J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer, dans mes articles La foi biblique de l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge tardif et La juridiction de l’épiscope de Rome ne s’étend pas en dehors de Rome, l’adhésion à la pureté évangélique par des vrais chrétiens face aux errements de la papauté du IIIe siècle jusqu’au Xe siècle de notre ère et les tentatives de redressement ayant eu lieu dès le XIIe siècle avant de culminer dans la Réformation protestante du XVIe siècle. À ce chapitre, on connaît bien les iconoclastes de Byzance, les vaudois en Provence & Piémont, les wiclifites en Angleterre et les hussites en Tchéquie. Tous ces groupes peuvent à juste titre être qualifiés de proto-protestants et leurs membres peuvent être considérés comme des croyants de l’Église universelle.
Un mouvement sur lequel il est plus difficile de statuer est l’Église celtique. Voici un documentaire de la BBC intitulé How the Celts saved Britain qui brosse un portrait de l’Église celtique en Irlande et en Grande-Bretagne au début du Moyen Âge.
Nous voyons que c’était une structure entièrement indépendante de Rome en matière administrative et liturgique, ce qui amena une confrontation qui se termina par la victoire du parti romaniste. Cette saga est une preuve supplémentaire que la papauté n’a jamais été obéie par toute la Chrétienté, mais qu’elle a au contraire lentement et méthodiquement étendu ses tentacules et ses dérapages au fil des siècles.
Cependant, cela est-il suffisant pour qualifier l’Église celtique avec les autres groupes proto-protestants susmentionnés ? À mon sens, le comput de la date de Pâques (selon le calendrier lunaire plutôt que selon le calendrier solaire) ainsi que la façon de couper les cheveux (tonsure semi-circulaire plutôt que circulaire) ne sont guère des critères déterminants, et l’influence druidique visible dans l’ascétisme exacerbé des religieux est troublant. Le refus du célibat ecclésiastique est déjà plus encourageant. Le pasteur & historien Joe Morecraft affirme que nous avons une profession de foi de Saint Colomba (521-597), le fondateur du sanctuaire d’Iona en Écosse, qui est calviniste en sotériologie. Cela est bien, mais encore insatisfaisant : Augustin d’Hippone et plus tard les jansénistes l’étaient, mais ils n’adhéraient pas pour autant aux doctrines du Solus Christus et du Soli Deo gloria.
Dans son livre A historical account of the ancient Culdees of Iona publié en 1811, John Jamieson s’est appuyé sur quelques sources primaires et maintes sources secondaires pour conclure que l’Église celtique ne croyait pas diverses innovations catholiques. Au chapitre vingt, je crois qu’il prouve son point quant aux sacrements de la confession, absolution et confirmation, mais n’est pas convaincant sur le point le plus important, celui du culte des saints, les sources primaires qu’il cite ne sont pas assez catégoriques. Le débat reste ouvert.
« Aux errements de la papauté du IIIe siècle jusqu’au Xe siècle de notre ère ». Non. C’est une vue de l’esprit peut-être protestante mais loin de la réalité. Les errements sont rares, il y a une constance, et les quelques « errements » comme vous dites (par rapport à quel point de vue : le point de vue actuel ? dans l’ensemble c’est une institution saine que les Protestants révisent avec constance mais qui est incontestable au regard des documents) ne diminuent d’ailleurs pas avec le protestantisme. Ils sont proportionnels aux qualités relatives des êtres humains.
Monsieur Remy/Baccarat, les errements sont par rapport aux inerrantes Saintes Écritures, seule autorité en matière de foi (Sola Scriptura) comme je l’ai exposé dans mon article Le Bouclier de la Foi, ou défense de la doctrine réformée.
Très intéressant, je ne connaissais pas cette période où les Irlandais colonisaient et assimilaient les Pictes, qui deviendront les Écossais. Les Scots d’Ulster sont donc d’anciens colonisés qui deviennent colons chez leurs anciens colonisateurs. Un curieux revirement de l’Histoire.
Avant le Concile de Trente, il existait dans l’Église catholique romaine de nombreux rites différents selon la région ou l’ordre religieux et les moyens de communication limités rendaient nécessairement à un Évêque plus d’autonomie mais je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il existait des Églises entièrement indépendantes de Rome en Occident.
Extrait de l’article de Wkipédia sur l’Église celtique: “One of the common misconceptions is that there was a ‘Roman Church’ to which the ‘Celtic’ was nationally opposed. Celtic-speaking areas were part of Latin Christendom as a whole at a time in which there was significant regional variation of liturgy and structure with a general collective veneration of the Bishop of Rome that was no less intense in Celtic areas.”
Ta remarque sur la recolonisation des terres d’origine me semble fondée. Si je ne me trompe pas, les Scotch-Irish établis en Ulster au XVIIe siècle se sont massivement exilés au sud des futurs États-Unis au XVIIIe siècle parce que c’était des presbytériens qui en avaient marre de payer la dîme anglicane, et aujourd’hui les protestants d’Irlande du Nord descendraient surtout de colons anglais anglicans.
Le suis au courant de la diversité liturgique dans l’Occident catholique médiéval, qui s’est amenuisée de l’époque carolingienne à la Contre-Réforme. Mais il me semble y avoir plus dans l’Église celtique des des îles Britanniques du Haut Moyen Âge. Manifestement, celle-ci n’avait que faire de la papauté (et d’ailleurs l’Église catholique anglo-saxonne était à l’époque une curiosité : le premier vrai pion papal en dehors de l’Italie). Toutefois, si ces « croyants celtiques » avaient vraiment été des proto-protestants, il me semble que la relation avec Rome aurait accroché sur autre chose que la tonsure et la date de Pâques !
Mes études sur la Réforme grégorienne m’amènent à faire une comparaison avec ce que j’ai envie d’appeler l’« Église germaniste » qui se foutait éperdument de la papauté (44 ans de schisme sur 60 en 1061-1121, long schisme de 18 ans sous l’Empereur Frédéric Ier Barberousse en 1159-1177, 27 ans de guerre ouverte entre le parti impérial et le parti romaniste en 1227-1254). Aussi bien l’Église celtique que l’Église germaniste n’était ni strictement protestante ni strictement catholique.
Il faut aussi distinguer des contrées celtiques comme la Bretagne continentale, la Galice, les Asturies qui étaient nettement plus intégrés au monde européen que les contrées celtiques des îles britanniques. Ce qui vaut pour l’Église celtique insulaire ne vaut pas pour les catholiques celtiques continentaux.
Sur le Moyen-Âge : « Georges Duby, historien médiéviste dont la réputation n’est plus à faire, nous décrit l’Occident de l’an mil dans une série documentaire passionnante en neuf épisodes »
LE TEMPS DES CATHÉDRALES
Je regarde ça prochainement et peut-être que j’en ferai un billet. Merci !
Une semaine après avoir partagé cette série, Le temps des cathédrales, que j’avais mise dans mes favoris il y a plus d’un an, Mathieu Bock-Côté disait avoir lu pour la première fois Le temps des cathédrales de Georges Duby et Pour une école libre faisait un billet avec la série. C’est soit une coïncidence, soit ton blogue a de l’influence!
Voici une série sur les Normands: http://www.lebreviairedespatriotes.fr/2013/06/09/documentaire-les-normands-une-dynastie-de-conquerants/
Pour Bock-Côté, il me semble être un gars plus cultivé que ses petits éditoriaux idiot-proof le laissent paraître, donc c’est surement une coïncidence. Par contre, pour Pour une école libre, nous sommes du même créneau, et ça ne serait pas la première fois…
J’ai écouté le début de la série « Au temps des cathédrales ». Historiographie des années 70, ça date un peu non ? Il me semble que l’Europe de l’an 1000 que Duby décrit correspond mieux à l’Europe de l’an 600. Je ne peux pas accepter une vision aussi misérabiliste, surtout au plan de l’agriculture : c’est au contraire l’encellullement du Moyen Âge central qui génère la révolution agricole, qui (re)met en marche la mécanique de notre civilisation !
Par contre, je regarde prochainement le documentaire sur les Normands (et sur Charlemagne sur le même site).
Je connais beaucoup moins le Moyen-Âge que toi, mais cette série me laisse plutôt l’idée que le Moyen-Âge fut, par périodes successives, une véritable renaissance. Et, sur le plan religieux, même si officiellement le paganisme a disparu, on a l’impression que dans l’architecture, la culture populaire et dans l’Église, le christianisme et le paganisme sont toujours en train de s’affronter et parfois se fondre. Difficile de ne pas comprendre les doutes initiales de ce pèlerin sur le chemin de Compostelle devant la relique de Sainte Foy (à 42:12):http://www.dailymotion.com/video/xmbk64_le-temps-des-cathedrales-2-la-quete-de-dieu_school&start=2531
Oui, le Moyen Âge fut ponctué de petites renaissances (carolingienne, ottonienne, du XIIe siècle), et l’historiographie commence à réhabiliter les mérovingiens. En ce sens, la Renaissance des Quattrocento et Cinquecento n’est que la suite historique des renaissances médiévales, et n’aurait pas eu lieu sans elles. J’adhère d’ailleurs au Long Moyen Âge de Jacques Le Goff. Je me plaît à dire que la Renaissance comme phénomène en rupture avec l’époque précédente est une sornette de progressistes.
La vision de l’église celtique a été trop souvent encombrée de romantisme, et elle l’est encore aujourd’hui, même si des recherches solides sont dorénavant menées (voir le département spécialisé de l’Université Saint David du Pays de Galles).
Au delà des débats historiographiques, il me semble essentiel d’insister sur le fait que la vision parfois développée par une certaine apologétique « catholique » selon laquelle la Chrétienté médiévale occidentale aurait été unanimement soumise au siège romain est une pure vue de l’esprit.
En Christ