La Revue réformée a rassemblée des données sur les affiliations théo-idéologiques des dirigeants réformés en France. En se basant sur les critères de Jean-Paul Willaime dans Profession pasteur (Genève, Labor & Fides, 1986, chapitre 4 : Orientations et clivages idéologiques au sein du corps pastoral, p. 125-192), François-Georges Dreyfus classe les allégeances des pasteurs et des conseillers presbytéraux (membres « laïcs » composant les petits gouvernements locaux des paroisses réformées) en quelques catégories nous permettant peut-être d’y voir un peu plus clair dans le paysage politique du milieu réformé.
J’ai allégé ces chiffres et voici les résultats. Je compte comme conservateurs ceux qui s’identifient comme orthodoxes, barthistes et évangéliques (ce dernier terme peut avoir plusieurs sens mais est historiquement synonyme de conservateur dans le contexte réformé), tandis que je compte comme libéraux ceux qui s’identifient comme tel ou qui se revendiquent de la « théologie politique » (comprendre les « protestants athées » à la Lionel Jospin).
Les conseillers de l’Église réformée de France (ERF) à Paris :
- 50 % conservateurs
- 22 % libéraux
- 28 % indécis
Les conseillers de l’Église réformée de France (ERF) en province :
- 24.5 % conservateurs
- 15 % libéraux
- 60.5 % indécis
Les pasteurs de l’Église réformée de France (ERF) :
- 61 % conservateurs
- 39 % libéraux
Les pasteurs de l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine (ERAL) :
- 57 % conservateurs
- 11 % libéraux
- 32 % indécis
Les pasteurs des Églises réformées évangéliques indépendantes (EREI) :
- 100 % conservateurs
- 0 % libéraux
Dreyfus cite également un sondage de 1995, selon lequel 39 % des pasteurs de l’ERF se réclament du libéralisme ou de la « théologie de la sécularisation » (sic), et en conclut :
On retrouve cette tendance dans Église et pouvoirs, le « manifeste encyclique » de la Fédération protestante de France en 1971, qui nous offrait comme modèle de société la RDA [Allemagne de l’Est communiste].
[…]
Leur libéralisme théologique a sans doute largement accéléré la sécularisation du protestantisme français réformé et du luthéranisme alsacien depuis une trentaine d’années. En 1965, il y avait en France 470 000 réformés et 300 000 luthériens : il n’y a plus aujourd’hui [en 2000] que 350 000 réformés et moins de 250 000 luthériens.
Pour revenir aux données de Willaime, à première vue, les orthodoxes semblent nettement majoritaires sur les libéraux. Mais la proportion fulgurante d’« indécis » ne cache-t-elle pas beaucoup de libéraux inconscients ou inavoués ? Les pasteurs et conseillers « indécis » s’abstiennent de répondre aux questionnaires qui leur parviennent, tellement ils veulent plaire à tous et rester politiquement corrects, ou bien car leur manque de conscience sociopolitique les empêche de s’aligner. Or l’inculture sociopolitique rime souvent avec l’incrédulité théologique.
Cependant la situation n’est peut-être pas si grave que cela. Au plan social, selon le sondage mentionné plus haut, 47 % des fidèles estiment qu’il faut « limiter le nombre des étrangers ». 42 % pensent qu’il faut « retrouver le sens des valeurs morales » et 77 % sont convaincus que « l’institution familiale est une valeur fondamentale ». De ces chiffres discordants, se dégage encore la séparation floue 50/50.
Voyez aussi sur Le Monarchomaque :
Avec des “conservateurs” comme ça, on ne va pas aller loin (de la part d’un ex-membre de l’ÉRF).