Quelques résumés des multiples biographies analytiques du réformateur français Jean Calvin publiées à l’occasion de son récent 500e anniversaire de naissance.
Calvin a initié des ouvertures vers la modernité
Notre invité [Olivier Abel, professeur d’éthique et de philosophie à l’Institut protestant de théologie] revient sur ce qui lui est apparu comme central, essentiel dans son approche : « […] le travail sur Calvin m’a amené à constater toutes les ouvertures qu’à son insu Calvin a initiées. Celui qui lit tous les auteurs de la modernité, lorsqu’il lit Calvin, fait une découverte. Par exemple : Calvin dit que le fidèle doit sortir de l’enfance, de l’âge mineur, pour devenir adulte, et c’est l’idée même des Lumières, celle définie par Kant. Le projet de la modernité, c’est sortir de la minorité, être un peu adulte. Aujourd’hui quand on pense à l’individu adulte, on pense à un individu tellement autonome qu’il ne doit rien à personne, alors que le cœur de l’adulte doit être capable de gratitude, savoir se retourner pour dire merci [à Dieu]. Pour Calvin, être responsable, c’est être capable de répondre de soi à quelque chose qui nous précède [Jésus-Christ].
Des idées au cœur de l’idéal démocratique
Par ailleurs, on a oublié combien l’idée de contrat, de pacte qui est au cœur de l’idéal démocratique de la modernité occidentale, vient de l’idée biblique de l’Alliance ; certes, une vieille alliance a pu être brisée mais c’est pour nouer une nouvelle alliance. Et on a chez Calvin, le prototype de la modernité : la possibilité d’aller ailleurs, de recommencer sa vie sur de nouvelles bases. C’est essentiel pour penser toutes les colonisations, avec ce que cela peut avoir de négatif, mais aussi de constructif. Ceux qui sont partis vers les États-Unis d’Amérique, l’ont fait sur cette idée-là : on quitte, on rompt mais parce que on va passer un nouveau pacte, un nouveau contrat, une nouvelle alliance avec des gens qui sont d’accord pour passer ce pacte. C’est le cœur de la conception de la politique nouvelle, c’est aussi le cœur de la conception de l’Église nouvelle, l’Église est une Église d’adultes libres qui passent un pacte nouveau. On retrouve cette idée jusque dans le mariage car Calvin est pratiquement l’inventeur du divorce [ou plutôt le « rétablisseur » de la conception biblique du divorce].
Divorcer pour renouer une autre alliance
En effet, à Genève, ville refuge, arrivent des hommes et des femmes dont la plupart ont du quitter leurs époux ou épouses qui tenaient à rester catholiques. Calvin prononce leurs divorces et leur offre ainsi la possibilité de se remarier, de faire une nouvelle alliance, un nouveau pacte. C’est une invention extraordinairement moderne ! Et c’est aussi une nouvelle figure du couple qui apparait : le couple comme alliance ; Calvin dit dans son commentaire du Deutéronome que la femme a autant de droit que l’homme à divorcer et à rompre le pacte en pareilles circonstances.
Cette idée d’alliance — qui est devenue l’idée du contrat social — s’est malheureusement transformée en petits contrats précaires dans lesquels les démocraties occidentales sont en train d’enterrer définitivement la grande idée fondatrice de la modernité : l’idée du pacte, on ne peut se lier que parce qu’on peut se délier. On va sortir de l’esclavage, des servitudes, de l’état de perpétuelle enfance, par cet acte de rupture : il faut quitter ses parents pour se marier… Mais ces grandes intentions manifestes à l’aube de la modernité ont été trahies, car le divorce tel qu’il est pratiqué aujourd’hui n’a plus rien à voir avec les intentions de Calvin. Dieu n’est plus dans le monde, […] il est complètement extérieur au monde, donc le monde est désenchanté, il n’y a plus de finalité dans le monde.
Et Olivier Abel de conclure : « Il me semble qu’aujourd’hui il serait utile de revenir sur cette espèce de petite boite noire qui avait enregistré certaines des intentions de la modernité pour essayer de comprendre ces intentions, […] le refoulement d’un Jean Calvin est grave car il symbolise la perte de l’une des clés des portes de la modernité. »
Source : Une nouvelle image de Calvin, moins austère, plus ouvert, très moderne [Canal Académie / Institut de France]
Il nous a semblé nécessaire de faire appel à un historien. Yves Krumenacker l’est. Il est professeur d’histoire moderne à l’Université de Lyon-III et l’auteur d’une biographie historique qui vient de sortir (Calvin, au-delà des légendes). […] Au terme de ce travail, l’historien nous met en garde : il ne faut pas nous tromper d’époque. Calvin n’est pas adepte de la tolérance. Dans sa Genève, la pluralité des opinions religieuses n’est pas admise. Il prône l’individu mais un individu encadré, enserré, bien loin de l’individu d’aujourd’hui. Il met en avant l’examen mais refuse le libre examen — et encore plus la liberté de conscience. Il est dans une petite cité autogouvernée, mais n’est pas démocrate [pourtant il y avait élection des magistrats et cooptation des pasteurs]. Quant à la « laïcité », elle n’est pas à l’ordre du jour. Max Weber mettait en évidence une affinité d’esprit entre le capitalisme et le protestantisme, alors même, nous dit toujours Yves Krumenacker, que Calvin est à l’opposé de cet esprit capitaliste.
Là est le mystère de l’héritage de Calvin : tous les éléments sont là pour contribuer à la modernité. D’autres après lui reprendront son œuvre, d’une autre manière, pour plus d’autonomie de l’individu, plus de liberté. La modernité est pour partie calviniste sans être de Calvin. Et c’est justement cette modernité-là, trop individualiste, qui est aujourd’hui en crise. D’où le besoin de reprendre cette séquence historique, de l’éclairer d’un jour plus historique, en mettant en évidence les continuités, les ruptures d’héritage, les lignes brisées puis reprises et ce sur différents thèmes : l’individu moderne, la tolérance, la question politique.
Source : Quelle est la modernité de Calvin ? [Canal Académie / Institut de France]
La Réforme introduit une rupture fondatrice pour la modernité conjugale
Selon Calvin le mariage est un vœu de Dieu pour l’homme car il n’est pas bon que l’homme soit seul (Genèse 2:18). Dès le commencement, ainsi Dieu a mis ensemble l’homme et la femme, afin que les deux ne fassent qu’un, qu’ils préfèrent leur conjoint à leurs parents mêmes, et qu’ils vivent tellement ensemble que l’un ait soin de l’autre comme si c’était la moitié de sa personne. Calvin s’oppose ici comme Luther à l’idéal monastique. Dans le même commentaire de Matthieu 19, il poursuit : les hommes mortels s’attribuent par trop, quand ils présument de s’exempter de la vocation céleste.
Les vertus du mariage
Il faut souligner à quel point cette lecture des textes bibliques est originale […] la conjugalité n’est pas un moindre mal, mais un vœu de Dieu pour l’homme. La nuptialité est bonne, et l’alliance qu’elle représente est plus forte que la nature et le droit : selon Calvin, nul ne peut se séparer de sa femme sans se mettre lui-même en pièce, serait-elle lépreuse. Le lien nuptial est en soi un bonheur et une bénédiction.
[…]
En autorisant le divorce et le remariage dans la Genève du milieu du XVIe siècle, Calvin doit faire face à la tempête de l’histoire, à l’afflux des femmes et des hommes qui ont préféré tout quitter pour leur foi, et jusqu’à leur conjoint. Et ce droit de divorcer et de se remarier, il l’établit d’emblée autant pour les femmes que pour les hommes.
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Nous sommes ici au cœur de la révolution puritaine : on peut rompre tous les pactes [humains], et se séparer de son mari, de sa femme, de son église, de son roi, pour aller recommencer librement ailleurs. Il faut que les humains quittent leur père et leur mère pour s’attacher à leur conjoint, pour reprendre les termes de la Genèse, et il n’y a pas de nouvelle alliance qui ne présuppose une rupture première.
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Aujourd’hui le problème est celui de l’exclusion, et où il faudrait plutôt instituer « un droit à ne pas être jeté ». On a perdu le sens civique du mariage comme pacte par lequel se tisse le lien social. Aujourd’hui le couple est un duo privé, une affaire entre soi qui ne regarde personne, sauf s’il y a parentalité : certes il y a une place juridique et sociale pour la mère et même pour le père, mais l’épouse et l’époux sont des figures effondrées de l’imaginaire commun.
Or ce que la crise réveille dans le monde entier, c’est justement l’importance des solidarités, d’abord conjugales […] Aux USA, l’an dernier [en 2008] c’est la déréliction des liens qui a entraîné la non solvabilité des individus, chacun tout seul, et l’affaissement du système bancaire. Nous n’existons que par un prodigieux endettement mutuel et nul ne peut dire qu’il ne doit rien à personne. Oui, le mariage, l’amitié, les fidélités ont de belles années devant elles, au fur et à mesure que l’on découvrira que rien ne tient sans ces attachements-là.
Et si relire Calvin dont nous célébrons le 500e anniversaire de la naissance permettait de mieux comprendre le monde où nous vivons ? Calvin a en effet eut une influence considérable sur le monde moderne et au premier chef sur les États-Unis. […] De l’affaire Lewinski au fondement d’une éthique du travail, à la conception de l’égalité de tous devant la justice, nous sommes bien davantage construit par la religion que nous ne le pensons.
Source : Calvin, de Genève à Washington [France Culture]
- Calvin, de la Réforme à la modernité [Presses Universitaires de France]
- Calvin ou la biographie déformée d’un juriste au service de la Parole [Canal Académie / Institut de France]
- Les racines protestantes de la notion de sujet de droit [Olivier Abel]
Il semble qu’Ulrich Zwingli (réformateur de Zürich et de la Suisse alémanique) n’était pas un autocrate agressif lui non plus…
Biographie complète ici : Ulrich Zwingli (1484-1531) [Magazine “Réformés”]