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Partie 4 sur 4 : La colonne de nuée, le tétragramme lumineux et l’Ange de l’Éternel

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Dans le premier article de la présente série, nous avons vus qu’il existe deux positions réformées sur la légitimité des images de Dieu (l’iconoclasme radical et l’iconoclasme modéré), nous avons démontrés qu’il ne peut pas y avoir d’idolâtrie sans idoles et pas d’idoles sans adoration indue, nous nous sommes penchés sur le concept crucial de théophanie (une manifestation visible & audible de Dieu aux humains), puis nous avons fait le point sur la question de l’(in)visibilité de Dieu selon la Écritures Saintes.

Dans le deuxième article de cette série, nous avons fait une synthèse rapide des approches divergentes relativement aux images de Dieu ayant existé à travers l’histoire de l’Église et nous avons étudiés en profondeur l’historique de l’utilisation du buisson ardent comme image de Dieu dans le protestantisme réformé (surtout français et écossais) du XVIème siècle jusqu’à nos jours.

Dans le troisième article de cette série, nous avons constatés que plusieurs Bibles protestantes réformées de l’époque de la Réformation contiennent un riche foisonnement d’images de Dieu illustrant des passages bibliques prophétiques / eschatologiques (particulièrement le Livre d’Ézéchiel dans l’A.T. et le Livre de l’Apocalypse dans le N.T.).

Dans ce quatrième et dernier article de la série, nous verrons plusieurs exemples supplémentaires de représentations imagées de diverses théophanies utilisées dans l’histoire protestante réformée ancienne (aux XVIème et XVIIème siècles).

Théophanie d’Exode 14:10-31 (colonne de nuée/feu surplombant la mer Rouge) sur la page-titre de la Geneva Bible anglaise de 1560 (photo prise par moi-même au Plimoth-Patuxet Museum à “New” Plymouth au Massachusetts en 2024) — la même gravure y est reproduite à l’identique entre le texte sacré d’Exode 14:10 et 14:11 :

Ce n’est pas toujours facile de déterminer quelle personne de la Trinité se manifeste dans une théophanie. Ainsi, cette théophanie de la colonne de nuée ou de feu ↑ serait peut-être une apparition de la Seconde personne de la Trinité, comme semble le suggérer indirectement 1 Corinthiens 10:1-4 (cf. Exode 17:4-7). Toutefois, certains arguments indiquent que cette théophanie est plutôt une manifestation de la Troisième personne de la Trinité : « On doit d’ailleurs considérer que la nuée qui a conduit le peuple au désert représentait l’Esprit (elle est mentionnée juste avant l’Esprit dans la prière de Né 9, au v. 19). Il est aussi possible que, dans le récit de l’exode, il y ait un jeu sur les deux sens du mot rûaḥ, ‹ vent › et ‹ esprit ›, lorsqu’il est écrit que le Seigneur refoula la mer toute la nuit par un vent d’est puissant et qu’il la mit à sec (Ex 14:21). En effet, David dit ailleurs que ‹ le souffle exhalé du nez › du Seigneur a fait apparaître le lit de la mer (2 Sam 22:16 = Ps 18:16). On peut donc considérer que le vent qui a refoulé les eaux de la mer des Roseaux [du golfe d’Aqaba, un bras de la mer Rouge] était une manifestation de l’action de l’Esprit du Seigneur. » | « [L]a nuée théophanique représente l’Esprit selon Né 9:19-20 ; És 63:14 [cf. v. 10-13]. » (Sylvain Romerowski, L’œuvre du Saint-Esprit dans l’histoire du salut, Éditions de l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne, 2005, p. 29-30 et 314.) Il est possible que ces deux identifications ne soient pas mutuellement exclusives.

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux — une représentation artistique classique de l’Éternel dans le christianisme) dans la Bible de Genève de 1565 sous le texte de Nombres 22 & 23 (l’image de Dieu est identifiée par la flèche rouge et illustre les théophanies du mont Sinaï narrées en Exode 24:15-18 puis 34:5-28) :

Selon Actes 7:38, les théophanies d’Exode 24 puis 34 au sommet du mont Sinaï furent des manifestations de l’Ange de l’Éternel — pas au sens d’un ange ayant des ailes et des vêtements blancs, mais au sens du Verbe pré-incarné (Dieu le Fils) agissant comme ambassadeur de Dieu le Père. (Jean Calvin, Commentaire sur les cinq livres de Moïse, section Harmonie de la Loi, p. 165-166.)

Zoom sur l’extrait pertinent :

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux) au début du texte de l’Ancien Testament dans la Bible de Genève de 1588, qui fut « la » Bible des réformés français pendant plus d’un siècle jusqu’aux parutions des Bibles Martin en 1707 et Ostervald en 1724 :

Probable théophanie sur la page-titre d’une édition compacte de la Bible de Genève de 1588 (qui est cet Ange de l’Éternel ayant vaincu la mort et brandissant la Parole divine, si ce n’est le Verbe victorieux & ressuscité ?) :

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux) sur la page-titre de la Bible de Cipriano de Valera (1602), qui est la 2ème plus ancienne Bible protestante espagnole et la plus ancienne Bible spécifiquement réformée espagnole :

Image de la Trinité (triangle avec tétragramme émettant des rayons lumineux) sur la page-titre de la Bible réformée néerlandaise dite Statenvertaling (1637) :

Image de Dieu (tétragramme émettant des rayons lumineux) au début du texte de l’Ancien Testament dans la Statenvertaling réformée :

Il importe de comprendre ces images de Dieu tel que les réformés des XVIème et XVIIèmes siècles les comprenaient : La lumière est un attribut du Dieu trinitaire, pas juste une ornementation décorative accompagnant ses apparitions spectaculaires. La Bible dit que « Dieu est lumière » (1 Jean 1:5) et que le Verbe/Parole est lumière (Jean 1:4-13). Comme l’indique le Dictionnaire en théologie de l’imprimeur réformé Jean Crespin publié à Genève en 1560, « Jésus-Christ est la vraie lumière […] Tout ce qui est clair ou lumineux tant au ciel qu’en la terre emprunte sa clarté d’ailleurs ; mais Christ est la lumière reluisante de par soi-même : davantage il illumine et baille [c-à-d donne] clarté au monde par sa lueur, de telle façon que l’origine et cause de sa splendeur ne lui vient point d’ailleurs. » (p. 271-272, orthographe modernisée.)

Une petite étude lexicale nous renseigne qu’en certains contextes, la luminosité est une expression de l’être de l’Éternel. En effet, dans l’A.T., le mot hébreu ’ôr (אוֹר), traduit par lumière en français, « est souvent mentionné en lien avec la personne de Dieu. Il est question de la ‹ lumière de [sa] face › dans Ps 4:6 ; 44:3 ; 89:15. Dieu lui-même est décrit comme étant ‹ lumière ›, la source ultime de direction (Ps 4:6 ; 43:4 ; 119:105 ; És 2:5 ; Mi 2:8). […] La ‹ lumière › de la personne de Dieu est également associée au jour de l’Éternel dans Am 5:20. » (Stephen Renn et Gilles Despins, Dictionnaire des mots bibliques, Publications chrétiennes, 2023, p. 556.)

Semblablement, dans le N.T., le mot grec phōs (φῶς), traduit par lumière en français, « se réfère à la lumière qui vient d’une source naturelle, de même qu’à une lumière surnaturelle qui vient du ciel. phōs est aussi utilisé au figuré pour décrire la personne de Dieu ou une vérité morale et spirituelle. […] phōs se réfère également à la lumière surnaturelle de la transfiguration de Christ (Mt 17:2), de son apparition à Paul lors de sa conversion (Ac 9:3 ; 22:6 ss), d’un ange (Ac 12:7) et de la ville céleste (Ap 21:24 ; 22:5). Au sens figuré, phōs décrit aussi la personne et les œuvres de Dieu. […] La lumière divine, dont Christ est la manifestation suprême, est la source de la vie éternelle (voir Jn 1:4 ss ; 3:19 ss ; 11:10 ; 12:35 ss ; 2 Cor 4:6 ; 1 Pi 2:9 ; 1 Jn 2:8 ss). » (Renn et Despins, Dictionnaire des mots bibliques, p. 557.)

« La notion de ‹ lumière ›, dans les Écritures, comporte un sens théologique très important relativement à la personne de Dieu et de Christ. […] Pour ce qui est de la ‹ lumière › dans les théophanies de l’Ancien Testament, elle évoque surtout la personne de Yahvé et met l’accent sur sa parfaite sainteté. Dieu est présenté comme étant la lumière qui dirige son peuple dans quelques contextes différents (par exemple, la colonne de nuée lumineuse dans le désert). […] Le Nouveau Testament maintient ce lien entre la ‹ lumière › et la personne de Dieu, mais surtout avec la personne et l’œuvre de Christ. D’une manière particulière, Jésus-Christ déclare qu’il est la ‹ lumière du monde › [Jn 8:12 ; 9:5]. » (Renn et Despins, Dictionnaire des mots bibliques, p. 557-558.)

Dans cet ordre d’idées, précisons ceci sur l’adéquation entre la gloire de Dieu et les rayons de lumière émanant de certaines théophanies de l’Éternel tel que la colonne de nuée ou colonne de feu (Exode 16:10) : « La ‹ gloire › ici est certainement la théophanie lumineuse dans la nuée. […] Par conséquent, dans de nombreux passages, la ‹ gloire › est simplement la lumière créée qui émerge de la théophanie. Ces passages pourraient laisser entendre que la gloire [c-à-d la lumière] est quelque chose qui accompagne Dieu, plutôt qu’un attribut divin en tant que tel. Toutefois, dans la nuée de gloire, Dieu est avec son peuple, immanent et allianciellement présent. » (John Frame, Systematic Theology : An Introduction to Christian Belief, Presbyterian & Reformed Publishing, 2013, p. 396-397.)

La gloire-lumière théophanique rayonnant de l’Éternel est donc un attribut de sa divinité, et l’imager en connexion avec son Nom divin, c’est imager Dieu.

Probable théophanie (l’Ange de l’Éternel = Jésus-Christ) au début du texte de 1 Chroniques dans la Statenvertaling réformée :

Cette gravure ↑ renvoie à Genèse 22:1-19 où l’Ange de l’Éternel intervient pour sauver la vie d’Isaac juste avant qu’il ne soit sacrifié par Abraham (v. 11 puis 15). « Une interprétation chrétienne traditionnelle voit dans l’ange de l’Éternel une manifestation de la Deuxième personne de la Trinité » (Bible d’étude version Semeur, p. 38). L’expression « Ange de l’Éternel » décrit parfois le Christ pré-incarné et parfois un ange-créature (Reformation Study Bible ESV, p. 38 ; Bible d’étude New English Translation, p. 36 et 48), mais elle désigne bel et bien Dieu/Jésus en Genèse 22:1-19 (Nelson Study Bible NKJV, p. 45 ; MacArthur Study Bible LSB, p. 29 et 72) ainsi qu’en Genèse 31:11-13, Exode 3:2-15, Juges 6:11-24, etc. Considérant la fréquence élevée avec laquelle Jean Calvin identifiait l’Ange de l’Éternel avec le Verbe pré-incarné, il est très plausible que les éditeurs réformés néerlandais de la Statenvertaling voyaient ici une manifestation théophanique du Fils de Dieu.

Étant maintenant arrivés au terme de cette série, nous pouvons conclure qu’il y a été irréfutablement démontré que l’héritage historique de la foi réformée admet la légitimité des images de Dieu, que l’iconoclasme modéré est la position la plus représentative de cet héritage, et que l’iconoclasme radical non-biblique fait plutôt fausse note.

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Partie 3 sur 4 : Théophanies des textes bibliques prophétiques

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Il existe une multitude d’exemples d’utilisations d’images de Dieu datant des XVIème et XVIIème siècles démontrant que la tradition théologique réformée admet la légitimité de certaines images de Dieu (moyennant le respect de certaines conditions — dont l’une qui s’articule à la notion de théophanie). Dans l’article précédent de cette série, nous avons vu le cas du buisson ardent, qui fut utilisé sur les sceaux des Églises réformées de France et d’Écosse (notamment).

Dans le présent article, nous verrons plusieurs exemples additionnels de représentations imagées de diverses théophanies (c’est-à-dire de manifestations visibles et audibles de Dieu) utilisées dans l’histoire protestante réformée ancienne. Plus spécifiquement, nous nous concentrerons sur les images de Dieu illustrant des textes bibliques prophétiques où de telles théophanies sont révélées. J’accompagne les images d’explications théologiques lorsqu’il n’est pas 100 % évident, à la simple vue de ces images ou à la simple lecture des textes scripturaux auxquels elles se rapportent, qu’il s’agit effectivement d’images de Dieu.

Théophanie d’Ézéchiel 1:1 à 3:15 (cf. surtout 1:25-28) et 10:1-22 (cf. surtout 10:20) dans les pages liminaires de la Biblia del Oso (1569) traduite par Casiodoro de Reina, qui est la toute 1ère Bible protestante espagnole :

Autre théophanie d’Ézéchiel (coin supérieur droit) présidant au siège de la Cité-État de Tyr par l’Empire néo-babylonien de Nebucadnetsar II en 585-572 av. J.-C. puis à sa destruction totale par l’Empire macédonien d’Alexandre III en 332 av. J.-C. (prophétisé en Ésaïe 23, Ézéchiel 26 à 28 et Amos 1:9-10), toujours dans les pages liminaires de la Biblia del Oso :

Théophanie d’Apocalypse 1:12-18 dans la Bible de Zürich (1531) traduite par les réformateurs Ulrich Zwingli et Leo Judä, qui est non seulement la toute 1ère Bible réformée allemande, mais même la 1ère Bible protestante allemande *complète* (la Bible de Luther *complète* n’étant sortie des presses qu’en 1534) :

Double théophanie (de Dieu le Père + Dieu le Fils) venant d’Apocalypse 4 & 5 dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Père venant d’Apocalypse 8:2-4 (cf. Ap 7:9-15) dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Père venant d’Apocalypse 9:13 dans la Bible de Zürich réformée :

Notez que la section inférieure de cette gravure ↑ montre le châtiment surnaturel des malfaiteurs qui « ne cessèrent pas d’adorer les démons et les idoles en or, en argent, en bronze, en pierre et en bois qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni marcher » (Ap 9:20, S21). De toute évidence, les réformés germanophones qui produisirent et utilisèrent cette Bible ne considéraient pas que cette illustration de la condamnation divine de l’idolâtrie était elle-même idolâtrique.

Théophanie de la Seconde Personne de la Trinité venant d’Apocalypse 10 dans la Bible de Zürich réformée :

L’« ange puissant » ↑ que l’apôtre Jean voit « descendre du ciel » (S21) en Ap 10 est Jésus-Christ. L’apparition angéomorphique de Christ est attestée ailleurs dans le dernier livre de la Bible (Ap 1:13-16, 14:14-15 et 21:1-2), sans parler du reste des Écritures Saintes. Que Jean tombe aux pieds d’un ange non-divin pour l’adorer ailleurs dans l’Apocalypse (19:10 et 22:8) suggère qu’il a déjà vu Jésus en tant qu’ange en écrivant ce livre. Une panoplie d’arguments théologiques peuvent être alignés en faveur de l’identification de l’être angélique d’Ap 10 avec Christ :

{1} Cet ange est « enveloppé d’une nuée » (Ap 10:1). La nuée est directement associée à Jésus-Christ venant en gloire dès Ap 1:7 ; et ces deux textes renvoient à Dn 7:13-14 qui réfère clairement au Roi éternel & universel Jésus-Christ.

{2} « Au-dessus de sa tête était l’arc-en-ciel » (Ap 10:1). Ce signe renvoie au trône de Dieu qui est entouré d’un arc-en-ciel en Ap 4:3 et Ézéchiel 1:27-28. Dans le texte grec d’Ap 10:1, la présence de l’article défini (« l’ », ἡ) avant « arc-en-ciel » (ἶρις) renvoie à une occurence antérieure de ce terme (donc à 4:3, où cet article défini est absent).

{3} « [S]on visage était comme le soleil » (Ap 10:1). Cette caractéristique renvoie à Jésus en Ap 1:16 où « son visage était comme le soleil ». Mieux encore, cette clause d’Ap 10:1 est 100 % identique en grec (to prosopon autou hos ho helios) à la 2ème clause de la description de la transfiguration de Christ en Mt 17:2 !

{4} « [S]es jambes [étaient] comme des colonnes de feu » (Ap 10:1). Cet attribut physique renvoie à la colonne de feu qui guida et protégea le peuple allianciel chaque nuit pendant son périple de l’Égypte vers la Terre promise à travers le désert (Ex 13:21-22, 14:24, 40:34-38, etc.). Dans la Septante, la traduction grecque antique de l’A.T., c’est les mêmes mots grecs qui sont utilisés (stulō puros). De surcroît, cette colonne de feu du désert est identifiée à l’Ange de l’Éternel (Ex 32:34 et 33:2, Nb 20:16) qui est lui-même identifié à Jésus (Ex 3:2 et 3:14, Jn 8:58).

{5} « [I]l cria d’une voix forte, comme un lion qui rugit » (Ap 10:3). Le rugissement d’un lion est souvent une métaphore de l’appel de Dieu (Jér 25:30, Os 11:10, Jo 3:16, Am 1:2 et 3:8). Cela fait allusion au « lion de la tribu de Juda, le rejeton de la racine de David [qui] a vaincu » (Ap 5:5), c’est-à-dire Christ.

{6} La manière dont cet ange apparaît dans la vision est un indice supplémentaire de son identité christique : L’apôtre Jean l’observe « descendre du ciel » (Ap 10:1). Il s’agit de la même provenance céleste que la voix divine faisant autorité et donnant des ordre à Jean (Ap 10:4, 8). En outre, cette terminologie (« descendre du ciel » = katabainonta / katabainō ek tou ouranou en grec) réfère typiquement à Jésus sous la plume de Jean (Jn 3:13 et 6:33, 38, 41-42, 50-51, 58).

{7} L’ange « posa son pied droit sur la mer et son pied gauche sur la terre » (Ap 10:2, réitéré deux fois aux v. 5 et 8). Cette posture désigne la domination planétaire du Fils de Dieu. La combinaison de la mer et de la terre dénote l’entièreté du monde terrestre, non seulement dans la Bible (Gn 1:9-10) mais aussi dans la culture gréco-romains antique. Ainsi, les Res Gestae autobiographiques de l’Empereur romain Octave Auguste datant de ≈ 14 ap. J.-C. décrivent les moments où « la paix était assurée par des victoires à travers tout l’Empire du peuple romain, sur terre et sur mer » (§ 13) comme un événement très rare et solennel.

(Kenneth Gentry, The Divorce of Israel : A Redemptive-Historical Interpretation of Revelation, Vol. 2, Tolle Lege Press, 2024, p. 843-856 ; David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, Dominion Press, 1987, p. 259-268 ; Collectif, Nouveau Testament interlinéaire grec-français, Éditions Bibli’O, 2015, p. 1166 et 1183.)

Double théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 12:5 & 12:7-8 (cf. Daniel 12:1) dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Fils (l’Agneau sur Sion) venant d’Apocalypse 14:1-13 dans la Bible de Zürich réformée :

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 14:14-20 dans la Bible de Zürich réformée :

En Ap 14:14 ↑, ce « quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme » assis sur « une nuée blanche » qui « avait sur la tête une couronne d’or » (S21), est assurément le Roi Jésus-Christ. En Ap 1:13, c’est Jésus qui est ce « quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme ». En Ap 10:10, c’est Christ qui est « enveloppé d’une nuée ». En Daniel 7:13-14, la Seconde personne de la Trinité est ce « quelqu’un qui ressemblait à un fils de l’homme [qui] est venu avec les nuées du ciel » et auquel est donné la royauté universelle.

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 18:1-3 dans la Bible de Zürich réformée :

Concernant cette image de Dieu ↑ en Apocalypse 18:1-3 (l’ange colorisé en rouge ci-dessus) : « Saint Jean est maintenant introduit à un autre ange — probablement le Seigneur Jésus-Christ, considérant la description de celui-ci [en Ap 18:1] comparée avec les affirmations sur Christ dans l’Évangile selon saint Jean : Il descend du ciel (Jean 3:13, 31 ; 6:38, 58), il a une grande autorité (Jean 5:27 ; 10:18 ; 17:2), et la terre fut illuminée de sa gloire (Jean 1:4-5, 9, 14 ; 8:12 ; 9:5 ; 11:9 ; 12:46 ; cf. 1 Tim 6:16). Ces expressions forment un parallèle avec [celles d’Ap 10:1], lesquelles, comme nous l’avons vu, parlent clairement du Fils de Dieu. La dernière clause est pratiquement une répétition d’Ézéchiel 43:2, où il est dit de Dieu que “la terre resplendissait de sa gloire” [S21]. » (David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, p. 445-446.)

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 19:11-21 dans la Bible de Zürich réformée — ici j’ai pris une image venant d’un exemplaire original non-colorisé (à l’intérieur) car l’exemplaire colorisé à la main utilisé ci-dessus ne respecte pas les couleurs indiquées par le texte biblique d’Ap 19 :

Théophanie de Dieu le Fils venant d’Apocalypse 20:1-3 dans la Bible de Zürich réformée :

Concernant cette image de Dieu ↑ en Apocalypse 20:1-3 : « Saint Jean voit “descendre du ciel un ange qui tenait la clef de l’abîme et une grande chaîne à la main” [Ap 20:1, NBS]. Encore une fois, comme en 10:1 et 18:1 (cf. 12:7), c’est le Seigneur Jésus-Christ qui, en tant que Médiateur, est l’Ange (Messager) de l’Alliance (Malachie 2:7 ; 3:1). Son contrôle et son autorité absolus sur l’abîme sont symbolisés par “la clef” et la “grande chaîne”. L’auteur établit un contraste frappant : Satan, l’étoile maléfique tombée du ciel [Luc 10:18], a reçu brièvement la clé de l’abîme (9:1) ; mais Christ est “descendu” du ciel, ayant en sa possession légitime “les clés de la mort et du séjour des morts” (1:18). […] Jésus-Christ, dans sa mission en tant qu’Ange du ciel, “saisit le dragon, le serpent d’autrefois, qui est le diable et Satan, et il le lia pour mille ans. Il le jeta dans l’abîme, qu’il ferma et scella au-dessus de lui” [Ap 20:2-3, NBS, corrigé]. Tel que saint Jean l’a déclaré dans sa 1ère épître, si Christ “s’est manifesté, c’est pour détruire les œuvres du diable” (1 Jean 3:8). » (David Chilton, The Days of Vengeance : An Exposition of the Book of Revelation, p. 499-500 ; Collectif, Nouveau Testament interlinéaire grec-français, p. 1219.)

Il y a donc pas moins d’une douzaine d’images de Dieu ayant un appui textuel direct dans les pages du Livre de l’Apocalypse de la Bible de Zürich produite par les réformateurs Ulrich Zwingli et Leo Judä !

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Partie 2 sur 4 : Le buisson ardent

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Dans l’article introductif de cette série, nous avons expliqué qu’il existe, dans l’histoire de l’Église et la théologie chrétienne, essentiellement trois positions sur la légitimité des images de Dieu : L’iconodoulie, qui voue un culte aux images de Dieu et qui n’a aucun fondement scripturaire (c’est-à-dire biblique) ; L’iconoclasme modéré, qui accepte certaines images de Dieu sous certaines conditions et qui est la position ayant le meilleur appui scripturaire ; Et enfin l’iconoclasme radical, qui rejette l’absolue totalité des dites images mais qui bénéficie d’un piètre appui scripturaire malgré qu’il jouisse d’antécédents substantiels – quoique pas unanimes – dans la littérature réformée historique.

Le tableau-synthèse ci-dessous résume ces trois positions classiques en reproduisant des citations sélectionnées parmi les textes d’autorité les plus anciens et les mieux autorisés pour chaque position (téléchargement direct ici) :

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Passons maintenant au vif du sujet, qui retiendra notre attention dans le présent article ainsi que dans les deux prochains de cette série : Les nombreux exemples d’images de Dieu non-cultuelles (habituellement des reproductions artistiques de théophanies bibliques) dans la tradition théologique réformée.

Théophanie (buisson ardent) sur le sceau des Églises réformées de France (reconstitué), qui fut officiellement adopté au 12ème Synode national des Églises réformées de France à Vitré en Bretagne en 1583 :

Image de Dieu (buisson ardent) sur le sceau officiel du Synode général de l’Église réformée de France en 1872 :

Image de Dieu sur l’emblème officiel de l’Église réformée de France pendant une partie du XXème siècle :

Certains zélateurs modernes de l’iconoclasme radical nient que cette représentation du buisson ardent sur le sceau des Églises réformées de France soit une image de Dieu. Ils invoquent, comme argument, qu’Exode 3:2 énonce que « L’ange de l’Éternel lui apparut [à Moïse] dans une flamme de feu, au milieu d’un buisson … » (S21). Ainsi, si l’on suit les traductions modernes, cette théophanie avait la configuration d’une poupée russe : Il y aurait eu un ange dans une flamme dans un buisson. Conséquemment, l’omission d’un ange sur le sceau réfuterait l’assertion voulant que ce sceau porte une image de Dieu. L’inclusion d’une figure simili-angélique dans une autre représentation artistique réformée de cette théophanie (dans la Bible de Zürich de 1531), viendrait conforter cette argumentation.

Or, ce raisonnement est faible sur les plans linguistique et historique.

Dans texte hébreu d’Exode 3:2, les quatre mots traduits par « dans une flamme de » dans la plupart des Bibles françaises modernes ne correspondent qu’à un seul vocable : labbâh (בְּלַבַּת־). L’élément principal de cette locution, c’est les trois lettres du milieu (racine לַבָּה / forme nominale לַבַּת) qui signifient « flamme ». La 1ère lettre à droite (préposition בְּ) signifie « dans », « avec », « par » ou « en »,  dépendamment du contexte. Le 5ème symbole à gauche (le signe de liaison ־) est une sorte de trait d’union qui connecte le mot à la fin duquel il est placé avec le mot suivant (ici ’esh, אֵשׁ, « feu ») ; il est donc adéquatement traduit en français par le mot « de » dans la séquence « flamme de feu ». (Collectif, Ancien Testament interlinéaire hébreu-français, Éditions Bibli’O, 2007, p. 179 ; Thom Blair, Hebrew-English Interlinear ESV Old Testament, Crossway Books, 2013, p. 129-130 ; Andrew Bowling, Theological Wordbook of the Old Testament, Vol. 1, Moody Press, 1980, p. 467 et 469.)

Ce choix de traduction – observable dans la totalité des Bibles protestantes françaises modernes – de cette préposition בְּ de la locution בְּלַבַּת־ en Exode 3:2, est très discutable. En effet, c’est le contexte qui détermine s’il est préférable de traduire cette préposition par « dans », « avec », « par » ou « en ». (Jacob Weingreen, Practical Grammar for Classical Hebrew, Oxford University Press, 1959, p. 26-28 ; Id. et Paul Hébert, Hébreu biblique : Méthode élémentaire, Beauchesne Éditeur, 1984, p. 34-36.) Penchons-nous maintenant sur ce contexte.

Traduire ce segment d’Exode 3:2 par « dans une flamme » induit à penser que l’Ange de l’Éternel était à l’intérieur de la flamme de feu, ce qui est inapproprié. Il est invraisemblable que Moïse ait vu un ange physique tel que nous le concevons ordinairement (un être ayant un corps humain avec des ailes d’oiseau et des vêtements blancs). L’idée d’un ange physique dans le feu dans le buisson s’accorde mal avec le fait que Moïse s’étonne de ce que le buisson ne brûle pas mais ne s’étonne aucunement de ce qu’un supposé ange physique ne brûle pas (alors que s’il avait été là, il aurait « dû » brûler lui aussi, puisque les anges-créatures ne sont pas invincibles). Par conséquent, l’expression « Ange de l’Éternel » n’est ici qu’une désignation littéraire de la Seconde personne de la Trinité.

Traduire ce segment d’Exode 3:2 par « avec une flamme » est tout aussi inapproprié, puisque cela induit à penser que l’Ange de l’Éternel était à côté de la flamme dans le buisson, ce qui est inadmissible pour la raison sus-évoquée.

Traduire la préposition בְּ de la locution hébraïque בְּלַבַּת־ d’Exode 3:2 par le mot français « par » est le choix optimal, puisque ça veut dire que l’Ange de l’Éternel revêtait la forme ou l’apparence de la flamme de feu, et c’est précisément ça qui doit se déduire du contexte immédiat. Traduire בְּ par « en » est aussi acceptable puisqu’ici « en » peut s’interpréter comme voulant dire la même chose que « par » ; nous y reviendrons.

Michael Houdmann, qui détient un baccalauréat/licence en études bibliques et deux maîtrises en théologie, est d’avis qu’il n’y avait pas d’ange physique au sens ordinaire du terme : « Dieu est apparu à Moïse sous la forme d‎’un buisson ardent et lui a dit exactement ce qu‎’il voulait qu‎’il fasse » (source) ; « le feu brûlant dans le buisson était la forme de l’Ange de l’Éternel qui “lui est apparu [à Moïse] en des flammes de feu” » (source). Le chrétien israélien Joshua Vine, dont la langue maternelle est l’hébreu, explique que « l’Ange de l’Éternel se manifeste par une flamme. […] Donc, l’Ange de l’Éternel se révèle au moyen d’une flamme » (source).

Comme l’enseigna le théologien réformé Richard Charles Sproul (1939-2017), puisque le feu brûlait par lui-même et n’utilisait pas le buisson comme combustible, la théophanie est la flamme de feu surnaturelle. Alors la bonne distinction ici est entre l’ange-feu et le buisson, et non entre l’ange physique imaginaire et le buisson + le feu. (R.C. Sproul, Moses and the Burning Bush, Ligonier Ministries, 2018, 105 p.)

Qu’en était-il des exégètes du XVIème siècle ? François Vatable (1495-1547) est un érudit chrétien français du XVIème siècle qui donna des cours d’hébreu au Collège de France à Paris et rédigea plusieurs commentaires en latin sur différents livres de la Bible. Il collabora étroitement avec les réformateurs Lefèvre d’Étaples (à la tête du fameux Cercle de Meaux) et Robert Estienne (imprimeur officiel du Roi de France ultérieurement relocalisé à Genève). « Vatable fut le restaurateur de l’étude de la langue hébraïque en France » (source).

Les commentaires et les notes de cours de Vatable n’existant qu’en latin, je ne peux guère les analyser directement. J’ai donc demandé à deux agents conversationnels propulsés par intelligence artificielle (ChatGPT le 19-02-2025 puis Grok le 23-02-2025) si Vatable pensait que l’Ange de l’Éternel était séparé et distinct de la flamme de feu, ou si cet Ange était assimilable à la flamme de feu dans le sens où il avait pris la forme de cette flamme.

La réponse de ChatGPT est catégorique :

« Vatable semble pencher pour une unité entre l’ange et la flamme dans ce passage. […] Il considère que l’ange n’est pas un être séparé de la flamme, mais que la flamme de feu elle-même est l’image visible de la présence divine. Autrement dit, l’ange de l’Éternel prend la forme de la flamme dans ce passage pour manifester la sainteté et la majesté de Dieu de manière tangible et compréhensible pour Moïse. La flamme devient un moyen par lequel l’ange (c’est-à-dire la présence de Dieu) se fait voir. […]

Selon Vatable, il n’y a pas de dissociation entre l’ange et la flamme. L’ange de l’Éternel est identifié avec la flamme de feu dans ce passage, ce qui signifie que la flamme elle-même est une manifestation visible de l’ange qui représente Dieu. En d’autres termes, l’ange et la flamme sont intimement liés et l’ange apparaît sous la forme du feu.

Vatable semble donc considérer que l’ange de l’Éternel et la flamme de feu sont indissociables dans ce passage. Il n’y a pas de distinction nette entre l’ange et la flamme, car l’ange prend précisément cette forme de feu pour se manifester à Moïse. La flamme devient un moyen visuel de la présence divine, et l’ange de l’Éternel est effectivement assimilé à cette flamme dans la théophanie décrite. »

La réponse de Grok est plus nuancée mais conduit essentiellement à la même conclusion :

Dans ses notes sur ce verset, Vatable ne semble pas trancher explicitement entre une distinction stricte ou une assimilation totale [entre l’Ange et la flamme], mais son approche philologique suggère qu’il privilégiait une lecture où l’Ange est l’agent actif de la révélation, utilisant la flamme comme un signe ou un vecteur. […] Vatable ne semble pas avoir considéré l’Ange comme strictement séparé de la flamme au sens d’une entité extérieure manipulant un phénomène indépendant, ni comme totalement assimilé à elle au point de perdre son identité propre. […]

[Selon Vatable,] la flamme est le médium de la manifestation plutôt qu’une équivalence ontologique avec l’Ange. […] Cependant, Vatable ne rejette pas totalement l’idée d’une assimilation symbolique. Dans la tradition exégétique, le feu qui ne consume pas le buisson est souvent interprété comme une métaphore de la présence divine — immanente mais non destructrice.

[Toujours selon Vatable,] Moïse aurait perçu un phénomène visuel – une flamme surnaturelle qui ne consume pas le buisson – et, dans ce phénomène, l’Ange de l’Éternel se serait rendu perceptible, sans que l’Ange lui-même ne soit nécessairement un ‹ ange physique › avec des contours définis ni une flamme anthropomorphisée. »

Je me permets d’en déduire que Vatable, tout en étant sobre et prudent dans son travail exégétique, n’enseignait pas l’existence d’un ange physique au sens ordinaire en Exode 3:2. Est-ce pertinent pour éclairer le sceau des Églises réformées de France arborant un buisson ardent ? Puisque Vatable est officiellement demeuré catholique jusqu’à son trépas (malgré que les papistes de la Sorbonne et du Parlement l’aient persécuté), nous pourrions penser qu’il n’eut qu’un impact négligeable sur la compréhension de cette théophanie qu’eurent ses compatriotes protestants du XVIème siècle. Nous aurions tort. C’est François Vatable qui a fourni à Clément Marot la traduction des Psaumes que ce dernier utilisa pour composer ses 50 Psaumes de sa 1ère itération du Psautier huguenot et qui « les lui expliqua lui-même mot à mot » (source) ; c’est notamment pour cela que Théodore de Bèze qualifia Vatable de « guide » (source).

De surcroît, c’est François Vatable qui fut le professeur d’hébreu de Jean Calvin au Collège de France (alors appelé Collège royal) à Paris en 1531-1533 ! (Albert-Marie Schmidt, Jean Calvin et la tradition calvinienne, Éditions du Seuil, 1957, p. 20 ; Douglas Kelly, « The Catholicity of Calvin’s Theology », Tributes to John Calvin, Presbyterian & Reformed Publishing, 2010, p. 196.) L’érudition de Vatable eut donc une influence profonde et durable dans les milieux réformés français.

Cela se perçoit dans l’approche de Jean Calvin sur cette question. Tout d’abord, il convient de remarquer que la traduction française d’Exode 3:2 que Calvin utilise dans son Commentaire sur les cinq livres de Moïse (1564) se lit précisément : « Et l’Ange du Seigneur s’apparut à luy du milieu d’vn buiſſon, en flamme de feu, & il regarda : & voici le buiſſõ ardoit en feu, & ne se cõſumoit point. » Ici, l’utilisation du mot français « en » pour traduire la préposition hébraïque בְּ est plus prudente que les traductions modernes qui traduisent par « dans » car elle évite d’exprimer de manière univoque que l’ange était à l’intérieur du feu et peut se comprendre comme référant à l’état de l’ange. (Certains pourraient rétorquer qu’avant le XVIIIème siècle, le mot « en » était plus fréquemment utilisé dans le sens de « dans » qu’aujourd’hui, ce qui n’est pas faux, mais le fait demeure que le mot « en » avait un champ sémantique plus large que le mot « dans » dès les XVI-XVIIèmes siècles.) Cette traduction était certainement approuvée par Calvin, comme l’atteste la Bible qu’il avait lui-même révisée en 1546.

De plus, la ponctuation de cette traduction de 1564 n’est pas anodine : L’insertion d’une virgule entre le mot « buiſſon » et les mots « en flamme de feu » aide à distancer le buisson et la flamme ; elle facilite aussi l’articulation entre l’ange et la flamme — et incidemment l’identification de la flamme à l’ange.

Ensuite, les commentaires eux-mêmes : Une lecture attentive des commentaires de Calvin sur Exode 3:1-5 (page 20, page 21 et page 22 de l’Harmonie de la Loi) permet de constater que le réformateur de Genève n’affirme nulle part que l’Ange de l’Éternel intervenu au buisson ardent avait l’apparence extérieure d’un « ange » au sens classique du terme (physionomie humaine, grandes ailes d’oiseau, tunique blanche).

Soit-dit en passant, l’édition originale du Commentaire sur les cinq livres de Moïse (1564) où Calvin commente sur cette théophanie du buisson ardent porte une image de Dieu sur sa page couverture (!) — une illustration de la métaphore de l’olivier venant de Romains 11:16-24 où des branches sont coupées et d’autres sont greffées, et où l’action de couper et de greffer est faite par les mains de Dieu (représentation s’inspirant des nombreuses allusions à la main ou au bras de l’Éternel dans la Bible, cf. Exode 6:6, 15:16, Deutéronome 4:34, 5:15, 7:19, 26:8, 33:27, Psaumes 44:3, 73:23, 89:10-13, 89:21, 98:1, 139:10, Ésaïe 30:30, 40:10, 52:10, 53:1, 59:1, 63:12, Luc 1:51, Jean 12:38, Actes 13:17, etc.) :

Revenons à nos moutons, ou devrais-je dire, aux moutons que gardait Moïse lorsque l’Éternel se manifesta à lui au buisson ardent du mont Sinaï. Les partisans de l’idée d’un ange physique en Exode 3:2 pourraient à ce stade-ci invoquer le Commentaire sur les Actes des Apôtres (1552) de Calvin, où l’on peut lire à la p. 139 : « Car combien que pour quelque temps il [= Ieſus Chriſt] ayt pris la forme d’vn Ange, neantmoins il n’a iamais pris la nature Angelique : comme nous ſavons qu’il a eſté vrayment fait homme. » Argument décisif en faveur de la croyance en un ange physique dans le buisson ardent ? Pas si vite !

Que veut dire Calvin lorsqu’il parle de la « forme d’un ange » ? D’un être anthropomorphique en toge blanche avec des ailes ? Non. Pour Calvin, les anges n’ont pas naturellement une physionomie humaine. À vrai dire, selon lui, les anges n’ont pas de forme matérielle distinctive ! Dans son Institution de la religion chrétienne (1560), à § 1:14:3, ce théologien explique que les anges correspondent aux « choses invisibles » auxquelles il est fait référence dans le Crédo de Nicée-Constantinople (381). Et dans le même ouvrage, à § 1:14:4, cet auteur décrit les anges comme étant des « ministres de Dieu » ; puis après, à § 1:14:5, il déclare que « Nous lisons par toute l’Écriture, que les anges sont [des] esprits célestes ». (Jean Calvin, L’Institution chrétienne : Livres premier et second, Éditions Kerygma, 1978, p. 114-116.)

Dans son Commentaire sur Genèse (1564), Calvin a l’opportunité d’exposer plus en détail sa pensée sur la relation entre l’apparence des anges et l’apparence des humains lorsqu’il traite du chapitre 18. Commentant sur le v. 2, il écrit : « Moïse […] nomme les anges hommes parce qu’ayant revêtu des corps humains ils ne montraient d’autre apparence que d’être des hommes. » Commentant sur le v. 8, Calvin avance que les anges de Genèse 18 n’avaient que des corps humains temporaires créés par Dieu pour la durée de leur visite au campement d’Abraham, puis qu’après leur brève mission terminée, « Dieu réduit à néant les corps qu’il avait créés pour un usage temporel ». Commentant sur le v. 16, il réitère l’affirmation qu’« il ne faut pas penser » que ces anges avaient naturellement des « corps humains » ; simplement, « Dieu les a vêtus pour un temps de corps humains dans lesquels ils pussent être visibles à Abraham et parler familièrement avec lui. » Calvin étaye son propos quand il commente sur le v. 22, où il insiste que cet anthropomorphisme angélique circonstanciel et passager n’est que l’un des « signes extérieurs par lesquels Dieu se représente » à nous. (Jean Calvin, Commentaires bibliques : Le Livre de la Genèse, Éditions Kerygma, 1978, p. 274, 276, 280 et 284.) Ce théologien soutenait la même analyse concernant les anges dans plusieurs autres textes des Écritures Saintes.

Tout cela implique que dans le vocabulaire de Calvin, l’expression « la forme d’un ange » ne signifie pas automatiquement que ce juriste imaginait un ange physique au sens usuel, ressemblant à un humain avec des ailes. La « forme d’un ange » est n’importe quelle forme que l’ange-créature ou l’ange-théophanie prends au moment et à l’endroit où il apparaît. Et au buisson ardent, tout semble indiquer que cette forme était la flamme de feu. Dans l’angéologie calvinienne, le point commun de toutes ces manifestations angéliques n’est pas une apparence spécifique codifiée, mais le fait d’agir en tant que messager et d’ambassadeur de l’Éternel des armées.

Même lorsque la Bible décrit certains anges comme étant des être ailés, Calvin était parfois disposé à ne voir dans ces ailes qu’une allégorie non-littérale (IRC, § 1:14:8) : « Il est bien vrai que les esprits n’ont point de forme comme les corps : toutefois l’Écriture pour notre petite capacité et rudesse […] nous peint les Anges avec des ailes sous les titres de chérubin et séraphin, à ce que nous ne doutions point qu’ils seront toujours prêts à nous secourir avec une hâtiveté incroyable, sitôt que la chose le requerra, comme nous voyons que les éclairs volent parmi le ciel ». (Jean Calvin, L’Institution chrétienne, 1978, p. 119.) « Nous ne savons pas à quoi les anges ressemblent puisqu’ils sont des esprits », paraphrase Herman Selderhuis (« Calvin’s View of Angels », Southern Baptist Journal of Theology, Vol. 25, N° 2, 2021, p. 78).

Plusieurs arguments supplémentaires à l’appui de cette compréhension pourraient être mobilisés. Grok fait état des commentaires de Calvin sur Exode 14:19 et 23:20 (lien alternatif). Cette accumulation de preuves atteste à quel point la notion d’apparence angélique était variable et fluide pour Calvin en matière de théophanies.

Le même exercice pourrait être fait pour Antoine-Rodolphe Chevalier (1507-1572) (lien alternatif), qui fut professeur d’hébreu à l’Académie de Genève (1559-1567) et auteur d’une grammaire hébraïque publiée dans cette illustre cité du Léman. Ce même exercice pourrait également être fait pour Corneille “Pierre” Bertram (1531-1594) (lien alternatif), qui fut lui aussi professeur d’hébreu à l’Académie de Genève (1567-1586) puis à l’Académie de Lausanne (1588-1594) ainsi que le traducteur principal du texte de l’A.T. pour la Bible de Genève française de 1588. Aucun de ces hébraïstes réformés français du XVIème siècle n’était enclin à enseigner que la théophanie du buisson ardent avait la configuration d’une poupée russe avec un être ayant l’apparence classique d’un ange (physionomie humanoïde, ailes d’oiseau, vêtements blancs) au centre de celle-ci.

Je crois avoir amplement démontré que les sommités réformatrices françaises du XVIème siècle versées en hébreu n’enseignaient pas qu’il y avait un ange physique au beau milieu du feu dans le buisson ardent, et par extension que le buisson ardent sur le sceau officiel des Églises réformées de France adopté en 1583 est bel et bien une IMAGE DE DIEU.

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Le site web de la Bible d’étude de la foi réformée (Éditions La Rochelle, 2024) explique ceci : « [L]es Églises réformées d’autres pays ont fini par suivre l’exemple des huguenots en intégrant l’image dans leurs propres sceaux et emblèmes officiels. En Écosse, cela s’est produit en grande partie par accident. Peu après que le presbytérianisme eut été rétabli en 1690 [suite à la Glorieuse Révolution de 1688], l’Église d’Écosse (la Kirk) a chargé un imprimeur d’Édimbourg, George Mosman, d’imprimer les comptes rendus de ses Assemblées générales annuelles. Mosman prit la liberté d’inclure une image circulaire du buisson ardent sur la page de titre du premier acte de l’assemblée, et des suivants, accompagnée de la phrase latine ‹ Nec tamen consumebatur › (‹ Pourtant, il ne fut pas consumé › [cf. Exode 3:2-3]), et placée, du moins dans une des premières versions, sur une toile de fond carrée avec des chardons écossais dans chaque coin. Les autorités de la Kirk n’y ont apparemment pas vu d’inconvénient, probablement parce qu’elles connaissaient l’usage du symbole du buisson ardent par l’Église réformée française, et parce qu’elles considéraient qu’il s’agissait d’un emblème approprié pour leur propre Église, compte tenu des souffrances que l’Église avait endurées, et de la protection divine dont elle avait bénéficié tout au long du précédent siècle. En effet, le buisson ardent a fait figure d’image littéraire de la Kirk et de ses épreuves perpétuelles dans les écrits d’éminents Covenantaires écossais tels que Samuel Rutherford. De manière informelle et non officielle, le buisson ardent est donc devenu, puis est resté, le symbole de l’Église d’Écosse, avant d’acquérir un statut officiel. »

Voici à quoi ressemblait cette image de Dieu utilisée par l’Église réformée d’Écosse dès ≈ 1691 :

Comme l’explique la Presbyterian Historical Society of Ireland, le buisson ardent fut utilisé comme symbole identitaire réformé en Irlande du Nord (Ulster) à partir de 1842.

Le site web de la Bible d’étude de la foi réformée explique également : « Lorsque le presbytérianisme s’est répandu dans le monde à partir du XVIIe siècle, notamment par l’intermédiaire des émigrants écossais, il s’est généralement accompagné d’une version du symbole adopté par la Kirk écossaise. Aujourd’hui, le buisson ardent figure sur les armoiries officielles des Églises presbytériennes d’Irlande, d’Irlande du Nord, du Canada, du Brésil, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, de Taïwan, de Singapour, de Malaisie, d’Afrique de l’Est (Kenya et Tanzanie), et d’Afrique australe (Afrique du Sud, Zambie et Zimbabwé). Les Églises ayant des relations historiques plus immédiates avec la Kirk écossaise, telles que l’Église libre d’Écosse et l’Église libre unie d’Écosse, ont également conservé l’emblème du buisson ardent sous une forme ou une autre. »

Le théologien & géographe réformé brésilien Diego Montenegro a dressé un catalogue remarquable de ce foisonnement de buissons ardents dans la symbolique identitaire réformée presbytérienne à l’échelle internationale. Voici un aperçu très échantillonnaire de son impressionnante compilation :

Il va sans dire que dans le monde réformé presbytérien, la position de l’iconoclasme radical doit être ultra-minoritaire, la position réformée classique dominante étant plutôt celle de l’iconoclasme modéré.

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En guise de complément, voici quelques images de Dieu – toujours en forme de buisson ardent – plus récentes usitées dans un contexte réformé ecclésial ou para-ecclésial…

Théophanie (buisson ardent) dans le vitrail du bâtiment de l’Église réformée évangélique d’Aix-en-Provence (en actuelles Bouches-du-Rhône) en France :

Théophanie (buisson ardent) sur l’emblème officiel de la Faculté libre de théologie réformée (FLTR) d’Aix-en-Provence dans les décennies 1980 et 1990 :

Théophanie (buisson ardent) sur l’emblème officiel de la Faculté libre de théologie réformée (FLTR) d’Aix-en-Provence dans la décennie 2000 (cet institut changea de nom pour celui de Faculté Jean Calvin en 2010) :

Théophanie (buisson ardent) sur l’emblème de la Revue réformée (journal académique officiel de la Faculté Jean Calvin) en 2020 :

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