
Monument de Chanforan (nord-ouest de l’Italie), commémorant l’adhésion des vaudois à la Réformation au synode de 1532
Lorsque un débat survient entre des chrétiens protestants et des catholiques romains, les protestants éprouvent rarement de la difficulté à démontrer les assises scripturaires de leur théologie. Cependant, un point où leur discours est parfois boiteux est celui de la continuité historique. Notre Sauveur Jésus-Christ a affirmé « je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28:20) et que « les portes de l’Enfer ne prévaudront point » contre l’Église (Matthieu 16:18). Malheureusement, les protestants modernes sont rarement capables d’identifier le ou les groupes ayant constitués le véritable peuple de Dieu sur terre pour la période allant du Ve au XVIe siècle. Lorsque confrontés à ce défi, quelques protestants savent expliquer que l’Église des quatre premiers siècles a, dans l’ensemble, maintenu un niveau d’orthodoxie biblique acceptable jusqu’au du Ve siècle environ. En effet, « jusqu’à la mort de Valentinien III (455), le saint n’apparaît que comme modèle », explique Jean-Michel Matz. « Aucun culte des saints [qui est une forme d’idolâtrie polythéiste] n’est attesté en Gaule avant la fin du IVe siècle, on peut donc dire que cette forme de piété s’est constituée au cours des Ve et VIe siècles », renchérit Brigitte Beaujard.
Certains protestants savent aussi rappeler l’existence des vaudois du sud-est de la France et du nord-ouest de l’Italie qui maintinrent un christianisme plus authentique, sa plaçant ainsi en précurseurs de la Réformation protestante du XVIe siècle. Or classiquement, on croit que le fondateur des vaudois (terme dérivé de « vallées ») est le prédicateur Pierre Valdo (1140-1217). Conséquemment, l’apologétique protestante est placée devant un écart d’un demi-millénaire — du Ve au XIIe siècles — période pendant laquelle il n’est a priori pas clair qui était le peuple de Dieu sur terre, et où ce peuple était situé. Cette difficulté n’est pas insurmontable. Pour y répondre, je citerai des extraits de l’ouvrage d’Antoine Monastier, Histoire de l’Église vaudoise depuis son origine, paru à Lausanne chez Georges Bridel en 1847, chapitres 3 et 4 du tome 1, où est défendue la thèse d’une continuité du christianisme biblique isolé dans les Alpes et les Pyrénées du Ve au XVIe siècle. Les textes entre crochets sont mes ajouts.
CHAPITRE III — RÉSISTANCE QUE LES DOCTRINES ET LES CÉRÉMONIES NOUVELLES RENCONTRENT DANS L’ÉGLISE
L’Église chrétienne n’abandonna pas le droit sentier de la saine doctrine, la pureté et la simplicité de la vie cachée avec Christ, sans une longue résistance de la partie saine de ses membres. Qui racontera tous les efforts faits pour détourner un si grand malheur? Qui dira tout ce qui fut tenté pour empêcher un tel naufrage, pour arrêter une si grande ruine? Les documents sur ce point arrivés jusqu’à nous sont peu nombreux. Ils ne nous sont parvenus que par l’entremise du parti vainqueur. Nous sommes réduits à glaner dans son champ les quelques épis qu’il n’a pu soustraire à nos regards.
[…]
Le pape Célestin Ier, écrivant aux évêques des provinces Viennoise et Narbonnaise dans les Gaules, entre l’an 423 et 432, se plaint à eux de la permission qu’ils accordaient à des prêtres étrangers de prêcher à leur gré et d’agiter des questions indisciplinées qui amenaient des discussions dans l’Église (le même pape, dans une seconde lettre aux mêmes prélats, leur dénonce encore d’autres prêtres qui […] refusent la pénitence aux mourants, sans doute l’absolution). [Dans la première lettre] il affecte de ne pas préciser l’objet de sa plainte. Cependant la fin de sa lettre fait comprendre qu’il est question des saints, et que les prédicateurs qu’il a en vue ne sont pas favorables aux erreurs propagées sur cette doctrine. Voici ses expressions: « Cependant, dit-il, nous ne devons pas nous » étonner s’ils osent de telles choses envers les vivants, ceux qui s’efforcent de détruire la mémoire de nos frères maintenant dans le repos. » De ce fait on peut conclure, il nous semble, que les Églises des Gaules n’étaient pas alors favorables aux images et à l’invocation des saints, et qu’un nombre considérable de prêtres résistaient courageusement à l’envahissement de cette fausse doctrine. [Pour que l’on puisse donner cette interprétation à ces lettres de Célestin Ier, il faut prendre en compte la controverse qui agitait alors la Chrétienté à propos du culte des reliques. Lire la suite.]
Vers ce même temps, à la fin du IVe siècle, un nouveau fait, en confirmant l’état de l’Église des Gaules, nous apprend que la Lombardie avait aussi ses fidèles opposés à la cause des images et aux autres nouveautés. Vigilance (ou Vigilantius), homme instruit, quoique saint Jérôme avance le contraire, originaire de Comminge en Aquitaine, était prêtre et en avait exercé les fonctions à Barcelone ou dans le voisinage. Ayant fait un [voyage] en Orient, il s’y trouva en présence de saint Jérôme, solitaire célèbre. Ce fut vainement que le cénobite essaya de convaincre Vigilance et de lui taire approuver ses opinions sur les reliques, les saints, les images, les prières qu’on leur adressait, les cierges que l’on tenait allumés sur les tombeaux, les pèlerinages, les jeûnes, le célibat des prêtres, la vie solitaire, etc., Vigilance resta inébranlable. Il paraît qu’à son retour, ce prêtre opposé aux nouvelles doctrines [demeura un certain temps] en Lombardie, on pourrait même croire vers les Alpes Cottiennes (situées au nord du mont Viso, là même où s’étendent les vallées vaudoises actuelles), où il trouva un refuge. C’est saint Jérôme lui-même qui nous l’apprend dans une de ses lettres à Ripaire. « J’ai vu, dit-il, il y a quelque temps, ce monstre appelé, Vigilance. J’ai voulu, par des passages des saintes Écritures, enchaîner ce furibond, comme avec les liens que conseille Hippocrate mais il est parti, il s’est retiré, il s’est précipité, il s’est évadé, et depuis l’espace qui est entre les Alpes où a régné Cottus et les flots de l’Adriatique, il a crié jusqu’à moi, Ô crime! il a trouvé des évêques complices de sa scélératesse. »
On le voit par ce passage, les évêques de la Lombardie avaient approuvé Vigilance, et, comme lui, s’opposaient à l’introduction des erreurs mentionnées plus haut. En Lombardie, il le paraît, des Églises nombreuses avaient donc conservé plus ou moins la saine doctrine.
[[ Lisez également cette page d’Info-Bible sur la confrontation entre Vigilance de Calagurris et Jérôme de Stridon à propos du culte des reliques. Dans son étude sur l’émergence du culte des saints en Occident pendant l’Antiquité tardive, Peter Brown note que Vigilance de Calagurris « se fit l’interprète d’hommes qui craignaient que l’extension prise par des fidélités ostentatoires et très individualisées aux saints morts ne brisât la communauté idéale des croyants. Les pratiques fixaient les saints sur le lieu de leur tombe, qui n’était pas accessible à tous, créant ainsi une topographie religieuse privilégiée du monde romain, d’où les communautés chrétiennes périphériques pouvaient se sentir exclues. […] Le danger que les nouvelles féries des martyrs n’éclipsent le grand jour, commun à tous, de Pâques, étaient des sujets d’inquiétude réels et bien compréhensibles au sein du clergé local de Gaule méridionale et d’Espagne » (Peter Brown, p. 47-48).
Insistons que Vigilance ne fut pas le seul partisan de l’orthodoxie chrétienne au tournant du Ve siècle. Plusieurs chrétiens « réagissent contre une prédication qui fait trop de place à la virginité et déconsidère le mariage, qui brise les familles et interrompt les lignées. Si les papes Damase et Sirice sont favorables au mouvement dans ses débuts, il n’en est pas de même de tous les clercs de Rome et d’Occident. [… Les théologiens Jovinien, Helvidius, Ambrosiaster et Bonose de Sardique] s’en prennent à ceux qui préconisent la supériorité de la virginité sur le mariage, ce qui provoque Jérôme à écrire contre [les deux premiers d’entre] eux de violents pamphlets. Mais Jérôme lui-même est contesté, expulsé de Rome, et son ouvrage contre Jovinien y fait scandale » (dixit Pierre Maraval). Les prêches et les écrits de ces hommes de Dieu connurent un franc succès et firent de nombreux prosélytes parmi la population (dont Sarmatianus et Barbatianus à Milan). Ils défendirent le mariage chrétien et exposèrent l’impertinence de l’ascétisme expiatoire, entraînant beaucoup de moines et de moniales à se défroquer et à prendre époux(se). Chassé de Rome puis de Milan pour ses opinions bibliques, Jovinien se réfugia à Verceil dans le Piémont. ]]
Un des faits les plus saillants de la résistance de l’Église fidèle à l’envahissement des erreurs, dont Rome fut le centre, est l’épiscopat de Claude de Turin. […] Claude d’abord chapelain de Louis-le-Débonnaire, déjà du vivant de Charlemagne, fut nommé par le premier de ces princes évêque de Turin, vers l’an 822, sous le pontificat de Pascal Ier, qui mourut le 13 mai 824, et administra le diocèse jusqu’en 839, époque de sa mort, à ce que l’on croit. Prédicateur éloquent et versé dans la connaissance de la Parole de Dieu, il exerça un ministère actif et fructueux durant dix-sept années, et, ce qui est le caractère le plus apparent de son œuvre, il fit disparaître des basiliques toutes les images.
Miné par les partisans de ce culte inconnu à la primitive Église, il écrivit quelques livres pour répondre aux adversaires du dehors. Ces écrits sont perdus, à l’exception des lambeaux que Jonas d’Orléans, son adversaire, nous en a conservés. Bien qu’incomplets et mutilés, ils restent un éclatant témoignage de la doctrine prêchée durant dix-sept ans, dans les mêmes contrées où nous la trouverons plus tard professée par les Vaudois. […] L’écrit de Claude de Turin que Jonas d’Orléans nous a conservé, ainsi que Dungal [de Bobbio ?], est intitulé Réponse apologétique de Claude, évêque, à l’abbé Théodémir.
Je n’enseigne point une nouvelle secte, moi qui reste dans l’unité (de l’Église) et qui proclame la vérité. Mais, autant qu’il a dépendu de moi, j’ai étouffé les sectes, les schismes, les superstitions et les hérésies, et je les ai combattus, écrasés, renversés, et, Dieu aidant, je ne cesse de les renverser autant qu’il dépend de moi. Depuis que, malgré moi, je me suis chargé du fardeau de l’épiscopat, et, que, envoyé par le pieux Louis, fils de la sainte Église de Dieu, je suis arrivé en Italie, j’ai trouvé à Turin toutes les basiliques remplies de souillures dignes d’anathème et d’images, contrairement à l’ordre de la vérité ; et, comme tout ce que les autres adoraient, seul je l’ai renversé […] Ce qui est dit clairement [dans la Bible] : Tu ne feras aucune ressemblance des choses qui sont au ciel, ni sur la terre, etc., s’entend non-seulement de la ressemblance des dieux étrangers mais aussi des créatures célestes et de ce que l’esprit humain a pu inventer […].
Nous ne prétendons pas, disent ceux contre qui nous défendons l’Église, nous ne prétendons pas que l’image que nous adorons ait quelque chose de divin, mais nous l’adorons avec le respect qui est dû à celui qu’elles représentent. A quoi nous répondons : que si les images des saints sont adorées d’un culte diabolique, mes adversaires n’ont pas abandonné les idoles, ils n’ont fait qu’en changer le nom. […] le nom est changé, mais l’erreur reste et demeure à toujours, en ce sens qu’ils ont une image de dieu privée de vie et de raison […]
Il faut donc bien retenir ceci, c’est que tous ceux qui accordent les honneurs divins, non-seulement à des images visibles, mais à une créature quelconque, qu’elle soit céleste ou terrestre, spirituelle, ou corporelle, et qui attendent d’elle le salut qui vient de Dieu seul, sont de ceux dont parle l’Apôtre quand il dit : Ils ont servi la créature plutôt que le Créateur.
Pourquoi t’humilies-tu et t’inclines-tu devant de vaines images ? Pourquoi courbes-tu ton corps devant des simulacres insensés, terrestres, esclaves ? Dieu t’a créé droit, et tandis que les animaux sont penchés vers la terre, il veut que tu élèves tes yeux au ciel et que tu portes tes regards vers le Seigneur. C’est là qu’il faut regarder ; c’est là qu’il faut lever les yeux. C’est en haut qu’il faut chercher Dieu, pour apprendre à se passer de la terre. Élève donc ton coeur au ciel ; pourquoi t’étendre dans la poussière de la mort avec l’image insensible que tu sers ? Pourquoi te livrer au diable pour elle et avec elle? Garde l’élévation où tu es né ; maintiens-toi tel que Dieu t’a fait.
[…]
Convertissez-vous, prévaricateurs, qui vous êtes retirés de la vérité, et qui aimez la vanité, et qui êtes devenus vains, qui crucifiez de nouveau le Fils de Dieu et l’exposez à l’ignominie, qui avez rendu ainsi une foule d’âmes complices des démons, et qui, les éloignant de leur Créateur, au moyen des sacrilèges détestables de vos images, les avez abattues et précipitées dans la damnation éternelle.
[…]
Quant à ce que tu [l’abbé Théodémir] me reproches que j’empêche le monde de courir en pèlerinage à Rome pour y faire pénitence, tu ne dis pas la vérité. En effet, je n’approuve pas le voyage, parce que je sais qu’il ne nuit pas à tous et qu’il n’est pas utile à tous; qu’il ne profite pas à tous et qu’il n’est pas dommageable à tous. Je veux premièrement te demander à toi-même, si tu reconnais que c’est faire pénitence que d’aller à Rome, pourquoi depuis si longtemps as-tu damné tant d’âmes que tu as retenues dans ton monastère et que tu y as même reçues pour y faire pénitence, les ayant obligées à te servir, au lien de les envoyer à Rome ? […]
Nous savons bien que cette sentence de l’Évangile est très-mal entendue : Tu es Pierre et sur cette pierre j’édifierai mon Église, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux. C’est en vertu de ces paroles du Seigneur qu’une tourbe ignorante, négligeant toute intelligence spirituelle, tient à se rendre à Rome pour acquérir la vie éternelle. Celui qui entend convenablement les clefs du royaume des cieux ne recherche pas une intercession locale de saint Pierre. En effet, si nous examinons la valeur des paroles du Seigneur, il n’a pas été dit à saint Pierre seul Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. En effet, ce ministère appartient à tous les vrais surveillants et pasteurs de l’Église, qui l’exercent tandis qu’ils sont en ce monde; et quand ils ont payé la dette de la mort [quand ils sont décédés], d’autres succèdent à leur place et jouissent de la même autorité et puissance.
[…]
La cinquième chose que tu ma reproches, c’est qu’il te déplaît que dominus Apostolicus (monsieur l’Apostolique) se soit indigné contre moi (tu parles ainsi du défunt évêque de Rome, Pascal), et qu’il m’ait honoré de ma charge. Mais puisque apostolique veut en quelque sorte dire gardien d’apôtre, il ne faut certes pas appeler apostolique celui qui est assis dans la chaire de l’Apôtre, mais celui qui remplit les fonctions d’apôtre. Quant à ceux qui occupent cette chaire sans en remplir les devoirs, le Seigneur a dit : Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; observez et faites ce qu’ils vous diront – mais ne faites pas comme ils font, parce qu’ils disent et ne font pas.
La lecture attentive de cette lettre montre avec évidence le caractère chrétien et éminemment évangélique de Claude de Turin. On y voit que la source où il puise son courage et sa fidélité est la Parole de Dieu, et l’on peut conclure de l’emploi continuel qu’il fait de l’Écriture dans ses écrits, qu’il l’a prêchée et répandue dans son diocèse ; qu’il a dû donner un élan nouveau a l’étude des saintes lettres, exciter les ministres de la religion à n’enseigner que ce qu’elles contiennent, et conduire les brebis confiées à ses soins au seul Berger céleste qui puisse les paître et les sauver éternellement.
Il est facile de se figurer l’immense influence qu’a dû exercer un tel homme durant un épiscopat de dix-sept ans environ. Et lors même qu’on réussirait à prouver, ce qui n’est pas possible, que son œuvre a été isolée, sans antécédents, sans conséquences ultérieures remarquables; si l’on démontrait que les évêques qui le suivirent ont tous travaillé à la détruire, il n’en demeurerait pas moins certain qu’elle a eu lieu, et il resterait toujours la possibilité, bien plus la probabilité, qu’elle se sera perpétuée après lui dans bien des cœurs, tout au moins dans quelqu’une des parties de son vaste diocèse, dans les vallées des Alpes vaudoises, par exemple, moins exposées que la plaine au brusque envahissement de l’autorité des papes.
[…]
Claude de Turin n’a pas été un novateur. Son œuvre n’a pas été isolée. Tout ce que nous avons rapporté de la résistance de l’Église fidèle le prouve. C’était déjà dans ces mêmes contrées, on dans les contrées voisines, que Vigilance avait trouvé un refuge auprès d’évêques professant comme lui une doctrine opposée au culte des images et des saints, aux cérémonies sur les tombeaux, aux pèlerinages, aux jeûnes, au célibat des prêtres et à la vie monastique. N’oublions pas que Serenus, de l’autre côté des Alpes, au commencement du VIIe siècle, avait accompli une œuvre pareille à celle de Claude de Turin, dans le diocèse de Marseille.
[…]
On doit encore faire attention qu’Agobard, archevêque de Lyon [le « prélat des Gaules » !], partageait entièrement les opinions de Claude de Turin, son contemporain, comme en font foi ses écrits [Liber de imaginibus].
[…]
Cet évêque de Turin, homme éloquent et de mœurs austères, eut un grand nombre de partisans. Ceux-ci, anathématisés par le pape, poursuivis par les princes laïques, furent chassés de la plaine et forcés de se réfugier dans les montagnes, où ils se maintinrent dès-lors, toujours comprimés et toujours cherchant à s’étendre.
CHAPITRE IV — VESTIGES DE L’ÉGLISE FIDÈLE AU Xe ET XIe SIÈCLES
L’épiscopat de Claude de Turin semble d’abord le dernier fait éclatant de la résistance de la partie saine de l’Église chrétienne aux envahissements des erreurs propagées en Occident. En effet, de Claude de Turin jusqu’aux écrits des Vaudois, c’est-à-dire de la première moitié du IXe siècle jusqu’au commencement du XIIe, l’histoire de l’Église fidèle n’offre que peu de faits saillants et connus. Cependant elle n’en est pas entièrement privée. Une étude intelligente et un examen consciencieux font découvrir des faits clairsemés, qui n’apparaissent d’abord que comme des traces à demi-effacées, mais dans lesquelles on reconnaît bientôt la marque d’une Église envahie, mais toujours militante. Ces faits empreints sur la route de ce monde, à des distances inégales, et souvent en divers lieux, convergent vers un centre et ramènent aux contrées dans lesquelles nous trouverons prochainement une Église évangélique, vivant d’une vie chrétienne avancée selon la doctrine des apôtres. […]
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Monastier cite ensuite les témoignages de l’évêque Atto de Verceil en 945, de l’abbé Radulphe de St-Thron vers 1108, et de Bruno d’Asti en 1120, qui, sans mentionner explicitement les vaudois, attestent de l’existence d’une communauté chrétienne indépendante de la hiérarchie catholique et localisée dans le nord-ouest de l’Italie à cette époque. Ce ces trois témoignages, le plus intéressant est celui de Radulphe, qui était aussi évêque de Segni et abbé du Montcassin. Radulphe écrit que les soi-disant hérétiques qui habitaient les Alpes affirmaient que leur origine remontait au pape Léon Ier, ce qui est un excellent indicateur puisque l’historiographie protestante considère que c’est vraiment avec ce pape romain que l’Église officielle a définitivement glissé dans la décadence. Tout compte fait, la thèse de la continuité historique des chrétiens vaudois du Ve au XIIe siècle semble tenable. Les ministères des pasteurs Claude de Turin et Agobard de Lyon, qui au IXe siècle combattirent le culte des saints et des icônes, rendent vraisemblable, chronologiquement et géographiquement, la thèse voulant que des chrétiens de ces diocèses se réfugièrent ultérieurement dans les Alpes et y maintinrent la vraie foi pendant des siècles. Par ailleurs, dans le tome 2 de son cet ouvrage de Monastier, figure un appendice où sont reproduits plusieurs documents vaudois qui sont, selon les manuscrits médiévaux, antérieurs au XIIe siècle. Nous voudrions que la période couvrant les VIe, VIIe et VIIIe siècles soit mieux documentée pour ces régions ; peut-être que des recherches supplémentaires pallieront éventuellement à cette lacune. (Toutefois, ne perdons pas de vue l’iconoclasme byzantin qui représente une vif regain de puissance de l’Église biblique pendant ces siècles.)
Il faut cependant nous dissocier d’un excès qu’Antoine Monastier partagea avec Edmund Hamer Broadbent. Ces hommes, par réflexe anti-catholique, tendirent à voir dans toutes les dissidences au catholicisme pré-moderne des forme de piété évangélique, ce qui les conduisirent à considérer les manichéens, les bogomiles et les cathares/albigeois comme des chrétiens bibliques, alors qu’il est fermement établit que ces groupes étaient absolument hérétiques.
Une carte pour situer l’étendue de la diffusion du valdéisme…
Bonjour Scolaris,
Je t’envoie le lien pour le livre Les Deux Babylones d’Alexander Hislop :
http://www.benabraham.com/pdf/2_babylones_fran.pdf
L’ouvrage est devenu obsolète ; les sources de Hislop sont des plus douteuses et pas toujours exactes, mais ça reste un vieux classique qui a marqué une partie du protestantisme et qui démontre le caractère paganisant du catholicisme.
Grandement apprécié la lecture du texte ci-dessus et l’autre du 3 février qui résume assez bien notre dernière discussion que les Pères de l’Église se situent entre le catholicisme et le protestantisme.
Je suis content de voir que mes articles contribuent à l’intelligence de la foi. Je jetterai prochainement un coup d’œil sur l’ouvrage de Hislop et je t’en donnerai un commentaire.
Savez-vous s’il existe une étude approfondie de la résistance contre la Réforme grégorienne ? Historiographiquement, on a l’impression que seul l’empereur résista.
Bonjour Olivier,
Voici une dissertation sur la Querelle des Investitures que j’ai rédigée lorsque j’étais étudiant en histoire à l’université et pour laquelle j’avais obtenu la note de 97 % :
La Lutte du Sacerdoce et de l’Empire : Commentaire de document sur les Dictatus papae
Il y a bien eu un mouvement de résistance à la Réforme grégorienne dans le Saint-Empire, tout à fait comparable au mouvement gallican en France. Ce mouvement « germaniste », à la fois ecclésial et politique, semble avoir été majoritaire en Allemagne, mais je crois que l’Italie est demeurée majoritairement utramontaniste.
Pour une étude approfondie, référez-vous à La Réforme grégorienne, Tome III : L’opposition antigrégorienne, d’Augustin Fliche, que je cite dans ma dissertation.
Il existe un ouvrage important sur cette question et que je n’ai pas consulté pour la rédaction de ce travail (car je n’y avait pas accès). Il s’agit du livre La Réforme grégorienne : De la lutte pour le sacré à la sécularisation du monde de Sylvain Gouguenheim.
Cordialement,
Tribonien
En l’an 590, neuf évêques d’Italie et des Grisons (Suisse orientale) déclarèrent ne pas être en communion avec le pape de Rome et le qualifièrent d’hérétique ; ils protestèrent auprès de l’Empereur qu’ils étaient dans l’impossibilité de communier avec le pape Grégoire Ier.
Source : Histoire de l’Église catholique primitive ; succession apostolique [Info-Bible]
Merci, je viens de lire votre réponse (il était temps ^^).