Sur la dégauchisation de l’électorat protestant en France…
La fin de l’orientation à gauche des protestants français
L’orientation à gauche des protestants français signalée par Siegfried au tournant du siècle prend-elle fin avec la Première Guerre mondiale ? Certains auteurs l’ont affirmée avec force. C’est le cas de Roger Mehl qui écrit par exemple qu’il est faux « de dire pour cette période d’entre les deux guerres que le protestant est un homme de gauche ». Évitons d’abord les faux débats. Le protestantisme de droite a toujours existé en France. Mais les signes de sa vigueur semblent se multiplier dans l’entre-deux-guerres, où certains protestants participent explicitement au camp nationaliste. Ils sont notamment regroupés dans le mouvement La Cause, fondé en 1920. Ce mouvement est alors à l’origine de manifestations contre le marxisme, et critique sévèrement le Front Populaire dans son émission religieuse sur Radio-Paris. Cette orientation politique reste « extrêmement minoritaire » chez les protestants de cette époque, qui demeurent massivement orientés à gauche. […]
Sur un échantillon de taille appréciable, les protestants français ne peuvent plus aujourd’hui être classés à gauche. Ceux qui se disent appartenir à ce camp sont rigoureusement aussi nombreux en pourcentage que dans la moyenne nationale : 23 %. Ils ne sont pas pour autant tombés à droite : là encore, on a une parfaite symétrie avec la moyenne des Français : 13 % se classent à droite chez les protestants comme chez leurs concitoyens. […]
Ces résultats sont confirmés par l’étude de la sympathie partisane, directement articulée au vote. Les protestants sont aussi à droite que la moyenne nationale, et à peine plus à gauche, avec un écart qui ne peut pas être considéré comme significatif. [Voir référence pour tableau.] […]
Démontrée aux débuts du XXe siècle, l’orientation à gauche des protestants court jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. […] Ils semblent avoir rejoints la moyenne nationale. Et l’écart qui les séparait des catholiques lui-même s’est du même mouvement considérablement atténué.
Source ↑ : Claude Dargent, « Démocratie et religion – Table ronde : Protestantisme, vote et contexte national », Actes du Festival international de géographie de Saint-Die-des-Vosges, 2002, Centre national de documentation pédagogique.
Le clivage électoral catholique-protestant revisité
Un examen des différentes études qui ont été menées sur cette question en Alsace aboutit à une juxtaposition de configurations différentes qui ne semblent pas correspondre à une cohérence globale : opposition entre un vote catholique à droite et un vote protestant à gauche aux scrutins de 1849-1850, ainsi qu’aux élections de 1919 et 1924, clivage entre un vote catholique clérical et un vote protestant davantage orienté vers le parti libéral pendant la période allemande antérieure à 1918, vote autonomiste dans les communes protestantes de la circonscription de Saverne aux scrutins de 1928, 1932 et 1936, clivage entre un vote catholique pour le Mouvement Républicain Populaire (MRP) et un vote protestant pour le gaullisme sous la Quatrième République (et un vote protestant mendésiste au scrutin de 1956), scores élevés pour le Front National dans certains secteurs ruraux protestants à partir de l’élection présidentielle de 1988. […] L’ensemble des études électorales qui ont été menées en Alsace sur cette question met en évidence l’existence d’un clivage catholique-protestant dans cette région, mais elles ne permettent pas d’identifier la nature de ce clivage, si ce n’est en négatif en l’opposant au clivage de type droite-gauche auquel il ne semble correspondre que de façon exceptionnelle.
Source ↑ : Bernard Schwengler, « Le clivage électoral catholique-protestant revisité (France, Allemagne fédérale, Suisse) », Revue française de science politique, Vol. 55, N° 3, 2005, p. 381-413.
Virage à droite des protestants ?
Un sondage révèle de façon très nette que : les protestants penchent désormais majoritairement à droite ; ils le font plus que l’ensemble des Français ; ils rejoignent en cela les Français catholiques. C’est une évolution considérable de la sensibilité politique des protestants. Au premier tour de l’élection présidentielle, 34 % ont déclaré avoir l’intention de voter pour Nicolas Sarkozy alors que ce n’est le cas que de 28 % de l’ensemble des Français. Ils rejoignent ainsi les intentions de vote des Français catholiques qui, selon la même question IFOP, ont été 33 % à déclarer leur intention de vote pour Nicolas Sarkozy (cf. La Croix du 6 mars 2007).
Par contre, alors que La Croix du 6 mars 2007 observait que François Bayrou ne séduisait guère plus les catholiques que l’ensemble des Français, ce n’est pas le cas chez les protestants qui lui accordent 27 % des intentions de vote (contre 23 % des Français). François Bayrou, le Béarnais catholique, auteur d’un livre sur Henri IV, séduirait-il particulièrement les protestants ? [sic] Les protestants, volontiers libéraux-sociaux (centre droit) ou sociaux-démocrates (centre gauche) pourraient effectivement trouver leur compte dans cette voix du centre qui, comme eux, répugne aux extrêmes. 27 % en faveur de Bayrou, 34 % en faveur de Sarkozy, cela fait 61 % des intentions de vote pour la droite, 62 % si l’on ajoute les 1 % pour Philippe de Villiers.
Si les protestants refusent plus que l’ensemble des Français l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen (8 % des intentions de vote des protestants contre 13 % de l’ensemble des Français), leur préférence va donc aujourd’hui nettement vers la droite ou le centre-droit. Quant à Ségolène Royal qui, en troisième position, n’a les faveurs que de 20 % des protestants, c’est non seulement, dans cette enquête, moins que l’ensemble des Français (23 %), mais moins que les Français catholiques (22 %) !
Source ↑ : Jean-Paul Willaime, « Virage à droite des protestants ? », Réforme, 27 juin 2007.
Les terroirs protestants traditionnels, des Cévennes à l’Alsace, sont de moins en moins à gauche, quand ils ne recèlent pas des votes pour le Front National supérieurs à la moyenne nationale.
Source ↑ : Fiche de lecture de l’ouvrage “Les Protestants et la République” de Pierre Cabanel, Dacodoc.
Le mythe fondateur est connu : Le protestantisme serait de gauche, démocratie religieuse et démocratie politique se rejoindraient autour d’un modèle républicain dont nos huguenots seraient les meilleurs porte-glaives. […] Le dernier chapitre, sur l’après-1945, pose de façon pertinente la question de la survie même d’une culture politique protestante, dans une société où la bonne image du protestantisme repose davantage sur sa réputation de tolérance, voir de sa capacité à s’auto-diluer dans la sécularisation générale, que sur les traits qui firent longtemps l’identité huguenote.
Source ↑ : Denis Pelletier, « Patrick Cabanel : “Les protestants et la République – De 1870 à nos jours” », Revue d’histoire du vingtième siècle, Vol. 72, N° 72, p. 167.
Hors-site : À qui profite le vote des protestants français ? [Réformés]
La persécution des protestants orthodoxes français par l’État laïciste jacobin :
Une thèse que je n’endosse pas mais qu’il est intéressant de recenser…
Le Dieu de la République : Aux sources protestantes de la laïcité
S’il est courant de lire que la République est une sorte de religion, au sens où certains adoptent les valeurs républicaines un peu comme s’ils entraient en religion, il est toutefois plus rare de nos jours d’entendre dire que la laïcité incarne des idéaux explicitement religieux. Cela pourrait même paraître provocateur depuis qu’il est question d’établir une loi pour défendre la laïcité contre l’intrusion de symboles religieux dans un de ses sanctuaires : l’école républicaine. Cette dénégation d’un lien entre la religion et la République remonte bien sûr à la Révolution française, censée incarner une rupture absolue avec le passé et, en particulier, avec le passé religieux.
Tout n’est pourtant pas si simple. L’historien américain Dale K. Van Kley (Les origines religieuses de la Révolution française, Seuil, 2002) ne rappelait-il pas récemment tout ce que la Révolution devait au jansénisme, cette sorte de catholicisme réformé ?
Tout aussi stimulant est le dernier livre de Patrick Cabanel qui dissèque les liens étroits qui ont pu exister entre la IIIe République et le protestantisme. Pas question bien sûr de dire que la République est une création des protestants, ni d’ailleurs la laïcité. Mais Patrick Cabanel tente néanmoins de répondre à la question suivante : « Le plus ‘républicain’ des christianismes a-t-il ‘protestantisé’ la République ? »
Et la réponse est en partie affirmative. Après les réformes des années 1880 émerge une « République puritaine, toute de pédagogie, de morale, de sacrifice, de devoir, de religiosité, d’intériorité ». Or, associé aux Maximilien Littré, Léon Gambetta et Jules Ferry dans la mise en place de cette République, se trouve tout un réseau d’hommes et de femmes d’origine protestante et oeuvrant au nom d’un protestantisme libéral. L’auteur en étudie avec minutie tous les liens : il part de la figure de l’historien Edgar Quinet, scrute le rôle du pédagogue Ferdinand Buisson, analyse l’influence du philosophe Charles Renouvier, etc. Il montre comment, gravitant autour de revues et d’institutions, éducatives surtout, tous ces hommes et femmes furent les fers de lance de la laïcité qu’ils cherchaient à établir comme une sorte de religion civile.
En montrant également comment, à la toute fin du siècle, se développa en réaction une laïcité autant antiprotestante qu’anticatholique, Patrick Cabanel nous offre une tonifiante enquête historique qui souligne combien opposer la laïcité à la religion est parfois un peu simpliste.
Source : Thomas LEPELTIER, revue Sciences Humaines.
Les protestants face à l’empreinte catholique de la France
Les clichés véhiculés sur les femmes et les hommes politiques protestants renvoient à une vieille culture française et catholique. Ségolène Royal ne serait-elle pas une madone « catho-laïque » ?
Génération Ferry, génération Mitterrand : d’un siècle à l’autre, l’histoire de France a semblé bégayer. Que de ministres et hauts fonctionnaires protestants dans le chantier de la laïcisation ouvert dans les années 1880 ! Que de protestants, à nouveau, dans le chantier de la réforme socio-économique et culturelle conduit par François Mitterrand dans les années 1980 ! On n’en donnera pas la liste, qui prendrait des allures de palmarès ou de révision mnémotechnique. On rappellera simplement que des Premiers ministres, des ministres de l’Intérieur, des porte-parole du gouvernement, des premiers secrétaires du Parti socialiste, des candidats à l’élection présidentielle parfois passés tout près du but (Defferre, Rocard, Jospin), de hauts fonctionnaires en vue (jusqu’à un Claude Érignac, assassiné en Corse) appartenaient à cette minorité de moins de 2 % de la population.
La conscience d’une différence perpétuée
A donner un nom, ce peut être celui de Louis Schweitzer, directeur de cabinet du Premier ministre Laurent Fabius, puis PDG de Renault, aujourd’hui président de la Haute Autorité de lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE). Cité ici pour la variété et l’éclat de ses fonctions, mais aussi pour son appartenance à l’une de ces dynasties d’origine pastorale, avec les Monod, les Bost, les Leenhardt, etc. qui continuent à faire les élites protestantes françaises.
Parmi ces hommes et désormais ces femmes (Georgina Dufoix, Catherine Trautmann et d’autres), les uns, souvent formés à l’école du scoutisme, sont protestants au sens chrétien du terme ; les autres sont plutôt des « huguenots », au sens où l’appartenance à une minorité, la mémoire d’un passé difficile mais valeureux, la conscience d’une différence perpétuée ont structuré la formation de leur personnalité.
Tous peuvent faire leur cette autoanalyse de Lionel Jospin, dans les colonnes mêmes de Réforme, le 11 avril 1981 : « Je crois avoir hérité [du protestantisme] une volonté d’étudier sérieusement les problèmes, d’y aller voir soi-même, de ne pas flatter les gens, de dire clairement sa pensée, de ne pas se décharger sur la collectivité de ses propres responsabilités, de s’assumer dans ses actes individuels. Bien sûr, j’ai l’amour de la liberté, de la décision, et peu de goût pour l’hypocrisie, pour les formes pompeuses de la manifestation du sentiment religieux, ou pour la révérence en politique. J’ai sans doute conservé ces attitudes, mais en les laïcisant […]. Dans mon milieu, le protestantisme signifiait liberté, esprit critique, volonté de réforme, justice sociale. »
Tout est dit, y compris les raisons d’un ancrage dominant dans la gauche socialiste, à distance du parti communiste, je n’y reviens pas, et d’une droite qui fut si longtemps associée au catholicisme dans notre pays, même si, depuis le gaullisme, des protestants peuvent jouer un grand rôle dans ses rangs (de Jacques Baumel et Maurice Couve de Murville à Antoine Rufenacht ou Thierry Breton, etc.).
Tout est dit, et pourtant nul n’a oublié ces mots du même Lionel Jospin, au printemps 2002, alors qu’il semblait se trouver aux portes de la présidence de la République. Je suis « un protestant athée », un « austère qui se marre ». Comment expliquer cette dénégation d’identité, si c’en est une ? Moment d’agacement, lié à un problème d’image ? Il faut prendre les choses, et les images, très au sérieux. L’austère-qui-se-marre, c’est une tentative d’échapper à de très vieux clichés qui nous viennent tout droit de la culture catholique, qu’il s’agisse de controverse religieuse ou de cet antiprotestantisme politique qui connut de si beaux jours vers 1900. Oubliée, la haine à la Maurras, évidemment mâtinée d’antisémitisme ? Plutôt mise en sourdine : elle survit dans le rire, comme l’antisémitisme peut survivre dans les « blagues juives ».
Le protestant austère, coincé, cérébral, cultivé, bourgeois, avare (l’Écossais des mêmes blagues), cousin de trop de cousins, et dirigeant le pays et son économie, rien de tout cela n’a disparu. Et, face aux États-Unis de George W. Bush et à l’expansion du protestantisme évangélique, qui peut prétendre que le fond antiprotestant de la culture française ne reste pas une dimension certes informulée mais agissante des attitudes françaises et de cet antiaméricanisme que certains veulent flamboyant ?
À l’intérieur de notre vie politique, il y a plus important que l’image potentiellement handicapante du protestantisme. C’est l’absence d’adéquation entre la culture protestante et la culture de la France, restée fondamentalement catholique, c’est-à-dire, osons hasarder ces mots, monarchique, iconique, sacrale, « merveilleuse ». Les historiens ont montré, de Tocqueville et Quinet aux observateurs actuels de la dimension « monarchique » de la Ve République, que cette culture transcende les aléas de la vie constitutionnelle et politique et survit même à la puissante révolution culturelle qu’a été la laïcisation. France catho-laïque, ont avancé des sociologues de la religion.
De Marie à Marianne, d’une déesse apaisante à une autre, qui ne serait frappé par cette substitution ou ce recouvrement, jusque dans les noms ? Qui pourrait jurer qu’il n’entre pas dans le succès actuel de [Marie-]Ségolène Royal, autre figure de « madone » catho-laïque, belle de cette beauté pure et consolatrice à laquelle la Vierge et Marianne nous ont habitués des siècles durant, bien des choses de notre inconscient national, un inconscient catholique ?
L’image et l’onction
Si cette analyse est juste, la candidate Ségolène a toutes les chances d’être un adversaire redoutable pour ses rivaux de gauche comme de droite, comme naguère François Mitterrand, l’élève des maristes, l’a été pour un Michel Rocard. A vrai dire, et pour en rester aux candidats protestants à la présidentielle, ils me semblent avoir été littéralement désarmés face à une élection dans laquelle l’image, l’appel, l’onction jouent un tel rôle : ils ne parlaient pas la même langue, ne savaient pas croire et surtout faire croire de la même manière enchantée. Ils étaient du côté de la raison et de la critique, quand cette élection-là se joue sur la base d’un charisme et d’une allégeance qui plonge très profond dans une histoire que le protestantisme n’a pu, en France, modifier.
Source : Patrick CABANEL, revue Réforme.
Une nouvelle droite protestante
Une nouvelle droite protestante, quasi-absente avant 1914 du fait de l’attitude agressive de la droite catholique nationaliste vis-à-vis du protestantisme, apparaît, limitée mais animée par un nationalisme intransigeant (pasteurs Édouard Soulier, Louis Lafon), très critique à l’égard des faiblesses du régime parlementaire. (…) Le communisme athée sera dénoncé par tout un courant animé par le pasteur Freddy Dürrleman, qui en 1920 fonde « La Cause », mouvement de conquête évangélique ; il animera les émissions protestantes à Radio-Paris.
Source : Musée virtuel du protestantisme français.