Sur les soixante-douze preuves réunies par Jules Delpit en faveur de l’existence du droit de cuissage, dans un ouvrage publié en 1857, cinq seulement peuvent se référer à un éventuel droit médiéval. La première apparition de l’expression — dans un fragment de cartulaire de l’abbaye du Mont-Saint-Michel — date de 1247. Cet extrait comporte une série de 235 vers énumérant les redevances et les corvées dues par les vilains du village de Verson. Il s’agit, en fait, d’un texte de propagande monastique dirigé contre les menées du vicomte Osbert de Fontenay-le-Pesnel, qui tente de faire passer la communauté villageoise sous sa domination. Le cullage (droit que le serf doit payer pour marier sa fille hors des terres de son seigneur) est rapporté à un usage ancien et monstrueux […] Ce mythe d’origine de la seule redevance personnelle payée par les vilains de Verson introduit une condamnation morale du seigneur laïc, dont l’image est ramenée à un tyran ancestral. Le droit de cuissage est donc inventé dans un but polémique.
Les quatre autres mentions médiévales figurent dans des aveux ou dénombrements féodaux (entre 1419 et 1538). Dans ces écrits, le seigneur dresse la liste de ses droits, qui doit être vérifiée et enregistrée par la cour du suzerain. Or le vassal a souvent tendance à exagérer ses prétentions, dans des textes qui constituent des éléments de négociation. Toutefois, c’est par ce biais que le droit de cuissage entre dans la tradition juridique royale : on le cite fréquemment, à partir du milieu du XVIe siècle, comme exemple de la mauvaise coutume.
[…] Il connaît son plein essor au siècle des Lumières, notamment au théâtre. Beaumarchais, dans le Mariage de Figaro (1784), lui donne ses lettres de noblesse. Dans ce courant […] le droit de cuissage est l’emblème du despotisme.
Source : Dictionnaire de l’histoire de France, Larousse, 2005, page 332 sur 1304.
[Les quatre aveux ou dénombrements] ne signifiaient rien avant d’avoir été validés par une chancellerie ou une chambre des comptes (et certains auteurs étaient parfois tentés de s’inventer des droits). Dans les quatre cas, cette vérification n’a pas été effectuée. Il ne reste de fait plus aucune preuve à l’appui du droit de cuissage. C’est surtout au XVIIIe siècle que ce mythe se répandit dans le peuple et les salons : il a surtout servi dans un but idéologique afin de dénigrer l’Ancien régime et son système féodal.
Source : François Desouche
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