À chaque époque, les Français ont un grand historien que le monde entier leur envie, comme les Allemands un grand philosophe. Depuis que Fernand Braudel a quitté notre monde en 1985, c’est Jacques Le Goff qui occupe cette place. Il était auparavant Directeur de l’École des Hautes Études en Sciences sociales depuis 1972.
Ses premiers livres, Marchands et banquiers du Moyen Âge et Les Intellectuels au Moyen Âge, montrent comment ces types sociaux qui incarnent pour nous la modernité ont été inventés ou au moins réinventés par le Moyen Âge. C’est à l’université, une institution tout à fait originale apparue au XIIIe siècle, que l’élaboration et la divulgation du savoir acquièrent le statut d’activité professionnelle rémunérée, séparée de l’activité proprement religieuse. En étudiant le développement des ordres mendiants qui accompagnent l’essor urbain du XIIIe siècle et s’efforcent d’encadrer son nouveau paysage social, Jacques Le Goff a montré aussi que la ville telle que nous la connaissons aujourd’hui avec ses institutions communales, ses banlieues, son rayonnement économique et culturel sur les campagnes environnantes, a été réinventée par le Moyen Âge.
Mais c’est dans son approche globale de cette période, comme il l’a tentée dans son grand livre La Civilisation de l’Occident médiéval, qu’il opère une rupture radicale avec les habitudes des médiévistes. Pour comprendre ce que nous a légué le Moyen Âge, il estime qu’il faut lui rendre son étrangeté en explorant son univers mental. Le Moyen Âge est d’abord, pour Le Goff, une création du christianisme. La particularité du bouleversement opéré par la christianisation du monde romain tient au fait que l’Église a eu, pendant plus de dix siècles, la tâche et le pouvoir d’adapter les manières de vivre et de penser au message chrétien.
La culture médiévale a valorisé l’intériorité comme siège de la vie spirituelle. Un nouveau point de vue qui a modifié les pratiques intellectuelles (par exemple avec l’apparition de la lecture silencieuse) et qui a aussi transformé l’image de soi, la gestion des émotions et les habitudes de maintien. Le chrétien s’abandonne au regard de Dieu. Mais l’idée qu’une partie de la vie émotionnelle comme de l’activité spirituelle de l’individu se réfugie à l’intérieur de lui-même, échappant au regard des hommes pour mieux s’offrir à Dieu, a préparé la construction d’un moi profond, en retrait de la vie sociale. Nous avons tendance à identifier le Moyen Âge au patrimoine matériel qu’il nous a légué, à la multitude d’églises et de cathédrales dans lesquelles nous nous plaisons à déchiffrer le message spirituel d’un monde perdu. Or en nous apprenant à lire entre les lignes de ce message, Jacques Le Goff nous aide à retrouver le patrimoine immatériel que le Moyen Âge a laissé en nous et qui survit jusque dans nos attitudes les moins religieuses.
À la question « le Moyen Âge ne se termine-t-il pas avec la Renaissance, c’est-à-dire quelque part entre le milieu du XVe siècle et le début du XVIe ? », Jacques Le Goff répond par l’infirmative : il plaide en faveur d’un Long Moyen Âge qui s’étend jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Il explique que c’est seulement là que deux phénomènes ont précipité la rupture avec l’ordre ancien :
La Révolution industrielle amorcée en Grande-Bretagne dès le milieu du XVIIIe siècle qui bouleverse le système économique ; la Révolution française et son retentissement en Europe qui transforment les structures mentales, en particulier le sens que les hommes donnent à la vie terrestre et à l’Histoire. Mais ce long Moyen Âge qui va du IVe au XVIIIe siècle a connu plusieurs phases d’essor, que l’on peut qualifier de Renaissances parce qu’elles mêlent l’innovation au ressourcement dans l’héritage de l’Antiquité. On a parlé de la Renaissance carolingienne au IXe siècle, il y a aussi eu une Renaissance du XIIe siècle : c’est l’essor des villes et du grand commerce, la construction des États monarchiques, l’épanouissement de la scolastique et bientôt la création des universités. La principale différence de ces renaissances avec celle du XVIe siècle, c’est que ses acteurs ne se pensaient pas comme les inventeurs d’un âge nouveau mais comme « des nains juchés sur des épaules de géants ».
Source : Jacques Le Goff – L’éclaireur du Moyen Âge [Nouvel Observateur]
Jean-Claude Schmitt est d’accord avec Jacques Le Goff sur le Long Moyen Âge.
Monsieur,
Les éditions belges « Beya Éditions » (Grez-Doiceau) aimeraient vous proposer d’acquérir plusieurs livres récemment édités par elles, dont l’intérêt historique et universitaire semble évident. Il s’agit notamment de l’oeuvre, des commentaires, et des polémiques suscités par Paracelse, auteur très connu dans le monde germanophone mais, curieusement, très peu édité en français. Son grand diffuseur en latin fut Gérard Dorn (16ième s.), auteur belge travaillant pour le frère du roi de France. Les ouvrages proposés par Beya sont traduits du latin en français pour la première fois. En voici la liste:
N° 13: Paracelse, Dorn, Trithème, 2002. I.S.B.N. 978-2-9600575-7-7
N° 14: Défenseurs du Paracelsisme, Dorn, Duclo, Duval, 2013. I.S.B.N. 978-2-9600575-9-1
N° 16: La Clef de toute la philosophie chimistique, et Commentaires sur trois traités de Paracelse, 2014. I.S.B.N. 978-2-939729-01-5
N° 5: Les Arcanes très secrets de Michael Maier, 2005. I.S.B.N. 2-9600364-5-X
N° 15: Jean Reuchlin, Le Verbe qui fait des merveilles, 2014. I.S.B.N. 978-2-930729-00-8
Très cordialement.
Pr Stéphane Feye
Schola Nova (non soumise au décret inscriptions) – Humanités Gréco-Latines et Artistiques
Concert Schola
Schola Nova : les élèves de cette école indépendante belge parlent latin – Blog de la liberté scolaire
Caveat Emptor: Lovers of Latin Try to Sell a Dead Tongue – Wall Street Journal
Journal télévisé 13h du 29 janvier 2014 – RTBF [note du Monarchomaque : de 26:05 à 29:20]
Bonjour M. Feye,
Je vous remercie pour vos suggestions.
Scolaris Legisperitus