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Folio 38 recto du Papyrus 46, datant de 150-175 ap. J.-C. et conservé à la Bibliothèque Chester Beatty à Dublin en Irlande — Cette page porte la fin de l’Épître aux Hébreux (13:20-25) et le début de la 1ère Épître aux Corinthiens (1:1-3)

Au XIXème siècle, des biblistes comme Karl Lachman, Samuel Prideaux Tregelles, Konstantin von Tischendorf, Brooke Westcott, Fenton Hort, Benjamin Warfield et Eberhard Nestle postulèrent que dans le Nouveau Testament grec, lorsque les textes des manuscrits diffèrent entre eux, en chacun des ces passages (appelés lieux-variants), quand les codices Sinaïticus (01) et Vaticanus (B03) – et Alexandrinus (A02) dans les Actes & Épîtres & Apoc. – s’accordent entre eux mais divergent des manuscrits du texte-type byzantin, ces trois vieux onciaux (01, B03 et A02) correspondent automatiquement au texte original authentique.

Au XXème siècle, la découverte et/ou l’analyse des papyri grecs du N.T. datant des IIème et IIIème siècles nous ont amené à nuancer cette compréhension. Ces papyri primitifs, qui sont environ 150 à 250 ans plus anciens que les trois vieux onciaux, démontrent que l’« état du texte » du N.T. à l’époque où ces papyri furent copiés était plus diversifié qu’on le croyait précédemment. En effet, malgré que ces papyri corroborent très souvent 01, B03 et A02, ils corroborent aussi occasionnellement le texte-type byzantin, le texte-type occidental et le texte-type césaréen.

La thèse de Sturz : Égalité entre les textes-types

En 1984, le savant évangélique Harry Sturz – qui fut le directeur du Département de grec de l’Université Biola à La Miranda en Californie ainsi qu’un co-traducteur du N.T. de la New King James Version (NKJV, 1979) – publia l’ouvrage intitulé The Byzantine Text-Type and New Testament Textual Criticism, lequel fut réédité en 2022.

Dans ce livre, Sturz plaide que tous les texte-types du N.T. seraient d’une ancienneté comparable et qu’ils auraient donc tous une valeur ± équivalente. Pour étayer sa position, cet auteur a inclus dans ce livre une liste de « 150 variantes textuelles byzantines distinctives » corroborées par des papyri grecs du N.T., formant la Liste 1 des Appendices (p. 145-159).

L’argument que soutenait Sturz dans cette œuvre n’était pas que le texte-type byzantin/majoritaire correspond à l’unique texte original immaculé du Nouveau Testament à l’exclusion des trois autres textes-types, mais plutôt que « le texte byzantin devrait avoir le même poids, à côté des textes alexandrin et occidental, dans l’évaluation des preuves extérieures [c-à-d la comparaison des attestations dans les manuscrits] appuyant des variantes » (p. 130).

Quelques autres affirmations de ce bouquin méritent d’être citées afin de représenter fidèlement la portée que son auteur entendait lui donner :

« Plusieurs choses doivent être constatées concernant ces variantes distinctement byzantines trouvées dans les anciens papyri :
(1) Ces 150 variantes sont primitives. […]
(2) Ces variantes n’ont pas été créées au IVème siècle. […]
(3) Les vieux onciaux [01, B03 et A02] n’ont pas préservés le tableau complet du IIème siècle. […]
(4) Le texte-type byzantin a préservé des traditions [textuelles] n’ayant pas été préservées dans les autres textes-types. » (p. 62-64)

« Il y a davantage de différences qu’il n’y a d’accords entre les papyri [grecs du N.T.] et K [= Koinè = texte byzantin] aux endroits où il y a des variations. » (p. 67)

« [L]e texte byzantin devrait être considéré comme un témoin indépendant du texte du Nouveau Testament. Il ne s’agit pas de suggérer que le texte byzantin n’a subit aucun processus éditorial. […] Les variantes byzantines sont aussi anciennes que celles de n’importe quel autre texte-type. Les variantes byzantines remontent au IIème siècle. » (p. 101-102)

La thèse d’Harry Sturz, à savoir l’égalité des textes-types, est donc audacieuse, mais mesurée. Or malgré cette approche tempérée, les zélateurs du soi-disant texte reçu (TR — un dérivé du texte byzantin contaminé par des variantes venant de la Vulgate latine médiévale et par d’autres aléas de l’histoire) n’hésitent pas à l’instrumentaliser et à envoyer aux oubliettes tous les bémols que son auteur avait prudemment énoncés.

Récupération des papyri par le camp “TR-only”

Un cas emblématique de cette appropriation de la thèse modérée d’Harry Sturz par des militants pro-TR exclusivistes est la brochure La Parole que donna le Seigneur de la Société Biblique Trinitaire (SBT), qui s’adonne à interprétation très maximaliste des données rassemblées par Sturz :

« Les premiers papyrus témoignent d’un nombre phénoménal de variantes typiquement byzantines. On retrouve ces mêmes variantes dans P45 et P46 […] et dans P66 […]. Le professeur H.A. Sturz a dressé une liste de 150 variantes byzantines confirmées par des papyrus fort anciens. Cela prouve que contrairement à l’opinion des critiques textuels de la première génération [sic : l’opinion des meilleurs biblistes de la fin du XIXème siècle], les variantes byzantines remontent au deuxième siècle. […] De toute évidence, ce texte était considéré comme la version authentique, intacte, officielle. […] Il est naturel de se demander : ‹ D’une manière générale, quel type de texte fut cautionné et propagé par l’Église dès les premiers siècles ?La réponse est : le texte ‹ byzantin ›. […] Le professeur Sturz montre que certaines de ces variantes [byzantines] sont confirmées par les papyrus les plus anciens (par exemple, les variantes les plus étoffées de Jean 10:19 et 10:31 trouvent confirmation dans P66). » (Malcom Watts, La Parole que donna le Seigneur, SBT, 2012, p. 24, 26-27 et 30.)

Qu’en est-t-il de ces “150 variantes” ?

L’existence présumé de 150 variantes byzantines dans les papyri grecs du N.T. serait un argument vraiment très puissant en faveur du texte-type byzantin/majoritaire. Mais à la grande frustration du lecteur curieux de découvrir quelles sont ces fameuses 150 variantes, celles-ci ne sont pas traduites en langue vernaculaire là où elles sont listées en grec aux p. 145-159. Dans tout l’ouvrage, Sturz traduit uniquement une de ces variantes en anglais, à savoir celle de Luc 10:42 (« cependant une seule chose est nécessaire … », Bible de Genève de 1805), aux p. 57 et 86. Et dans tout son livre, Sturz ne discute que de cinq autres variantes byzantines attestées par les papyri : Marc 7:31, Luc 10:41 et Jean 11:19 (aux p. 56-58) ainsi que Jean 10:19 & 10:31 (à la p. 85).

Le fait que Sturz n’ait pas traduit davantage de ces « 150 variantes », et qu’aucun partisan du soi-disant texte reçu ou du texte majoritaire (𝕸) n’ait publié de traduction intégrale de ces 150 variantes nous autorise à penser que la plupart de celles-ci sont ou bien non-traduisibles, ou bien traduisibles mais insignifiantes (car triviales). Et si nous creusons un peu, nous voyons que cela s’avère exact.

Commençons par les « variantes les plus étoffées de Jean 10:19 et 10:31 » invoqués dans la brochure susmentionnée de la Société Biblique Trinitaire (p. 30) comme preuve ultime de l’antériorité du texte byzantin. Dans le Papyrus 66 (P66) et dans le texte byzantin, ces deux versets contiennent la même variante formée d’un seul terme : Le mot grec οὖν (oun) – qui se traduit le plus souvent en français par « donc » – y précède le mot grec πάλιν (palin), « encore ». Quoique traduisible, cette variante est grammaticalement insignifiante : Le sens de la phrase ne change pas si le vocable οὖν y est présent ou absent. Plutôt décevant pour une prétendue variante étoffée ! (Cf. Sturz, p. 84 ; Kurt Aland et al., Greek New Testament, Alliance Biblique Universelle, 1993 = UBS4, p. 360 n. 6 ; Robinson-Pierpont Byzantine Majority Text, 2000.)

Dans un compte rendu du livre de Sturz (JETS, Vol. 28, N° 2, 1985, p. 241), l’érudit pentecôtiste Gordon Fee a remarqué que dans les Évangiles uniquement, au moins 27 des ces « 150 variantes distinctives » ne sont pas véritablement distinctives parce qu’elles sont aussi attestées par des témoins du texte-type occidental. {J’ajouterai que d’autres de ces variantes supposément byzantines ne sont pas distinctives lorsqu’elles s’accordent avec une branche du texte alexandrin quand ce dernier est divisé en plusieurs branches, tel qu’en Luc 10:39 + 10:41.} Fee a également calculé que sur un total de 18 variantes où le Papyrus 75 (P75) corrobore le texte byzantin, 17 de ces variantes sont des trivialités, et parmi celles-ci, 9 ne sont même pas traduisibles en anglais ou en latin. La seule variante significative est celle de Luc 15:21, où P75 s’accorde avec 𝕸 en omettant la clause « traite-moi comme un de tes salariés » (NBSᵐᵍ) qui figure dans ℵ01 et B03 (où elle fut reproduite depuis le v. 19 pour harmoniser les deux versets).

Dans sa thèse doctorale Assimilation as a Criterion for the Establishment of the Text soutenue à l’Université de Théologie de l’Église reréformée des Pays-Bas à Kampen en Overijssel, Willem Wisselink analyse les données brutes fournies par Sturz (Éditions Kok, 1989, p. 32-34). En faisant un peu de ménage dans le celles-ci, il confirme l’existence de 52 variantes 𝕸 dans P45, 32 variantes 𝕸 dans P66, et 18 variantes 𝕸 dans P75. Ainsi, la liste de Sturz est donc réduite de 150 à 102 variantes. Wisselink reconnait qu’une proportion considérable des ces 102 variantes sont triviales, mais refuse de les écarter. Il clarifie aussi la notion de variante distinctive chez Sturz : le critère retenu par Sturz est distinctive selon Fenton Hort en 1881, pas distinctive en toute objectivité selon l’état actuel des connaissances.

Des études supplémentaires seraient nécessaires pour parvenir à chiffrer avec plus d’exactitude le nombre précis de variantes byzantines distinctives, traduisibles et significatives (non-triviales) attestées dans les papyri néotestamentaires grecs des IIème et IIIème siècles. En attendant, leur quantité peut provisoirement être estimée à environ une demie-douzaine. La section suivante se penche sur ces variantes rarissimes.

Exemples valables de variantes byzantines anciennes

Nous avons précédemment reconnu un alignement valable entre P75 et 𝕸 en Luc 15:21. Le document ci-dessous identifie quatre variantes distinctives byzantines additionnelles qui ont le mérite d’être traduisibles et non-triviales (Marc 7:31, Luc 10:42, Jean 11:19 et Philippiens 1:14). Pour chaque lieu-variant, ce document indique les principaux manuscrits attestant la variante byzantine, les principaux manuscrits attestant la variante non-byzantine, et reproduit les passages pertinents venant de traductions en français et en anglais qui reflètent chacune de ces variantes concurrentes. (On pourrait alléguer que les cas de Luc 10:42 et Jean 11:19 ne sont pas distinctement byzantins car ces textes coïncident avec celui des témoins du texte-type césaréen. Mais puisque l’on sait que ce texte-type césaréen n’existe plus sous forme pure et que tous ses manuscrits souffrent de divers degrés d’assimilation au texte-type byzantin, il est préférable de qualifier ces deux variantes de byzantines étant donné qu’elles ne sont pas non plus distinctement césaréennes.)

Ce document est aussi accessible sur Calaméo et en téléchargement direct ici.

Voici quelques exemples supplémentaires.

Exemple # 6 : En Matthieu 24:6, dans le Papyrus 70 (datant de l’an ≈ 250), le texte du manuscrit correspond au texte 𝕸 que l’on peut lire dans la Bible de Lausanne révisée (BLR 2022) : « … prenez garde que vous ne soyez troublés, car il faut que tout arrive, mais ce n’est pas encore la fin ». Ceci diffère des textes alexandrin, occidental et césaréen – ici représentés par les codices Sinaïticus (01), Vaticanus (B03), Bezæ (D05), Regius (L019), Koridethi (Θ038) et Colbertinus (Minuscule 33) – lesquels correspondent plutôt à ce que l’on peut lire dans la Nouvelle Bible Segond (NBS 2002) : « … gardez-vous de vous alarmer ; car cela doit arriver, mais ce n’est pas encore la fin ». Le mot grec « tout » (παντα) est présent dans le texte byzantin mais est absent des textes alexandrin, occidental et césaréen. (Quant au mot « cela », il n’est dans aucun des témoins grecs susmentionnés mais est inséré dans maintes traductions pour des fins de lisibilité ; les Bibles d’Ostervald de 1724 & 1996 font de même avec les mots « ces choses ».)

Exemple # 7 : En Apocalypse 11:19, le Papyrus 47 (datant de l’an ≈ 275) se lit « … l’arche de l’alliance du Seigneur … », ce qui correspond au texte 𝕸, tandis que le Papyrus 115 (datant de l’an ≈ 250) et les codices Alexandrinus (A02) et Ephraemi Rescriptus (C04) se lisent plutôt « … l’arche de son alliance … », ce qui correspond à la fois au texte standard (cf. Segond 21) et au texte reçu (cf. BLR).
(Philip Comfort, Commentary on the Manuscripts and Text of the N.T., Kregel Academic, 2015, p. 409-410 ; Robert Boyd, The Text-Critical English N.T. – Byzantine Text Version, Lulu Press, 2021, p. 484 ; Maurice Carrez, N.T. interlinéaire grec-français, Alliance Biblique Universelle, 1993, p. 1136.)

Conclusion : Bien apprécier les preuves

Pour conclure cette étude, je cède la plume à d’autres auteurs, qui résument la réalité historique mieux que je ne pourrais le faire.

« [I]l n’y a absolument aucun manuscrit byzantin primitif. […] Certes, il y a des variantes individuelles dans des manuscrits primitifs qui se retrouvent [aussi] dans le texte byzantin. Mais en conformité avec l’approche [pro-]byzantine consistant à regarder le texte comme un ensemble plutôt que comme des unités de variantes individuelles, [nous devons conclure que] il n’y a pas d’évidence dans les premiers siècles qui supporte [l’existence du] texte byzantin [en tant que texte-type systématisé]. » (Dirk Jongkind, Introduction to the Greek New Testament Produced at Tyndale House, Crossway Books, 2019, p. 96 et 98.)

« Certainement, des variantes byzantines sont attestées dans les premiers papyri. Mais s’agit-il d’une preuve de l’existence ancienne du texte-type byzantin, ou simplement d’une indication que certaines des tendances scribales reflétées dans les manuscrits byzantins [plus tardifs] eurent des débuts anciens ? Des papyri qui soutiennent des variantes singulières sont une chose, des papyri représentatifs du texte-type byzantin en sont une autre, et ces derniers n’ont pas été produits. » (Larry Hurtado, “The Byzantine Text-Type and New Testament Textual Criticism”, Catholic Biblical Quarterly, Vol. 48, N° 1, 1986, p. 150.)

« Certes, les papyrus les plus anciens présentent effectivement de fréquentes variantes du type caractéristique des sources manifestement byzantines. […] Mais nulle part on ne trouve la combinaison de variantes typique du texte byzantin. » (Heinrich von Siebenthal, “Nos traductions du N.T. ont-elles une base textuelle fiable ?”, Théologie évangélique, Vol. 2, N° 3, 2003, p. 233.)

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Cet article est une appréciation de la vidéo ci-dessous.

Je partage la croyance de messieurs Christian Khanda et Hugues Pierre dans l’importance primordiale de la doctrine de la préservation des Écritures Saintes, et je suis passionné par la transmission providentielle des oracles divins aux cours des millénaires de l’histoire de la Rédemption. Toutefois, j’estime que la thèse spécifique promue par ces deux internautes, à savoir que pour le N.T., seul le soi-disant “texte reçu” grec doive être considéré comme étant le texte inspiré correctement préservé, est intenable sur les plans théologique et historique. Pour cette raison, je vais répondre ci-dessous aux erreurs les plus sérieuses que j’ai constaté dans cette discussion (que j’ai écouté très attentivement).

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Tout d’abord, vers la minute 12:10, Hugues Pierre s’en prend à la critique textuelle, qu’il présente comme une pratique remontant au XIXème siècle. En réalité, la critique textuelle est aussi ancienne que l’existence de variantes textuelles entres différentes copies manuscrites puis tapuscrites du texte du N.T. Dès l’Antiquité chrétienne, des Pères de l’Église relatent l’existence de variantes et s’attèlent à la critique textuelle, discipline qui consiste à évaluer les variantes connues dans le but de déterminer celle qui correspond au texte révélé original. J’ai reproduit plusieurs définitions et descriptions de la critique textuelle du N.T. venant d’ouvrages académiques chrétiens ici (donc Hugues Pierre ne pourra pas plaider que j’invente une nouvelle définition juste pour les fins de mon propos) : Introduction à la critique textuelle du Nouveau Testament.

Hugues Pierre s’émeut de la notion de « restauration » du Texte Sacré qui est sous-jacente à la critique textuelle. Or si l’on détecte une erreur humaine dans la transmission du texte, que l’on identifie la variante correcte via une démarche de critique textuelle, puis que l’on corrige cette erreur en remplaçant la variante erronée par la variante correcte, cette rectification consiste indubitablement, pour ce lieu-variant, en une *restauration* du texte.

D’ailleurs, ces nouveaux zélateurs du “texte reçu” (TR) ont beau s’émouvoir du concept de *restauration* du texte néotestamentaire, les utilisateurs du TR s’adonnent volontiers depuis 500 ans à cet exercice de *restauration* ! Quelques exemples :

→ En Luc 2:22, Érasme suivi par la Bible de Genève française de 1553 disent « LEUR purification » ; puis Bèze éventuellement suivi par Ostervald *restaurent* (ou s’imaginent restaurer) le texte à « SA purification ».
→ En Luc 17:36, Érasme suivi par les Bibles réformées françaises de 1535, 1540 et 1553 omettent le verset en entier ; puis Bèze suivi par les versions TR ultérieures *restaurent* le verset en entier.
→ En Romains 12:11, Estienne suivi par les Bibles réformées françaises de 1535, 1540 et 1553 disent « servant AU TEMPS » ; puis Bèze suivi par les versions TR ultérieures *restaurent* ce texte à « servant LE SEIGNEUR ».

Démonstration faite : Les biblistes réformés du XVIème siècle n’hésitaient pas à (tenter de) *restaurer* le Texte Sacré en le purgeant de ses corruptions – réelles ou imaginaires – au moyen de la critique textuelle. C’est un fait historique irréfutable.

Vers la minute 16:20, puis encore à 46:05, 56:00 et 1:18:50, Christian Khanda plaide répétitivement que le texte reçu est *le* « texte protestant » et que les confessions de foi protestantes « sont basées sur le TR ». Khanda insiste surtout sur l’article 1:8 de la Confession de Westminster, qui énonce que l’A.T. et le N.T. furent « gardés purs, au long des siècles, par sa providence [de Dieu] et ses soins particuliers » (formulation identique dans la Déclaration de Savoy congrégationaliste de 1658 et la Confession réformée baptiste de 1689). Khanda essaie de capitaliser sur cette affirmation crédale très prudente pour faire accroire à ses auditeurs que le protestantisme réformé confessant est obligatoirement assujetti à sa thèse d’exclusivité du TR. Cette attitude émane d’une compréhension inadéquate de cette clause confessionnelle.

Sans m’attarder sur le fait que le TR est, historiquement, une coproduction de la Papauté idolâtre (!), je démontre dans mon étude Considérations sur l’orthodoxie réformée, la préservation des Écritures Saintes et la critique textuelle du N.T., plus précisément à la section 2 intitulée L’orthodoxie réformée ne requière pas d’adhérer à une traduction et à un texte-type spécifiques, que l’article 1:8 des Westminster / Savoy / 1689 ne peut pas être valablement instrumentalisé pour délégitimer tous les textes néotestamentaires grecs autres que le TR.

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À la minute 20:50, Christian Khanda fait allusion à la redécouverte du Codex Sinaïticus (oncial ℵ01) au milieu du XIXème siècle (mais sans l’identifier explicitement), puis généralise ensuite en alléguant que le peuple de Dieu n’a pas utilisé ces textes (ℵ01 et les autres anciens manuscrits des II-IVèmes siècles) de manière ininterrompue au fil des siècles. Monsieur Khanda mêle vraiment les cartes ici.

Pour commencer, qui est le « peuple de Dieu » ? À partir du IXème siècle, avec le triomphe définitif de la pseudo-orthodoxie (rétablissement durable de l’iconodoulie) dans l’Empire byzantin, l’Église grecque d’Orient devient quasiment aussi hérétique que l’Église catholique romaine (culte des saints = polythéisme, etc.).

Dans cet Orient hellénique, seul le clergé avait un contact direct & régulier avec la Bible… or ce contact n’était pas forcément reluisant. Il n’était pas rare pour les moines byzantins copiant ces Bibles grecques tardives d’y insérer une prière en postlude où ils remercient la Vierge Marie – comme une déesse – de les avoir aidés à copier le manuscrit ! C’est ça le « peuple de Dieu » selon Khanda ? Rappel : les vrais chrétiens sont monothéistes.

Ensuite, concernant l’utilisation effective des grands onciaux tels le Codex Sinaïticus (ℵ01), le Codex Vaticanus (B03) et le Codex Alexandrinus (A02), ce n’est pas parce que ces manuscrits n’étaient pas utilisé lors de leur redécouverte (ou leur revalorisation) aux XVII-XIXèmes siècles qu’ils n’ont jamais été utilisés ! Bien au contraire, ces codices furent tellement utilisés qu’ils tombent en lambeaux et même que plusieurs de leurs portions physiquement situées sur le dessus ou le dessous sont disparues depuis très longtemps à force d’usure. Ainsi, le Sinaïticus est usé à la corde : le 1er folio survivant commence à Genèse 21:26, et à vrai dire la majeure partie du texte précédant 1 Chroniques 9:27 est manquant. Et dans le Vaticanus, les folios portant l’original d’Hébreux 9:15 jusqu’à la fin du N.T. furent perdus avant même l’arrivée de ce manuscrit en Occident au milieu du XVème siècle. Donc ces Bibles ont amplement été utilisées.

La raison pour laquelle ces grands onciaux n’étaient pas en usage en Orient au moment où ils furent transportés en Occident (ou découverts en Orient par des protestants occidentaux) aux XV-XIXèmes siècles, c’est que plus personne sur la planète n’utilisait le script dans lequel ils furent écrits. Duh ! Ces Bibles grecques de l’Antiquité furent entièrement copiés en lettres onciales (majuscules arrondies). Or au VIIIème siècle, autant en Occident latin qu’en Orient grec, les lettres minuscules sont inventées. Ce nouveau script en minuscules remplace rapidement le vieux script en majuscules, et en quelques générations les documents écrits en majuscules sont délaissés parce que devenus désuets aux yeux des lecteurs désormais uniquement habitués à la graphie minuscule.

Monsieur Khanda devrait s’éduquer un peu sur l’histoire de la codicologie chrétienne et de la transmission du texte biblique avant de raconter des balivernes condamnatoires. En ce sens, l’analyse des variantes textuelles contenues dans les citations bibliques des écrits patristiques démontre que dès l’Antiquité, tous les quatre principaux textes-types étaient connus et utilisés dans l’Église chrétienne ; voir mon article L’origine géographique et chronologique des différents textes-types du N.T.

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À la minute 28:00, Hugues Pierre avance que le “texte reçu” est assimilable au texte majoritaire de l’Orient grec médiéval. C’est un argument pro-TR très à la mode, mais fallacieux. La vérité est plus complexe que ça. Le TR est une fabrication éclectique datant du XVIème siècle. En réalité, il existe plus d’un millier de variantes textuelles traduisibles entre le TR et le texte majoritaire byzantin ! Certes, en moyenne, le TR est comparativement plus proche du texte majoritaire que ne l’est le texte standard Nestle-Aland (le texte critique le plus répandu), mais on ne peut pas prendre pour acquis que le texte majoritaire va nécessairement s’aligner avec le TR contre le texte standard (qui est surtout basé sur le texte alexandrin), parce que dans plus de 85 cas, le texte majoritaire concorde avec le texte standard contre le TR ! Voir l’article Leçons du Nouveau Testament où le texte alexandrin concorde avec le texte majoritaire contre le texte reçu.

À la minute 24:00, Christian Khanda attaque la critique textuelle moderne du N.T. comme étant une méthode naturaliste, « la théorie de l’évolution appliquée à la Parole de Dieu », dit-il. Dans la même veine, à la minute 45:00, Hugues Pierre prétends que pendant 300 ans (grosso modo de 1500 à 1800), tout le monde était content avec le texte reçu grec. Ces deux assertions sont erronées.

La critique textuelle moderne de la Bible n’est que le prolongement de la critique textuelle humaniste (pas dans le sens laïciste du terme) et réformationnelle amorcé au XVIème siècle. Dès les premières itérations du TR, plein d’érudits – protestants comme catholiques – étaient conscients des lacunes et des faiblesses de ce texte, c’est pourquoi ils n’hésitèrent pas à le modifier ou à préconiser sa rectification (comme par exemple Théodore de Bèze qui argumente contre l’authenticité de la péricope de la femme adultère dans son édition du TR de 1598).

Mais l’état précoce et fragmentaire de la connaissance des manuscrits grecs du N.T. au début du XVIème siècle fit en sorte que l’entreprise colossale consistant à répertorier et collationner ces manuscrits dispersés à travers l’Europe et l’Asie a nécessité ± 300 ans. Donc c’est tout à fait normal, vu cette progression graduelle des connaissances, que ce n’est qu’au XIXème siècle que l’on put produire un texte standard grec apte à remplacer le TR.

Des chrétiens dévoués participèrent à tout ce long processus, comme je l’explique dans la section La critique textuelle est un vecteur de la providence rédemptrice de Dieu de mon étude Considérations sur l’orthodoxie réformée et la préservation des Écritures Saintes (section 4).

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Vers la minute 57:05, Christian Khanda évoque la variante trinitaire « Dieu le Fils unique » du texte critique (TC) en Jean 1:18, lieu-variant ou le texte reçu porte la variante non-trinitaire « le Fils unique engendré ». Khanda essaie de sauver la réputation de cette variante non-trinitaire du TR en arguant que c’est plutôt le TC qui serait jéhoviste ici. Hugues Pierre s’efforce de lui prêter main forte dans les minutes subséquentes.

Durant l’Antiquité chrétienne, beaucoup de Pères de l’Église utilisèrent des Bibles attestant cette variante « Dieu le Fils unique » du TC en Jean 1:18 – comme les papyri P66 (copié en l’an ≈150) & P75 (copié en l’an ≈175) ou la Peshitta araméenne – et citèrent explicitement cette variante trinitaire dans leurs écrits :
• Irénée de Lyon dans ‹Contre les hérésies› (§ 4:20:11).
• Clément d’Alexandrie dans ‹Stromates› (§ 5:12).
• Origène d’Alexandrie dans ‹Commentaire du Jean› (§ 2:29) et dans ‹Contre Celse› (§ 2:71).
• Eusèbe de Césarée dans ‹Théologie ecclésiastique› (§ 3:7).
• Basile de Césarée-en-Cappadoce dans ‹Sur le Saint-Esprit› (§ 6:15, 8:17, 8:19 et 11:27).
• Didyme l’Aveugle dans ‹Commentaire sur Zacharie› (§ 5:33) et dans ‹Commentaire sur Ecclésiaste› (§ 12:5).
• Épiphane de Salamine dans ‹Ancoratus› (§ 2:5 et 3:9) et dans ‹Panarion› (§ 612 et 817).
• Sérapion de Thmuis dans ‹Contre les manichéens› (p. 639).
• Cyrille d’Alexandrie dans ‹Commentaire sur Jean› (§ 1:10), dans ‹Contre Nestorius› (§ 3:2 et 5:2), dans ‹Le Christ est un› (non numéroté) et dans ‹Thesaurus de sancta et consubstantiali trinitate› (§ 35 ss).

Alors, doit-on conclure du raisonnement de messieurs Khanda et Pierre que les sommités patristiques qui nous ont légués la trinitariologie orthodoxe – tels Basile de Césarée et Cyrille d’Alexandrie – étaient des précurseurs des jéhovistes modernes ?! C’est complètement ridicule. Et Jean 1:18 n’est pas le seul lieu-variant où le texte critique / standard enseigne une christologie supérieure à celle du texte reçu. Y’en a plein d’autres, voyez ces tableaux comparatifs : La christologie des Bibles basées sur le texte standard n’a rien à envier à celle des Bibles basées sur le texte reçu.

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À la minute 1:02:15, Hugues Pierre feint d’adresser le problème des variantes textuelles internes du TR. Malgré qu’il reconnaît que ces variantes existent, il esquive le fait que ces variantes intra-TR obligent les tenants du TR à effectuer de la critique textuelle (s’ils veulent départager les bonnes variantes des mauvaises variantes). Pierre préfère revenir à la charge avec son « objection de principe » au texte critique, à savoir que ce TC présupposerait que « le texte biblique a été perdu, corrompu, et détruit ».

Or cette pirouette rhétorique ne fonctionne pas, car les tenants du TC disent que le texte biblique fut corrompu puis fut rétabli UNIQUEMENT LÀ OÙ IL Y A DES VARIANTES (c’est-à-dire environ 5 à 10 % maximum du texte du N.T.). On revient donc aux variantes !

Dans la suite immédiate de l’entretien, Hugues Pierre expose sa distinction entre un « texte fermé » (le TR selon lui) et un « texte ouvert » (le TC selon lui). Le TC, puisqu’il serait toujours susceptible d’être amélioré dans le futur, serait coupable de « régression à l’infini », il serait modifiable sans aucun garde-fou et sans aucune limite.

C’est une fausse représentation. Loin de menacer la stabilité du texte, les découvertes archéologiques, muséologiques ou archivistiques de « nouveaux » manuscrits néotestamentaires sont toujours appréciées à la lumière de l’immense bagage de connaissances portant sur la masse des 6000+ manuscrits grecs déjà en notre possession. C’est pour ça que le texte standard Nestle-Aland a très peu changé depuis sa 1ère incorporation substantielle de l’apport des papyri dans l’UBS3 (1975) / NA26 (1979).

Nous sommes en bon droit de demander aux zélateurs du TR pourquoi c’était légitime de modifier le TR de 1516 (1ère éd. d’Érasme promue par le pape de Rome) jusqu’en 1881 (éd. de Scrivener promue par la Société biblique trinitaire), mais ça ne serait pas légitime de réformer le TC entre 1975 et 2026 (date prévue de parution du NA29) ? En vertu de quoi devrions-nous nous astreindre à cette braquette temporelle arbitraire imposée par les zélateurs du TR ?

En attendant qu’ils répondent à cela, il est instructif d’explorer les contradictions internes du TR, ce que je propose au lecteur de faire via cet article : Le “texte reçu” versus le “texte reçu” : Un survol des variantes internes au TR.

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Deux pages de la Saincte Bible en françoys, traduite du latin par Lefèvre d’Étaples et imprimée par Martin Lempereur à Anvers (Brabant) en 1530, conservée à la Bibliothèque de la Southern Methodist University à Dallas (Texas)    La Vulgate latine exerça une influence profonde, quoique subtile, sur le “texte reçu”

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Dans les controverses bibliologiques qui opposent les adeptes du “texte reçu” aux tenants du texte dit alexandrin, les avocats du “texte reçu” ne manquent jamais d’alléguer contre leurs adversaires que leur texte détiendrait l’avantage quantitatif conféré par la volumineuse tradition manuscrite byzantine. Par exemple, la Préface de la Bible d’Ostervald révisée (BOR, 2018) traduite par une équipe dirigée par le pasteur baptiste arminien Mario Monette affirme fièrement que le soi-disant texte reçu « est la préservation fidèle des textes originaux et conforme à l’immense majorité des manuscrits qui existent. » (p. III).

Similairement, la Préface du N.T. de la Bible de Lausanne révisée (BLR, 2022) traduite par une équipe dirigée par le pasteur baptiste calviniste Timothy Ross déclare pompeusement, à propos du texte reçu, que : « [C]’est cette famille de manuscrits du Nouveau Testament que toutes les Églises [sic] ont reçue et utilisée depuis la plus haute antiquité [sic!]. Les manuscrits de cette famille représentent la vaste majorité des quelque cinq mille manuscrits existants. » (p. III).

Dans la même veine, une brochure diffusée par la Société Biblique Trinitaire (SBT, l’éditrice de la BLR susmentionnée) et qui lui sert de manifeste pro-TR, prétends ceci :

« Lorsqu’en 1516 le plus grand savant d’Europe, Érasme, publia la première édition [complète] du Nouveau Testament grec, il prit comme base des manuscrits byzantins typiques [sic]. […] Il s’avère qu’environ 90 % des manuscrits grecs [du N.T.] représentent le texte ‹ byzantin ›. […] ‹ N’oublions pas, écrit le Pr. Owen, que ce texte [reçu] si commun que nous utilisons a publiquement appartenu à de nombreuses générations… Qu’il soit tenu pour normatif, car c’est assurément son droit et son dû. › […] L’époque de la Réforme vit la publication de bon nombre de versions protestantes de la Bible. Les traducteurs appliquaient tous les mêmes principes : ils se fondaient sur le texte massorétique [pour l’A.T.] et sur le texte byzantin, ce ‹ texte reçu › préservé par la providence divine depuis les origines [sic], et accepté dans toutes les Églises réformées ; et ils serraient la langue originale au plus près, recherchant ‹ l’équivalence formelle ›. » (Malcom Watts, La Parole que donna le Seigneur, SBT, 2012, p. 25, 27 et 30).

Voilà donc le postulat erroné qui est supposé donner du crédit aux revendications des zélateurs du texte reçu : Le texte reçu serait identique au texte majoritaire. Or, c’est faux. Le texte reçu est très loin d’être identique au texte majoritaire ou adéquatement représentatif de celui-ci. Comme nous l’avons vu précédemment dans la présente série d’articles sur la critique textuelle du N.T., il existe plus d’un millier de différences textuelles traduisibles entre le texte reçu et le texte majoritaire ! Donc même si le texte reçu (TR) est, en général, *comparativement* plus proche du texte-type byzantin que ne l’est le texte-type dit alexandrin, ce TR ne se confond absolument pas avec le texte majoritaire (𝕸).

Et il y a une réalité assez croustillante qui découle de ce décalage substantiel entre le TR et le texte 𝕸 : Très fréquemment, le texte 𝕸 et le texte alexandrin s’accordent mutuellement et leur témoignage commun diverge du TR ! Les désaccords entre le texte 𝕸 et le TR font s’écrouler le château de cartes du narratif pro-TR ; les accords réciproques entre le texte 𝕸 et le texte alexandrin dispersent cet amas de cartes aux quatre vents.

Par exemple, en Matthieu 5:27, le texte alexandrin, attesté par le Papyrus 64/67 (copié vers l’an 150) – qui est simultanément le plus vieux manuscrit de l’Évangile selon Matthieu et le plus vieux fragment d’un livre (codex) conservé au monde (!) – ainsi que par 01 et B03, lit : « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère » (NBS). Cette lecture alexandrine est corroborée par le texte 𝕸 (cf. EMTV, WEB, BTV, MSB). Toutefois, le TR ajoute de manière illicite deux mots grecs non-inspirés et non-authentiques au milieu de ce verset, qui correspondent ici au texte en rouge : « … dit par les anciens : tu ne … » (BOR) ; « … dit aux anciens : tu ne … » (BLR).

Autre exemple : en Actes 24:6-8, dans le TR, il y a une grosse portion de texte non-original qui fut ajoutée (au texte révélé) et qui correspond ici au texte en rouge : « Et qui même a tenté de profaner le temple ; lequel nous avions saisi, et voulions le juger selon notre loi. 7 Mais le tribun Lysias étant survenu, l’a arraché de nos mains avec une grande violence, 8 En ordonnant à ses accusateurs de venir auprès de toi. Tu pourras apprendre toi-même de lui, en l’in­terrogeant, toutes les choses dont nous l’accusons » (BOR). Toute cette addition non-originale est absente d’au moins 55.3 % des manuscrits grecs d’Actes 24:6-8 ! À peine 16 % des mss contiennent une forme quelconque de cet ajout. Pire, cette variante, dans la forme exacte sous laquelle elle apparaît dans le TR (c-à-d cette sous-variante), n’est présente au mot-pour-mot que dans un très maigre 1 % des mss grecs d’Actes 24:6-8 (!), plus précisément dans le Codex Laudianus (E08), un ms diglotte gréco-latin où le texte latin a visiblement influencé le texte grec. Quant à la balance du 28.7 % des mss, ils contiennent d’autres développements textuels alternatifs. (Robert Boyd, The Text-Critical English New Testament – Byzantine Text Version, Lulu Press, 2021, p. 274 ; Albert Rilliet, Les livres du Nouveau Testament traduits pour la première fois d’après le texte grec le plus ancien, Joël Cherbuliez Libraire-Éditeur, 1858, p. 366.)

Il s’ensuit qu’en Actes 24:6-8, le texte alexandrin et le texte majoritaire se corroborent réciproquement et discréditent le TR qui tient son libellé davantage de la Vulgate latine que de l’héritage hellénique d’Antioche & Byzance. Cette sorte d’occurence, où une variante du TR provient de la Vulgate latine plutôt que du texte-type byzantin, est assez fréquent ; il s’observe aussi notamment en Actes 8:37, Actes 9:6, 2 Timothée 1:18, 1 Jean 5:7-8, Apocalypse 1:11, Apocalypse 16:5 et Apocalypse 22:19.

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Voici un document d’une quinzaine de pages regroupant un échantillon non-exhaustif d’environ 85 variantes textuelles supplémentaires réparties à travers l’ensemble du N.T. où le texte 𝕸 et le texte alexandrin se confirment mutuellement et où leur témoignage combiné contredit le TR, qui se retrouve démenti à la fois par les plus anciens manuscrits (avantage qualitatif) et par les plus nombreux manuscrits (avantage quantitatif) :

Document aussi accessible sur Calaméo et sur Issuu, ou en téléchargement direct ici.

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Folio 415 verso montrant le début du Livre des Actes des Apôtres dans le Codex Bezæ (D05) copié dans le Sud-Est de la Gaule vers l’an 400 et conservé à la Bibliothèque de l’Université de Cambridge (Angleterre) depuis 1581

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Un refrain que l’on entend souvent, dans les débats sur le thème des différentes versions de la Bible, est que certains mots ou certains passages seraient malicieusement « enlevés », « retirés » ou « supprimés » dans les traductions du Nouveau Testament qui ne sont pas basées sur le texte reçu (TR) grec.

Dans l’Anglosphère, certains militants évangéliques fondamentalistes érigent carrément de cette idée de « passages manquants » en cheval de bataille dans leurs parutions. Ainsi, les Chick Publications (l’éditeur des Chick Tracts populaires dans les décennies 1970 à 1990) vendent un livre intitulé Look What’s Missing! et deux DVDs intitulés Is Your Bible Missing Something? (volume 1 ; volume 2). Semblablement, le pasteur baptiste américain Scott Ingram (au Tennessee) vulgarise son mécontentement en ces termes : « Les érudits modernes pensent que nous avons perdu quelque chose que Dieu a dit que nous ne perdrions jamais [sic] et ils essayent de reconstruire un texte qui n’a jamais existé [sic] en supprimant l’équivalent de 1 & 2 Pierre de nos Nouveaux Testaments. »

En Francophonie, plusieurs tiennent ce même discours. Par exemple, la Préface du N.T. de la Bible de Lausanne révisée (BLR) – traduite par Timothy Ross, Philippe Lacombe et Marcel Longchamps et éditée par la Société Biblique Trinitaire (SBT) en 2022 – énonce : « Certaines traductions modernes omettent des versets entiers en suivant cette méthode [c-à-d en n’utilisant pas le TR comme texte de base]. Tout au long du Nouveau Testament, dans les traductions qui ont adopté cette méthode naturaliste [sic], il manque des mots et des parties de versets. » (p. IV).

Dans le manifeste officieux de cette SBT, on peut également lire ceci :

« Après avoir examiné Aleph [c-à-d le Codex Sinaïticus (01)], le Pr. F.H.A. Scrivener l’a déclaré ‹ mal écrit › et ‹ bourré de grossières erreurs de transcription ›, au point ‹ d’omettre des lignes entières de l’original ›. […] Il s’avère que beaucoup de passages manquent dans B[03] (Vaticanus) […] Force est de conclure que c’est le texte alexandrin qui est défectueux. On peut l’accuser d’avoir raccourci le texte byzantin. » (Malcom Watts, La Parole que donna le Seigneur, SBT, 2012, p. 28 et 30).

La Préface de la King James Française (KJF) traduite par Nadine Stratford et éditée par la First Bible Church de Staten Island (dans l’État de New York) en 2022 se fait l’écho de ces récriminations en se plaignant que « toutes les versions modernes anglaises » de la Bible contiennent de « nombreuses omissions et incohérences », et que « toutes les versions françaises » modernes de la Bible sont coupables de « ces mêmes omissions, outranciers changements et contradictions » (p. II).

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Tel que nous le constaterons dans le prochain article de la présente série sur la critique textuelle du N.T., un bon nombre des variantes textuelles caractéristiques du texte reçu sont des altérations illégitimes (comme la leçon « livre de vie » en Ap 22:19) ou des ajouts non-authentiques (comme l’addition des trois témoins célestes en 1 Jn 5:6-8) qui viennent tout droit de la Vulgate latine du Moyen Âge tardif. Pire, certaines variantes du TR furent carrément inventées par les créateurs du TR, comme la leçon « et qui seras » en Ap 16:5 in fine qui fut fabriquée de toutes pièces par Théodore de Bèze en 1588-1589.

Il n’y a pas de formule magique ou d’argument massue que l’on puisse invoquer pour résoudre d’un seul coup la totalité des problèmes textuels. Chaque cas est unique et requière sa propre analyse à tête reposée à la lumière du maximum de sources disponibles. Je ne prétendrai donc pas que c’est toujours le plus long texte qui soit le bon. Cependant, cela semble être la pensée des partisans du TR cités ci-dessus. Et cette pensée est très paradoxale, parce que le TR – ou plus généralement le texte-type byzantin – n’a pas toujours le plus long texte !

En effet, le texte-type occidental porte souvent un texte plus élaboré que le TR / texte byzantin. Les illustrations potentielles de ce phénomène abondent. Prenons, par exemple, Matthieu 25:1, qui se lit comme suit dans la Bible d’Ostervald : « Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent au-devant de l’époux. » (Mission baptiste Maranatha, 1996.) Mais dans le texte grec occidental, ce verset se lit plutôt comme suit : « Alors on comparera le Royaume des cieux à dix vierges qui, prenant leurs lampes, sortent à la rencontre de l’époux et de l’épouse. » (C.-B. Amphoux, L’Évangile selon Matthieu : Codex de Bèze, Éditions Le Bois d’Orion, 1996, p. 203.) Alors, qui est-ce qui supprime des parties de versets, maintenant ?!

Et il y a plus. En Matthieu 20:28, le texte reçu / byzantin se lit comme suit (Ostervald) : « Comme le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour plusieurs. » Toutefois, dans le texte occidental, ce verset contient trois phrases omises dans le texte byzantin : « Comme le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. Vous, vous cherchez à augmenter ce qui était petit et à diminuer ce qui était grand. Si vous entrez et êtes invités à dîner, n’occupez pas les places d’honneur, de peur qu’un autre plus digne que toi ne survienne et que le maître de table s’approchant ne te dise : “Mets-toi un peu plus bas”, et que tu en aies honte. Si tu occupes une place plus modeste et que survienne un autre plus modeste que toi, le maître de table te dira : “Place-toi un peu plus haut”, et cela te sera favorable. » (C.-B. Amphoux, op. cit., p. 169 et 254.) Si nous devions adopter le même genre de réaction impulsive que celui des activistes pro-TR à ce lieu-variant, nous pourrions nous exclamer : Ah ! Horreur et damnation ! Le texte reçu a retranché 61 mots grecs dans un seul verset de la Très-Sainte Parole de Dieu ! Quelle scandaleuse impiété !

Et il y a encore plus. *Beaucoup* plus. Voici ci-dessous quatre documents où l’on peut prendre connaissance de nombreux mots et passages présents dans les manuscrits du texte-type occidental mais absents des manuscrits du texte-type byzantin. (Pour la plupart de ces occurrences, les clauses concernées sont aussi absentes des manuscrits du texte-type dit alexandrin, mais ceci n’est pas problématique pour les adhérents du texte alexandrin puisqu’ils n’emploient pas les mêmes critères que les adhérents du texte reçu / byzantin pour évaluer les variantes.)

On m’excusera d’avoir utilisé des textes anglais pour la confection de la majeure partie de ces documents. Cela s’explique par le fait de larges pans du texte occidental sont aisément disponibles en ligne en traduction anglaise gratuite, tandis que le matériel équivalent est assez dispendieux en traduction française. Certes, les notes infrapaginales de la Bible d’étude NBS des Éditions Bibli’O fournissent maintes traductions des leçons occidentales, mais je ne l’ai réalisé qu’après avoir déjà complété le gros du travail (et de toutes façons ces notes n’identifient pas explicitement les témoins textuels cités, ce qui est plutôt malcommode).

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Titulature christique dans le Livre des Actes des Apôtres — Les lacunes du “texte reçu” :

Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.

Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 1 à 13 et 16 à 22) :

Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.

Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 14 et 15) :

Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.

Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 23 à 28) :

Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.

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Explications sur le texte-type occidental

Feu Neville Birdsall (1928-2005), qui fut un prédicateur baptiste britannique, un chargé de cours à l’Université de Leeds puis un professeur à l’Université de Birmingham pendant 25 ans où il occupa la chaire de critique textuelle du N.T., explique que « [d]ans les Actes, des modifications ont sans doute été faites pour des motifs littéraires ou par désir de vulgarisation. […] Le matériau que l’on appelait […] ‹ texte occidental › témoigne de la coexistence, dans des traditions spécifiques, de leçons anciennes avec des éléments de toute évidence secondaires. » (Grand Dictionnaire de la Bible, “Textes et versions”, Éditions Excelsis, 2010, p. 1663).

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Les citations suivantes, traduites (par moi-même) du Textual Commentary on the Greek New Testament de Bruce Metzger (Alliance Biblique Universelle, 1971, ci-après « TCGNT »), fournissent davantage de repères permettant de bien saisir la nature du texte-type occidental dans le Livre des Actes des Apôtres.

« Des érudits expliquent la forme distinctive du texte occidental [du Livre des Actes] comme étant due à de l’interpolation. Ils maintiennent que dans les âges primitifs de l’Église, le texte du Nouveau Testament [ou plus spécifiquement d’Actes, voir l’observation de F.F. Bruce ci-dessous] n’était pas [encore] vu comme étant sacré [c-à-d divinement inspiré], et donc les scribes estimaient avoir la liberté d’en modifier la forme ainsi que d’y incorporer toutes sortes de détails additionnels venant de la tradition orale. Ainsi, le texte occidental, selon cette explication, représente la croissance libre et incontrôlée du texte pendant les Ier et IIème siècles. » — Metzger, TCGNT, p. 264

« Il y a des variantes d’une autre sorte, qui est particulière au texte occidental d’Actes. Celles-ci incluent maintes additions, longues et courtes, dont la nature et la substance révèlent la main d’un réviseur. […] Le réviseur – qui était évidemment un érudit méticuleux et bien informé – élimina des manques de transitions [littéraires] et des écarts [narratifs] puis ajouta des détails historiques, biographiques et géographiques. Apparemment, le réviseur fit son travail à une date précoce [“vraisemblablement entre 120 et 150 ap. J.-C.” dixit R.P.C. Hanson, p. 266], avant que le texte d’Actes n’en soit venu à être regardé comme un texte sacré devant être préservé de manière inviolable. » — Metzger, TCGNT, p. 270

« Le point de vue qu’en général, le texte alexandrin préserve plus fidèlement l’œuvre de l’auteur original et que le texte occidental reflète l’œuvre d’un réviseur fut mis de l’avant avec beaucoup d’érudition par James Hardy Ropes, [lequel explique :] ‹ L’objectif du réviseur “occidental”, tel que montré par son œuvre, était l’amélioration littéraire et l’élaboration en accord avec son propre goût, qui était quelque peu différent de celui de l’auteur [c-à-d Luc l’Évangéliste]. Il visait à améliorer les connexions, à éliminer les inconsistances superficielles, à combler des petits écarts, et à fournir une narration plus complète et continue. Où cela était possible, il aimait introduire des points venant de passages parallèles ou similaires, ou à compléter les citations venant de l’Ancien Testament. Son style était spécialement caractérisé par l’accentuation littéraire [au moyen d’adjectifs et d’adverbes] et un usage plus abondant de lieux communs religieux. Son effort de fluidité, de complétude et d’emphase [observable] dans son expansion eut usuellement pour résultat un style plus faible, montrant souvent une sorte de super-abondance en énonçant expressément ce que tout lecteur aurait compris sans le supplément diluant du réviseur. › » — Metzger, TCGNT, p. 265

« Dans aucun de ces trois cas [variantes amélioratives non-distinctives, variantes amélioratives caractéristiques du texte-type occidental et variantes amélioratives propres au Codex Bezæ], le texte “occidental” ne conserve pour nous le texte original de ce Livre [des Actes]. [… Cependant,] certaines des informations incorporées dans certaines expansions occidentales peuvent très bien être factuellement exactes [c-à-d historiquement véridiques], quoique ne dérivant pas de l’auteur original d’Actes. » — Metzger, TCGNT, p. 271-272

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Concernant la thèse de la réception comparativement tardive (j’ai bien dit comparativement) des Actes des Apôtres dans l’Église primitive – ou si vous préférez, la compréhension comparativement tardive de sa canonicité (je ne réfère pas ici aux synodes & conciles des IVème-VIème siècles où fut actée la reconnaissance officielle du canon, mais à sa reconnaissance officieuse tacite survenue dès les Ier-IIIème siècles) – cette observation de Frederick Fyvie Bruce est pertinente pour situer chronologiquement l’origine du texte-type occidental d’Actes :

« Contrairement à la plupart des autres livres du N.T., les deux tomes de l’œuvre de Luc ne semblent pas avoir été écrits en relation étroite avec des Églises : ils n’étaient pas spécialement adressés à une communauté chrétienne et n’ont [initialement] pas circulé parmi les Églises. [… L]’œuvre de Luc fut [au départ] surtout diffusée dans les milieux païens pour lesquels elle avait d’ailleurs été rédigée. Il est donc possible qu’un certain temps se soit écoulé entre la date de sa première publication et son utilisation courante dans les Églises en tant qu’écrit chrétien faisant autorité. » (Grand Dictionnaire de la Bible, “Actes des Apôtres”, loc. cit., p. 20).

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Extrait facsimilé de la 2ème éd. du N.T. bilingue grec-latin d’Érasme de Rotterdam imprimé par Johann Froben à Bâle en 1519. Page de gauche : Lettre de recommandation de l’œuvre par le pape Léon X. Page de droite : Lettre de dédicace de l’œuvre au même souverain pontife. Ce « vicaire du Christ », qui excommunia Martin Luther en 1521, joua un rôle décisif dans la création du textus receptus, allant jusqu’à censurer les critiques d’Érasme !

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Le “texte standard” du Nouveau Testament est un ensemble d’éditions académiques du N.T. grec réalisées aux XIXème-XXIème siècles dont le contenu provient principalement (mais pas exclusivement) des manuscrits néotestamentaires grecs du texte-type alexandrin antique. Le “texte reçu” du Nouveau Testament est un ensemble d’éditions du N.T. grec réalisées aux XVIème-XIXème siècles dont le contenu est dérivé en partie des manuscrits néotestamentaires grecs du texte-type byzantin médiéval, en partie de la Vulgate latine médiévale tardive, et en partie des aléas circonstanciels de la Pré-Réforme catholique, de la Réformation protestante puis de la Contre-Réforme catholique.

Chacun de ces deux ensembles – le texte standard et le texte reçu – constituent des textes de base qui servent à leur tour pour la traduction du N.T. en langue vernaculaire (c’est-à-dire en français, anglais, allemand, néerlandais, etc.). Ainsi, il y a des Bibles françaises dont le N.T. est basé sur le texte standard (comme la famille des Bibles Louis Segond, ou les Bibles Darby, Jérusalem et Semeur), et aussi d’autres Bibles françaises dont le N.T. est basé sur le texte reçu (comme les Bibles Martin, Ostervald ou Lausanne).

Une accusation qui est souvent dirigée par certains gens qui préfèrent les Bibles basées sur le texte reçu contre les gens qui utilisent les Bibles basées sur le texte standard, est que ce texte standard remettrait en question des croyances centrales de la foi chrétienne telles que la compréhension orthodoxe (c’est-à-dire nicéenne & chalcédonienne) de la Trinité et de la divinité de Jésus-Christ. Par exemple, la Préface du N.T. de la Bible de Lausanne révisée (BLR, 2022) traduite par Timothy Ross et al. affirme :

« Les changements introduits par le texte critique [c-à-d le texte standard] touchent aussi aux doctrines fondamentales de la foi chrétienne. Rien que dans l’Évangile selon Matthieu, ce texte omet le nom ‹ Jésus › vingt-deux fois. La nouvelle méthode a également ressuscité des erreurs [sic] enterrées depuis des siècles dans une infime minorité de manuscrits. Ainsi la phrase ‹ Dieu a été manifesté en chair › (1 Timothée 3:16, Bible Martin et Bible de Lausanne) est devenue ‹ celui qui a été manifesté en chair › (1 Timothée 3:16, Segond). Cette dernière lecture qui porte atteinte à la doctrine de la divinité de Christ [sic!] est appuyée par moins de douze manuscrits sur les cinq mille existants [sic]. » (p. IV-V).

Le même genre d’attaque se retrouve également dans la brochure de Malcom Watts intitulée La Parole que donna le Seigneur – Histoire du texte biblique, publiée par la Société Biblique Trinitaire (SBT, qui est aussi l’éditrice de la BLR) en 2012 :

« Le texte de type alexandrin

[…] Ce type de texte est issu d’Alexandrie en Égypte [sic]. Nulle part les Écritures ne témoignent de la moindre présence apostolique dans cette région ; et l’histoire de l’Église révèle que bien des hérétiques notoires y résidèrent et y dispensèrent leurs enseignements, par exemple des gnostiques comme Basilide, Isidore, et Valentin. On doit considérer avec la plus grande prudence tout texte qui émane de cette région. […]
Les deux grands représentants de ce type de texte, les codex Aleph [01] (Sinaïticus) et B[03] (Vaticanus), sont de qualité particulièrement médiocre [sic]. […] Ces manuscrits principaux montrent à quel point ils sont corrompus […] on peut supposer que ces deux codex furent écartés à cause de leurs défauts […] on est en droit de penser que les premiers scribes doutaient de sa fidélité [du Codex Vaticanus]. Il se peut que les chrétiens orthodoxes des premiers siècles aient su que B[03] était corrompu […] les ‹ manuscrits les plus anciens › sont en fait les plus mauvais [sic]. » (p. 28-29).

Même rengaine dans la Préface de la King James Française (KJF, 2022) traduite par Nadine Stratford et publiée par la First Bible Church de Staten Island dans l’État de New York :

« Ces outranciers changements et édulcorations qui apparaissent dans les versions françaises de la Bible soulèvent des controverses et confusion. Ils vont même jusqu’à renier quelques-unes des doctrines fondamentales, telles que le salut par grâce par la foi en l’oeuvre achevée du Seigneur Jésus Christ, la Déité de Jésus Christ [sic], la naissance de Jésus Christ d’une vierge [sic], l’infaillibilité de la Bible [sic], l’omission du mot “sang” dans des douzaines de versets, pour ne citer que ces quelques erreurs majeures. » (p. II).

Bref, aux yeux de messieurs Ross et Watts, ainsi que de madame Stratford, le texte-type alexandrin antique, et par extension le texte standard moderne, sont des textes hérétiques anti-trinitaires. (S’ils hésitent à le dire explicitement, ils ne se gênent pas pour le sous-entendre implicitement dans le but de conduire leurs lecteurs à soupçonner les N.T. dérivant du texte standard d’être teintés par l’anti-trinitarisme.)

Mais est-ce vraiment le cas ? Les manuscrits grecs dits alexandrins et les Bibles françaises reflétant le texte grec standard rejettent-ils ou diminuent-ils véritablement la divinité et la majesté de Jésus-Christ ? Les tableaux comparatifs contenus dans le document ci-dessous prouvent que ce n’est absolument pas le cas ! Bien au contraire, dans une multitude de lieux-variants, le texte standard véhicule une christologie plus orthodoxe ou plus élevée que le texte reçu (qui fait même pâle figure en comparaison).

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La christologie du texte standard est souvent supérieure à la christologie du texte reçu

Document aussi accessible sur Calaméo et sur Issuu, ou en téléchargement direct ici.

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Les allégations ou insinuations d’hérésie anti-trinitaire reproduites ci-dessus n’ont donc aucun fondement théologique ou factuel. Elles peuvent et doivent par conséquent être qualifiées de calomnies et de médisances.

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« Ceux qui ont fait de nouvelles traductions du Nouveau Testament [aux XVIe-XVIIe siècles] sur le grec n’ont pas été tous exacts dans leurs versions, parce qu’ils n’ont consultés qu’un petit nombre d’éditions grecques [c-à-d le “texte reçu”] ; au lieu qu’ils doivent aussi consulter plusieurs exemplaires manuscrits qui fournissent un grand nombre de leçons [comme le font aujourd’hui ceux qui établissent le texte standard Nestle-Aland]. » — Richard Simon, Histoire critique du texte du N.T., 1689, p. 344

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Folio du Codex Washingtonensis III (W032) copié vers l’an 400, conservé au Freer Gallery of Art de la Smithsonian Institution à Washington (D.C.), portant le texte de Marc 5:26 à 5:37 où il transitionnerait, au v. 31, du texte-type occidental au texte-type césaréen

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Nous avons vu, précédemment, en quoi consiste la critique textuelle du Nouveau Testament, et pourquoi cette démarche érudite est tout à fait conforme à l’orthodoxie réformée confessionnelle historique et à l’héritage de la foi évangélique traditionnelle. Nous nous penchons maintenant sur l’identité des textes-types du N.T.

Dans leur analyse comparative des 6000+ manuscrits grecs du Nouveau Testament, les spécialistes de la transmission du N.T. regroupent les différents manuscrits – ou plus exactement les différents textes portés par ces manuscrits – en des catégories (qu’on appelle des textes-types) en fonction de leurs caractéristiques textuelles et para-textuelles communes.

Ces textes-types dans les manuscrits grecs antiques et médiévaux sont au nombre de quatre : Il s’agit du texte-type alexandrin, du texte-type byzantin, du texte-type occidental et du texte-type césaréen. (Quant aux éditions imprimées modernes du N.T. grec, il s’agit du texte standard – aussi appelé texte critique – qui est surtout basé sur le texte-type alexandrin, du texte dit majoritaire qui est dérivé du texte-type byzantin, et du soi-disant “texte reçu” qui est surtout un mélange du texte byzantin avec des éléments de la Vulgate latine.)

Une petite mise en garde préalable s’impose avant de se lancer dans l’étude des textes-types néotestamentaires : Cette classification quadripartite ne doit jamais nous faire perdre de vue que dans leur globalité, les textes de ces quatre textes-types sont identiques à environ 90 %. Leurs divergences mutuelles ne concernent qu’approximativement 10 % du texte, et parfois encore moins (ainsi, le texte standard/alexandrin et le texte majoritaire/byzantin se corroborent à ≈ 94-96 %).

Ces texte-types ne sont pas des ensembles monolithiques

Cette classification en quatre textes-types ne signifie pas que chacun de ces textes-types forme un groupe parfaitement homogène, rigide et monolithique. Au contraire, il existe beaucoup de variantes textuelles à l’intérieur de chaque texte-type ; ils partagent simplement assez de caractéristiques textuelles communes pour être considérées comme appartenant au même texte-type.

Malgré cette classification quadripartite, certains manuscrits qui sont en général représentatifs d’un texte-type peuvent occasionnellement contenir des variantes en général associées à un autre texte-type. Ce phénomène est parfois aléatoire, et parfois « organisé ». Par exemple, sur un total de 100 variantes dans un manuscrit fictif ABC-123, 80 % des variantes pourraient être caractéristiques du texte-type alexandrin et être réparties proportionnellement dans tout ce manuscrit, 10 % des variantes pourraient être caractéristiques du texte-type occidental et être dispersées dans tout ce manuscrit, et le 10 % des variantes résiduelles pourraient être caractéristiques du texte-type byzantin et être concentrées dans le dernier quart du manuscrit.

En outre, certains manuscrits sont des assemblages de différents « blocs ». À titre d’exemple, dans un manuscrit composite fictif DEF-456, les Évangiles pourraient être représentatifs du texte-type alexandrin, les Actes et les épîtres pauliniennes pourraient être représentatifs du texte-type occidental, puis les épîtres générales et l’Apocalypse pourraient être représentatifs du texte-type byzantin. Ou encore, dans un manuscrit fictif XYZ-789, les Évangiles de Matthieu et de Marc pourraient être du texte-type césaréen, puis les Évangiles de Luc et de Jean pourraient être du texte-type occidental. Ce phénomène est appelé « mixité de blocs » (block mixture).

Le texte “alexandrin” vient d’Asie Mineure et non d’Égypte

Il importe de comprendre que les noms donnés par convention à ces divers textes-types ne nous renseignent pas nécessairement sur leur véritable origine géographique respective. Ainsi, le vocable « alexandrin » (qui est attribué au texte-type réunissant des anciens papyri du tournant du IIIème siècle et les grands onciaux du début-milieu du IVème siècle) se nomme ainsi essentiellement parce que le 1er manuscrit de ce courant à devenir passablement bien connu en Occident moderne – à savoir le Codex Alexandrinus (A02) arrivé à Londres entre 1621 et 1627 – fut donné au roi d’Angleterre et d’Écosse par un ex-patriarche grec d’Alexandrie en Égypte, Cyrille Loukaris. Celui-ci avait trouvé cet ancien codex dans la bibliothèque patriarcale d’Alexandrie, mais ignorait qu’il provenait à l’origine de Constantinople et qu’il n’avait été apporté en Égypte qu’en 1308.

En réalité, les 1ères attestations textuelles connues de variantes caractéristiques de tous les textes-types grecs se retrouvent dans des papyri découverts en Égypte où ils ont survécus à cause du climat désertique très sec. Ces papyri des II-IIIèmes siècles, ainsi que les citations patristiques de Clément d’Alexandrie et d’Origène d’Alexandrie, prouvent que des variantes de tous les textes-types néotestamentaires étaient connues en Égypte dès l’époque la plus reculée. Si le texte-type alexandrin est prédominant parmi ces sources, c’est simplement parce que c’est ce type qui est le plus ancien et qui transmet – en général – le plus fidèlement le texte original du Ier siècle.

Pour le N.T., il n’existe pas la moindre preuve d’une recension textuelle qui aurait prétendument été orchestrée par le catéchète Pantène d’Alexandrie (natif de Sicile, fl. 180-192, † c. 216) ou par le mystérieux grammairien Hésychios d’Alexandrie (qui n’était même pas chrétien et dont on ignore s’il vécut au IVème et/ou au Vème s.), recension imaginaire dont le texte-type dit alexandrin serait supposément le résultat. Cette allégation colportée par les adeptes du texte reçu et du texte majoritaire est un stratagème rhétorique malhonnête pour tenter de faire naître le texte-type dit alexandrin en Égypte et ainsi de le lier à l’ésotérisme gnostique puis à l’hérésie arienne. De surcroît, ce stratagème rhétorique est absurde vu que le gnosticisme et l’arianisme étaient répandus dans presque tout l’Empire romain, pas juste en Égypte.

Les faits sont têtus : La proximité textuelle entre P75 et B03 dans les Évangiles de Luc & Jean, entre P46 et B03 dans les Épîtres pauliniennes non-pastorales, entre P66 et 01 dans l’Évangile de Jean, entre P64+67 & P77+103 et 01 dans l’Évangile de Matthieu, ainsi qu’entre P13 et B03 de même qu’entre P46 et 01 dans l’Épître aux Hébreux, etc., invalident chronologiquement la thèse invraisemblable d’une recension alexandrine par le païen Hyséchios. (Neville Birdsall, “Textes et versions”, Grand Dictionnaire de la Bible, Éditions Excelsis, 2010, p. 1662-1663 ; Philip Comfort, “The Most Reliable Witnesses”, New Testament Text and Translation Commentary, Tyndale House Publishers, 2008, p. XVI-XXIII).

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L’origine asiate / ionienne / ouest-anatolienne du texte-type dit alexandrin expliquée par Peter Rodgers (pasteur épiscopalien et professeur de N.T. au Fuller Theological Seminary à Sacramento en Californie) :

Le texte “occidental” n’est pas né en Occident

Semblablement, le vocable « occidental » est donné au texte-type portant ce nom parce que les deux 1ers manuscrits de ce courant à devenir passablement bien connus en Europe moderne – à savoir le Codex Bezæ (D05) et le Codex Claromontanus (D06) – furent respectivement dénichés par Théodore de Bèze à Lyon et à Clermont-de-l’Oise en France (c-à-d en Occident) au XVIème siècle. Toutefois, nous savons aujourd’hui que même si le Codex Bezæ fut vraisemblablement copié en Gaule méridionale au début du Vème siècle – probablement à Lyon ou à Vienne (Isère), ou possiblement à Clermont-Ferrand (comme le spéculait Bèze) – sa filiation textuelle remonte à Smyrne en Ionie (c-à-d en Orient) vers la fin du IIème siècle. Selon l’hypothèse la mieux accréditée, l’exemplaire depuis lequel aurait été copié D05 aurait été apporté dans la vallée du Rhône par le 1er pasteur de l’Assemblée chrétienne de Lyon, Pothin de Lyon († 177), natif d’Asie Mineure qui fut envoyé en Gaule par Polycarpe de Smyrne, ou sinon par son 2ème pasteur, Irénée de Lyon († 202), lui aussi un émule asiate de Polycarpe.

Certes, le Codex Claromontanus (D06) fut copié en Italie méridionale à la fin du Vème siècle, et deux autres importants témoins du texte-type dit occidental, le Codex Augiensis (F010) et le Codex Boernarius (G012), copiés au IXème siècle, viennent respectivement de l’Abbaye de Reichenau et de l’Abbaye de St-Gall en Germanie méridionale. Cela paraît situer ce texte-type en Occident. Cependant, la Vieille syriaque (version des Évangiles, Actes et Épîtres de Paul en araméen antérieure à la Peshitta) est un témoin du texte-type dit occidental ; elle confirme l’ancrage de ce texte-type en Orient environ 150 ans avant la production de D06 et un bon demi-millénaire avant la production de F010 et G012. (C.-B. Amphoux et J.-C. Haelewyck, Manuel de critique textuelle du Nouveau Testament, Éditions Safran, 2014, p. 21-22, 28-29, 102-103 et 272-273 ; Robert Waltz, “Manuscript F (010)” et “Manuscript G (012)”, Encyclopedia of Textual Criticism, en ligne).

Tableau-synthèse sur l’origine géo-chronologique des textes-types du N.T.

Voici un tableau synthétisant l’information basique sur l’origine géographique et chronologique des divers textes-types du Nouveau Testament grec (appuyé par moult références bibliographiques) en une seule page :

Ce tableau est aussi accessible sur Calaméo ou en téléchargement direct ici.

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Quelques précisions s’imposent :

  • Pour les fins de ce tableau, « centres d’origine » signifie aussi « centres de diffusion » (j’ai manqué d’espace pour l’ajouter). Ainsi, par exemple, nous savons par l’intermédiaire de la Vetus Latina (« Vieille latine », c-à-d la version de la Bible en latin antérieure à la traduction de la Vulgate par Jérôme de Stridon et Rufin le Syrien) qui était utilisée par des Pères de l’Église au Maghreb comme Tertullien de Carthage, Cyprien de Carthage en Augustin d’Hippone, que le texte-type occidental grec a été diffusé dans – et depuis – l’Afrique du Nord, puisque cette Vetus Latina fut traduite à partir de manuscrits grecs du texte-type occidental.
  • Ce tableau présuppose l’axiome selon lequel le lieu de découverte d’un manuscrit ou le lieu de popularité d’un texte-type (ci-après « t-t ») n’est pas une preuve déterminante de l’origine géographique du t-t concerné. En effet, les gens, les livres et les idées circulaient en Antiquité gréco-romaine comme ils circulent aujourd’hui. Ainsi, la découverte des Papyrus 66 & Papyrus 75 ayant un t-t alexandrin en Égypte, de même que l’utilisation du t-t alexandrin par Athanase d’Alexandrie au IVème siècle puis par Cyrille d’Alexandrie au Vème siècle, ne prouvent pas que ce t-t provienne initialement d’Égypte. Mais dans ce cas, ce tableau se contredit-il en indiquant que le t-t alexandrin proviendrait notamment de Constantinople car A02 est retraçable jusqu’à cette cité ? Hé bien pour être franc, puisque ce ms est l’un des principaux témoins de ce t-t, il m’a semblé que je devais le mentionner en quelque part dans le tableau, et l’indiquer tel que je l’ai fait est le seul moyen que j’ai trouvé tout en faisant tenir le tableau annoté sur une seule page au format légal nord-américain (8½×14 pouces).
  • Similairement, y-a-t’il incohérence dans l’indication que le t-t césaréen puise notamment ses origines dans l’Oasis du Fayoum en Égypte car le Papyrus 45 et le Codex Washingtonensis III (W032) y ont été déterrés ? Honnêtement, peut-être ; cette indication se motive par le fait que le t-t césaréen est de loin celui pour lequel nous disposons du moins d’informations faisant consensus (son existence même est contestée par Kurt & Barbara Aland, mais ceci est exagéré). Plutôt que de ne rien dire, mieux vaut dire le peu que nous savons.

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