Au cours des 150 dernières années, les descendants de britanniques se sont attribués plusieurs de nos symboles nationaux, les retournant contre nous et nous obligeant à en trouver d’autres. Cette usurpation identitaire a créé une confusion qui ne profite certainement pas à notre patrie. Analysons rapidement l’histoire de chacun de ces symboles.
1. La feuille d’érable
On l’apparente souvent à tord aux anglophones. Utilisée par les fédéralistes, elle a de fortes connotations non-québécoises. Pourtant, la feuille d’érable devint l’emblème national officiel des Canadiens-Français en 1834 sous l’impulsion de la Société Saint-Jean-Baptiste (organisme voué à la protection des Canadiens-Français) qui expliqua sa décision en ces termes :
Cet arbre — l’érable — d’abord jeune et battu par les vents, semble dépérir, puisant difficilement sa nourriture à même la terre. Mais le voilà bientôt tendre ses rameaux vers le ciel, grand et fort, faisant fi des tempêtes et triomphant du vent, maintenant impuissant devant sa force. L’érable est le roi de nos forêts ; il symbolise le peuple canadien.
Insistons que ce symbole nationaliste fut adopté dans le contexte de la lutte du Parti patriote contre le pouvoir anglais.
Ce n’est pas avant 1867 que les anglophones commencèrent à se représenter avec ce symbole lorsque la chanson The Maple Leaf Forever fut composée. Elle devint un chant patriotique dans le Canada Anglais ; ses paroles glorifient en réalité James Wolfe et l’Union Jack britannique. À cette époque la chanson God Save the Queen était l’hymne national des anglophones.
En 1868, une branche de trois feuilles d’érable orne les premières armoiries du Québec :
Ces feuilles d’érable restent sur les armoiries du Québec lorsque elles sont modifiées en 1939. Des feuilles d’érable sont aussi incluses dans les armoiries de la nouvelle Province d’Ontario en 1868. Par contre, il faudra attendre 1921 pour qu’il en soit ajouté aux armoiries du Dominion of Canada, puis 1964 avant que le gouvernement fédéral fasse de la feuille d’érable le principal symbole canadian en adoptant l’unifolié.
On sait que les Canadiens-Français utilisèrent le trapeau à trois bandes patriote entre les années 1830 et 1850. Ensuite, dès la remontée du Saint-Laurent par la corvette française La Capricieuse dans le cadre de l’alliance entre la reine Victoria et Napoléon III dans la guerre de Crimée en 1854, les Canadiens-Français brandissent le tricolore français. Un consulat français est inoguré à Québec en 1858, et un agent général du Québec est nommé à Paris en 1882. Les Canadiens-Français utilisent le tricolore comme leur drapeau national pendant la seconde moitiée du XIXe siècle, nottament lors des tensions ethniques provoquées par le second soulèvement des métis du Nord-Ouest en 1885.
Vers 1900, on part à la recherche d’un véritable drapeau Canadien-Français. Le croquis d’un drapeau potentiel, arborant une grande feuille d’érable verte au centre du tricolore de la République française, est publié dans les journaux. Deuxs versions incorporant des rameaux des feuilles d’érables sont aussi proposées.
Mais c’est 1902 que l’ancêtre du fleurdelisé est créé par Elphège Filiatrault, un prêtre de Saint-Jude, dans le diocèse de Saint-Hyacinthe. Il s’inspire de la Bannière de Carillon qui avait été utilisée lors de la bataille du Fort Carillon en 1758 dans la Guerre de Sept ans. L’année suivante, les Comités du drapeau à Québec et Montréal approuvent une version modifiée, avec un sacré-coeur et une couronne de feuilles d’érable (d’où son nom Carillon Sacré-Cœur).
Le Carillon Sacré-Coeur fut officiellement adopté par la Société Saint-Jean-Baptiste deux décennies plus tard, en 1924. Le Carillon Sacré-Coeur restera le drapeau des Canadiens-Français jusqu’à ce que le fleurdelysé soit hissé sur l’Hôtel du Parlement par le gouvernement de l’Union nationale en 1948.
2. Le castor
En 1678, le Comte de Frontenac, gouverneur de la Nouvelle-France, proposa pour la ville de Québec des armoiries contenant un castor, celui-ci étant considéré un emblème approprié pour la colonie. En 1690, Louis XIV fit frapper une médaille, Kebeka Liberata, pour commémorer la résistance victorieuse des Français contre les Anglais à Québec. Une femme assise y symbolise la France et à ses pieds un castor représente le Canada.
En 1851, le castor fut choisit pour figurer sur le premier timbre-poste du Canada-Uni, le Castor de trois pences :
Cependant, les Canadiens-Françaient considéraient toujours le castor comme un de leurs symboles. Lorsque les premières armoiries de Montréal furent conçues en 1833 par le premier maire de la ville, Jacques Viger, c’est ce gros rongeur qui fut choisis pour représenter les Canadiens-Français, tandis qu’un trèfle représentait les Irlandais et les deux autres fleurs les Anglais et Écossais.
Ce n’est qu’en 1938 que l’on remplaça le castor français par la fleur de lys et qu’un autre castor se retrouva sur le dessus des armoiries, devenant ainsi le symbole des Montréalais d’autres origines européennes.
Il faudra attendre 1975 pour que le l’État fédéral s’approprie le castor en le décrétant emblème officiel du Canada.
3. Le « Ô Canada »
Cette chant fut l’hymne national des Canadiens-Français un siècle avant qu’Ottawa ne l’adopte à son tour comme hymne du Canada au sens large : L’origine du Ô Canada en surprendra plusieurs [Chez Cousture].
4. Le gentillé « Canadien »
Quelques commentaires intéressants d’un homme qui a connu le Québec d’avant la Révolution tranquille :
Dès leur arrivée en Nouvelle-France, nos ancêtres se considéraient déjà comme « Canadiens », alors que les autochtones ne portaient pas cette appellation. Il y avait la milice canadienne et l’armée française, les colons, paysans ou coureurs des bois canadiens et l’administration française. Les Français partis, il ne restait plus que les Canadiens qui, sans renier leur langue, étaient fiers de l’être.
Même les Anglais, après 1760, ne se considéraient pas Canadiens, laissant aux seuls francophones cette façon de s’identifier. Et ce, jusqu’au milieu du vingtième siècle. D’ailleurs, ces derniers en gardaient l’exclusivité, alors que les sujets de Sa Majesté tenaient avant tout à la citoyenneté britannique.
[…]
Au référendum de 1980, Pierre Elliot Trudeau a eu cette boutade dans son plaidoyer pour le NON : « Rappelez-vous quand nous étions jeunes! Nous chantions On est Canayen ou ben on l’est pas. » C’était un peu cynique de sa part car, lorsque j’étais enfant ou adolescent, j’ai eu l’occasion moi aussi d’entendre le même refrain, mais il n’avait pas du tout la connotation que lui prête l’ancien premier ministre ; les Québécois francophones d’alors en gardaient l’exclusivité pour les Canadiens d’expression française. Durant cette période de notre jeunesse, soit dans les années quarante, j’ai maintes et maintes fois entendu des conversations du genre : « T’as un nouveau voisin ?… C’est-y un Canadien ? — Non, c’est pas un Canadien. C’est un Anglais. » Pourtant la famille de cet anglophone pouvait vivre à Montréal depuis quatre générations !
Certes, quelques anglophones commencèrent à revendiquer le titre de Canadians durant la première partie du dix-neuvième siècle, mais cela demeurait un phénomène plutôt rare. Cela devint plus fréquent avec la Confédération, c’est pourquoi, désireux de souligner le caractère distinct de leur identité, les anciens Canadiens commencèrent à s’appeler « Canadiens-Français », par opposition aux « Canadiens-Anglais ». Mais comme nous l’avons vu, « Canadien-Français » n’a jamais complètement remplacé « Canadien ».
C’est seulement après la Première guerre mondiale, et surtout à partir des années 1950, que les anglophones développent réellement le sentiment d’être différents des Britanniques de Grande-Bretagne. Ne se sentant plus Britanniques, n’ayant pas envie d’être Américains, ils s’appelèrent Canadians. C’est ainsi que les habitants de la moitié du continent, dont la frontière sud du « pays » est le 49e parallèle, devinrent, ironiquement, « Canadiens » par défaut.
N’oublions jamais que la feuille d’érable, le castor, le Ô Canada et le gentilé Canadien étaient, à l’origine, des référents identitaires exclusifs à notre peuple, et qu’ils nous ont été usurpés.
Content de savoir que vous me lisez !
Mais votre billet est meilleur que le mien… du moins un peu !
http://gentiblogue.blogspot.com/2010/07/recuperation-politique-un-fede-nomme.html
En fait ce billet est la version améliorée d’un autre billet que j’avais publié sur un autre blogue (maintenant défunt) en 2007, mais je suis content de constater que je ne suis pas le seul à en être arrivé à cette conclusion quant à nos symboles nationaux.