique textuelle, puis que l’on corrige cette erreur en remplaçant la variante erronée par la variante correcte, cette rectification consiste indubitablement, pour ce lieu-variant, en une *restauration* du texte.

D’ailleurs, ces nouveaux zélateurs du “texte reçu” (TR) ont beau s’émouvoir du concept de *restauration* du texte néotestamentaire, les utilisateurs du TR s’adonnent volontiers depuis 500 ans à cet exercice de *restauration* ! Quelques exemples :

→ En Luc 2:22, Érasme suivi par la Bible de Genève française de 1553 disent « LEUR purification » ; puis Bèze éventuellement suivi par Ostervald *restaurent* (ou s’imaginent restaurer) le texte à « SA purification ».
→ En Luc 17:36, Érasme suivi par les Bibles réformées françaises de 1535, 1540 et 1553 omettent le verset en entier ; puis Bèze suivi par les versions TR ultérieures *restaurent* le verset en entier.
→ En Romains 12:11, Estienne suivi par les Bibles réformées françaises de 1535, 1540 et 1553 disent « servant AU TEMPS » ; puis Bèze suivi par les versions TR ultérieures *restaurent* ce texte à « servant LE SEIGNEUR ».

Démonstration faite : Les biblistes réformés du XVIème siècle n’hésitaient pas à (tenter de) *restaurer* le Texte Sacré en le purgeant de ses corruptions – réelles ou imaginaires – au moyen de la critique textuelle. C’est un fait historique irréfutable.

Vers la minute 16:20, puis encore à 46:05, 56:00 et 1:18:50, Christian Khanda plaide répétitivement que le texte reçu est *le* « texte protestant » et que les confessions de foi protestantes « sont basées sur le TR ». Khanda insiste surtout sur l’article 1:8 de la Confession de Westminster, qui énonce que l’A.T. et le N.T. furent « gardés purs, au long des siècles, par sa providence [de Dieu] et ses soins particuliers » (formulation identique dans la Déclaration de Savoy congrégationaliste de 1658 et la Confession réformée baptiste de 1689). Khanda essaie de capitaliser sur cette affirmation crédale très prudente pour faire accroire à ses auditeurs que le protestantisme réformé confessant est obligatoirement assujetti à sa thèse d’exclusivité du TR. Cette attitude émane d’une compréhension inadéquate de cette clause confessionnelle.

Sans m’attarder sur le fait que le TR est, historiquement, une coproduction de la Papauté idolâtre (!), je démontre dans mon étude Considérations sur l’orthodoxie réformée, la préservation des Écritures Saintes et la critique textuelle du N.T., plus précisément à la section 2 intitulée L’orthodoxie réformée ne requière pas d’adhérer à une traduction et à un texte-type spécifiques, que l’article 1:8 des Westminster / Savoy / 1689 ne peut pas être valablement instrumentalisé pour délégitimer tous les textes néotestamentaires grecs autres que le TR.

⁜ ⁜ ⁜ ⁜ ⁜

À la minute 20:50, Christian Khanda fait allusion à la redécouverte du Codex Sinaïticus (oncial ℵ01) au milieu du XIXème siècle (mais sans l’identifier explicitement), puis généralise ensuite en alléguant que le peuple de Dieu n’a pas utilisé ces textes (ℵ01 et les autres anciens manuscrits des II-IVèmes siècles) de manière ininterrompue au fil des siècles. Monsieur Khanda mêle vraiment les cartes ici.

Pour commencer, qui est le « peuple de Dieu » ? À partir du IXème siècle, avec le triomphe définitif de la pseudo-orthodoxie (rétablissement durable de l’iconodoulie) dans l’Empire byzantin, l’Église grecque d’Orient devient quasiment aussi hérétique que l’Église catholique romaine (culte des saints = polythéisme, etc.).

Dans cet Orient hellénique, seul le clergé avait un contact direct & régulier avec la Bible… or ce contact n’était pas forcément reluisant. Il n’était pas rare pour les moines byzantins copiant ces Bibles grecques tardives d’y insérer une prière en postlude où ils remercient la Vierge Marie – comme une déesse – de les avoir aidés à copier le manuscrit ! C’est ça le « peuple de Dieu » selon Khanda ? Rappel : les vrais chrétiens sont monothéistes.

Ensuite, concernant l’utilisation effective des grands onciaux tels le Codex Sinaïticus (ℵ01), le Codex Vaticanus (B03) et le Codex Alexandrinus (A02), ce n’est pas parce que ces manuscrits n’étaient pas utilisé lors de leur redécouverte (ou leur revalorisation) aux XVII-XIXèmes siècles qu’ils n’ont jamais été utilisés ! Bien au contraire, ces codices furent tellement utilisés qu’ils tombent en lambeaux et même que plusieurs de leurs portions physiquement situées sur le dessus ou le dessous sont disparues depuis très longtemps à force d’usure. Ainsi, le Sinaïticus est usé à la corde : le 1er folio survivant commence à Genèse 21:26, et à vrai dire la majeure partie du texte précédant 1 Chroniques 9:27 est manquant. Et dans le Vaticanus, les folios portant l’original d’Hébreux 9:15 jusqu’à la fin du N.T. furent perdus avant même l’arrivée de ce manuscrit en Occident au milieu du XVème siècle. Donc ces Bibles ont amplement été utilisées.

La raison pour laquelle ces grands onciaux n’étaient pas en usage en Orient au moment où ils furent transportés en Occident (ou découverts en Orient par des protestants occidentaux) aux XV-XIXèmes siècles, c’est que plus personne sur la planète n’utilisait le script dans lequel ils furent écrits. Duh ! Ces Bibles grecques de l’Antiquité furent entièrement copiés en lettres onciales (majuscules arrondies). Or au VIIIème siècle, autant en Occident latin qu’en Orient grec, les lettres minuscules sont inventées. Ce nouveau script en minuscules remplace rapidement le vieux script en majuscules, et en quelques générations les documents écrits en majuscules sont délaissés parce que devenus désuets aux yeux des lecteurs désormais uniquement habitués à la graphie minuscule.

Monsieur Khanda devrait s’éduquer un peu sur l’histoire de la codicologie chrétienne et de la transmission du texte biblique avant de raconter des balivernes condamnatoires. En ce sens, l’analyse des variantes textuelles contenues dans les citations bibliques des écrits patristiques démontre que dès l’Antiquité, tous les quatre principaux textes-types étaient connus et utilisés dans l’Église chrétienne ; voir mon article L’origine géographique et chronologique des différents textes-types du N.T.

⁜ ⁜ ⁜ ⁜ ⁜

À la minute 28:00, Hugues Pierre avance que le “texte reçu” est assimilable au texte majoritaire de l’Orient grec médiéval. C’est un argument pro-TR très à la mode, mais fallacieux. La vérité est plus complexe que ça. Le TR est une fabrication éclectique datant du XVIème siècle. En réalité, il existe plus d’un millier de variantes textuelles traduisibles entre le TR et le texte majoritaire byzantin ! Certes, en moyenne, le TR est comparativement plus proche du texte majoritaire que ne l’est le texte standard Nestle-Aland (le texte critique le plus répandu), mais on ne peut pas prendre pour acquis que le texte majoritaire va nécessairement s’aligner avec le TR contre le texte standard (qui est surtout basé sur le texte alexandrin), parce que dans plus de 85 cas, le texte majoritaire concorde avec le texte standard contre le TR ! Voir l’article Leçons du Nouveau Testament où le texte alexandrin concorde avec le texte majoritaire contre le texte reçu.

À la minute 24:00, Christian Khanda attaque la critique textuelle moderne du N.T. comme étant une méthode naturaliste, « la théorie de l’évolution appliquée à la Parole de Dieu », dit-il. Dans la même veine, à la minute 45:00, Hugues Pierre prétends que pendant 300 ans (grosso modo de 1500 à 1800), tout le monde était content avec le texte reçu grec. Ces deux assertions sont erronées.

La critique textuelle moderne de la Bible n’est que le prolongement de la critique textuelle humaniste (pas dans le sens laïciste du terme) et réformationnelle amorcé au XVIème siècle. Dès les premières itérations du TR, plein d’érudits – protestants comme catholiques – étaient conscients des lacunes et des faiblesses de ce texte, c’est pourquoi ils n’hésitèrent pas à le modifier ou à préconiser sa rectification (comme par exemple Théodore de Bèze qui argumente contre l’authenticité de la péricope de la femme adultère dans son édition du TR de 1598).

Mais l’état précoce et fragmentaire de la connaissance des manuscrits grecs du N.T. au début du XVIème siècle fit en sorte que l’entreprise colossale consistant à répertorier et collationner ces manuscrits dispersés à travers l’Europe et l’Asie a nécessité ± 300 ans. Donc c’est tout à fait normal, vu cette progression graduelle des connaissances, que ce n’est qu’au XIXème siècle que l’on put produire un texte standard grec apte à remplacer le TR.

Des chrétiens dévoués participèrent à tout ce long processus, comme je l’explique dans la section La critique textuelle est un vecteur de la providence rédemptrice de Dieu de mon étude Considérations sur l’orthodoxie réformée et la préservation des Écritures Saintes (section 4).

⁜ ⁜ ⁜ ⁜ ⁜

Vers la minute 57:05, Christian Khanda évoque la variante trinitaire « Dieu le Fils unique » du texte critique (TC) en Jean 1:18, lieu-variant ou le texte reçu porte la variante non-trinitaire « le Fils unique engendré ». Khanda essaie de sauver la réputation de cette variante non-trinitaire du TR en arguant que c’est plutôt le TC qui serait jéhoviste ici. Hugues Pierre s’efforce de lui prêter main forte dans les minutes subséquentes.

Durant l’Antiquité chrétienne, beaucoup de Pères de l’Église utilisèrent des Bibles attestant cette variante « Dieu le Fils unique » du TC en Jean 1:18 – comme les papyri P66 (copié en l’an ≈150) & P75 (copié en l’an ≈175) ou la Peshitta araméenne – et citèrent explicitement cette variante trinitaire dans leurs écrits :
• Irénée de Lyon dans ‹Contre les hérésies› (§ 4:20:11).
• Clément d’Alexandrie dans ‹Stromates› (§ 5:12).
• Origène d’Alexandrie dans ‹Commentaire du Jean› (§ 2:29) et dans ‹Contre Celse› (§ 2:71).
• Eusèbe de Césarée dans ‹Théologie ecclésiastique› (§ 3:7).
• Basile de Césarée-en-Cappadoce dans ‹Sur le Saint-Esprit› (§ 6:15, 8:17, 8:19 et 11:27).
• Didyme l’Aveugle dans ‹Commentaire sur Zacharie› (§ 5:33) et dans ‹Commentaire sur Ecclésiaste› (§ 12:5).
• Épiphane de Salamine dans ‹Ancoratus› (§ 2:5 et 3:9) et dans ‹Panarion› (§ 612 et 817).
• Sérapion de Thmuis dans ‹Contre les manichéens› (p. 639).
• Cyrille d’Alexandrie dans ‹Commentaire sur Jean› (§ 1:10), dans ‹Contre Nestorius› (§ 3:2 et 5:2), dans ‹Le Christ est un› (non numéroté) et dans ‹Thesaurus de sancta et consubstantiali trinitate› (§ 35 ss).

Alors, doit-on conclure du raisonnement de messieurs Khanda et Pierre que les sommités patristiques qui nous ont légués la trinitariologie orthodoxe – tels Basile de Césarée et Cyrille d’Alexandrie – étaient des précurseurs des jéhovistes modernes ?! C’est complètement ridicule. Et Jean 1:18 n’est pas le seul lieu-variant où le texte critique / standard enseigne une christologie supérieure à celle du texte reçu. Y’en a plein d’autres, voyez ces tableaux comparatifs : La christologie des Bibles basées sur le texte standard n’a rien à envier à celle des Bibles basées sur le texte reçu.

⁜ ⁜ ⁜ ⁜ ⁜

À la minute 1:02:15, Hugues Pierre feint d’adresser le problème des variantes textuelles internes du TR. Malgré qu’il reconnaît que ces variantes existent, il esquive le fait que ces variantes intra-TR obligent les tenants du TR à effectuer de la critique textuelle (s’ils veulent départager les bonnes variantes des mauvaises variantes). Pierre préfère revenir à la charge avec son « objection de principe » au texte critique, à savoir que ce TC présupposerait que « le texte biblique a été perdu, corrompu, et détruit ».

Or cette pirouette rhétorique ne fonctionne pas, car les tenants du TC disent que le texte biblique fut corrompu puis fut rétabli UNIQUEMENT LÀ OÙ IL Y A DES VARIANTES (c’est-à-dire environ 5 à 10 % maximum du texte du N.T.). On revient donc aux variantes !

Dans la suite immédiate de l’entretien, Hugues Pierre expose sa distinction entre un « texte fermé » (le TR selon lui) et un « texte ouvert » (le TC selon lui). Le TC, puisqu’il serait toujours susceptible d’être amélioré dans le futur, serait coupable de « régression à l’infini », il serait modifiable sans aucun garde-fou et sans aucune limite.

C’est une fausse représentation. Loin de menacer la stabilité du texte, les découvertes archéologiques, muséologiques ou archivistiques de « nouveaux » manuscrits néotestamentaires sont toujours appréciées à la lumière de l’immense bagage de connaissances portant sur la masse des 6000+ manuscrits grecs déjà en notre possession. C’est pour ça que le texte standard Nestle-Aland a très peu changé depuis sa 1ère incorporation substantielle de l’apport des papyri dans l’UBS3 (1975) / NA26 (1979).

Nous sommes en bon droit de demander aux zélateurs du TR pourquoi c’était légitime de modifier le TR de 1516 (1ère éd. d’Érasme promue par le pape de Rome) jusqu’en 1881 (éd. de Scrivener promue par la Société biblique trinitaire), mais ça ne serait pas légitime de réformer le TC entre 1975 et 2026 (date prévue de parution du NA29) ? En vertu de quoi devrions-nous nous astreindre à cette braquette temporelle arbitraire imposée par les zélateurs du TR ?

En attendant qu’ils répondent à cela, il est instructif d’explorer les contradictions internes du TR, ce que je propose au lecteur de faire via cet article : Le “texte reçu” versus le “texte reçu” : Un survol des variantes internes au TR.

Read Full Post »

Folio 415 verso montrant le début du Livre des Actes des Apôtres dans le Codex Bezæ (D05) copié dans le Sud-Est de la Gaule vers l’an 400 et conservé à la Bibliothèque de l’Université de Cambridge (Angleterre) depuis 1581

● ● ●

Un refrain que l’on entend souvent, dans les débats sur le thème des différentes versions de la Bible, est que certains mots ou certains passages seraient malicieusement « enlevés », « retirés » ou « supprimés » dans les traductions du Nouveau Testament qui ne sont pas basées sur le texte reçu (TR) grec.

Dans l’Anglosphère, certains militants évangéliques fondamentalistes érigent carrément de cette idée de « passages manquants » en cheval de bataille dans leurs parutions. Ainsi, les Chick Publications (l’éditeur des Chick Tracts populaires dans les décennies 1970 à 1990) vendent un livre intitulé Look What’s Missing! et deux DVDs intitulés Is Your Bible Missing Something? (volume 1 ; volume 2). Semblablement, le pasteur baptiste américain Scott Ingram (au Tennessee) vulgarise son mécontentement en ces termes : « Les érudits modernes pensent que nous avons perdu quelque chose que Dieu a dit que nous ne perdrions jamais [sic] et ils essayent de reconstruire un texte qui n’a jamais existé [sic] en supprimant l’équivalent de 1 & 2 Pierre de nos Nouveaux Testaments. »

En Francophonie, plusieurs tiennent ce même discours. Par exemple, la Préface du N.T. de la Bible de Lausanne révisée (BLR) – traduite par Timothy Ross, Philippe Lacombe et Marcel Longchamps et éditée par la Société Biblique Trinitaire (SBT) en 2022 – énonce : « Certaines traductions modernes omettent des versets entiers en suivant cette méthode [c-à-d en n’utilisant pas le TR comme texte de base]. Tout au long du Nouveau Testament, dans les traductions qui ont adopté cette méthode naturaliste [sic], il manque des mots et des parties de versets. » (p. IV).

Dans le manifeste officieux de cette SBT, on peut également lire ceci :

« Après avoir examiné Aleph [c-à-d le Codex Sinaïticus (01)], le Pr. F.H.A. Scrivener l’a déclaré ‹ mal écrit › et ‹ bourré de grossières erreurs de transcription ›, au point ‹ d’omettre des lignes entières de l’original ›. […] Il s’avère que beaucoup de passages manquent dans B[03] (Vaticanus) […] Force est de conclure que c’est le texte alexandrin qui est défectueux. On peut l’accuser d’avoir raccourci le texte byzantin. » (Malcom Watts, La Parole que donna le Seigneur, SBT, 2012, p. 28 et 30).

La Préface de la King James Française (KJF) traduite par Nadine Stratford et éditée par la First Bible Church de Staten Island (dans l’État de New York) en 2022 se fait l’écho de ces récriminations en se plaignant que « toutes les versions modernes anglaises » de la Bible contiennent de « nombreuses omissions et incohérences », et que « toutes les versions françaises » modernes de la Bible sont coupables de « ces mêmes omissions, outranciers changements et contradictions » (p. II).

● ● ●

Tel que nous le constaterons dans le prochain article de la présente série sur la critique textuelle du N.T., un bon nombre des variantes textuelles caractéristiques du texte reçu sont des altérations illégitimes (comme la leçon « livre de vie » en Ap 22:19) ou des ajouts non-authentiques (comme l’addition des trois témoins célestes en 1 Jn 5:6-8) qui viennent tout droit de la Vulgate latine du Moyen Âge tardif. Pire, certaines variantes du TR furent carrément inventées par les créateurs du TR, comme la leçon « et qui seras » en Ap 16:5 in fine qui fut fabriquée de toutes pièces par Théodore de Bèze en 1588-1589.

Il n’y a pas de formule magique ou d’argument massue que l’on puisse invoquer pour résoudre d’un seul coup la totalité des problèmes textuels. Chaque cas est unique et requière sa propre analyse à tête reposée à la lumière du maximum de sources disponibles. Je ne prétendrai donc pas que c’est toujours le plus long texte qui soit le bon. Cependant, cela semble être la pensée des partisans du TR cités ci-dessus. Et cette pensée est très paradoxale, parce que le TR – ou plus généralement le texte-type byzantin – n’a pas toujours le plus long texte !

En effet, le texte-type occidental porte souvent un texte plus élaboré que le TR / texte byzantin. Les illustrations potentielles de ce phénomène abondent. Prenons, par exemple, Matthieu 25:1, qui se lit comme suit dans la Bible d’Ostervald : « Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent au-devant de l’époux. » (Mission baptiste Maranatha, 1996.) Mais dans le texte grec occidental, ce verset se lit plutôt comme suit : « Alors on comparera le Royaume des cieux à dix vierges qui, prenant leurs lampes, sortent à la rencontre de l’époux et de l’épouse. » (C.-B. Amphoux, L’Évangile selon Matthieu : Codex de Bèze, Éditions Le Bois d’Orion, 1996, p. 203.) Alors, qui est-ce qui supprime des parties de versets, maintenant ?!

Et il y a plus. En Matthieu 20:28, le texte reçu / byzantin se lit comme suit (Ostervald) : « Comme le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour plusieurs. » Toutefois, dans le texte occidental, ce verset contient trois phrases omises dans le texte byzantin : « Comme le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. Vous, vous cherchez à augmenter ce qui était petit et à diminuer ce qui était grand. Si vous entrez et êtes invités à dîner, n’occupez pas les places d’honneur, de peur qu’un autre plus digne que toi ne survienne et que le maître de table s’approchant ne te dise : “Mets-toi un peu plus bas”, et que tu en aies honte. Si tu occupes une place plus modeste et que survienne un autre plus modeste que toi, le maître de table te dira : “Place-toi un peu plus haut”, et cela te sera favorable. » (C.-B. Amphoux, op. cit., p. 169 et 254.) Si nous devions adopter le même genre de réaction impulsive que celui des activistes pro-TR à ce lieu-variant, nous pourrions nous exclamer : Ah ! Horreur et damnation ! Le texte reçu a retranché 61 mots grecs dans un seul verset de la Très-Sainte Parole de Dieu ! Quelle scandaleuse impiété !

Et il y a encore plus. *Beaucoup* plus. Voici ci-dessous quatre documents où l’on peut prendre connaissance de nombreux mots et passages présents dans les manuscrits du texte-type occidental mais absents des manuscrits du texte-type byzantin. (Pour la plupart de ces occurrences, les clauses concernées sont aussi absentes des manuscrits du texte-type dit alexandrin, mais ceci n’est pas problématique pour les adhérents du texte alexandrin puisqu’ils n’emploient pas les mêmes critères que les adhérents du texte reçu / byzantin pour évaluer les variantes.)

On m’excusera d’avoir utilisé des textes anglais pour la confection de la majeure partie de ces documents. Cela s’explique par le fait de larges pans du texte occidental sont aisément disponibles en ligne en traduction anglaise gratuite, tandis que le matériel équivalent est assez dispendieux en traduction française. Certes, les notes infrapaginales de la Bible d’étude NBS des Éditions Bibli’O fournissent maintes traductions des leçons occidentales, mais je ne l’ai réalisé qu’après avoir déjà complété le gros du travail (et de toutes façons ces notes n’identifient pas explicitement les témoins textuels cités, ce qui est plutôt malcommode).

● ● ●

Titulature christique dans le Livre des Actes des Apôtres — Les lacunes du “texte reçu” :

Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.

Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 1 à 13 et 16 à 22) :

Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.

Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 14 et 15) :

Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.

Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 23 à 28) :

Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.

● ● ●

Explications sur le texte-type occidental

Feu Neville Birdsall (1928-2005), qui fut un prédicateur baptiste britannique, un chargé de cours à l’Université de Leeds puis un professeur à l’Université de Birmingham pendant 25 ans où il occupa la chaire de critique textuelle du N.T., explique que « [d]ans les Actes, des modifications ont sans doute été faites pour des motifs littéraires ou par désir de vulgarisation. […] Le matériau que l’on appelait […] ‹ texte occidental › témoigne de la coexistence, dans des traditions spécifiques, de leçons anciennes avec des éléments de toute évidence secondaires. » (Grand Dictionnaire de la Bible, “Textes et versions”, Éditions Excelsis, 2010, p. 1663).

• • • • •

Les citations suivantes, traduites (par moi-même) du Textual Commentary on the Greek New Testament de Bruce Metzger (Alliance Biblique Universelle, 1971, ci-après « TCGNT »), fournissent davantage de repères permettant de bien saisir la nature du texte-type occidental dans le Livre des Actes des Apôtres.

« Des érudits expliquent la forme distinctive du texte occidental [du Livre des Actes] comme étant due à de l’interpolation. Ils maintiennent que dans les âges primitifs de l’Église, le texte du Nouveau Testament [ou plus spécifiquement d’Actes, voir l’observation de F.F. Bruce ci-dessous] n’était pas [encore] vu comme étant sacré [c-à-d divinement inspiré], et donc les scribes estimaient avoir la liberté d’en modifier la forme ainsi que d’y incorporer toutes sortes de détails additionnels venant de la tradition orale. Ainsi, le texte occidental, selon cette explication, représente la croissance libre et incontrôlée du texte pendant les Ier et IIème siècles. » — Metzger, TCGNT, p. 264

« Il y a des variantes d’une autre sorte, qui est particulière au texte occidental d’Actes. Celles-ci incluent maintes additions, longues et courtes, dont la nature et la substance révèlent la main d’un réviseur. […] Le réviseur – qui était évidemment un érudit méticuleux et bien informé – élimina des manques de transitions [littéraires] et des écarts [narratifs] puis ajouta des détails historiques, biographiques et géographiques. Apparemment, le réviseur fit son travail à une date précoce [“vraisemblablement entre 120 et 150 ap. J.-C.” dixit R.P.C. Hanson, p. 266], avant que le texte d’Actes n’en soit venu à être regardé comme un texte sacré devant être préservé de manière inviolable. » — Metzger, TCGNT, p. 270

« Le point de vue qu’en général, le texte alexandrin préserve plus fidèlement l’œuvre de l’auteur original et que le texte occidental reflète l’œuvre d’un réviseur fut mis de l’avant avec beaucoup d’érudition par James Hardy Ropes, [lequel explique :] ‹ L’objectif du réviseur “occidental”, tel que montré par son œuvre, était l’amélioration littéraire et l’élaboration en accord avec son propre goût, qui était quelque peu différent de celui de l’auteur [c-à-d Luc l’Évangéliste]. Il visait à améliorer les connexions, à éliminer les inconsistances superficielles, à combler des petits écarts, et à fournir une narration plus complète et continue. Où cela était possible, il aimait introduire des points venant de passages parallèles ou similaires, ou à compléter les citations venant de l’Ancien Testament. Son style était spécialement caractérisé par l’accentuation littéraire [au moyen d’adjectifs et d’adverbes] et un usage plus abondant de lieux communs religieux. Son effort de fluidité, de complétude et d’emphase [observable] dans son expansion eut usuellement pour résultat un style plus faible, montrant souvent une sorte de super-abondance en énonçant expressément ce que tout lecteur aurait compris sans le supplément diluant du réviseur. › » — Metzger, TCGNT, p. 265

« Dans aucun de ces trois cas [variantes amélioratives non-distinctives, variantes amélioratives caractéristiques du texte-type occidental et variantes amélioratives propres au Codex Bezæ], le texte “occidental” ne conserve pour nous le texte original de ce Livre [des Actes]. [… Cependant,] certaines des informations incorporées dans certaines expansions occidentales peuvent très bien être factuellement exactes [c-à-d historiquement véridiques], quoique ne dérivant pas de l’auteur original d’Actes. » — Metzger, TCGNT, p. 271-272

• • • • •

Concernant la thèse de la réception comparativement tardive (j’ai bien dit comparativement) des Actes des Apôtres dans l’Église primitive – ou si vous préférez, la compréhension comparativement tardive de sa canonicité (je ne réfère pas ici aux synodes & conciles des IVème-VIème siècles où fut actée la reconnaissance officielle du canon, mais à sa reconnaissance officieuse tacite survenue dès les Ier-IIIème siècles) – cette observation de Frederick Fyvie Bruce est pertinente pour situer chronologiquement l’origine du texte-type occidental d’Actes :

« Contrairement à la plupart des autres livres du N.T., les deux tomes de l’œuvre de Luc ne semblent pas avoir été écrits en relation étroite avec des Églises : ils n’étaient pas spécialement adressés à une communauté chrétienne et n’ont [initialement] pas circulé parmi les Églises. [… L]’œuvre de Luc fut [au départ] surtout diffusée dans les milieux païens pour lesquels elle avait d’ailleurs été rédigée. Il est donc possible qu’un certain temps se soit écoulé entre la date de sa première publication et son utilisation courante dans les Églises en tant qu’écrit chrétien faisant autorité. » (Grand Dictionnaire de la Bible, “Actes des Apôtres”, loc. cit., p. 20).

Read Full Post »

Folio du Codex Washingtonensis III (W032) copié vers l’an 400, conservé au Freer Gallery of Art de la Smithsonian Institution à Washington (D.C.), portant le texte de Marc 5:26 à 5:37 où il transitionnerait, au v. 31, du texte-type occidental au texte-type césaréen

● ● ●

Nous avons vu, précédemment, en quoi consiste la critique textuelle du Nouveau Testament, et pourquoi cette démarche érudite est tout à fait conforme à l’orthodoxie réformée confessionnelle historique et à l’héritage de la foi évangélique traditionnelle. Nous nous penchons maintenant sur l’identité des textes-types du N.T.

Dans leur analyse comparative des 6000+ manuscrits grecs du Nouveau Testament, les spécialistes de la transmission du N.T. regroupent les différents manuscrits – ou plus exactement les différents textes portés par ces manuscrits – en des catégories (qu’on appelle des textes-types) en fonction de leurs caractéristiques textuelles et para-textuelles communes.

Ces textes-types dans les manuscrits grecs antiques et médiévaux sont au nombre de quatre : Il s’agit du texte-type alexandrin, du texte-type byzantin, du texte-type occidental et du texte-type césaréen. (Quant aux éditions imprimées modernes du N.T. grec, il s’agit du texte standard – aussi appelé texte critique – qui est surtout basé sur le texte-type alexandrin, du texte dit majoritaire qui est dérivé du texte-type byzantin, et du soi-disant “texte reçu” qui est surtout un mélange du texte byzantin avec des éléments de la Vulgate latine.)

Une petite mise en garde préalable s’impose avant de se lancer dans l’étude des textes-types néotestamentaires : Cette classification quadripartite ne doit jamais nous faire perdre de vue que dans leur globalité, les textes de ces quatre textes-types sont identiques à environ 90 %. Leurs divergences mutuelles ne concernent qu’approximativement 10 % du texte, et parfois encore moins (ainsi, le texte standard/alexandrin et le texte majoritaire/byzantin se corroborent à ≈ 94-96 %).

Ces texte-types ne sont pas des ensembles monolithiques

Cette classification en quatre textes-types ne signifie pas que chacun de ces textes-types forme un groupe parfaitement homogène, rigide et monolithique. Au contraire, il existe beaucoup de variantes textuelles à l’intérieur de chaque texte-type ; ils partagent simplement assez de caractéristiques textuelles communes pour être considérées comme appartenant au même texte-type.

Malgré cette classification quadripartite, certains manuscrits qui sont en général représentatifs d’un texte-type peuvent occasionnellement contenir des variantes en général associées à un autre texte-type. Ce phénomène est parfois aléatoire, et parfois « organisé ». Par exemple, sur un total de 100 variantes dans un manuscrit fictif ABC-123, 80 % des variantes pourraient être caractéristiques du texte-type alexandrin et être réparties proportionnellement dans tout ce manuscrit, 10 % des variantes pourraient être caractéristiques du texte-type occidental et être dispersées dans tout ce manuscrit, et le 10 % des variantes résiduelles pourraient être caractéristiques du texte-type byzantin et être concentrées dans le dernier quart du manuscrit.

En outre, certains manuscrits sont des assemblages de différents « blocs ». À titre d’exemple, dans un manuscrit composite fictif DEF-456, les Évangiles pourraient être représentatifs du texte-type alexandrin, les Actes et les épîtres pauliniennes pourraient être représentatifs du texte-type occidental, puis les épîtres générales et l’Apocalypse pourraient être représentatifs du texte-type byzantin. Ou encore, dans un manuscrit fictif XYZ-789, les Évangiles de Matthieu et de Marc pourraient être du texte-type césaréen, puis les Évangiles de Luc et de Jean pourraient être du texte-type occidental. Ce phénomène est appelé « mixité de blocs » (block mixture).

Le texte “alexandrin” vient d’Asie Mineure et non d’Égypte

Il importe de comprendre que les noms donnés par convention à ces divers textes-types ne nous renseignent pas nécessairement sur leur véritable origine géographique respective. Ainsi, le vocable « alexandrin » (qui est attribué au texte-type réunissant des anciens papyri du tournant du IIIème siècle et les grands onciaux du début-milieu du IVème siècle) se nomme ainsi essentiellement parce que le 1er manuscrit de ce courant à devenir passablement bien connu en Occident moderne – à savoir le Codex Alexandrinus (A02) arrivé à Londres entre 1621 et 1627 – fut donné au roi d’Angleterre et d’Écosse par un ex-patriarche grec d’Alexandrie en Égypte, Cyrille Loukaris. Celui-ci avait trouvé cet ancien codex dans la bibliothèque patriarcale d’Alexandrie, mais ignorait qu’il provenait à l’origine de Constantinople et qu’il n’avait été apporté en Égypte qu’en 1308.

En réalité, les 1ères attestations textuelles connues de variantes caractéristiques de tous les textes-types grecs se retrouvent dans des papyri découverts en Égypte où ils ont survécus à cause du climat désertique très sec. Ces papyri des II-IIIèmes siècles, ainsi que les citations patristiques de Clément d’Alexandrie et d’Origène d’Alexandrie, prouvent que des variantes de tous les textes-types néotestamentaires étaient connues en Égypte dès l’époque la plus reculée. Si le texte-type alexandrin est prédominant parmi ces sources, c’est simplement parce que c’est ce type qui est le plus ancien et qui transmet – en général – le plus fidèlement le texte original du Ier siècle.

Pour le N.T., il n’existe pas la moindre preuve d’une recension textuelle qui aurait prétendument été orchestrée par le catéchète Pantène d’Alexandrie (natif de Sicile, fl. 180-192, † c. 216) ou par le mystérieux grammairien Hésychios d’Alexandrie (qui n’était même pas chrétien et dont on ignore s’il vécut au IVème et/ou au Vème s.), recension imaginaire dont le texte-type dit alexandrin serait supposément le résultat. Cette allégation colportée par les adeptes du texte reçu et du texte majoritaire est un stratagème rhétorique malhonnête pour tenter de faire naître le texte-type dit alexandrin en Égypte et ainsi de le lier à l’ésotérisme gnostique puis à l’hérésie arienne. De surcroît, ce stratagème rhétorique est absurde vu que le gnosticisme et l’arianisme étaient répandus dans presque tout l’Empire romain, pas juste en Égypte.

Les faits sont têtus : La proximité textuelle entre P75 et B03 dans les Évangiles de Luc & Jean, entre P46 et B03 dans les Épîtres pauliniennes non-pastorales, entre P66 et 01 dans l’Évangile de Jean, entre P64+67 & P77+103 et 01 dans l’Évangile de Matthieu, ainsi qu’entre P13 et B03 de même qu’entre P46 et 01 dans l’Épître aux Hébreux, etc., invalident chronologiquement la thèse invraisemblable d’une recension alexandrine par le païen Hyséchios. (Neville Birdsall, “Textes et versions”, Grand Dictionnaire de la Bible, Éditions Excelsis, 2010, p. 1662-1663 ; Philip Comfort, “The Most Reliable Witnesses”, New Testament Text and Translation Commentary, Tyndale House Publishers, 2008, p. XVI-XXIII).

● ● ●

L’origine asiate / ionienne / ouest-anatolienne du texte-type dit alexandrin expliquée par Peter Rodgers (pasteur épiscopalien et professeur de N.T. au Fuller Theological Seminary à Sacramento en Californie) :

Le texte “occidental” n’est pas né en Occident

Semblablement, le vocable « occidental » est donné au texte-type portant ce nom parce que les deux 1ers manuscrits de ce courant à devenir passablement bien connus en Europe moderne – à savoir le Codex Bezæ (D05) et le Codex Claromontanus (D06) – furent respectivement dénichés par Théodore de Bèze à Lyon et à Clermont-de-l’Oise en France (c-à-d en Occident) au XVIème siècle. Toutefois, nous savons aujourd’hui que même si le Codex Bezæ fut vraisemblablement copié en Gaule méridionale au début du Vème siècle – probablement à Lyon ou à Vienne (Isère), ou possiblement à Clermont-Ferrand (comme le spéculait Bèze) – sa filiation textuelle remonte à Smyrne en Ionie (c-à-d en Orient) vers la fin du IIème siècle. Selon l’hypothèse la mieux accréditée, l’exemplaire depuis lequel aurait été copié D05 aurait été apporté dans la vallée du Rhône par le 1er pasteur de l’Assemblée chrétienne de Lyon, Pothin de Lyon († 177), natif d’Asie Mineure qui fut envoyé en Gaule par Polycarpe de Smyrne, ou sinon par son 2ème pasteur, Irénée de Lyon († 202), lui aussi un émule asiate de Polycarpe.

Certes, le Codex Claromontanus (D06) fut copié en Italie méridionale à la fin du Vème siècle, et deux autres importants témoins du texte-type dit occidental, le Codex Augiensis (F010) et le Codex Boernarius (G012), copiés au IXème siècle, viennent respectivement de l’Abbaye de Reichenau et de l’Abbaye de St-Gall en Germanie méridionale. Cela paraît situer ce texte-type en Occident. Cependant, la Vieille syriaque (version des Évangiles, Actes et Épîtres de Paul en araméen antérieure à la Peshitta) est un témoin du texte-type dit occidental ; elle confirme l’ancrage de ce texte-type en Orient environ 150 ans avant la production de D06 et un bon demi-millénaire avant la production de F010 et G012. (C.-B. Amphoux et J.-C. Haelewyck, Manuel de critique textuelle du Nouveau Testament, Éditions Safran, 2014, p. 21-22, 28-29, 102-103 et 272-273 ; Robert Waltz, “Manuscript F (010)” et “Manuscript G (012)”, Encyclopedia of Textual Criticism, en ligne).

Tableau-synthèse sur l’origine géo-chronologique des textes-types du N.T.

Voici un tableau synthétisant l’information basique sur l’origine géographique et chronologique des divers textes-types du Nouveau Testament grec (appuyé par moult références bibliographiques) en une seule page :

Ce tableau est aussi accessible sur Calaméo ou en téléchargement direct ici.

● ● ●

Quelques précisions s’imposent :

  • Pour les fins de ce tableau, « centres d’origine » signifie aussi « centres de diffusion » (j’ai manqué d’espace pour l’ajouter). Ainsi, par exemple, nous savons par l’intermédiaire de la Vetus Latina (« Vieille latine », c-à-d la version de la Bible en latin antérieure à la traduction de la Vulgate par Jérôme de Stridon et Rufin le Syrien) qui était utilisée par des Pères de l’Église au Maghreb comme Tertullien de Carthage, Cyprien de Carthage en Augustin d’Hippone, que le texte-type occidental grec a été diffusé dans – et depuis – l’Afrique du Nord, puisque cette Vetus Latina fut traduite à partir de manuscrits grecs du texte-type occidental.
  • Ce tableau présuppose l’axiome selon lequel le lieu de découverte d’un manuscrit ou le lieu de popularité d’un texte-type (ci-après « t-t ») n’est pas une preuve déterminante de l’origine géographique du t-t concerné. En effet, les gens, les livres et les idées circulaient en Antiquité gréco-romaine comme ils circulent aujourd’hui. Ainsi, la découverte des Papyrus 66 & Papyrus 75 ayant un t-t alexandrin en Égypte, de même que l’utilisation du t-t alexandrin par Athanase d’Alexandrie au IVème siècle puis par Cyrille d’Alexandrie au Vème siècle, ne prouvent pas que ce t-t provienne initialement d’Égypte. Mais dans ce cas, ce tableau se contredit-il en indiquant que le t-t alexandrin proviendrait notamment de Constantinople car A02 est retraçable jusqu’à cette cité ? Hé bien pour être franc, puisque ce ms est l’un des principaux témoins de ce t-t, il m’a semblé que je devais le mentionner en quelque part dans le tableau, et l’indiquer tel que je l’ai fait est le seul moyen que j’ai trouvé tout en faisant tenir le tableau annoté sur une seule page au format légal nord-américain (8½×14 pouces).
  • Similairement, y-a-t’il incohérence dans l’indication que le t-t césaréen puise notamment ses origines dans l’Oasis du Fayoum en Égypte car le Papyrus 45 et le Codex Washingtonensis III (W032) y ont été déterrés ? Honnêtement, peut-être ; cette indication se motive par le fait que le t-t césaréen est de loin celui pour lequel nous disposons du moins d’informations faisant consensus (son existence même est contestée par Kurt & Barbara Aland, mais ceci est exagéré). Plutôt que de ne rien dire, mieux vaut dire le peu que nous savons.

Read Full Post »