
Carte des anciennes provinces du Royaume de France sous l’Ancien régime (à l’époque de la Nouvelle-France)
Il est de bon aloi, de nos jours, de dire que les Québécois sont un peuple métissé. On entend souvent dire que les Québécois – au sens de Canadiens-Français – sont « l’un des peuples les plus métissés du monde ». On évoque surtout les Amérindiens et les Irlandais. Qu’en est-il en réalité ? Évidemment, la présence ou l’absence de métissage n’est pas stricto sensu une fatalité, il n’est pas moralement significatif en tant que tel, car ce n’est pas l’ethnie d’un individu qui détermine s’il est une bonne ou une mauvaise personne. Ce n’est pas une question de valeur, c’est une question de fait. Et cette question historique demeure. Celle-ci devrait être approchée de façon rationnelle, scientifique. C’est l’historicité que l’on doit rechercher, et non pas une mythologie émotionnellement satisfaisante mais factuellement erronée.
Commençons par le commencement. D’où viennent les Canadiens-Français, c’est-à-dire les descendants des pionniers venus défricher les vallées du fleuve St-Laurent et de la rivière Richelieu à l’époque de la Nouvelle-France ? Il est avéré qu’ils proviennent de presque toutes les régions françaises, mais que la majorité des contingents était surtout issue de quelques provinces dans le nord-ouest du royaume. En ordre d’importance décroissante : le bloc formé par le Poitou, l’Aunis et la Saintonge (cumul de 24 %), la Normandie (15 %), l’Île-de-France (14 %) et la Bretagne (6 %). Les colons non-français (néerlandais, suédois, allemands, etc.) comptaient pour un pourcentage minime (2 à 3 %) de la population colonisatrice.
Ces Français se sont-ils promptement métissés avec les Amérindiens, comme on le raconte ? Nullement. Il y eut bien sûr un certain nombre de mariages mixtes, mais la plupart des unions mixtes étaient des concubinages entre coureurs-des-bois et amérindiennes, et les enfants nés de ces relations furent adoptés par les communautés amérindiennes. C’est donc les Amérindiens qui se métissèrent (cf. les Huron-Wendats blonds aux yeux bleus !), mais rarement les Canadiens-Français qui connurent peu ce phénomène.
Qu’en est-il des Irlandais, arrivés par milliers au Québec au XIXe siècle ? C’est « bien branché » de dire que 20, 30, voir 40 % des Québécois sont à moitié irlandais. En réalité, habituellement, il ne s’agit que d’un seul ancêtre lointain, aux confins de l’arbre généalogique. Un mémoire de maîtrise en médecine soutenu à l’Université du Québec à Chicoutimi en 2007, l’Analyse démogénétique de la contribution des fondateurs irlandais au peuplement du Québec, a établit que les gènes irlandais constituent moins de 1 % du bassin génétique des Québécois de souche.
Voici d’autres renseignements initialement publiés par le groupe Genizon Biosciences (recherchistes en génétique des maladies héréditaires) :
En raison de son âge relativement jeune, du nombre limité de ses fondateurs et de sa taille actuelle très importante, la population fondatrice du Québec est une des populations les plus intéressantes pour la cartographie génique.
De par son contexte historique, le Québec se caractérise par un déséquilibre de liaison (partage génétique) optimal en raison de sa fondation, il y a 12 à 16 générations, par seulement 2 600 fondateurs effectifs [soit 1300 unions nuptiales], ainsi que de la multiplication par 80 de sa population au cours des 230 dernières années, avec une dilution génétique minime par mariages mixtes.
Le Projet BALSAC et le Programme de recherche en démographie historique de l’Université de Montréal (PRDH) constituent une documentation détaillée de la généalogie de la vaste majorité de la population fondatrice du Québec, depuis sa fondation jusqu’au temps présent. L’accès à ces bases de données facilite le processus de découverte de gènes.
[…]
L’immigration en provenance de France a pratiquement cessé par la suite [en 1760], et les mariages mixtes avec la population anglaise furent limités pour des raisons culturelles, linguistiques, religieuses et historiques. La population a d’emblée connu une expansion très rapide : pour chaque couple fondateur, on comptait en moyenne 36 enfants et petits-enfants. Il s’est également produit un phénomène de « dérive génétique démographique », où quelques familles très prolifiques ont assuré une contribution importante à la croissance de la population, ce qui a augmenté son homogénéité génétique.
[…]
La population canadienne-française actuelle est principalement issue d’une croissance très rapide de la population de colons originale. Au cours des 230 dernières années, la population du Québec a été multipliée par 80, alors que pendant la même période la population de la France, par exemple, n’a été multipliée que par 6. Avec ses 6 millions d’habitants [canadiens-français], le Québec est actuellement l’endroit au monde qui abrite la plus vaste population fondatrice génétiquement homogène.
Une fois établie l’homogénéité historique de la population québécoise de souche française, se pose une autre question : mais leurs ancêtres qui ont fait la traversée de l’Atlantique, étaient-ils, eux, ethniquement homogènes ? Vérifions pour les quatre principales régions d’origine des colonisateurs :
- Ensemble Poitou-Aunis-Saintonge (24 %) : Les Poitevins, Aunissois et Saintongeais descendent presque exclusivement des Gaulois celtes qui peuplèrent l’actuelle France il y a deux millénaires et demi, puisque le Poitou, l’Aunis et la Saintonge sont à la fois situés hors de la zone de colonisation des Francs germains (au nord de la Loire) ainsi qu’hors de la zone de peuplement des Celtibères en Aquitaine (où des Celtes d’Ibérie fusionnèrent avec des Gaulois dès l’Antiquité).
- Normandie (15 %) : Les Normands descendent de la population autochtone gallo-franque déjà présente en Normandie au Xe siècle ainsi que des Vikings – c’est-à-dire des Germains originaires de Scandinavie (Nordmen → « hommes du nord ») – qui s’y établirent alors. Même si les Vikings donnèrent leur nom à la région, au plan démographique, leur apport fut minime et ils furent rapidement assimilés par les Gallo-Francs. La célèbre Tapisserie de Bayeux illustre significativement la francisation de ces Vikings de Normandie entre 911 et 1066 : ils y sont identifiés comme des « Francs » (Francii) ! Plus récemment, une étude génétique menée par l’Université de Leeds au Cotentin (Département de la Manche) a confirmé la prédominance gallo-franque dans le patrimoine génétique normand.
- Île-de-France (14 %) : Les Franciliens descendent des Gaulois celtes ainsi que des Francs germains qui se sédentarisèrent dans le Nord de la Gaule au VIe siècle après Jésus-Christ.
- Bretagne continentale (6 %) : Les Bretons descendent des Gaulois celtes armoricains ainsi que de leurs cousins les Bretons celtes natifs de la Bretagne insulaire (actuelle Grande-Bretagne) qui passèrent du côté opposé de la Manche pour fuir l’invasion des Barbares anglo-saxons au Ve siècle de l’ère chrétienne.
Précisons que si des mouvements de populations importants accompagnèrent la chute de l’Empire romain, les peuples germaniques qui migrèrent en Gaule, dans la péninsule ibérique et en Italie du Nord se comptaient en dizaines de milliers d’individus arrivant dans des pays dont les populations se comptaient en multiples millions d’habitants. Les Germains se sont imposés par leur supériorité militaire, pas par leur faible poids numérique, et c’est pourquoi ils s’assimilèrent génétiquement aux populations celtiques et italiques.
« Ainsi les Wisigoths sont peut-être 100 000 en Aquitaine [ils ne s’y mélangèrent pas avec les Aquitains et furent rapidement expulsés par les Francs] et les Burgondes environ 80 000. Quant aux Francs, ils entrent en Gaule par infiltrations successives, et ne dépassent sans doute jamais 5 % des populations romanisées. » (Source : Nadeije Laneyrie-Dagen et al., « Le baptême de Clovis », Mémoire de la France, Éditions Larousse, Paris, 2003, p. 76-77.)
La seule région où les Germains furent incontestablement majoritaires est l’Alsace, où les Alamans (aussi dispersés au Bade et en Helvétie) supplantèrent les Gaulois. Les Burgondes, quant à eux, s’établirent surtout en Savoie et en Helvétie, même si leur domaine militaro-commercial – la Burgondie, devenue la Bourgogne – en vint à s’étendre sur presque tout l’Est de la France (mais jamais simultanément). Ce n’est donc pas abusif de dire « nos ancêtres les Gaulois », même s’il est vrai que cette expression est simplificatrice.
Il se dégage de ce tableau une identité française clairement définie et cohérente – à double composante ethnique : celtique et germanique – que l’on peut adéquatement résumer par le qualificatif germano-celtique. D’ailleurs les Celtes et les Germains, qui appartiennent à la même famille européenne, n’étaient pas très éloignés ethno-culturellement, allant parfois jusqu’à se confondre (les historiens utilisent le terme celto-germanique pour désigner les peuplades frontalières qui combinèrent des apports celtes et germains dès le premier millénaire av. J.-C., notoirement les Belges gaulois).
Et nous pouvons en fin d’analyse comprendre que « Du IXe à la fin du XIXe siècle, la composition du peuplement de la France reste stable. […] On voit ainsi que le phénomène moderne d’immigration massive, de populations très éloignées physiquement et culturellement, qui bouleverse définitivement la composition des peuples de France, est inédit et ne s’inscrit nullement dans notre tradition. » (Source : Guyla, « La formation du peuple français », L’Héritage, N° 2, été 2005, p. 14-15.)

Complément : Les filles à marier (1634-1662) [The French-Canadian Genealogist]













